Papa Antou NDAO
Dans le cadre du débat sur l’alimentation en Afrique de l’Ouest, WATHI a rencontré Papa Antou Ndao. Ingénieur agroéconomiste, il s’intéresse au financement de l’entrepreneuriat agricole et à l’accompagnement technique des producteurs. Dans cet entretien, il nous parle des défis financiers du secteur agricole en zone rurale, de l’impact de l’accès à l’énergie et de la COVID-19 sur les chaînes de valeur agricole.
Quels sont les défis sur le plan financier pour les acteurs du secteur alimentaire?
Le secteur agricole est un secteur à risques aussi bien pour les institutions financières comme les banques que pour le système financier décentralisé comme les microfinances. On voit que l’agriculture pluviale et celle irriguée sont des activités qui présentent des aléas divers. A propos de l’agriculture pluviale, à cause des changements climatiques, la chute de la pluviométrie a entrainé une baisse sur les rendements escomptés par les agriculteurs. Cela influe sur leurs revenus et sur leur capacité à rembourser les crédits qu’ils avaient contractés.
Pour l’agriculture irriguée et le maraîchage en particulier, on constate parfois que si certaines pratiques agricoles ne sont pas respectées, cela peut créer des pathologies végétales ou des dysfonctionnements qui peuvent provoquer une baisse des rendements ou une absence de production. Vu qu’il y a un gros risque, le système financier décentralisé qui travaille plus avec les agriculteurs propose des taux d’intérêts très élevés allant de 18 à 20% surtout en ce qui concerne les microfinances.
Les agriculteurs n’ont pas la garantie qu’on leur demande. Ce qu’ils peuvent présenter est un document de délibération de leur champ. Non seulement ce ne sont pas tous les agriculteurs qui peuvent fournir ce document mais aussi certaines institutions financières pensent que la délibération ne fait pas foi pour une garantie. Elles exigent un patrimoine bâti ou immobilier qui peut servir de garantie. Voilà les limites du financement dans le secteur agricole.
Il faut aussi souligner le fait que le maillage du territoire par les institutions financières est assez limité car l’agriculture ne se pratique pas dans les centres urbains mais en milieu rural, donc il faut que des agences financières et/ou leurs guichets soient proches des producteurs pour qu’ils n’aient pas à faire des centaines de kilomètres pour effectuer leurs opérations financières. On a constaté aussi que certaines institutions impactées par la COVID-19 ont retiré leurs guichets des zones rurales; ce fait ralentit grandement les efforts de maillage du territoire.
Quel est l’impact de l’accès à l’énergie sur la production et la transformation des aliments?
A chaque fois qu’il y a une hausse de prix des denrées de première nécessité, vous entendez parallèlement qu’il y a une hausse du prix du baril de pétrole. D’ici 2025, l’État du Sénégal a prévu d’assurer l’accès universel à l’énergie car elle est la base de toute activité économique. Que ce soit la production, le transport ou la transformation, tout est lié à l’énergie. Donc maîtriser l’énergie, c’est maîtriser notre production, c’est aussi maîtriser les coûts des denrées de première nécessité.
Nous constatons que 43,5% des populations en milieu rural n’ont pas accès à l’énergie. En ce qui concerne la production agricole, la majeure partie des agriculteurs utilisent des pompes diésel avec une consommation de carburant. Cela a impact négatif sur l’environnement. L’inaccessibilité à l’énergie freine la production, mais aussi empêche les producteurs de pouvoir transformer leurs rendements pour avoir de la valeur ajoutée.
Il faut aussi souligner le fait que le maillage du territoire par les institutions financières est assez limité car l’agriculture ne se pratique pas dans les centres urbains mais en milieu rural, donc il faut que des agences financières et/ou leurs guichets soient proches des producteurs pour qu’ils n’aient pas à faire des centaines de kilomètres pour effectuer leurs opérations financières
A titre d’exemple, plusieurs litres de lait sont versés chaque hivernage alors que cette quantité pourrait être exploitée si l’énergie était disponible pour permettre l’accès à des unités de conservation. Donc, cette question est primordiale car il faut permettre d’abord aux ménages d’avoir de l’électricité mais surtout favoriser les activités économiques en milieu rural que ce soit la production agricole ou la transformation.
