Auteurs : Arman Avadikyan et Claire Mainguy
Organisation affiliée : Revue Mondes en Développement
Type de publication : Article
Date de publication : 2016
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La sortie de la pénurie énergétique est une condition essentielle pour un développement socio-économique et humain. Au-delà d’importantes disparités régionales (entre pays, entre zones urbaines et rurales), 70% des habitants d’Afrique subsaharienne (ASS) sont privés d’accès à l’électricité et leur nombre ne cesse d’augmenter, puisque les efforts d’électrification continuent d’être en deçà du rythme de croissance de la population.
Par ailleurs, responsable d’une part minime des émissions mondiales de gaz à effet de serre (1,8% entre 1990-2012 en excluant l’Afrique du Sud), l’ASS est déjà une des régions du monde les plus touchées par les risques croissants du changement climatique (sècheresses, inondations) avec de lourdes conséquences sur la pauvreté.
Parmi les ODD, l’objectif sept, « Garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable », représente un défi d’envergure pour l’Afrique, tant en termes de production alimentaire que d’activité économique, d’emploi, de revenus et donc de lutte contre la pauvreté. Cet objectif est étroitement lié à l’objectif 13, qui vise à la maîtrise du réchauffement climatique.
En effet, la contribution minime de l’ASS aux émissions de CO2 est liée à la faiblesse de son industrialisation, mais ses besoins en énergie croissent de façon très rapide. Il s’agit moins, dans son cas, de financer la « transition énergétique » au sens où on l’entend pour les pays développés ou les pays émergents, c’est-à-dire de faire évoluer le mix énergétique, que d’éviter de passer par une phase de croissance énergivore et polluante comme ce fut le cas des pays industrialisés. Les financements concernant « l’atténuation » devraient appuyer le développement du secteur énergétique tout en prenant en compte les enjeux du réchauffement climatique. Le défi repose en grande partie sur une exploitation « soutenable » des ressources (à la fois fossiles et renouvelables) dont l’Afrique dispose.
Les estimations des besoins pour atteindre les ODD concernant l’énergie
Les estimations des besoins énergétiques de l’ASS et les montants d’investissements associés requis pour les satisfaire varient suivant les modèles, les scénarii et les hypothèses retenues pour les projections estiment les investissements nécessaires pour répondre aux besoins énergétiques de l’ASS à 40 milliards US$ par an. L’Agence internationale de l’énergie, dont un des scénarii est basé sur les ambitions politiques affichées par l’ASS au moment de la réalisation de l’étude, estime les investissements annuels requis pour les réaliser à 53 milliards US$ par an d’ici 2040. Une autre étude récente de McKinsey évalue l’investissement total nécessaire jusqu’en 2040 pour permettre à tous les pays africains de répondre à leur besoin énergétique à 835 milliards US$ (33 milliards/an), dont 490 milliards pour l’installation de nouvelles capacités de production, 80 milliards pour le transport et 265 milliards pour la distribution.
Le niveau des investissements en ASS dans le secteur de l’énergie, évalué à 11,6 milliards US$ par an révèle l’importance du déficit de financement qui caractérise les systèmes énergétiques dans cette région. Les dépenses publiques sont majoritairement consacrées à l’exploitation et à l’entretien des réseaux, ce qui laisse peu de place à l’investissement dans un système énergétique élargi, plus efficace et plus équitable. Les contraintes liées à l’investissement limitent, par ailleurs, la capacité de l’Afrique à bénéficier des innovations dans le domaine des énergies renouvelables.
Les mesures et financements existants pour l’atténuation du changement climatique
Les mécanismes de financement bi et multilatéraux mis en place par les pays développés pour le climat sont à l’heure actuelle la source la plus importante de financement public pour les énergies renouvelables et l’amélioration de l’efficacité énergétique en ASS. Plus particulièrement, les mécanismes dédiés de manière générale à l’atténuation du changement climatique concernent le secteur de l’énergie. Parmi les fonds multilatéraux, ceux de la Banque mondiale et de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) constituent les principales sources de financement.
