Auteur (s) : Bertrand Foe
Organisation affiliée : Institut de Recherches Socio Anthropologiques (IRSA/UCAC)
Type de publication : Article académique
Lien vers le document original
De façon générale, le manque d’eau a toujours été une notion assez perplexe et complexe du point de vue des scientifiques. En effet, cette thématique fait intervenir une quantification pour déterminer le nombre journalier ou annuel de m3 disponibles, par personne, au sein d’un pays. Le concept du manque d’eau cible en fait les pays pour lesquels les ressources en eau sont faibles ou sont mal exploitées.
D’un point de vue scientifique, le manque d’eau permanent trouve son origine dans deux phénomènes principaux : l’aridité et la désertification. Respectivement, le premier est naturel et résulte des précipitations faibles et d’un sol peu spongieux. Tandis que le deuxième dépend de l’Homme, qui a appauvri les sols et a exploité abusivement les eaux souterraines. Du point de vue hydrologique, de manière spécifique, le manque d’eau peut être temporaire et surgir de manière aléatoire. Ainsi, les sécheresses marquent un état naturel, mais temporaire de manque d’eau, à la suite d’une période de précipitations inférieures à la moyenne. Le défaut d’eau, quant à lui, relève de l’erreur humaine (les ressources en eau peuvent être prélevées de manière abusive, ou contaminées par la pollution).
PROBLÉMATIQUE DE L’ACCÈS À L’EAU POTABLE EN AFRIQUE
Il apparaît clairement qu’il existe un décalage entre la précarité en eau potable et la disponibilité hydrologique. Malgré la contrainte légale mise en place par le Comité des Nations Unies pour les droits économiques, sociaux et culturels, en affirmant le 26 novembre 2002 que le droit à l’eau garantit à chaque être humain le droit de disposer pour son usage personnel et domestique d’une eau abordable, en quantité suffisante, de qualité acceptable et à laquelle il peut facilement accéder, selon les rapports de l’OMS, le constat reste criard. 44 pays au niveau de la scène mondiale ne remplissent pas ces conditions (dont 31 en Afrique), et ne couvrent pas ce minimum au sein de la population à savoir 50 litres/hab./jour.
Si dans ces pays, plus de 43,76% de la population pâtit du manque d’accès à l’eau potable et si la responsabilité de la nature doit être relativisée dans cette situation, il devient évident d’imaginer l’existence d’autres déterminants favorables qui participent à l’édifice de cette triste réalité. L’accès à l’eau potable devient une question à déterminants politiques, économiques, sociaux et environnementaux.
Une politique de distribution inefficace : la privatisation, une solution problème
Depuis la fin des années 1980, la Banque mondiale s’emploie à corriger les politiques internationales d’accès à l’eau potable et de l’assainissement lancées par les Nations Unies (1981-1990) et soutient ouvertement que l’eau n’est pas seulement un droit mais aussi un bien économique et que le développement de l’approvisionnement en eau devrait être considéré comme une intervention économique. La Commission Européenne s’est ralliée à ce concept en affirmant que l’eau est une nécessité vitale mais aussi un produit de base. L’eau est donc assimilable à un service commercialisable, services de distribution et d’assainissement en particulier.
Ainsi, il a été supposé qu’une certaine participation du secteur privé devienne un élément essentiel. Ainsi, les services d’eau et d’assainissement ont rapidement été privatisés et gérés de manière croissante sur des bases commerciales au Burkina Faso, au Gabon, en Afrique du Sud, au Congo, au Cameroun, au Ghana, au Nigeria, en Tanzanie, à Sao Tomé, en Ouganda, au Tchad, au Mali, au Mozambique, au Sénégal, en Côte d’Ivoire, en Angola, au Bénin, en Guinée-Bissau et au Niger. Mais la question que l’on se pose est celle-ci : La distribution et l’eau est-elle meilleure en Afrique depuis la privatisation et la mise en place de modèles de partenariat public privé (PPP) ? L’accès à l’eau potable est-il assuré ?
Le droit à l’eau garantit à chaque être humain le droit de disposer pour son usage personnel et domestique d’une eau abordable, en quantité suffisante, de qualité acceptable et à laquelle il peut facilement accéder
Les privatisations se heurtent trop souvent à des systèmes étatiques inadéquats en matière de régulation et à un manque d’organisation des forces de protection des consommateurs, catalyseurs inéluctables de conflits politiques, sociaux et économiques, favorisés par la création de monopoles incontrôlés.
En Afrique comme au Cameroun par exemple, l’obtention d’un abonnement relève d’un véritable parcours du combattant. Pour un abonnement à usage domestique, les frais s’élèvent à environ 100 000 francs.
La majorité de la population achète l’eau chez un voisin qui dispose déjà d’un compteur et le prix forfaitaire est connu de tous : 10 litres à 15 francs CFA.
