Auteurs : Saad Badaoui et Redouan Najah
Saad Badaoui
Senior Data Scientist au Policy Center for the New South, Saad Badaoui est titulaire d’un doctorat en sciences des données appliquées et en mathématiques financières de l’Imperial College de Londres. Riche d’une expérience de plus d’une dizaine d’années, il a travaillé sur divers problèmes analytiques à la fois dans le milieu universitaire et dans l’industrie.
Redouan Najah
Redouan Najah est Assistant de recherche en relations internationales et géopolitique au Policy Center for the New South. Il est titulaire d’un Master en géopolitique et relations internationales, de l’Université Caadi Ayaad, à Marrakech, et d’une Licence en Sciences économiques et gestion, de la Faculté poly-disciplinaire, Béni-Mellal. Ses axes de recherche portent principalement sur le cyberespace, la cyberdéfense, la cybersécurité.
Organisation affiliée: Policy Center for the New South
Date de publication: Janvier 2021
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Site de l’organisation : Policy Center for the New South
De plus en plus les populations africaines prennent conscience de l’occupation de leur territoire par les géants mondiaux du web. Les récentes agitations sur les réseaux sociaux sur les politiques de protection et d’utilisation des données de consommateurs par les géants de la messagerie web, les “fake news” qui se prolifèrent, les faibles investissements en matière d’infrastructures technologiques des États africains qui donnent l’occasion aux investisseurs étrangers de détenir le monopole dans le secteur, l’absence d’une législation exhaustive sur la cybersécurité et la protection des données personnelles sont autant d’éléments qui conduisent à prendre en compte la cyber-colonisation comme un enjeu de taille pour les Etats africains. 81% de la population totale africaine sont détenteurs d’abonnement mobile et 34 % de la même population sont des utilisateurs d’internet et sans une législation exhaustive et forte de protection des données, l’Afrique devient, ou l’est déjà, un terrain de chasse favorable aux intérêts économiques et politiques étrangers . WATHI a choisi ce document parce qu’il analyse et explique la forte dépendance technologique de l’Afrique vis-à-vis des puissances et des grandes firmes étrangères. Cette situation de dépendance est imposée subtilement à travers des installations d’infrastructures technologiques étrangères. Elle est, en général, marquée par une exploitation accrue des données, donnant lieu à une nouvelle forme de colonisation qui va jusqu’à nuire à la souveraineté numérique des pays africains.
Face à la cyber-colonisation, les Etats africains doivent comprendre que le continent est devenu un enjeu stratégique pour les firmes étrangères de technologies numériques. Il faut, aux Etats africains, une appropriation des technologies numériques, l’intelligence artificielle en particulier, puis les domestiquer pour en faire de puissants leviers de croissance économique. Il faut également renforcer et concrétiser l’engagement des Etats africains envers la convention de Malabo qui vise à encadrer juridiquement et protéger les données personnelles des Africains. Il faut investir dans la formation de la jeunesse et l’essor des start-ups africaines pour encourager l’innovation et accroitre les capacités nécessaires au développement des infrastructures numériques locales.
Les extraits suivants proviennent des pages : 7-18
Intelligence artificielle, big data et cyber-colonisation
L’arrivée des technologies de l’information et de la communication (TIC) en Afrique a bouleversé et bouleverse encore en profondeur le rapport des Africains aux technologies numériques. Selon le rapport Digital 2020 de Hootsuite et We Are Social, le nombre d’utilisateurs d’Internet et de détenteurs d’abonnement mobile s’élèvent en Afrique respectivement à 34% et 81% de la population totale africaine (soit à 453 millions et 1.08 milliard d’habitants). De plus, l’Afrique est le continent qui a connu la croissance d’utilisateurs mobiles la plus forte (soit +5.6% par rapport à 2019). Par conséquent, le potentiel de la donnée générée par les utilisateurs est très considérable.
Ces données massives ou big data nous amènent à nous poser la question sur leur utilisation, notamment à travers des algorithmes d’intelligence artificielle (IA). Cependant, l’utilisation de l’IA n’est pas sans risques, surtout dans le cas de l’Afrique où une législation exhaustive sur la cybersécurité et la protection des données personnelles n’est pas encore pleinement mise en vigueur, ce qui, par conséquent, transforme le continent en un livre ouvert, vulnérable à toute exploitation numérique. Il se trouve, comme nous le discuterons plus loin, que les dommages sont déjà présents, particulièrement à travers la conquête progressive du cyberespace africain ou la cyber-colonisation.
