Kiari Liman Tinguiri
Dans une tribune publiée sur le site de Jeune Afrique, le professeur Alzouma Gado, anthropologue et universitaire, soutient qu’il y aurait un paradoxe dans l’analyse de la relation entre croissance démographique et développement au Niger qui aurait échappé à tous. Il se sert de quelques chiffres, pour démontrer que la croissance démographique du Niger, loin d’être un obstacle pour le développement économique, serait en réalité la meilleure chose qui soit arrivée à ce pays. En effet, grâce à elle ou malgré elle, on scolariserait plus, on vivrait plus longtemps et on serait moins pauvre.
Le taux de fertilité de plus de 7 enfants par femme en âge de procréer et le taux de croissance de la population de près de 4%, ne sont pas des contraintes à desserrer, mais des atouts à célébrer. Trois indicateurs sont mobilisés pour soutenir cette thèse. Le professeur évite cependant de retenir le moindre indicateur de développement économique, comme le classique revenu par tête ou des proxy plus modernes :consommation d’énergie par habitant, émission de gaz à effet de serre par tête, taux de connexion à internet etc.
II est pourtant très important, lorsque l’on parle de développement de se choisir une définition, tant la question est controversée. Nous nous référons ici à une définition large, celle que Amartya Sen donne du développement humain, qui a inspiré la construction de l’Indice de Développement Humain (IDH). Le développement est « un processus d’élargissement des choix des individus » qui leur permet de mener une vie qu’ils ont de bonnes raisons de vouloir. Cela suppose de disposer d’un minimum d’éducation, de jouir d’une santé satisfaisante et d’un minimum de ressources matérielles. Ce sont des variables saisissant au mieux ces trois notions que l’on combine pour mesurer l’IDH d’un pays.
L’espérance de vie à la naissance a augmenté significativement au Niger, ce qui serait selon le Pr. Gado une preuve que la croissance de la population est une bonne nouvelle pour le développement économique du pays. L’argument est d’autant moins convaincant que le niveau de vie a augmenté davantage là où la croissance de la population a été beaucoup moins rapide que la nôtre. Reprenons la comparaison entre la France et le Niger, choisie par l’auteur.
En 1962, le revenu national brut par tête d’habitant (RNB/T) au Niger était de 150 $ US, alors qu’il s’élevait en France à 1550 $ US, soit un peu plus de 10 fois celui du Niger. En 2020, le revenu par tête d’un Français s’élève à 38500 $ US, lorsque le Nigérien moyen doit se contenter de 550 $ US. En d’autres mots, alors qu’en 1962, le niveau de vie d’un Français est comparable à celui de dix Nigériens, le Français de 2020 à un niveau de vie qui équivaut à celui de 70 Nigériens.
L’espérance de vie à la naissance a augmenté significativement au Niger, ce qui serait selon le Pr. Gado une preuve que la croissance de la population est une bonne nouvelle pour le développement économique du pays. L’argument est d’autant moins convaincant que le niveau de vie a augmenté davantage là où la croissance de la population a été beaucoup moins rapide que la nôtre
La comparaison avec la France est injuste, car on compare un pays industrialisé à un pays en développement. La même comparaison avec des pays qui nous ressemblent est tout aussi édifiante. En 1968, le RNB/T du Sénégal était de 340 $ US, celui du Niger de 160. Le niveau de vie du Nigérien moyen équivalait à 47 % de celui du Sénégalais. En 2020, le Nigérien n’a plus que 38,5 % du niveau de vie du Sénégalais.
En 1988, le Nigérien avait un revenu de 330 $ US soit 75 % des 400 $ du Guinéen ; en 2020 le revenu du Nigérien ne vaut plus que 54% de celui du Guinéen. En 1962 le Nigérien, avec 160 $ de revenu par tête vivait mieux que le Dahoméen qui n’en avait que 90 $ US ; en 2020 le revenu du Nigérien (550 $) ne représente que 43 % de celui du Béninois qui s’élève à 1280 $ US. Enfin, le Nigérian avait en 1970 un revenu de 170 $ US, contre 150 $ pour le Nigérien, en 2020 le Nigérian en avait 2000 $, soit plus de 3,5 fois celui du Nigérien.