Quand bien même on dispose d’une installation d’approvisionnement, il y a la gestion des pénuries permanentes qui reste un problème majeur. Au Bénin, au Cameroun, au Mali pour ne citer que ces exemples, la journée des populations est désormais régulée par les caprices des robinets. Les populations ne savent plus à quel saint se vouer dans la mesure où elles se sentent privées d’un droit inaliénable.
Pollution des points d’eau potable par l’activité industrielle
Le développement des activités industrielles est un fait marquant en ce début du 21ème siècle en Afrique subsaharienne. Celles-ci se révèlent gourmandes en eau et participent à une pollution massive des écosystèmes alentour. La pollution des sources hydriques et des points d’eau par l’activité industrielle n’est plus à démontrer.
Dans ce contexte, les rejets agro-industriels dans les rivières ne font l’objet d’aucun traitement. En dépit des mesures prises (principe de pollueur payeur) pour réduire les nuisances d’origine industrielle, il demeure un fait pertinent : les contraintes légales font objet de contournement au travers d’une corruption mettant en péril tout un système solidement fondé au niveau juridique. La consultation des lois cadre sur l’environnement, la réalisation des audits environnementaux par les opérateurs industriels, considérées comme de véritables machines préventives, protectrices et correctives sont des objets de spéculation. Seulement, la portée est assez complexe car la pollution due à l’activité industrielle porte atteinte à la santé des populations.
LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES ET L’ACCÈS À L’EAU POTABLE
Variabilité climatique/Saisonnière et disponibilité en eau potable
L’Afrique est le continent qui contribue le moins aux émissions globales de gaz à effet de serre. Pourtant, elle est particulièrement vulnérable aux effets du changement climatique. Les effets du changement climatique (réduction de la production agricole, détérioration de la sécurité alimentaire, incidence accrue des inondations et de la sécheresse, propagation des maladies et augmentation du risque de conflits en raison de la raréfaction des terres et de l’eau) sont d’ores et déjà évidents.
Les trois quarts des pays d’Afrique sont situés dans des zones où il suffirait d’une faible réduction des précipitations pour engendrer d’importantes diminutions de la disponibilité globale en eau. D’ici à 2020, on prévoit qu’entre 75 et 250 millions de personnes seront exposées à une augmentation des crises liées à l’eau.
Comparé à celui de 1990, le niveau moyen de la mer pourrait s’élever d’environ 50 centimètres d’ici à 2100. Or plus d’un quart de la population africaine vit à moins de 100 kilomètres du littoral. Les projections montrent que le nombre de personnes exposées aux inondations côtières risque de passer de un million en 1990 à 70 millions en 2080.
Durant le 20ème siècle, le taux d’élévation du niveau de la mer a de nouveau augmenté et se trouve aujourd’hui environ 10 fois plus rapide, soit entre 1 et 2 millimètres chaque année. Ainsi, par le phénomène de dilatation thermique, le réchauffement entraîne une élévation de température qui diminue la densité des eaux et augmente leur volume. Plus de 70% de la surface du globe est recouverte d’eau mais 2,5% seulement de cette masse est constituée d’eau douce, le reste étant l’eau salée des océans.
Les trois quarts des pays d’Afrique sont situés dans des zones où il suffirait d’une faible réduction des précipitations pour engendrer d’importantes diminutions de la disponibilité globale en eau
La variation de température s’accompagne d’une irrégularité saisonnière. On passe facilement d’une extrémité à une autre. L’Afrique australe et orientale alternent ainsi depuis 20 ans entre sécheresses et inondations : aux grandes sécheresses des années 1980 et 1990 ont succédé des inondations dramatiques au sud du continent en 2000, au Mozambique en 2001, en Éthiopie en 2007 et au Kenya en 2008. Parfois, la pluviosité est même considérée comme surabondante au Cameroun car elle est source d’inondation.
L’usage de l’eau de pluie : la solution qui nuit
Après les sévices (le tarissement et l’assèchement des sources d’approvisionnement en eau, les coupures intempestives en zone urbaine) infligés par la saison sèche, c’est avec grande joie que les populations accueillent les premières pluies. Celles-ci offrent l’opportunité d’une abondance de la denrée rare. Le principe est très simple : On dépose les récipients au point de chute des eaux recueillies par les toitures des maisons.
L’activité industrielle à travers le dégagement des gaz et poussières issus des usines, dépose dans l’atmosphère un nombre considérable de composés physico-chimiques qui se retrouvent dans les eaux de pluie.
Les eaux de pluie recueillies par les populations sont chargées de ces éléments qui rendent leur qualité douteuse, voire dangereuse pour la santé humaine. En zone rurale où le phénomène est assez mis en évidence, les populations ne sont pas toujours averties des dangers que transportent ces eaux. Boire de l’eau pour survivre devient boire de l’eau pour s’intoxiquer.