La cyber-colonisation est un terme qui a été repris à maintes reprises après son utilisation par Cédric Villani, mathématicien, lauréat de la médaille Fields en 2010, député de l’Essonne et auteur d’un rapport parlementaire sur l’Intelligence artificielle. Il dit, en faisant référence aux grandes plateformes tels qu’IBM, Facebook ou Amazon : “ Le mot est très brutal, mais techniquement c’est une démarche de type colonial : vous exploitez une ressource locale en mettant en place un système qui attire la valeur ajoutée vers votre économie. Cela s’appelle une cyber-colonisation ”.
Plus formellement, la cyber-colonisation est définie comme « une politique ou une pratique permettant de prendre le contrôle total ou partiel du cyberespace d’un autre pays, d’occuper celui-ci par des technologies et des composants servant des intérêts étrangers et de l’exploiter économiquement ».
Les grandes puissances -bien conscientes des risques et enjeux colossaux de l’utilisation des données et leur implication dans les décisions gouvernementales concernant la défense militaire, la technologie, la politique et la croissance économique- se livrent un combat sans merci pour perfectionner leurs outils à base d’IA et dominer le monde. Comme le disait Vladimir Poutine, en septembre 2017, devant des étudiants russes, en parlant de l’IA : «Celui qui deviendra leader dans ce domaine sera le maître du monde».
Géopolitique de l’Intelligence artificielle
Il est essentiel de s’intéresser au contexte géopolitique de l’IA et de comment les avancées technologiques perturbent la souveraineté numérique des pays. En effet, la course à la maitrise et au perfectionnement des technologies alimentées par l’IA redessinera l’ordre mondial de demain.
Etats-Unis vs Chine : les Cyber-puissances
Selon le rapport WIPO Technology Trend 2019, les États-Unis et la Chine sont les deux places les plus populaires, devant le Japon, pour déposer des brevets d’IA. A eux seuls, ces trois pays représentent 78 % du total des dépôts de brevets. Côté corporate, le rapport indique qu’IBM et Microsoft sont les leaders mondiaux du brevetage dans différents domaines liés à l’IA.
Tandis que les organisations académiques chinoises représentent 17 des 20 premiers acteurs du brevetage et 10 du top 20 des publications scientifiques liées à l’IA. Bien qu’historiquement les États-Unis ont toujours dominé ce secteur, les chiffres qui ressortent du rapport WIPO montrent une réalité bien différente. En effet, les prouesses réalisées ces dernières années grâce au machine learning, et notamment le deep learning, ont suscité l’intérêt d’autres États, au premier rang desquels la Chine.
Cette compétition sino-américaine est largement menée par deux géants du numérique, BATX (Baidu, AliBaba, Tencent et Xiaomi), côté chinois, et GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft), côté américain. Ils représentent, à eux seuls, des milliards de dollars de capitalisation boursière. Contrairement aux GAFAM, qui autorisent et prônent la libre circulation de l’information, les BATX chinois ont dominé le cyberespace en préservant leur stratégie qui consiste à limiter l’accès à l’information et, parfois même, à la censurer, mais cela ne les a pas empêchés de montrer en 2018 une progression du chiffre d’affaires à deux chiffres, une croissance qui dépasse dans certains cas celle des GAFAM, selon Hub Institute Digital Think Tank.
Les positions hégémoniques des GAFAM et BATX leur donnent un accès privilégié à un gisement massif de données exploitables qui, non seulement renforcent leur supériorité numérique et confortent leur position de “Winner takes all”, mais leur permettent aussi d’exercer un soft power en influençant nos choix, nos comportements et notre vision de la réalité. Certains parlent même d’hyper-domination numérique ou de cyber-impérialisme
Ce système cyber-impérialiste, en quête incessante d’expansion, crée, dans un premier temps, des écarts importants entre pays mais peut aussi, dans le cas extrême, empiéter sur le territoire numérique national afin de cyber-coloniser
Cependant, avant d’aller plus en avant concernant la cyber-colonisation, parlons de l’Europe et de la Russie qui subissent d’une certaine manière cet impérialisme sans pour autant en être prisonnières.
