Auteur : François BART
Organisation affiliée : Revue de géographie de Bordeaux
Type de Publication : Étude
Date de publication : 1er janvier 2011
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L’histoire de la géographie de l’Afrique tropicale a été fortement marquée par divers processus de colonisation, puis par le maintien de la prééminence de rapports économiques, politiques, socio-démographiques qui ont, peu ou prou, perpétué le fonctionnement de relations de type Nord-Sud. L’Europe en a été longtemps l’acteur essentiel, dans des domaines aussi différents que le commerce, la formation des élites africaines, les dynamiques migratoires, la circulation des capitaux, etc.
Néanmoins, la deuxième partie du XXe siècle, période de la décolonisation, a vu, très progressivement, se diversifier la géographie des relations entre les Afriques et le monde. Peu à peu se sont consolidées des relations avec des pays américains, États-Unis et Canada d’abord, Brésil ensuite. D’autre part, le continent asiatique est de plus en plus présent: les pays pétroliers arabes, en particulier ceux du Golfe Persique, ont développé avec l’Afrique de puissants courants migratoires et des liens commerciaux essentiels; l’Inde, présente depuis plus d’un siècle sur le flanc est du continent, joue, par l’intermédiaire de ses diasporas, un rôle crucial dans le commerce des pays d’Afrique orientale et australe; le Japon a inondé le continent de ses voitures, minibus et pick-up; la Corée du Sud s’est imposée plus récemment; le riz thaïlandais a souvent détrôné les riz locaux.
Les relations Chine/Afrique sont ancrées dans une histoire multiséculaire de contacts maritimes, au gré des alizés, à travers l’océan Indien. C’est donc, tout naturellement, d’un côté, la côte sud de la Chine (Guanzhou) et de l’autre, la façade est du continent africain qui furent les premières concernées. C’est ce que peuvent attester des chroniques chinoises dès les ixe-xe siècles et surtout quelques vestiges archéologiques, par exemple sur la côte tanzanienne à Kunduchi, près de Dar es Salaam.
La présence de produits chinois semble en tout cas attestée dans le comptoir de Mogadiscio, contrôlé par les Perses, au XIIIe siècle. D’autre part, la découverte en 2002 d’une carte chinoise, datée de 1389, appelée Da Ming Hun Yi Tu (Carte du grand empire Ming), montre que les navigateurs chinois ont précédé d’environ un siècle Vasco de Gama et Bartholomeu Dias.
À la charnière de l’époque coloniale et du début des indépendances africaines, l’intérêt de la Chine pour le continent africain se développe dans le cadre d’une solidarité tiers-mondiste, face aux puissances occidentales, dans le sillage de la conférence de Bandung. La présence de la Chine en Afrique, jusque dans les années 1970 présente donc une logique d’interstice, se glissant dans les espaces laissés libres par les deux grandes puissances de l’Ouest et de l’Est.
D’autre part, la découverte en 2002 d’une carte chinoise, datée de 1389, appelée Da Ming Hun Yi Tu (Carte du grand empire Ming), montre que les navigateurs chinois ont précédé d’environ un siècle Vasco de Gama et Bartholomeu Dias
Au nom de l’amitié entre les peuples et de la solidarité avec les amis anti-colonialistes et socialistes, les années 1960-1970, malgré une pause pendant la période de la Révolution culturelle, sont celles où la Chine commence à déployer en Afrique une vitrine politique, faite de grandes réalisations: palais présidentiels, stades, nouvelles routes, oléoducs constituent autant de chan- tiers très visibles. Parmi eux, le plus spectaculaire et le plus politiquement significatif fut la construction de la ligne de chemin de fer reliant Dar es Salaam à la Zambie, le TAZARA (Tanzania-Zambia Railway) ou TANZAM3.
Ajoutons que la logique de construction de cette ligne fut certes géo-économique (désenclavement de la Zambie, évacuation vers l’océan Indien du cuivre zambien et katangais), mais autant politique (amitié avec la Tanzanie socialiste, solidarité avec la Tanzanie et la Zambie dans la lutte contre l’Afrique du Sud de l’apartheid). Cette ligne, qui fonctionne aujourd’hui au ralenti, est concurrencée par le transport routier (les gros camions transportant des plaques de cuivre ne sont pas rares sur la route asphaltée parallèle à la voie ferrée) et souffre de manque d’entretien de la voie et du matériel.
Mais l’aspect grandiose de ce projet est encore bien visible dans les gares particulièrement monumentales (à Dar es Salaam, à Mbeya), et la Chine vient d’accorder aux deux pays, en 2010, un crédit de 39 millions US$ et une remise de dettes pour tenter de relancer ce qui fut à son époque le plus gros projet chinois d’aide à des pays étrangers.
