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L’Inspection générale d’État (IGE) est une institution administrative supérieure de contrôle placée sous l’autorité directe du Président de la République du Sénégal. Garantie d’une indépendance fonctionnelle, elle constitue une source d’informations objectives sur la gouvernance économique et financière au sein de l’administration. L’IGE, en tant qu’organe de promotion de la bonne gouvernance, rend compte chaque année sur l’état de la gouvernance dans l’administration, par la vérification, des enquêtes et des audits des services publics et parapublics, ainsi que des entreprises privées bénéficiant du concours financier de l’État.
Date de publication: 2017
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Site de l’organisation : IGE
La remise du rapport annuel de l’Inspection générale d’État (IGE) sur l’état de la gouvernance au président de la République est devenue un évènement marquant au Sénégal. Les éléments du rapport sont exploités par les médias et la société civile et occupent le devant de l’actualité durant plusieurs jours. Sur la période d’août 2016 à décembre 2017, l’IGE a effectué des missions de contrôle à des fins de vérifications administratives et financières dans des directions de l’administration centrale, ainsi que dans des programmes coordonnés par les services de l’Etat sénégalais. WATHI a choisi ce document parce qu’il expose les constations et recommandations issues des missions de contrôle de l’IGE sur la gestion des Directions de l’administration générale et de l’équipement (DAGE) d’un échantillon représentatif de six ministères. Ces directions connaissent plusieurs cas de contournement des dispositions légales qui régissent le recrutement, le détachement, la rémunération et l’admission en retraite des agents fonctionnaires ou non de l’Etat. De plus, des enquêtes ont été menées sur le programme d’acquisition de véhicules à l’Agence nationale de l’aviation civile et de la métrologie (ANACIM) et sur l’exécution financière du Programme de renforcement et de consolidation des acquis (PRCA). Ce document fait également un état des lieux de l’organisation du Pèlerinage aux lieux saints de l’Islam et présente l’audit de l’Office national des pupilles de la nation (ONPN). L’IGE souligne également des manquements récurrents, notamment la violation des textes législatifs et règlementaires relatifs à la commande publique, à la comptabilité des deniers et des matières. Dans un contexte où l’accès à l’information, la protection des données et la sécurité sont des enjeux cruciaux de gouvernance, l’IGE rappelle dans sa rubrique “Mémento” la notion et l’intérêt du secret dans l’Administration. Si l’anonymat a volontairement été privilégié dans le rapport pour préserver les aspects personnels et confidentiels des informations, il est assorti de recommandations pertinentes dans la perspective du renforcement de la bonne gouvernance.
La persistance d’anomalies dans la gestion administrative et financière des administrations centrales et décentralisées, le besoin d’une adaptation régulière des missions assignées aux structures étatiques et d’une rationalisation des interventions de l’Etat, et, la nécessité pour les gestionnaires de s’attacher à l’optimisation des ressources publiques sont autant de constats qui ressortent des missions de l’IGE dans ce rapport. Pour l’IGE, les recommandations formulées dans les précédents rapports conservent leur pertinence. Entre autres :
Les extraits suivants proviennent des pages : 42-45; 74-77; 121-123; 128-130;137-138;139-140;142-144.
Recrutements récurrents et irréguliers
Dans divers ministères, il a été observé le recours fréquent à des personnels contractuels en service à la DAGE comme dans d’autres structures. Sur la période de référence du présent rapport, cette pratique a été relevée au ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, au ministère de l’Environnement et du Développement durable, ainsi qu’au ministère de la Culture.
Les recrutements ont été opérés sans appel à candidature ou exigence de diplôme et en l’absence de toute procédure formalisée d’identification préalable des besoins, d’où le défaut d’indication, dans certains contrats, du poste d’emploi. Les personnes ainsi engagées ont bénéficié de contrats à durée déterminée ou indéterminée signés, selon les cas, par le ministre, le directeur de son cabinet, le directeur de l’Administration générale et de l’Équipement ou d’autres directeurs. Ces constats sont préoccupants, sous l’angle de l’importance numérique de ces personnels contractuels, de la procédure de leur recrutement et de leur rémunération.
Ainsi, au ministère des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement, le personnel est composé de deux cent vingt-cinq (225) contractuels, contre cent quarante et un (141) agents de l’État, soit environ 63% de l’effectif du département. Ces agents contractuels servent, essentiellement, à la Direction des Routes, au Centre de Formation des Travaux publics et à la Direction des Transports routiers, où ils occupent la plupart des postes de responsabilité, tant à l’échelon central qu’au niveau déconcentré.