Europe : des efforts restent encore à fournir
Selon le rapport sur l’IA de McKinsey Global Institute (2019), l’Europe a pris du retard dans le domaine de l’IA en plus du retard accusé dans les technologies numériques. De manière générale, le continent n’a pas pu accroître sa capacité d’innovation car l’écosystème des startups en IA n’est pas encore très développé, contrairement aux leaders mondiaux. Par conséquent, l’Europe souffre d’un fossé numérique qui risque de mettre le continent à rude épreuve pour réduire le retard dans le développement numérique et profiter de la croissance économique qui en découle.
D’autre part, l’Europe a pris les devants pour protéger son cyberespace. En témoigne, par l’adoption de la nouvelle loi européenne sur la confidentialité, appelée Règlement général de la protection des données (RGPD), qui est entrée en vigueur le 25 mai 2018. Ce texte encadre toute collecte, partage et utilisation des données dans l’UE, mais a été fortement critiqué comme étant très restrictif car il prive l’Europe de sa principale ressource nécessaire au succès de l’IA.
Russie : l’Oukaze n°490 sur l’IA
La Russie, de son côté, ne cache pas ses ambitieux projets d’avancement dans l’IA dans le but de concurrencer les Etats-Unis et la Chine. L’Oukaze (loi) n°490 sur l’IA le rappelle bien. Ce décret présente la stratégie nationale de la Russie jusqu’en 2030 et priorise la recherche scientifique et l’accès aux bases de données pour améliorer sa compétitivité et garantir sa souveraineté technologique. En effet, l’écosystème russe, qui n’affiche pas d’ambitions protectionnistes, prône l’ouverture à l’international et promeut les échanges de spécialistes et la participation d’experts russes à de grandes conférences internationales en IA.
Afrique : terrain d’expansion numérique
Ce tour d’horizon, qui résume les rapports de force, nous montre que dans le monde de l’IA, la passivité se paie cher car les économies d’échelle atteintes par les principaux leaders sont importantes et constituent de sérieux obstacles à l’entrée d’autres acteurs.
Le continent enregistre un retard considérable dans le développement des infrastructures des TIC et a un besoin important en investissements et en transferts de technologies
Cependant, cette course numérique dépend aussi d’éléments intrinsèques aux pays qui peuvent limiter le perfectionnement des outils IA (tels que le volume des données nationales limité par le nombre d’habitants ou les algorithmes reflétant des biais ethniques ou sexistes), c’est ce qui explique que cette confrontation a des prolongements en Afrique, d’autant plus que le continent enregistre un retard considérable dans le développement des infrastructures des TIC et a un besoin important en investissements et en transferts de technologies.
En effet, plusieurs investisseurs (notamment européens, américains et chinois) ont entrepris des projets colossaux dans le continent. Les projets Free Basics et Project Aires de Facebook et Project Loon et CSquared de Google ne sont que quelques exemples de projets déployés en Afrique pour étendre l’empreinte numérique des sociétés étrangères. Ces entreprises technologiques géantes affirment qu’elles veulent combler le fossé numérique et donner un accès internet à des millions de personnes qui, autrement, ne l’auraient pas, mais leur véritable objectif consiste simplement à extraire des données à des fins de profit ce qui accentue la posture de vulnérabilité du continent.
L’Afrique cyber-colonisée
La dépendance technologique se traduit généralement par une exploitation accrue des données pour non seulement surveiller et espionner mais, aussi, pour influencer les comportements, les opinions publiques et les choix de consommation des Africains. Toutes ces actions ont pour objectif d’exporter la valeur ajoutée africaine vers des économies étrangères.
Les infrastructures numériques africaines “Made by others ”
Les Data centers sont des sites dont la fonction principale est l’hébergement, l’interconnexion et l’exploitation de serveurs informatiques en vue de stocker et traiter des données massives. Il s’agit d’infrastructures très stratégiques pour les sociétés nécessitant un accroissement permanent de la capacité de stockage. Bien que l’ information publique sur les Data centers reste peu disponible, le continent n’en compte aujourd’hui qu’environ 80, dont une moitié en Afrique du Sud.
L’emplacement des Data centers africains est souvent proche de la mer (Djibouti, Lagos, Mombasa, etc) pour faciliter la transmission de l’information et leur construction est dans la majorité des cas assurée par des compagnies étrangères comme les Américains Microsoft et Amazon, l’Italien IT Sparkle et le Chinois Huawei.
