Auteur(s) : Agence Ecofin Hebdo est une agence d’information économique africaine basée à Yaoundé et à Genève.
Type de publication : article
Date de publication : Août 2018
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Sécheresses prolongées, vagues de chaleur fréquentes, désertification rampante, tempêtes dévastatrices, perturbation des précipitations, montées des océans… Les phénomènes extrêmes liés au changement climatique pourraient amputer le PIB de l’Afrique de 2 à 4 % d’ici 2040 et de 10 à 25 % en 2100. Le continent, qui contribue pour moins de 4 % aux émissions mondiales de gaz à effet de serre, paiera l’addition des pays industrialisés, au risque de voir ses rêves d’émergence anéantis.
Lors de la 21è conférence internationale sur le climat (COP 21) tenue à Paris en 2015, les États du monde se sont mis d’accord sur le maintien du réchauffement climatique sous 2 °C par rapport à la révolution industrielle d’ici 2100.Dans son dernier rapport annuel sur l’action climatique mondiale, publié à quelques jours de la COP 23 tenue à Bonn en novembre 2017, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) a cependant estimé que l’écart est «catastrophique» entre les promesses nationales de limiter les émissions de gaz à effet de serre et les réductions qu’il faudrait opérer pour maintenir le réchauffement en dessous de 2°C.En effet, même si les divers pays de la planète respectent leurs engagements pris à Paris, le mercure devrait grimper de plus de 3 °C à «l’horizon 2071-2100 ».
Si les émissions et concentrations gardaient leur trajectoire actuelle, le réchauffement pourrait atteindre 4 °C. Dans les deux cas, la planète se dirige donc vers un réchauffement de plus de 3°C par rapport à l’ère préindustrielle, avec son lot annoncé de phénomènes climatiques extrêmes comme les vagues de sécheresses récurrentes, les cyclones, les inondations ou encore la submersion de certains territoires par les eaux sous l’effet de la montée des océans.
Les phénomènes extrêmes liés au changement climatique pourraient amputer le PIB de l’Afrique de 2 à 4 % d’ici 2040 et de 10 à 25 % en 2100
Les conséquences du dérèglement climatique ne se limitent pas cependant aux phénomènes atmosphériques. Elles concernent de plus en plus la sphère économique. Dès 2006, un rapport publié par le ministère des Finances britannique et coordonné par Nicholas Stern, l’ancien chef économiste et vice-président de la Banque mondiale, a évalué le coût de l’inaction contre le changement climatique à entre 5 % et 20 % du PIB mondial par an d’ici à l’horizon 2050 !
D’après les différents modèles climatiques utilisés pour réaliser ces prévisions, les effets du réchauffement seront géographiquement inégaux. Dans ce cadre, l’idée selon laquelle l’Afrique est l’une des régions du monde qui seront les plus durement touchées par les conséquences économiques du changement climatique fait déjà consensus. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le dérèglement du climat pourrait induire une baisse du PIB de ce continent de l’ordre de 2 à 4 % d’ici 2040 et entre 10 à 25 % d’ici 2100.
L’agriculture et les industries extractives en tête des secteurs vulnérables
Le cabinet de conseil en gestion des risques Verisk Maplecroft qui analyse chaque année la vulnérabilité des pays au changement climatique, a révélé dans un rapport publié début le 2 août dernier que la hausse du mercure pourrait provoquer une baisse de 10,8 % des exportations d’Afrique de l’Ouest et de 7,9 % des exportations d’Afrique centrale d’ici 2045.
D’après cette étude intitulée « Les économies émergentes ralentiront sous l’effet de l’augmentation des températures », les secteurs des industries extractives et de l’agriculture représentent 60% de ce recul. La Côte d’Ivoire comptera pour plus de la moitié des exportations agricoles menacées en Afrique de l’Ouest. La baisse des exportations découlant de l’augmentation des températures se situera cependant à 0,1% en Europe, 1% en Amérique du Nord et de 1,6% en Asie de l’Est.
Le PNUE a révélé, quant à lui, que l’augmentation des sécheresses peut réduire sensiblement le rendement des cultures en Afrique. «Un réchauffement d’environ 2 °C entraînerait une réduction de 10% du rendement agricole total en Afrique subsaharienne d’ici 2050; un réchauffement supérieur (plus probable) pourrait porter ce chiffre à 15 ou 20% », souligne Richard Munang, coordinateur régional du PNUE sur les changements climatiques en Afrique.
Et d’ajouter : « D’ici le milieu du siècle, la production de blé pourrait enregistrer une baisse de 17%, 5% pour le maïs, 15% pour le sorgho, et 10% pour le mil. Si le réchauffement dépassait les 3 °C, toutes les régions actuellement productrices de maïs, de mil et de sorgho deviendraient inadaptées à ce type de cultures ».
La hausse du mercure pourrait provoquer une baisse de 10,8 % des exportations d’Afrique de l’Ouest
Alors que 94 % de l’agriculture du continent dépend des précipitations, la baisse des rendements agricoles exercera une pression supplémentaire sur un système de production alimentaire déjà fragile. Si la situation actuelle perdure, les experts s’attendent à ce que l’Afrique ne parvienne à produire que 13% de ses besoins alimentaires d’ici à 2050.
Cela fera inéluctablement peser une nouvelle menace sur les quelque 65% de travailleurs africains dont la subsistance dépend de l’agriculture et mettra la sécurité alimentaire du continent en péril. À l’heure actuelle, quelques 240 millions d’Africains souffrent de la faim. D’ici 2050, il suffira d’une augmentation de 1,2 à 1,9 degré Celsius environ pour accroître d’entre 25 et 95% le nombre d’Africains sous-alimentés (+ 25% en Afrique centrale, + 50% en Afrique de l’Est, + 85% en Afrique australe et + 95% en Afrique de l’Ouest).
