Auteurs: Céline Yolande Koffie-Bikpo, Akoua Assunta Adaye
Type de publication : Article
Date de publication : 2014
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Le maraîchage : une activité pratiquée sur des espaces inconstructibles et non encore mis en valeur
La dynamique spatiale de la ville d’Abidjan depuis sa création s’est faite dans une succession de plans d’urbanisme. Du plan Du Prey de 1928 au schéma directeur de 1998, la ville s’est étendue en essayant de respecter les normes établies par les spécialistes de la planification urbaine. Cependant, ces plans n’ont pas toujours été suivis. La ville a présenté dès le début des années 1980 des failles dans son développement, et une de ces faiblesses reste la présence de terrains non mis en valeur des lotissements administratifs ou « coutumiers », dont les lots sont détournés de leurs affectations officielles. Dans l’armature urbaine d’Abidjan, il existe des espaces dits inconstructibles ou difficiles à assainir qui sont pourtant attribués.
En réalité, ces espaces lotis constituent plutôt des terrains qui nécessitent des moyens importants pour leur aménagement. On retrouve ces terrains dans des bas-fonds inondables, des cuvettes, des collines et des fortes pentes. Ils sont abandonnés par leurs propriétaires qui attendent les travaux d’assainissement, la construction d’ouvrages de franchissement des cours d’eau ou des contournements des massifs préalables à tout début de mise en valeur conforme aux servitudes officielles. Qu’il s’agisse de terre domaniale ou de propriété privée, les terres « inconstructibles » sont des terrains inexploités par manque de moyens financiers. En outre, pour des raisons de sécurité aérienne, des terrains demeurent non bâtis. Il s’agit de la zone aéroportuaire qui regorge ainsi de nombreux terrains vagues. Cet espace d’environ 600 hectares est utilisé à des fins diverses telles que l’élevage, la pêche, la culture du manioc, et les cultures maraîchères qui à elles seules occupent environ 60 hectares morcelés en petits lopins de moins d’un ha.
La période 2000-2010 a été celle où la ville d’Abidjan a enregistré un nombre élevé d’installations de maraîchers. Ce taux élevé (72,46 %) trouve son explication, dans un premier temps, dans une augmentation pléthorique de la population abidjanaise de plus en plus demandeuse en produits alimentaires frais, et dans un second temps, dans le fait qu’avec les différentes crises sociopolitiques qu’a connues la Côte d’Ivoire, des ouvriers ont perdu leur emploi et se sont reconvertis dans la pratique des cultures maraîchères. Ces nouveaux acteurs procèdent de diverses manières pour accéder à l’espace cultivable : la location, le prêt et l’occupation illégale des parcelles.
La location des parcelles
Plusieurs sites inconstructibles appartiennent à certaines communautés villageoises qui les mettent en location pour le maraîchage. Cette forme d’accès à la terre concerne 72,72 % des maraîchers enquêtés. Le prix de location des parcelles varie entre 1 000 et 3 000 FCFA par mois selon la taille des planches cultivées. Pour les planches de 2 m de largeur et de 3 m de longueur, le prix est fixé à 1 000 FCFA ou 2 000 FCFA selon l’ayant droit. Tandis que pour les grandes planches de plus 2 m de largeur et de 3 m de longueur, les producteurs payent 3 000 FCFA. Le loyer mensuel de la parcelle est versé en espèce aux autorités villageoises.
L’acquisition des parcelles par prêt
L’acquisition par prêt concerne les maraîchers qui n’ont déboursé aucune somme d’argent pour acquérir l’espace sur lequel ils mènent leurs activités. Ces espaces leur sont prêtés par les propriétaires, le temps pour ces derniers d’avoir les moyens de les mettre en valeur. Ainsi, les parcelles sont constamment entretenues. Le prêt concerne 9,2 % des enquêtés.
