Wilfrid Ahouansou
Le 30 mars 2010, Jeune Afrique publiait un article intitulé « Coup d’Etat démocratique » en référence aux nombreux putschs perpétrés en Afrique de l’Ouest qui étaient justifiés par un besoin de retour à la démocratie après une parenthèse de transition dirigée par une junte militaire.
Plus d’une décennie après, subsiste encore le spectre de l’intervention de l’armée pour mettre fin à une situation considérée comme anti-démocratique, notamment la révision de la constitution pour se maintenir au pouvoir, l’incapacité d’un Chef d’Etat en exercice à proposer une réponse politique aux exigences de la démocratie ou encore l’impossibilité à installer une paix durable sur le territoire national en raison de la prolifération de groupes armés ou terroristes.
Au Mali, “le bal des coups d’Etat” semble interminable, au point où il a même été expérimenté en 2021 le coup d’Etat dans le coup d’Etat par le Colonel Assimi Goïta, mécontent de la constitution du gouvernement par le président de la transition qu’il a lui-même contribué à mettre en place. Déjà le 18 août 2020, les putschistes du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) organisait le renversement du président Ibrahim Boubacar Kéita, sous la forme d’une réponse aux revendications du peuple malien qui réclamait plus de transparence dans la gestion des élections.
Les derniers événements du 23 janvier 2022 au Burkina Faso viendraient-ils pour confirmer un modèle qui semble désormais établi : l’armée qui sort des casernes pour porter des revendications sur la scène publique ou pour déposer un pouvoir qualifié d’incapable ?
En Guinée, toujours en 2021, c’est la révision de la constitution pour un troisième mandat, qui a conduit le Lieutenant-Colonel Mamady Doumbouya à déposer le président élu Alpha Condé le 5 septembre 2021. Les derniers événements du 23 janvier 2022 au Burkina Faso viendraient-ils pour confirmer un modèle qui semble désormais établi : l’armée qui sort des casernes pour porter des revendications sur la scène publique ou pour déposer un pouvoir qualifié d’incapable ?
Dans ces circonstances, est-il possible de théoriser sur un schéma porteur de conflictualités qui pourraient être analysées comme des signes avant-coureurs d’un putsch ? Est-il possible pour les organisations régionales ouest-africaines, en particulier la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) de lire ces signes et de réagir en amont pour éviter le coup ?
La définition du coup d’Etat démocratique
En 2012, l’auteur Ozan Varol expliquait le concept de coup d’Etat démocratique, comme un acte mettant fin à un régime dictatorial et favorisant le retour aux bases démocratiques. L’auteur établissait cette distinction avec les autres types de coups perpétrés par des militaires, qui n’ont d’autres buts que de concentrer le pouvoir entre leurs mains à des fins personnelles ou de constitution de rentes.
Par contre, les coups d’Etat démocratiques seraient caractérisés par l’existence de sept conditions à savoir:
- réalisés contre un régime totalitaire,
- à la demande persistante d’une opposition populaire au régime dictatorial,
- face au refus dudit régime de prendre en compte les revendications de la population en démissionnant,
- par un militaire ayant une bonne réputation au sein de la nation,
- uniquement dans le but de renverser la dictature,
- et permettant l’organisation rapide d’élections libres et transparentes,
- avec un transfert effectif du pouvoir au nouveau régime démocratiquement élu.
Un exemple de coup d’Etat démocratique présenté par Ozan Varol pour soutenir sa théorie est celui réalisé en Egypte le 11 février 2011 contre Hosni Moubarak. Sans pour autant considérer cet acte comme un moyen légitime de dévolution du pouvoir, l’auteur le présente tout de même comme un pan de l’histoire d’un pays qui permet un retour à un régime favorisant le respect des normes démocratiques et les aspirations du peuple.
Les conditions du coup d’Etat démocratique en Afrique de l’Ouest
En se basant sur la théorie de Ozan Varol, le coup d’Etat démocratique en Afrique de l’Ouest n’en serait pas exactement un. Que ce soit celui au Mali en 2012 avec Amadou Haya Sanogo, en 2014 au Burkina Faso avec Isaac Zida, en 2020 et en 2021 au Mali avec Assimi Goïta, en 2021 en Guinée avec Mamady Doumbouya, ou peut-être en 2022 au Burkina avec Paul Henri Damiba, les nombreux putschs réussis ou manqués dans l’espace régional ne sont pas perpétrés contre un régime officiellement « dictatorial ».
