Auteurs : Christelle Gérand
Organisation affiliée : Le Monde Diplomatique
Type de publication : Article de presse
Date de publication : Juillet 2019
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Plantées entre un étal de plantes médicinales et le grillage cadenassé d’un vendeur de petites bouteilles d’alcool, deux imposantes tentes plastifiées aux couleurs de Médecins du monde (MDM) attirent l’attention du passant. Surplombant celles-ci, une banane affublée d’un préservatif arbore un slogan en nouchi, l’argot ivoirien : « Avant de djô, toujours porter le prézère » (Avant de faire l’amour, mettre un préservatif).
Dans ce pays, le sida provoque 24 000 morts par an, selon l’Onusida. Environ 500 000 personnes vivent avec le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), soit 2,8 % de la population âgée de 15 à 49 ans. Le pourcentage de victimes chez les consommateurs de drogues grimpait à 9,8 % en 2014, selon une étude effectuée par MDM.
Policiers et pots-de-vin
Les drogués précaires s’adonnent le plus souvent à leur addiction en groupe dans des « fumoirs ». À Abidjan, il existe une centaine de ces hangars abrités par des bâches ou de la tôle. Entre six mille et dix mille clients s’y rassemblent au milieu des ordures. Des policiers, achetés pour fermer les yeux, viennent régulièrement chercher leur pot-de-vin.
MDM a installé ses deux tentes à proximité de l’un des fumoirs de Yopougon. Les médecins y prodiguent gratuitement des soins, effectuent des dépistages du VIH et de la tuberculose, l’autre fléau sanitaire de l’Afrique de l’Ouest.
Le port de la cité aux cinq millions d’habitants est l’une des plaques tournantes de la drogue (3). L’héroïne produite en Asie y transite avant d’approvisionner le marché américain. En Côte d’Ivoire, elle est fractionnée en petites doses et coupée avec des produits parfois également toxiques qui en réduisent le coût pour le marché local.
Lors de ses actions de prévention, MDM distribue, outre des préservatifs, des embouts jetables initialement destinés au narguilé, pour limiter les risques de propagation de maladies, notamment la tuberculose. Cette maladie infectieuse, la plus mortelle du monde, se répand sans contrôle parmi les drogués. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 36 000 nouveaux cas de tuberculose auraient été détectés dans le pays en 2016, soit une prévalence de 0,2 %. Chez les usagers de stupéfiants, ce chiffre atteint 9,8 %.
MDM a installé ses deux tentes à proximité de l’un des fumoirs de Yopougon. Les médecins y prodiguent gratuitement des soins, effectuent des dépistages du VIH et de la tuberculose, l’autre fléau sanitaire de l’Afrique de l’Ouest
Promiscuité, manque d’hygiène, absence d’équipements propres, etc. Les raisons de cette épidémie de tuberculose sont multiples. Le refus des usagers de se rendre dans des structures de santé retarde dépistage et traitement. Ils affirment qu’on les stigmatise, voire qu’on refuse de les recevoir.
Des patrouilles de nuit
Le rôle des éducateurs de pair comme Mme Kouadio consiste aussi, après la détection de la maladie, à s’assurer que le malade se rend à ses rendez-vous médicaux et prend ses comprimés. Mme Kouadio s’occupe tout particulièrement des femmes.
Récemment, MDM a lancé un projet-pilote : l’association organise des sorties de nuit pour s’adapter au rythme de vie des populations visées. Lors des huit dernières patrouilles, dix personnes séropositives ont pu être dépistées. Toutes étaient des prostituées. Sur quinze échantillons récoltés, quatre révélaient également la présence de la tuberculose.
Des camps de prières
Le docteur Eboi Ehui coordonne le programme national de lutte contre le sida (PNLS). Il assure que des représentants des usagers de drogues, des prostituées et des homosexuels sont invités à toutes les réunions de sensibilisation, y compris à celles qui sont organisées au ministère de la santé. « Si l’on fait l’autruche, on risque de continuer à infecter la population générale », reconnaît-il.
Le programme tâche aussi de convaincre les malades de prendre des antirétroviraux (ARV), ces médicaments qui stoppent l’évolution du VIH. Ceux-ci sont gratuits depuis 2008, mais « la maladie chronique est mal acceptée en Côte d’Ivoire : si l’on ne guérit pas, c’est qu’on a un sort », explique le médecin.
Les chrétiens évangéliques, notamment, préfèrent parfois se tourner vers des camps de prière. Il en existerait une centaine à Abidjan, dans lesquels les malades cessent de prendre leurs médicaments et prient ensemble pour un miracle : leur guérison. « Maintenant que l’on a identifié le problème, explique le docteur Ehui, on va sensibiliser les pasteurs pour qu’ils incitent les patients à prendre leurs comprimés quoi qu’il en soit, comme on l’a fait avec les médecins traditionnels. » Le maillon faible de l’arsenal de lutte ivoirien, convient-il, réside dans la prévention.
Les chrétiens évangéliques, notamment, préfèrent parfois se tourner vers des camps de prière. Il en existerait une centaine à Abidjan, dans lesquels les malades cessent de prendre leurs médicaments et prient ensemble pour un miracle : leur guérison
La stigmatisation des séropositifs est telle que la plupart taisent leur état. Après la mort de son mari à l’étranger, Mme Foufana C. a dû trier ses papiers. Elle a alors découvert qu’il avait effectué un test et qu’il était atteint du VIH. Il ne lui en avait jamais parlé.
Au sein du groupe de soutien organisé par l’association locale Espoir pour les enfants, Mme C. et une trentaine de femmes partagent leurs difficultés. La principale concerne la nourriture : affaiblies, elles ne peuvent pas travailler autant qu’avant. C’est un cercle vicieux, car une alimentation trop pauvre nuit à la capacité des patients à tirer les bénéfices de leur traitement.
« Se sortir la tête du fumoir »
Pour les usagers de drogues à Abidjan, le Centre d’accompagnement et de soins en addictologie (CASA), mis en place par MDM, tente d’aller encore plus loin. Nul panneau n’en indique l’entrée : le havre se veut discret notamment aux yeux de la police. Une trentaine de drogués y accèdent chaque jour.
Dans cette maison ouverte et colorée, les usagers bénéficient d’une consultation psychologique et des conseils d’une assistante sociale, qui peut notamment les aider à renouer avec leur famille. Ils peuvent également se doucher et laver leurs vêtements. Le CASA sert aussi à « se sortir la tête du fumoir », comme l’explique Mme Marie-Julie Toha, une travailleuse sociale surnommée « maman CASA ».
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