Cette analyse met en évidence la dépendance technologique du continent et montre, aussi, que le nombre de Data centers en Afrique reste faible, compte tenu des besoins toujours croissants du marché africain. Cette situation fait qu’il n’est pas inconcevable qu’une importante part de données africaines soit stockée et exploitée en dehors du continent.
En effet, plusieurs éléments peuvent expliquer ce constat. D’abord, l’Afrique, par son climat, reste défavorisée car les systèmes de refroidissement requis par les Data centers sont coûteux et nécessitent un approvisionnement constant en énergie (24h/24H et7j/7). Ensuite, assurer la conception et le suivi d’un Data center nécessite de véritables expertises en ingénierie informatique et des professionnels africains adaptés qui restent rares à trouver. Enfin, s’ajoute à la dimension technique, la contrainte de la stabilité politique des pays qui limite les sites d’implantation des Data centers en Afrique.
Les câbles sous-marins constituent de véritables pipelines de transmission de l’information et offrent une grande capacité de transport des données numériques. Ces infrastructures sont essentielles et stratégiques pour l’économie et la sécurité nationale des pays, car elles transportent la quasi-totalité (95%) du trafic international des données.
Avec l’arrivée des GAFAM, les opérateurs téléphoniques traditionnels ont vu la dynamique du marché des câbles sous-marins changer de façon substantielle ces dernières années. Dotés d’importantes ressources financières, ces géants technologiques ont financé la fabrication de câbles équipés de leur propre technologie. Certains de ces câbles peuvent transporter jusqu’à 71 millions de vidéos HD en streaming en parallèle. Par conséquent, selon TeleGeography, entre 2014 et 2018, les GAFAM représentent, aujourd’hui, plus de 40% des commandes du marché (contre 10% en 2013) et leur capacité déployée jusqu’à ce jour a été multipliée par huit pour atteindre les 532 térabits par seconde.
Conséquences de la cyberdépendance africaine
A l’ère du tout digital, le numérique génère un gisement de données dans tous les secteurs d’activité constituant une mine d’information extrêmement précieuse pour les géants du numérique qui investissent dans le continent. Dans ce sens, l’affaire de Cambridge Analytica (CA), qui avait fait la une de plusieurs journaux internationaux, a mis en lumière les conséquences de l’exploitation des données à des fins frauduleuses.
Cambridge Analytica, société de publication stratégique combinant des outils d’exploration et d’analyse des données, avait récupéré illégalement les données personnelles de 50 millions d’utilisateurs du réseau social Facebook. Aux Etats-Unis, par exemple, l’entreprise avait conçu une application proposée sur Facebook, baptisée «thisisyourdigitallife», qui, à travers un questionnaire, a pu collecter plusieurs informations personnelles dont le nom, l’âge, la ville, la profession ainsi que les likes.
L’analyse de ces données permettait non seulement de récolter les penchants politiques mais aussi d’influencer les choix et les votes des électeurs à travers l’élaboration de campagnes publicitaires à caractère politique bien ciblées. Suite à cela, l’entreprise a été accusée pour le rôle crucial qu’elle aurait joué dans la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle. Des soupçons similaires ont aussi pesé sur CA lors de la campagne du Brexit, comme l’affirme Christopher Wylie ex-directeur de la recherche.
L’ombre de CA plane aussi sur le continent africain où l’entreprise avait joué un rôle important pendant plusieurs élections présidentielles. Dans son ouvrage « l’affaire Cambridge Analytica : les dessous d’un scandale planétaire », Brittany Kaiser affirme que : « ça n’est pas seulement les proBrexit ou les républicains qui ont sollicité Cambridge Analytica (aujourd’hui fermé), ce sont 68 pays dans le monde. On repère, entre autres, la Malaisie, le Brésil, le Kenya… ».
En effet, entre 2013 et 2017, des gouvernements, comme ceux du Kenya (en 2017) et du Nigeria (en 2015) auraient engagé CA pour manipuler l’électorat dans le but de les faire gagner les élections. Selon l’Ong Privacy international, l’entreprise aurait reçu près de 6 millions de dollars pour faire gagner l’élection du 8 août 2017 au président Kenyatta.