Au Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, les personnels contractuels sont au nombre de cent vingt-huit (128). Ils bénéficient de contrats de travail à durée déterminée d’un an renouvelable signés par le directeur de l’Administration générale et de l’Équipement. Ces contrats sont systématiquement renouvelés, chaque année, pour la même durée. Aussi, certains agents contractuels le sont-ils, sans interruption, depuis 1989.
Au Ministère de la Culture, les effectifs comprenaient, au moment des investigations de l’IGE, cent soixante-cinq (165) agents contractuels. Sur un échantillon de quatre-vingt-douze (92) contrats examinés, seuls quatorze (14) étaient réguliers, parce qu’autorisés par le Premier ministre et signés par le ministre chargé de la Fonction publique. En effet, les soixante-dix-huit (78) autres contrats de travail ont été signés, entre 2000 et 2016, sans aucune compétence légale, par différents responsables qui se sont succédé aux postes de ministre de la Culture, directeur de Cabinet, directeur de l’Administration générale et de l’Équipement, voire, dans certains cas, par des directeurs de structures techniques de ce ministère.
En établissant de tels contrats de recrutement, ces ministres et directeurs ont enfreint les dispositions en vigueur, notamment l’article 2 du décret n° 74-347 du 12 avril 1974 fixant le régime spécial applicable aux agents non fonctionnaires de l’État, modifié par le décret n° 2012- 1131 du 19 octobre 2012, en vertu duquel, d’une part, aucun engagement d’agents non-fonctionnaires ne peut être effectué en dehors du régime fixé par ce décret et, d’autre part, des contrats dits spéciaux, à durée indéterminée, dérogatoires au présent régime, peuvent être exceptionnellement consentis par le ministre chargé de la Fonction publique, sur autorisation du Président de la République ou du Premier ministre.
Ces recrutements contreviennent aussi à l’article 2 du décret n° 95-264 du 10 mars 1995 portant délégation de pouvoirs du Président de la République en matière d’administration et de gestion du personnel qui fait du ministre chargé de la Fonction publique l’unique délégataire de pouvoirs pour la prise des actes d’administration du personnel de l’État (nomination, titularisation, engagement, contractualisation, etc.). Cette délégation ne s’étend pas aux agents appartenant à la hiérarchie A de la Fonction publique.
Quant aux autres ministres, ils sont des utilisateurs de ce personnel pour lequel ils sont autorisés à prendre des actes de gestion énumérés à l’article 3 du dernier décret susmentionné (mutation au sein du département ministériel, notation, congé, etc.).
Il y a lieu de rappeler aux ministres que seul le ministre chargé de la Fonction publique peut engager un agent ou signer un contrat de travail pour le compte de l’État.
Sur le même registre, il a été noté la signature en 2016, par le Directeur de l’Administration générale et de l’Équipement du Ministère de l’Environnement et du Développement durable, de quarante-trois (43) contrats :
- seize (16) nouveaux contrats, dont huit (08) à durée indéterminée ;
- vingt-sept (27) contrats à durée déterminée renouvelés en contrats à durée indéterminée.
Il est utile de préciser qu’en vertu de la législation du Travail applicable aux agents contractuels, aucun travailleur ne peut conclure avec le même employeur plus de deux contrats à durée déterminée ni renouveler plus d’une fois un contrat à durée déterminée.
Irrégularités persistantes dans l’exécution des marchés
En privilégiant une approche basée sur les risques, un intérêt particulier a été porté aux DRP, les audits de l’ARMP ayant souvent abouti à la récurrence et à la diversité des manquements à ce niveau.
Aux termes des dispositions de l’article 54-5 du CMP, « les autorités contractantes ne peuvent en aucun cas fractionner les dépenses ou sous-estimer la valeur des marchés de façon à les soustraire aux règles qui leur sont normalement applicables ».
Nonobstant cette disposition, la pratique du fractionnement continue à être observée dans certains ministères, comme celui chargé de la Recherche scientifique. Ainsi, en 2016, trois (03) DRP portant sur des travaux de nature identique (aménagement et réhabilitation de parcelles) ont été payées, pour un total cumulé de soixante-treize millions quatre cent quarante-trois mille deux cents (73 443 200) francs CFA sur la ligne budgétaire « Viabilisation et aménagement des terres » du Projet de Recherche-développement sur l’Exploitation industrielle du Palmier à Huile.