La plus importante contribution provient du Fonds pour les technologies propres (FTP) géré par la Banque mondiale et la Banque africaine de développement (BAfD). Ces mêmes institutions administrent aussi le Program for Scaling Up Renewable Energy in Low Income Countries (SREP), une source importante de financement pour l’ASS. Quant aux différents Fonds pour l’environnement mondial (FEM) initiés dans le cadre de la CCNUCC, ils contribuent à la fois aux projets d’adaptation et d’atténuation mais avec des montants par projet plus faibles que le FTP et le SREP. Depuis 2015, le Fonds vert pour le climat (FVC), instauré par la CCNUCC, est envisagé comme un mécanisme central pour financer les projets d’atténuation et d’adaptation.
D’autres canaux avec des capacités plus modestes ont été initiés par la Commission européenne, tel que le Global Energy Efficiency and Renewable Energy Fund (GEEREF) et, au niveau régional, par la BAfD, à l’instar du Fonds africain pour le changement climatique. Les donateurs bilatéraux (e.g. Royaume-Uni, Allemagne, Norvège) jouent également un rôle important dans la région pour soutenir les projets d’atténuation. Enfin, le Mécanisme de développement propre (MDP), instauré dans le cadre du Protocole de Kyoto, constitue une option de financement privé de technologies bas carbone dans les pays en développement.
De nouvelles pistes de financement
Concernant l’identification de nouvelles sources de financement, clairement différenciées des fonds destinés au développement (pour répondre à la crainte des pays en développement de voir un simple changement de destination des fonds), les pays industriels se sont engagés, lors de la conférence des Parties sur le climat à Copenhague, en 2009, à abonder un fonds de 100 milliards US$ par an jusqu’en 2020 pour aider les pays en développement à lutter contre le réchauffement climatique.
Au-delà des fournisseurs publics d’électricité qui restent largement responsables de l’extension et de la gestion du réseau centralisé, l’accroissement de la capacité de production électrique dépend de l’attractivité des pays africains pour les producteurs privés d’électricité
En conséquence, le Fonds vert pour le climat a été créé lors de la COP16 à Cancun en 2010 pour aider les pays les plus vulnérables à s’adapter au changement climatique et soutenir leur transition énergétique. Une partie des 100 milliards US$ promis transite ainsi par ce Fonds qui a été doté de 10,3 milliards US$ jusqu’en 2018. Il n’en reste pas moins que ni la conférence d’Addis Abeba sur le financement du développement, ni la COP 21 sur les négociations climatiques n’ont réussi à clarifier la question centrale de l’articulation entre le financement des ODD et celui du climat, même si le Fonds Vert pourrait devenir sous certaines conditions un mécanisme permettant de combiner les deux enjeux.
Considérant l’importance des investissements requis et la rentabilité à long terme de la plupart des projets visant les ODD 7 et 13, la mise en place d’instruments mixtes tels que les partenariats public-privé et le blending semble incontournable. Ce dernier, par exemple, consiste à associer des acteurs publics et privés sur un même projet et à mobiliser des financements sous forme à la fois de dons et de prêts, dont l’importance relative pourrait varier en fonction du niveau de développement des pays. Le blending a ainsi pour objectif de démultiplier les possibilités de l’APD, d’en faire un levier pour attirer des investissements d’un montant beaucoup plus élevé. Les estimations sont très variables selon les méthodes de calcul et selon la nature des projets et des interventions. L’effet multiplicateur calculé suite à des expériences de l’Union européenne pourrait être de 1 à 30 ou de 1 à 8.
Le potentiel des énergies renouvelables et leur trajectoire de déploiement
Les Objectifs de développement durable par rapport à la problématique de l’accès à l’énergie en ASS doivent s’appréhender en considérant le potentiel des énergies renouvelables (EnR) dans la région et leurs spécificités. Les ressources potentielles de l’ASS en EnR sont abondantes et diversifiées (hydraulique, géothermie, solaire, éolienne). Cependant, à l’exclusion de l’utilisation traditionnelle de la biomasse solide, celles-ci représentent moins de 2% du mix énergétique. L’hydraulique utilisée pour la production d’électricité est la source largement dominante d’EnR. Pourtant, seule une part minime (10%) de son potentiel technique, distribué entre plusieurs pays, est actuellement exploitée. Cette situation est toutefois en train d’évoluer avec les projets engagés dans plusieurs pays de l’ASS avec des investissements essentiellement chinois.