De plus en plus, on se tourne vers les énergies renouvelables comme le solaire, l’hydraulique ou encore l’éolienne qui sont des énergies durables, non-polluantes et à moindre coût. Il ne faut pas oublier que l’énergie a un coût. Le fait d’acheter à chaque fois du carburant a un impact sur la rentabilité de l’activité; donc l’usage d’autres types d’énergie peut contribuer à alléger les charges.
Il est important de retenir qu’en milieu rural, il faut de l’énergie à moindre coût et durable. L’État du Sénégal y travaille, les populations en milieu rural s’efforcent à utiliser les énergies renouvelables, il y aussi d’autres organismes qui viennent en appui pour améliorer l’accès à l’énergie. Il faut signaler que l’accessibilité de départ peut être un peu problématique car un panneau photovoltaïque coute largement plus cher qu’une pompe diésel. Toutefois, comme on alimente les pompes en carburant, les énergies renouvelables sont plus économes sur le long terme.
Quelle analyse faites-vous de crise sanitaire de la COVID-19 qui menace la sécurité alimentaire?
On voit que la COVID-19 a menacé la sécurité alimentaire dans bon nombre de régions. Quand on parle de sécurité alimentaire, il faut prendre en compte trois dimensions : disponibilité, accessibilité et durabilité. Par rapport à la disponibilité de la production agricole, au début, la pandémie avait un impact plus sur la commercialisation des produits que sur la production elle-même. Avec l’interdiction des transports interurbains, plusieurs producteurs ne pouvaient plus convoyer leurs produits vers les marchés car on peut produire dans les Niayes et vendre à Tambacounda.
Cet impact s’est grandement fait ressentir sur les produits maraichers qui sont périssables comme l’oignon. Comme nous n’avons pas beaucoup d’unité de conservation, après production, il faut vite acheminer et consommer avant que les produits ne pourrissent. Cette difficulté à accéder aux denrées a créé même une hausse des prix des aliments. Au niveau de la production, plus le virus avance, les premières campagnes échouent et les producteurs n’auront pas de capital pour réinvestir sur leurs activités de production.
Il faut savoir aussi qu’en milieu rural, ce n’est pas le producteur seulement qui investit, parfois ce sont des personnes qui sont dans la diaspora ou en milieu urbain qui envoient leurs recettes pour les besoins de consommation et ces personnes qui contribuent au capital de la production ont été impactées par la COVID-19 de là où elles travaillent.
Cette difficulté à accéder aux denrées a créé même une hausse des prix des aliments. Au niveau de la production, plus le virus avance, les premières campagnes échouent et les producteurs n’auront pas de capital pour réinvestir sur leurs activités de production
Plus la pandémie avance, plus la capacité d’investir dans la production diminue, et cela influe sur toute la chaîne de valeur agricole. Il y a un problème d’accessibilité en termes de disponibilité des produits et en termes de capacité des populations à supporter les coûts, par conséquent, si l’État ne régule pas derrière, cela conduit à une flambée des prix. L’État doit donc soutenir les producteurs à avoir un capital d’investissement et à écouler leurs produits rapidement. Pour cela, il faut que l’État subventionne les intrants agricoles afin que les producteurs y accèdent à faible prix et par ricochet maintiennent un prix raisonnable pour les denrées de première nécessité.
Source photo : Afrik21
Papa Antou NDAO est ingénieur agroéconomiste de formation à l’École nationale supérieure d’agriculture (ENSA) de Thiès. Il est actuellement conseiller technique en finance et en entreprenariat agricole à la coopération allemande (GIZ). Il travaille actuellement sur un projet appelé Greensburg Energy, énergie verte pour les citoyens d’Afrique.
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Excellente contribution M. NDAO