La première DRP, de vingt-quatre millions cinq cent vingt mille quatre cents (24 520 400) francs CFA, a été attribuée le 10 juin, pour l’aménagement de la parcelle de Ndiéba et la réhabilitation de celles de Panda, Dialang et Goudiaba. La deuxième, dont le contrat a été signé le 15 juin, concernait la réhabilitation des sites expérimentaux du projet à Fatick, Bambey et Bango, pour un montant de vingt-quatre millions quatre cent deux mille quatre cents (24 402 400) francs CFA. La troisième était relative à l’aménagement et à la réhabilitation de parcelles à Affiniam, Sanghé, Lompoul et Keur Momar Sarr. Signé le 04 juillet, le contrat se chiffrait à vingt-quatre millions cinq cent vingt mille quatre cents (24 520 400) francs CFA.
Il aurait dû être procédé à un appel d’offres ouvert, la valeur globale de ces trois (03) DRP excédant le seuil de soixante-dix millions (70 000 000) de francs CFA fixé, pour les marchés de travaux, par l’article 53 du CMP, quitte à les présenter en lots.
Il doit être impérieusement rappelé aux autorités contractantes l’obligation de respecter les seuils de passation des marchés en évitant le fractionnement de dépenses de même nature.
Règlement sans service fait
Le recours à un certificat administratif pour attester de la réalité de la prestation du cocontractant est une des pratiques observées à l’examen de dossiers de marché. Ainsi, en analysant les marchés publics conclus en 2016 par la DAGE du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, il a été noté la signature d’une DRP de vingt-quatre millions neuf cent quatre-vingt-dix-neuf mille quatre cent quatre-vingts (24 999 480) francs CFA pour une étude. Il est utile de signaler que la société choisie est une entreprise de travaux et de prestations de service.
Dans le dossier consulté, il n’est fait état d’aucun rapport réceptionné. En lieu et place, un certificat administratif a été produit, pour attester de la réalisation de la prestation attendue.
Par contre, un document a été présenté à la mission de l’IGE. Vérification faite, il a été produit en 2015, soit une année plus tôt, par un consultant individuel, rémunéré, en espèces, à hauteur de trois millions (3 000 000) de francs CFA. Il est, dès lors, établi que l’entreprise retenue en 2016 n’a réalisé aucune étude, alors qu’elle a été intégralement payée.
L’IGE rappelle que le certificat administratif n’a pas pour vocation de remplacer une pièce justificative de dépense. Sa présence dans un dossier de liquidation, souvent réclamée par le comptable public en complément, a pour motif d’asseoir la responsabilité de l’ordonnateur
Plus grave, une autre DRP portant sur la même étude avec les mêmes termes de référence avait été signée le 04 septembre 2015, pour un montant de vingt-trois millions trois cent soixante-douze mille huit cents (23 372 800) francs CFA avec une entreprise.
Un certificat administratif précisant que l’étude a été bien réalisée par cette entreprise figure dans le dossier. Toutefois, lors des investigations, le signataire de ce document a reconnu que la prestation a été plutôt faite par le consultant individuel dont il est fait état ci-dessus. En définitive, aucune des deux entreprises cocontractantes du ministère n’a réalisé l’étude attendue qui, au surplus, porte sur le même objet.
Choix de prestataires inappropriés
L’organisation de séminaires et ateliers donne lieu, dans certains ministères, à une violation systématique de l’article 3 de l’arrêté n° 0107 du 07 janvier 2015 du ministre de l’Economie, des Finances et du Plan relatif aux modalités de mise en œuvre des procédures de demande de renseignements et de prix en application de l’article 78 du Code des Marchés publics. Les dispositions dudit article imposent, aux autorités contractantes, de s’assurer que les candidats ont la capacité d’exécuter le marché, dans le cadre d’une concurrence réelle.
L’examen de bon nombre de dossiers consultés a révélé le choix récurrent de structures n’ayant aucune capacité technique pour offrir des prestations de consultance, d’hébergement ou de restauration. Au lieu de s’adresser à des cabinets et experts ayant des références ou à des structures hôtelières, les autorités contractantes consultent et sélectionnent des entreprises individuelles ou groupements d’intérêt économique dont l’objet social éclectique témoigne de l’absence de compétence distinctive. Le recours à ces entités procède de leur capacité à préfinancer les activités des autorités contractantes.