Les quatre pays comparateurs ont en commun d’avoir un taux de croissance de la population inferieure d’au moins un point de pourcentage par rapport à celui du Niger. A l’exception du Nigeria (55 ans), les trois autres pays ont une espérance de vie supérieure ou comparable à celle du Niger et ont tous un IDH supérieur à celui du Niger en 2020. Ils ont tous un taux de pauvreté nettement inférieur à celui du Niger. On ne peut donc pas soutenir, dans ces conditions, que la croissance fulgurante de sa population est une bonne nouvelle pour le développement économique du Niger.
L’augmentation de l’espérance de vie à la naissance au Niger reflète avant tout la baisse de la mortalité infanto-juvénile, résultat des campagnes massives de vaccination. Le taux de mortalité des enfants de moins cinq ans est passé de 341 pour mille naissances vivantes en 1974 à 78 en 2020. L’augmentation de l’espérance de vie à la naissance ne signifie donc pas qu’une proportion très grande de Nigériens vivent aujourd’hui très longtemps (les plus de 65 ans ne représentaient en 2020 que 2,60 %).
Examinons un peu plus en détail l’augmentation de l’espérance de vie à la naissance au Niger. La baisse de mortalité qui en est le miroir est avant tout celle de la mortalité infanto juvénile, résultat des campagnes massives de vaccination. Le taux de mortalité des enfants de moins cinq ans est passé de 330 en 1990 encore à 78 en 2020. Cette évolution est sans doute la meilleure explication de la hausse de l’espérance de vie à la naissance. L’augmentation de l’espérance de vie à la naissance ne signifie donc pas qu’une proportion très grande de nigériens vivent aujourd’hui très longtemps (les plus de 65 ans ne représentaient en 2020 que 2,60 %).
Examinons un peu plus en détail l’augmentation de l’espérance de vie à la naissance au Niger. La baisse de mortalité qui en est le miroir est avant tout celle de la mortalité infanto juvénile, résultat des campagnes massives de vaccination
Le professeur Gado convoque ensuite l’augmentation appréciable du taux de scolarisation comme une autre preuve que notre croissance démographique est non seulement supportable mais même souhaitable, car si l’Etat a pu scolariser tant d’enfants, il pourrait en faire davantage. Il faut observer que malgré cette augmentation rapide du taux de scolarisation, il reste encore plus d’enfants d’âge scolaire n’allant pas à l’école en 2014 (1 280 821) qu’en 2003 (1 248 811), et lorsque que professeur Gado cite l’augmentation de 35 % des inscriptions entre 2012 et 2020, il se garde bien de dire qu’en 2020, il y avait probablement plus d’enfants d’âge scolaire hors des classes qu’en 2012, puisqu’ils étaient 1 241 317 dans cette situation en 2017, presque autant qu’en 2003, lorsque le taux de scolarisation était beaucoup plus faible. Ce sont les analphabètes de demain, ceux qui seront les moins outillés pour contribuer efficacement au développement du pays.
La seule explication à cette tragédie est précisément la croissance plus rapide du nombre d’enfants d’âge scolaire que celle de notre capacité à les scolariser. Les efforts de l’État sont littéralement submergés par la croissance fulgurante du nombre d’enfants à scolariser, malgré les compromis avec la qualité pour baisser les coûts et scolariser davantage. Avec une natalité plus faible, nous aurions pu tous les scolariser et dans de meilleures conditions.
La seule explication à cette tragédie est précisément la croissance plus rapide du nombre d’enfants d’âge scolaire que celle de notre capacité à les scolariser. Les efforts de l’État sont littéralement submergés par la croissance fulgurante du nombre d’enfants à scolariser
La dernière variable sollicitée par le professeur Gado est le taux de pauvreté, qui est passé de plus de 48 % à moins de 43 % en dix ans. En interprétant cette tendance positive, Pr.Gado ne semble pas réaliser que malgré la baisse du taux de pauvreté, il y a aujourd’hui plus de personnes pauvres au Niger que jamais auparavant ! Et pourquoi donc? Parce que la population augmente plus rapidement que la baisse du taux de pauvreté.
Selon les chiffres utilisés par le professeur Gado, le taux de pauvreté est passé de 48,2 % en 2011 à 42,9 % en 2020. Comme dans le même temps, la population est passée de 17,11 à 24,21 millions. La croissance démographique explosive qui est la nôtre a généré 2,139 millions de pauvres supplémentaires par rapport à 2011 !