Une occupation illégale des parcelles
18,08 % de maraîchers occupent en toute illégalité leur espace de production. Ces espaces sont occupés du fait de la lenteur des travaux d’aménagement. Les maraîchers sont conscients qu’ils peuvent être expulsés à tout moment. Ce fut le cas d’un site à Cocody aux alentours de l’université. En effet, en 2010, lors de nos enquêtes de terrain, on y a dénombré plus d’une trentaine de producteurs maraîchers. Ce site appartenait à un opérateur privé. Lors de notre dernier passage dans ce lieu le 28 janvier 2013, nous n’avons dénombré que 10 exploitants, les autres ayant été expulsés pour la construction du troisième pont.
Le maraîchage : une activité pratiquée par les non-ivoiriens
Si le maraîchage est en général le fait des hommes, une faible proportion de femmes s’intéresse aussi à cette activité (21 % de femmes contre 79 % d’hommes). Ce taux plus faible de femmes peut s’expliquer par la rigueur du travail. Le maraîchage nécessite beaucoup d’efforts physiques et de temps.
Les enquêtes ont révélé que 81,6 % des maraîchers sont des non-Ivoiriens, en majorité des Burkinabés contre 18,4 % d’Ivoiriens. Le grand nombre des burkinabés se justifie par le fait qu’ils pratiquaient le maraîchage depuis leur plus jeune âge dans leur pays d’origine.
La commercialisation des produits maraîchers : une activité féminine
La mise en marché des cultures maraîchères se déroule principalement sur les lieux de production entre les producteurs et les acheteurs. Toutefois, la distance qui sépare les bassins de production et les centres de consommation permet d’étudier l’itinéraire emprunté par les produits maraîchers et d’identifier les opérateurs commerciaux qui interviennent dans la filière.
Les femmes, moteur de la commercialisation des produits maraîchers
Le circuit long de la production maraîchère a pour acteur principal le commerçant-grossiste. Ce circuit est caractérisé par la présence de plusieurs intermédiaires : le producteur, le grossiste, le détaillant et le consommateur. Sur les différents marchés abidjanais, les femmes constituent la majorité des grossistes. Les commerçantes grossistes sont chargées de collecter et d’expédier la production vers les zones de consommation. La production est vendue par superficie cultivée par le maraîcher et non par kilogramme.
« Sur les différents marchés abidjanais de produits maraîchers, les femmes constituent la majorité des grossistes »
Les grossistes alimentent leur propre réseau de distribution fait de plusieurs détaillantes qu’elles organisent autour d’elles pour l’écoulement rapide de leurs stocks sur les marchés. Elles représentent le choix privilégié des producteurs car elles régulent le marché et jugent de la qualité des légumes dans les bassins de production. Elles refuseront d’acheter par exemple tous les légumes sur lesquels elles observeront des taches noirâtres ou les légumes-feuilles qui jaunissent. Mieux, elles s’attacheront à la couleur verte des feuilles. Par contre, d’autres acheteurs directs comme les consommateurs et certains supermarchés seront plus regardants sur les moyens de production (qualité de l’eau et intrants utilisés) ou exigeront de nombreux tests qualité de ces produits, ce qui pour des producteurs analphabètes, peut paraître rébarbatif. Les grossistes demeurent de ce fait les clients privilégiés des producteurs. Les femmes grossistes entretiennent des relations de fidélité et de confiance avec les producteurs et les détaillantes. Elles rassurent les producteurs lors de l’achat et les détaillantes pour l’approvisionnement quelle que soit la saison culturale. À côté de ce circuit dit « long », il existe un circuit « court ». Celui-ci implique directement le producteur et le consommateur. Soit les consommateurs se ravitaillent directement dans les zones de production, soit ils rencontrent le producteur sur le marché. Certains ménages à proximité des zones de production en profitent pour s’approvisionner ainsi en produits maraîchers. Pour les producteurs, ils ne constituent pas une clientèle importante et sûre, car les achats se font en fonction du besoin immédiat du ménage.
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