À partir de la fin des années 1980, le contexte des relations Chine-Afrique évolue rapidement suite à l’éclatement du bloc socialiste, aux événements de la place Tien An Men (1989), au recul du poids des idéologies. Le discours politique va être, d’une façon particulièrement spectaculaire, occulté par un pragmatisme économique digne des logiques capitalistes les plus authentiques. L’inauguration de la première chambre de Commerce chinoise en Afrique, à Johannesburg au début de l’année 2010, est un symbole de l’extraordinaire montée en puissance des échanges commerciaux.
Une logique d’interstice, se glissant dans les espaces laissés libres par les deux grandes puissances de l’Ouest et de l’Est
La progression du commerce sino-africain aurait été de 294 % entre 2003 et 2007
Six pays, par leurs ressources énergétiques et minières, par l’importance de leur marché de consommation, font les deux tiers de ces échanges: l’Afrique du Sud, l’Angola, le Nigeria, le Soudan, l’Égypte et l’Algérie. Le pétrole joue donc un rôle essentiel dans ce processus. La Chine en était jusqu’en 1993 exportatrice, avec une production qui stagnait depuis 1990.
Le rythme de sa croissance a fortement accru sa dépendance : 27 % en 1999, 32 % en 2002, 45 % en 2005, plus de la moitié aujourd’hui. Elle en est devenue le deuxième plus gros consommateur mondial, et en importe environ le tiers du continent africain. Ses trois plus gros fournisseurs sont, par ordre décroissant, l’Angola, qui pour la Chine vient après l’Arabie Saoudite, le Soudan et le Nigeria.
L’intérêt de la Chine pour l’agriculture africaine s’est d’abord concrétisé par le montage de nombreux projets de développement de la riziculture, face à la concurrence de Taiwan, du Japon et de la Corée dans ce domaine. Mais les années 2000 ont connu un triplement de la valeur des échanges agricoles entre la Chine et l’Afrique, en faveur des exportations africaines devenues plus importantes que les importations.
À partir de la fin des années 1980, le contexte des relations Chine-Afrique évolue rapidement suite à l’éclatement du bloc socialiste, aux événements de la place Tien An Men (1989), au recul du poids des idéologies. Le discours politique va être, d’une façon particulièrement spectaculaire, occulté par un pragmatisme économique digne des logiques capitalistes les plus authentiques
L’appétit de la Chine pour les bois tropicaux, bien connu en Asie du Sud-est et en Océanie, se porte aussi, dans un souci de diversification de l’approvisionnement, sur les forêts africaines. Depuis 2003, la compagnie Hong Kong Vickwood s’est emparée de vastes concessions au Congo et au Cameroun. Le Gabon, premier fournisseur africain, exporte 60 % de sa production en Chine.
Les relations entre la Chine et l’Afrique semblent avoir perdu toute dimension sélective: TOUS les pays africains sont concernés. Cette nouvelle dimension continentale s’est d’abord concrétisée par la diffusion généralisée de produits chinois à prix très compétitifs sur les marchés: bicyclettes, vaisselle, jouets, outillage, pacotille de toute nature. Plus récemment, bus et camions sont emblématiques d’une mainmise généralisée du commerce chinois sur les villes d’Afrique: Douala, Dakar, parmi d’autres, semblent particulièrement concernées.
La présence, fluctuante, de Chinois s’est affirmée : sans doute plusieurs centaines de milliers de personnes, surtout dans les villes, alors qu’ils étaient beaucoup moins nombreux en 1990. Ces communautés chinoises sont directe- ment entrées en compétition avec les commerçants africains, libanais, indiens, suscitant parfois de graves poussées xénophobes.
Fascination des consommateurs et colère des acteurs économiques coexistent, non sans difficultés. Dans le même temps, des entrepreneurs de commerce africains renforcent leurs liens avec le marché chinois, en s’ins- tallant parfois sur place, et de plus en plus d’étudiants africains s’inscrivent dans des universités chinoises.
L’intérêt de la Chine pour l’agriculture africaine s’est d’abord concrétisé par le montage de nombreux projets de développement de la riziculture
Dans le sillage des relations évoquées ci-dessus, on note aussi une importante présence financière: prêts, montage de joint-ventures, etc. La Chine est ainsi devenue le premier bailleur de fonds au Soudan, au Nigeria, en Angola et en Égypte. En 2007, ICBC (Industrial and Commercial Bank of China Limited), la plus grande banque chinoise, a acquis 20 % de la Standard Bank sud-africaine.
Au cours des dix dernières années, l’organisation en grande pompe de forums sino-africains en Chine et en Afrique (Éthiopie, Égypte) montre que la Chine entend poursuivre une politique africaine offensive et pragmatique. Le symbole le plus visible est peut-être celui de la construction du nouveau siège de l’Union Africaine à Addis Abeba par la Chine…
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