Auteur : Rémi Carayol
Organisation affiliée : Afrique XXI
Site de publication : afriquexxi.info
Type de publication : Article
Date de publication : 8 novembre 2021
Pour les décideurs politiques comme pour les bailleurs de fonds, la ceinture verte est une solution aux crises que connaît la bande saharo-sahélienne aujourd’hui – ils l’ont encore rappelé à l’occasion de la COP 26 qui se déroule en Écosse depuis le 31 octobre. Pour nombre d’entre eux, elle pourrait même contribuer à la pacifier : beaucoup pensent que le climat et le terrorisme sont intimement liés, et qu’en se préoccupant du premier, on finira par étouffer le second.
Luca Raineri, chercheur en relations internationales et spécialiste du Sahel, constate qu’à l’ONU, on a adopté depuis plusieurs années, et « avec enthousiasme », le discours qui explique les conflits et le terrorisme par le changement climatique.
Quand des idées deviennent des slogans
Le raisonnement est le suivant : l’augmentation des températures au Sahel provoque davantage de sécheresses et d’inondations qui compromettent la production agricole, augmentent la pauvreté et, par conséquent, nourrissent les violences intercommunautaires que les groupes djihadistes s’empressent d’exploiter. C’est une réalité, qui est documentée par de nombreuses études ainsi que par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), selon lequel en Afrique, dans les régions sèches, le changement climatique pourrait accroître les risques de conflits violents. Mais il n’en conclut pas pour autant que lutter contre le réchauffement climatique permettra d’anéantir la menace djihadiste, et n’établit pas un lien direct entre l’un et l’autre.
Ce lien parait si évident que certains observateurs ne s’embarrassent désormais plus de nuances. Comme le magazine Sécurité et défense qui titrait en septembre dernier : « La Grande Muraille verte, barrage au terrorisme sahélien ». Spécialiste du Mali, Tor A. Benjaminsen souligne que ce « récit » a pris de l’ampleur sous la présidence de Bill Clinton (1993-2001) : « L’accent mis par Al Gore sur les questions environnementales et sa certitude selon laquelle la dégradation de l’environnement est la cause des guerres y jouissaient d’un grand prestige ».
D’une pierre deux coups
« L’idée que le terrorisme et le changement climatique sont en quelque sorte liés est séduisante, analyse Luca Raineri. Elle offre aux donateurs internationaux la possibilité de faire d’une pierre deux coups [en s’attaquant tout à la fois à ce qui est présenté comme du terrorisme et au dérèglement climatique, NDLR]. Et elle fournit aux gouvernements locaux un récit qui dépolitise les conflits et minimise leurs propres responsabilités ».
De fait, de nombreuses études scientifiques remettent en cause cette thèse. Il ne s’agit évidemment pas de discuter la réalité du changement climatique et de ses conséquences, particulièrement dramatiques pour les habitants du Sahel – périodes de sécheresses intenses, inondations records, etc -, mais bien de rappeler que d’autres variables – d’ordre institutionnel, politique, économique, social – jouent elles aussi un rôle important, voire prééminent.
Le mythe du dessèchement
Cette idée repose sur un postulat non vérifié : celui selon lequel le Sahel serait condamné à un dessèchement inéluctable. Aucune étude ne le démontre. Le GIEC affirme que les modèles disponibles divergent, certains soutenant l’idée d’un assèchement croissant, d’autres prévoyant un accroissement de l’humidité.
Une autre idée reçue a la vie dure au Sahel : celle selon laquelle les conflits seraient provoqués par une raréfaction des ressources naturelles, elle-même liée au dérèglement climatique. Dans un rapport publié en avril 2020, ICG démontrait que « la multiplication des conflits dans la région est moins liée à la diminution des ressources disponibles qu’à la transformation des systèmes de production qui génèrent des compétitions mal régulées autour de l’accès aux ressources ».
« C’est l’arbre qui dessèche la forêt »
Or contrairement à ce que persistent à croire de nombreux dirigeants politiques, le lac Tchad est aujourd’hui considéré par ses habitants comme une véritable oasis dans le désert – pauvre en infrastructures mais riche en ressources. C’est d’ailleurs son attractivité qui en a fait, au fil des ans, un carrefour commercial et une terre d’immigration. C’est dans ce contexte plutôt favorable aux cultivateurs et aux éleveurs que s’est ancrée l’insurrection djihadiste.
L’on peut dès lors s’interroger : pourquoi, malgré toutes ces études, le récit du dérèglement climatique comme principal facteur des conflits au Sahel persiste ?
Parler du réchauffement, cela permet d’éviter d’aborder des questions aussi fâcheuses (tant pour les dirigeants africains que pour les Occidentaux) que le soutien aveugle à l’agriculture extensive ; la libéralisation des marchés agricoles qui a fragilisé les paysans africains ; les programmes d’ajustement structurel (PAS) imposés aux pays africains par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international dans les années 1980-1990, qui ont dépecé leur administration ; l’accaparement des terres par des sociétés étrangères, favorisé par certains gouvernements dans les années 2000 ; la corruption de fonctionnaires locaux ; les politiques de répressions menées contre les populations nomades depuis les indépendances ; ou encore la guerre menée par l’OTAN au régime de Mouammar Kadhafi en 2011, en Libye, qui a déstabilisé l’ensemble de la région… Autant de choix (ou parfois de non-choix) politiques qui ont contribué à fragiliser les habitants des zones aujourd’hui en guerre.
Pour Tor Benjaminsen, ce récit a un autre intérêt : il donne aux dirigeants occidentaux une image « verte ». Benjaminsen fut un des premiers chercheurs de terrain à remettre en cause le lien entre climat et conflits. Pour lui, les conflits au Sahel sont liés à des choix politiques et historiques.
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