Le potentiel des énergies éolienne et solaire est aussi très important. Ces énergies ont été très peu développées, mais des projets solaires, éoliens et géothermiques commencent à contribuer plus significativement au mix énergétique d’un certain nombre de pays. Par exemple, le Kenya possède une des plus grandes centrales géothermiques au monde et plus de 50% de son électricité provient maintenant de cette ressource. Le Ghana est également en train de se doter d’une centrale solaire (projet Nzema) d’une puissance de 155 MW (deuxième sur le continent derrière celle du Maroc d’une puissance initiale de 160 MW). L’Éthiopie a investi dans un vaste parc éolien d’une capacité de 120 MW et prévoit d’en construire d’autres (APP, 2015 ; IEA, 2014). Quant à l’usage de la biomasse moderne, il dépend de l’exploitation durable des forêts et des besoins de l’agriculture.
Les énergies renouvelables nécessitent, par ailleurs, une approche à la fois centralisée et décentralisée. Les deux modèles ont leurs avantages et leurs inconvénients. Un modèle décentralisé permet de diversifier les ressources et de les valoriser localement et de manière flexible. L’exploitation décentralisée des énergies renouvelables (sous forme de mini-réseaux ou de production individuelle) permet de contourner les coûts élevés d’investissement de l’extension du réseau dans les zones peu peuplées et reculées, voire même péri-urbaines lorsque le réseau est inexistant. Un modèle décentralisé peut contribuer au développement socio-économique des zones défavorisées et initier ainsi un cercle vertueux. La valorisation locale des EnR contribue aussi à éviter les coûts de transport des combustibles fossiles. Mais l’existence d’infrastructures efficaces et à grande échelle n’en constitue pas moins un facteur crucial de croissance.
Les réformes du secteur énergétique et le rôle des différents acteurs
La transition énergétique nécessite d’attirer et de coordonner un plus grand nombre d’acteurs en fonction de leurs compétences et de leurs motivations socio-économiques. Au-delà des fournisseurs publics d’électricité qui restent largement responsables de l’extension et de la gestion du réseau centralisé, l’accroissement de la capacité de production électrique dépend de l’attractivité des pays africains pour les producteurs privés d’électricité.
Les investissements privés réalisés dans les différents pays de l’ASS durant les 20 dernières années révèlent, en effet, une forte concentration dans un nombre limité de pays. En ASS, le secteur de l’électricité a traditionnellement été géré par des monopoles publics verticalement intégrés. Malgré les réformes engagées en faveur d’une plus grande ouverture vers le secteur privé dans le cadre de l’ajustement structurel, les problèmes de gouvernance, de régulation et de tarification (prix inférieur au coût de l’électricité) ont été des freins notables à l’investissement.
Par ailleurs, les politiques de financement public des énergies renouvelables peuvent reposer sur les impôts et les taxes prélevés sur les carburants fossiles et l’électricité et la réorientation des subventions accordées aux énergies fossiles vers les énergies renouvelables.
L’amélioration de l’accès à l’énergie des populations défavorisées nécessite de réformer le modèle économique au niveau de la distribution d’électricité à la fois sur les conditions tarifaires et de raccordement au réseau (subvention du tarif initial minimal et du coût de raccordement et/ou étalement des paiements de raccordement sur une période plus longue). Il s’agit, de manière générale, d’instaurer des schémas de subventions plus équitables, puisqu’un des problèmes majeurs du système de subvention de l’électricité dans de nombreux pays africains est qu’il profite essentiellement aux classes aisées et urbaines, tout en constituant un frein à l’accès à l’énergie des populations pauvres.
Pour favoriser le déploiement des options décentralisées (mini-réseaux ou hors réseaux), l’engagement des pouvoirs publics en combinaison avec les bailleurs de fonds multilatéraux/bilatéraux, les ONG et les communautés locales sont également déterminants. Il s’agit d’associer les capacités financières des différents acteurs et leurs compétences complémentaires. Par exemple, pour bien prendre en compte les défis des programmes d’électrification rurale et de s’assurer de leur mise en œuvre, des institutions dédiées telles que les Agences d’énergie/électrification rurale ont été créées dans plusieurs pays africains et, dans certains cas, des fonds et des schémas de subvention ont été institués.
De nombreuses initiatives ont émergé au cours des dernières années, comme dans le cas des systèmes solaires, et montrent leurs effets positifs sur le développement économique local, au-delà de l’amélioration de l’accès à l’énergie. Le succès de ces initiatives repose sur l’association de fonds publics et privés et l’adoption de modèles économiques innovants afin de surmonter les problèmes financiers, à la fois pour l’acquisition des installations solaires par les clients et pour le paiement de leur consommation d’électricité.
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