Non professeur, la croissance démographique du Niger n’est pas un atout. A cause de son rythme époustouflant, nous scolarisons davantage mais le nombre d’analphabètes ne baisse pas, nous réduisons le taux de pauvreté mais le nombre de pauvres augmente
Non professeur, la croissance démographique du Niger n’est pas un atout. A cause de son rythme époustouflant, nous scolarisons davantage mais le nombre d’analphabètes ne baisse pas, nous réduisons le taux de pauvreté mais le nombre de pauvres augmente, notre espérance de vie a progressé, mais très peu d’entre nous vivent longtemps et notre IDH reste le plus faible, parce que notre revenu par tête aussi croît beaucoup plus lentement que celui des autres. Ce n’est pas un écran de fumée que de reconnaître que notre démographie joue contre nous, ni une diversion que de mettre en œuvre des politiques pour la maîtriser. Que ce ne soit pas notre seul problème est une évidence, mais qu’il n’est pas le moindre de nos défis l’est tout autant.
* Tous nos chiffres à nous proviennent de la base de données de la Banque mondiale, consultable sur www.worldbank.org .
Crédit photo : La Tribune Afrique
Kiari Liman-Tinguiri est économiste du développement, ancien universitaire, ancien haut fonctionnaire de l’ONU. II est actuellement ambassadeur du Niger aux USA. II s’exprime ici à titre personnel et les opinions exprimées ne reflètent pas nécessairement les positions du gouvernement du Niger et ne peuvent donc pas lui être attribuées.
2 Commentaires. En écrire un nouveau
“On est en droit de se demander à quoi va ressembler l’avenir des ces enfants qui vont naître ou qui sont nés cette année. Une horreur très probablement…”
Ce que vous dites est largement caricatural. Pourquoi est=ce que vous ne dites rien des millions de familles nombreuses qui ne sont pas du tout confrontées à ces problèmes? Combien d’entre nous sont issus de familles nombreuses qui pourtant ne se reconnaitraient pas dans vos descriptions? Il s’agit de faire peur et toujours faire peur pour promouvoir des politiques néolibérales. Du reste, il n’y a là rien de nouveau. On nous dit la même chose depuis plus de 50 ans et pour le moment il y a certes des problèmes, mais rien qui ressemble aux des catastrophes annoncées.
Il est évident qu’une telle croissance démographique est un frein au développement du pays mais aussi de l’individu. Cela commence dans le cadre familial. Une maman qui est constamment enceinte ou qui a de jeunes enfants sur les bras ne peut pas s’occuper correctement de ses autres enfants. Sans compter que dans les pays d’Afrique, il leur incombe un certain nombre de tâches qui rendent impossible une éducation telle qu’elle serait souhaitable.
Ensuite, ces mêmes difficultés se retrouvent au niveau de l’état… maternités, crèches, pédiatrie, écoles, collèges, lycées et universités ne peuvent pas augmenter à la même vitesse que le nombre d’enfants. Surtout dans des pays pauvres où 80 % de la population n’est pas en mesure d’être fiscalisée et ne contribue donc pas aux ressources financières du pays.
Cela est vérifiable dans n’importe quel pays ayant une démographie trop importante. D’autant plus qu’on oublie qu’elle découle en réalité de la sexualité.
Les enfants ne se font pas tout seuls. Il y a bien une relation sexuelle à la base de ce problème. Soit les gens ont une sexualité inappropriée (mariages précoces, forcés, polygamie, viols, sexualité scolaire…) soit ils ne sont pas éduqués, pas informés ou incapables de comprendre ou empêchés par les tabous religieux. Ce serait d’ailleurs le rôle des imams et autres intervenants de sensibiliser les populations.
Nous atteignons les 8 milliards d’humains sur cette planète avant la fin de l’année et c’est une bombe à retardement qui va nous exploser dans les mains. Si en plus de cela on ajoute des problèmes climatiques très certainement eux aussi liés à la surpopulation de la planète avec des températures effrayantes, des cyclones, des dévastations orageuses, des inondations ou des sécheresses bibliques comme en Europe ou à Madagascar, nous connaitrons une bien triste fin pour l’humanité.
Rien que cela devrait inciter les états à entreprendre de sérieuses campagnes d’information. Mais au même moment, les 1,5 milliards de chinois peuvent avoir jusqu’à 3 enfants parce qu’ils ont un tel problème de vieillissement de leur population après la politique de l’enfant unique… et avec l’Inde, ils sont déjà p.us d’un tiers de la population mondiale.
On est en droit de se demander à quoi va ressembler l’avenir des ces enfants qui vont naître ou qui sont nés cette année. Une horreur très probablement…