En plus des entreprises chinoises et britanniques, d’autres puissances étrangères testent de nouvelles tactiques de désinformation en Afrique. Selon le rapport du New York Times publié en octobre 2019, le groupe Wagner, fondé par Yevgeny Prigozhin (homme proche du gouvernement russe), a mené des campagnes de désinformation agressives sur Facebook pour promouvoir les politiques russes tout en critiquant les politiques américaines et françaises en Afrique.
D’ailleurs, Facebook aurait supprimé, en octobre 2019, les comptes des utilisateurs qui influençaient les politiques intérieures de plusieurs pays africains, tels que le Cameroun, la Libye, le Madagascar, le Mozambique et le Soudan. Enfin, Israël aurait été impliqué aussi dans des opérations de fake news et désinformation politique. Une société israélienne, Groupe Archimède, aurait, à travers des faux comptes sur Facebook, ciblé les élections dans des pays africains, tels que le Nigeria, le Sénégal, le Togo, le Niger, l’Angola et la Tunisie.
Outre les campagnes de désinformation décrites ci-dessus, il existe également des programmes de surveillance par reconnaissance faciale, tels que les « Smart Cities » de Huawei, qui ont été déployés dans plusieurs pays africains. Certains considèrent ce phénomène comme une exportation de l’autoritarisme numérique qui menace les libertés individuelles.
Au Kenya, par exemple, Huawei a aidé à installer des systèmes vidéo déployant ainsi 1800 caméras et 200 systèmes de surveillance du trafic à Nairobi. Au Zimbabwe, le développeur CloudWalk, basé à Guangzhou, a annoncé un accord en 2018 pour superviser un programme de reconnaissance faciale à grande échelle en collaboration avec les autorités.
L’accord, soutenu par l’Initiative Belt and Road, prévoit que la technologie sera principalement utilisée dans les domaines de la sécurité et de l’application des lois et sera probablement étendue à d’autres programmes publics. Le déploiement de cette technologie, dans une population majoritairement de couleur, permettra à CloudWalk d’identifier plus clairement les autres ethnies, devançant les développeurs américains et européens.
La cyber-colonisation est une pratique qui in fine permet de servir des intérêts étrangers à des fins économiques
L’impact économique le plus évident est l’« opportunity cost » ou la perte de gain potentiel dû non seulement à l’exploitation numérique qui est imposée par la structure de cet écosystème digital qui favorise la concentration mais aussi à la surreprésentation des sociétés étrangères qui sont naturellement moins enclines qu’une entreprise africaine à payer les impôts locaux, servir l’intérêt national et contribuer à l’économie du continent.
Le second impact économique résulte du problème de la soutenabilité de la dette (Debt trap). En effet, si la Chine démontre un certain leadership dans le continent africain ce n’est pas par pur hasard, car l’hégémonie technologique chinoise a été imposée subtilement à travers des financements très avantageux.
Selon China Africa Research Initiative (Cari), entre 2000 et 2017, le gouvernement chinois a accordé des prêts à plusieurs pays africains pour une valeur estimée à 143 milliards de dollars. Certes, les prêts ne sont pas tous destinés à financer des technologies à base d’IA mais il reste que ces financements pseudoavantageux accentuent la position de vulnérabilité de certains pays africains, surtout lorsqu’il s’agit de prêts gagés sur des ressources naturelles ou des infrastructures stratégiques.
De plus, avec plus de 1,25 milliard de personnes vivant en Afrique et un cadre juridique de protection des données encore fragile, l’exploitation numérique subie par le continent ouvre aussi le champ à la monétisation des données africaines. Le marché présente un potentiel immense pour les entreprises technologiques occidentales car ces données peuvent être extraites et vendues comme une marchandise aux entreprises et aux intérêts économiques étrangers qui fondent leur modèle de revenus sur la connaissance de leurs groupes cibles afin qu’ils soient en mesure de diffuser des messages ou stratégies marketing personnalisés, augmentant ainsi leur résultat net.
En effet, l’essence de ce business model est déjà bien établie en Occident à travers ce qu’on appelle l’analyse prédictive. Ces techniques à base d’IA, qui analysent des faits présents et passés pour en tirer des hypothèses sur les comportements futurs, permettent à une poignée de sociétés leaders d’exploiter des données précieuses pour développer des stratégies hyper-personnalisées basées sur des modèles de comportement, ce qui leur confère un avantage suprême sur leurs concurrents, contrôlant ainsi des marchés stratégiques tout en faisant plus de profits.
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