La précarité de l’accès à l’eau potable reste un facteur déterminant pour la santé en Afrique. Avec les changements climatiques, celle-ci constitue une menace pour la santé des populations et ajoute une pression supplémentaire aux systèmes de santé publique déjà fragiles.
Systèmes de santé : Entre pression et confusion
Face à ces défis mis en relief par la précarité de l’accès à l’eau potable au sein des populations d’Afrique Subsaharienne auxquelles les changements climatiques apportent des conditions d’existences nouvelles, les systèmes de santé africains sont soumis à des pressions. À l’occasion de la journée mondiale de la santé édition 2008, le Dr Margaret Chan, soulignait que ces changements climatiques attaquent les fondements de la santé publique et nous donnent la possibilité de s’apercevoir des nouveaux défis à révéler.
Luis Gomes Sambo lors de la même cérémonie tenue à Brazzaville capitale de la République du Congo, notait que : le changement climatique provoque une élévation du niveau de la mer, accélère le phénomène de l’érosion côtière, augmente l’intensité et la fréquence des catastrophes naturelles et la disparition des espèces. Les maladies hydriques et les épidémies de diarrhée aiguë sont fréquentes pendant les inondations.
L’activité industrielle à travers le dégagement des gaz et poussières issus des usines, dépose dans l’atmosphère un nombre considérable de composés physico-chimiques qui se retrouvent dans les eaux de pluie
La difficulté de l’accès à l’eau potable du fait des inondations constitue un cadre propice à la recrudescence des maladies diarrhéiques telles que le choléra. Un climat plus chaud renforcerait aussi la présence et la diffusion des moustiques susceptibles de transmettre des maladies telles que le paludisme.
Les maladies diarrhéiques, comme le choléra, tendent à devenir la principale cause endémique de morbidité et de mortalité à travers le monde surtout en Afrique subsaharienne, a affirmé la Croix-Rouge.
Le paludisme constitue l’une des premières causes de morbidité par maladie vectorielle en Afrique subsaharienne. Elle est aussi la pathologie tropicale dont l’épidémiologie a été la plus affectée ces dernières années par le changement climatique. Plus de la moitié du continent croule sous le poids du paludisme.
Quelles perspectives ?
La rareté de la ressource, son inégale répartition sur l’échelle du globe, le gaspillage, la pollution, l’explosion démographique qui accentue la demande, le changement climatique, sont autant de facteurs qui font peser sur l’humanité des menaces réelles de pénurie d’eau. Plusieurs pistes de réflexions restent explorables et exploitables aussi bien par les pouvoirs publics que par les populations elles-mêmes.
- Valorisation des eaux souterraines par les biotechnologies : Dans des pays comme le Mali, le Sénégal, la Mauritanie et la Gambie, les fleuves ne sont pas nombreux mais ils disposent d’importantes ressources en eaux souterraines.
- Collecte, traitement et recyclage des eaux de pluie, un exemple français à valoriser en Afrique.
- La mise en place des programmes de Gestion Intégrée des Ressources en Eau (GIRE) : Au-delà des impacts liés aux conséquences directes des changements climatiques sur l’accès à l’eau potable et les incidences qui en découlent sur la santé des populations, se greffe la problématique de la gestion intégrée des ressources en eau. L’eau, (après l’or, le gaz et le pétrole) devrait devenir très rapidement, la principale richesse économique du monde.
- L’assainissement des grands centres urbains et dépollution des eaux usées pour un recyclage : Si aujourd’hui, près d’un habitant sur deux est urbain, en 2030, les deux tiers de la population mondiale vivront dans les villes dont deux milliards de personnes dans des bidonvilles. Alors que 85 % des eaux usées mondiales sont rejetées sans traitement, les mégapoles du monde sont de véritables « bombes sanitaires » qu’il convient de désamorcer en utilisant toutes les formes d’assainissement.
- Disposer des financements et les octroyer au plus proche besoin : L’accès à l’eau potable et à l’assainissement pour tous a un coût. Il faut le disposer et le répartir équitablement.
Les Wathinotes sont soit des résumés de publications sélectionnées par WATHI, conformes aux résumés originaux, soit des versions modifiées des résumés originaux, soit des extraits choisis par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au thème du Débat. Lorsque les publications et leurs résumés ne sont disponibles qu’en français ou en anglais, WATHI se charge de la traduction des extraits choisis dans l’autre langue. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.
The Wathinotes are either original abstracts of publications selected by WATHI, modified original summaries or publication quotes selected for their relevance for the theme of the Debate. When publications and abstracts are only available either in French or in English, the translation is done by WATHI. All the Wathinotes link to the original and integral publications that are not hosted on the WATHI website. WATHI participates to the promotion of these documents that have been written by university professors and experts.
1 Commentaire. En écrire un nouveau
Bon vent à vos interventions pour la protection des ressources en eau, car elles permettront aux générations présentes et futures d’en prendre conscience et de contribuer à l’amélioration de l’accès durable et équitable de ces ressources.
Bravo à vous!!!!