Hausse des coûts de l’énergie et baisse de la productivité des travailleurs
La production halieutique sera aussi durement affectée en raison de l’extinction de poissons dans plusieurs lacs. Situé dans le rift Est-Africain, le lac Tanganyika a été classé en 2017 par le Fonds mondial pour la nature (FMN) comme étant le «lac le plus menacé de l’année», en raison de la disparition de 38% des espèces de poissons qui y vivaient et de la diminution de 81% des captures par pêcheur et par an.
Pour sa part, le lac Tchad a vu sa superficie passé de 25 000 km2 en 1960 à entre 8000 et 2500 km 2 aujourd’hui, selon les années et les saisons, en raison notamment des grandes sécheresses qui touché la région et des ouvrages de pompages construits anarchiquement par les États riverains (Tchad, Cameroun, Niger et Nigeria). Quelque 150 espèces de poissons ont ainsi disparu de ce lac qui fournit de l’eau à près de 30 millions de personnes.
Dans sa dernière étude relative aux effets de la hausse des températures sur les économies émergentes, Verisk Maplecroft a estimé par ailleurs que les températures de plus en plus élevées en Afrique vont engendrer une baisse de la productivité des travailleurs, notamment dans les secteurs intensifs en main d’œuvre comme l’agriculture et les industries extractives.
« Le stress thermique peut réduire la productivité des travailleurs en causant déshydratation et fatigue, ce qui ralentit le travail et, dans les cas extrêmes, entraîne la mort », expliquent auteurs de l’étude. Et d’ajouter : « Sur les marchés d’exportation, les pertes de capacité de main-d’œuvre pourraient signifier des hausses de prix pour les importateurs si la disponibilité des produits baisse ou les coûts de production augmentent. Des perturbations de la chaîne d’approvisionnement peuvent même inciter les entreprises à envisager de s’approvisionner dans des zones à faible risque ».
Les pays africains représentent la moitié des 48 pays notés en « risque extrême » dans l’indice de stress thermique élaboré par Verisk Maplecroft. Sur la base des valeurs actuelles, cela correspond à une perte annuelle de 10 milliards de dollars pour le continent.
Le cabinet de conseil britannique a également pronostiqué un triplement de la consommation d’énergie due à l’utilisation de la climatisation d’ici à 2050 dans un contexte de montée du mercure, de forte croissance démographique et d’urbanisation galopante.
« La hausse des températures et les vagues de chaleur plus fréquentes vont entraîner une hausse de la demande d’énergie pour la climatisation au cours des prochaines décennies, en particulier dans les zones urbaines, où la population devrait augmenter de 235 % d’ici 2050. Par conséquent, les entreprises seront confrontées à des coûts d’exploitation en hausse et à des risques accrus de pannes d’électricité ».
Le stress thermique peut réduire la productivité des travailleurs en causant déshydratation et fatigue, ce qui ralentit le travail et, dans les cas extrêmes, entraîne la mort
Propagation de pathologies graves et coûteuses en termes de prise en charge
Les conséquences sanitaires du changement climatique pourraient également se révéler importantes partout en Afrique. La hausse des températures est en effet en mesure de contribuer à une propagation de certaines pathologies graves et coûteuses en termes de prise en charge.
A titre d’exemple, les moustiques appartenant à l’espèce Aedes Aegypti, vecteurs de plusieurs maladies lourdes, comme la fièvre jaune, la dengue, le chikungunya et le virus Zika, se multiplient plus rapidement au fur et à mesure que la chaleur augmente.
Ces effets renversants du dérèglement climatique sur l’Afrique sont très révélateurs de l’injustice subie par ce continent, qui n’a aucune responsabilité historique dans le réchauffement climatique mondial puisqu’il ne représente que moins de 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Les pays africains représentent la moitié des 48 pays notés en « risque extrême » dans l’indice de stress thermique élaboré par Verisk Maplecroft.
Dans ce domaine, l’Afrique paiera en quelque sorte la dette des pays industrialisés. Mais ces derniers risquent de subir un violent retour de manivelle ; d’autant plus que les divers bouleversements induits par le réchauffement climatique sur le continent commencent d’ores et déjà à jeter des millions d’Africains sur les routes de la migration vers les pays tempérés du Nord.
L’Internally Displacement Monitoring Centre, principal organisme international de surveillance des déplacements provoqués par les conflits et les catastrophes naturelles dans le monde entier, a recensé quelque 83,5 millions de migrants climatiques entre 2011 et 2014, alors que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) prévoit qu’ils seront 250 millions d’ici 2050.
Dans une étude rendue publique en mars dernier, la Banque mondiale a révélé, quant à elle, que l’Afrique subsaharienne fournira le plus gros contingent de migrants climatiques d’ici 2050, si rien n’est fait pour lutter contre la flambée du mercure à cette échéance.
Sur les 143 millions de personnes qui devraient fuir une chute vertigineuse de la production agricole, une grave pénurie d’eau, des canicules insupportables, des ouragans dévastateurs ou encore une élévation du niveau de la mer durant les quatre prochaines décennies, quelque 86 millions seront des ressortissants des pays d’Afrique subsaharienne. Une déferlante humaine qu’aucun mur ou dispositif de garde-côtes ne pourra endiguer.
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