En effet, si la dictature se caractérise par un régime politique marqué par un exercice arbitraire et autoritaire du pouvoir et une soumission totale de l’ensemble des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire à la volonté de celui qui l’exerce, peu de régimes ayant été victimes de ces putschs pouvaient entrer dans cette catégorie.
Bien que le Burkina Faso ait été aux mains de Blaise Compaoré pendant plusieurs décennies, il n’entrait plus entièrement dans le moule de la dictature puisque les élections y étaient organisées régulièrement et qu’une opposition au pouvoir avait pignon sur rue.
Pour la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO, lutter contre les putschs est considéré comme un moyen d’assurer leur survie politique
Nonobstant ces considérations, la majorité des coups d’Etat réussis dans la période n’ont pas reçu une forte opposition de la population. Pour certains mêmes, dont celui du Burkina en 2014 et du Mali en 2020, ils ont été applaudis par la population.
En plus de ce soutien populaire, les putschs interviennent dans des contextes où la légitimité des pouvoirs en exercice est fortement contestée, notamment parce que les élections les ayant reconduit n’auraient pas été transparentes, parce qu’une révision de la constitution est intervenue pour les conforter dans une extension de mandat, ou qu’ils sont décriés à cause de leur incapacité à lutter contre les groupes armés non étatiques et les mouvements terroristes sur leur territoire.
Le 23 janvier 2022, les revendications portées par les militaires qui ont protesté dans les casernes, portaient essentiellement sur une meilleure organisation de la lutte contre les groupes djihadistes dont les exactions ont conduit à des milliers de morts parmi les rangs des soldats et de la population civile.
Quelle leçon peut-on alors en tirer dans un contexte où la CEDEAO, liée par ses propres textes dont l’acte additionnel A/SA.13/02/12 portant régime des sanctions à l’encontre des Etats membres qui n’honorent pas leurs obligations vis-à-vis de la CEDEAO, milite pour un retour rapide au pouvoir civil après les putschs ?
La nécessaire réforme de la gestion des coups d’Etat en Afrique de l’Ouest
Pour la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO, lutter contre les putschs est considéré comme un moyen d’assurer leur survie politique. De nombreux observateurs indiquent ainsi que ces présidents ne sont jamais disposés à dénoncer les actions de leurs pairs qui manœuvrent pour demeurer au pouvoir, mais sont toujours prompts à réagir lorsque ceux-ci sont renversés.
Les normes de la CEDEAO en faveur de la consolidation de la démocratie, contenues notamment dans le protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance, devraient-elles être augmentées à des actions fortes à exercer pour qu’un régime en place prenne davantage la mesure de ses responsabilités devant son peuple ? Il faut le croire, d’autant plus que l’inaction ou l’incapacité de certains Etats à contenir sur leurs territoires l’expansion de certains mouvements djihadistes, contribuent à la propagation des attaques terroristes dans la sous-région.
Au-delà de la menace terroriste, l’incapacité de la CEDEAO à utiliser ses instruments d’alertes précoces et de prévention des crises, est significative d’un besoin de réformes permettant de mettre l’organisation davantage à l’écoute des aspirations profondes des populations de ses États membres.
Crédit photo : Journal du Sénégal
Wilfrid Ahouansou est Docteur en Droit public et chercheur à l’Université d’Abomey-Calavi au Bénin. Il s’intéresse aux questions de paix et de sécurité en Afrique, avec un accent particulier sur le Sahel et le Nigéria. Il a réalisé une recherche doctorale sur les Etats fragiles en Afrique, et mène ses réflexions sur le rôle des organisations internationales et régionales dans le retour durable à la paix dans ces pays.
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Merci cher Dr pour votre analyse. Le rôle des organisations internationales comme la CEDEAO , l’uemoa et autres est méconnu du grand public en dehors du fait de venir défendre les présidents déchu. Toutefois l’enjeu sécuritaire est vraiment très éminent et au regard des multiples actions menées par les ex dirigeants de ces pays, le mal persiste. L’arrivée au pouvoir des militaires pourrait être une alternative pour délier les actions cachés autour de cette lutte sans fin et mettre fin au règne de ces présidents qui se pérennisent au pouvoir en profitant de la naïveté du peuple.