Prise en considération de structures existantes
Le décret n° 2013-139 du 17 janvier 2013 portant création de la Délégation à l’organisation du XVème Sommet de la Francophonie ne donne pas de précisions particulières sur les missions qui lui sont dévolues.
L’examen combiné des dispositions dudit décret et de celles du décret n° 2013-600 du 8 mai 2013 modifiant et complétant certaines dispositions du premier décret, permet de circonscrire la mission de la DGF à la préparation et à l’organisation du XVème Sommet de la Francophonie, notamment dans ses dimensions matérielles, scientifiques et culturelles.
A cette mission est venue, cependant, s’ajouter celle de la construction du Centre international de Conférence Abdou Diouf (CICAD). En l’absence d’un mandat explicite lui conférant cette mission, il peut être considéré que la DGF a pris en charge cette opération en application des dispositions de l’article 8 du décret n° 2013-139 du 17janvier 2013 susvisé qui prévoit, en son alinéa 5, que le Délégué général est chargé, en sus de ses attributions, de la mise en œuvre de toutes autres directives du Président de la République.
En somme, il fallait, entre le 17 janvier 2013, date de création de la DGF et le 29 novembre 2014, date programmée pour l’ouverture du Sommet, soit moins de vingt-quatre (24) mois, mettre en place les organes et les structures de la Délégation, recruter le personnel et faire exécuter un budget estimé à plus de quarante-deux milliards (42 000 000 000) de francs CFA. Sur la même période, il fallait aussi assurer le suivi de la construction du CICAD, pour un coût évalué, à cette époque, à plus d’une cinquantaine de milliards de francs CFA. Au total, la DGF devait, ainsi, exécuter, sur une période de deux ans, un budget de près d’une centaine de milliards de francs CFA.
Il convient de préciser, à ce titre, que même si le centre de conférences a été construit en mode clé en main, il revenait à la DGF, en tant que maître d’ouvrage, de mettre en place tout le dispositif de suivi, de procéder au paiement, de réceptionner les travaux et de mettre en service le complexe.
Or, des structures dédiées à ce type d’opérations pouvaient être mises à contribution. Il s’agit, notamment, de l’Agence de Promotion des Investissements et des Grands Travaux (APIX), qui a finalement été retenue comme Maître d’ouvrage délégué (MOD), mais aussi et surtout de l’Agence de Construction des Bâtiments et Edifices publics (ACBEP).
En effet, le décret n° 2011-657 du 1er juin 2011 portant création, organisation et fonctionnement de l’ACBEP précise, en son article 2, ses missions, qui sont, notamment, la conduite des projets et travaux de construction de l’État, le pilotage des études techniques, y compris les études de faisabilité pour tous les projets de construction de bâtiments de l’État, ainsi que la préparation des dossiers de recherche de financement y relatifs.
Il sied de faire remarquer que même la mission confiée à l’APIX, par décision du Premier ministre, incombait à l’ACBEP, en vertu de l’article 2, in fine du décret considéré qui précise que l’Agence est chargée, sauf dérogation, de la maîtrise d’ouvrage déléguée des projets de construction dans le cadre de conventions particulières de financement pouvant lier l’État à des bailleurs de fonds.
Si la décision du Premier ministre susmentionnée peut être considérée comme ayant été prise sur la base de la dérogation prévue en la matière, il reste constant que les missions assignées à l’ACBEP font de cette dernière l’organisme compétent, incontournable dans le montage de projets tel que celui de la construction du CICAD.
L’IGE considère qu’il convient de mettre en place un dispositif de coordination entre les départements ministériels et organismes publics intervenant dans la conduite des projets et travaux de construction de l’État, en tenant compte des missions dévolues, en la matière, à l’Agence de Construction des Bâtiments et Edifices publics (ACBEP) et de rappeler aux ministres et dirigeants des organismes publics lesdites missions.
Nomination des présidents
Les dispositions du décret n° 2013-139 du 17 janvier 2013 portant création de la DGF, modifié, indiquent que « la Présidence du Conseil d’orientation est assurée par le ministre chargé de la Culture ».
Ces dispositions posent la question de la pertinence de la nomination de ministres comme présidents d’organe délibérant. En effet, en dehors de la question de leur disponibilité, leur responsabilité ne peut être engagée devant les juridictions de droit commun, quant aux actes qu’ils posent comme président d’un organe délibérant.
En effet, les dispositions de l’article 29 du décret n° 2011-1048 du 27 juillet 2011 portant Code des Marchés publics, alors en vigueur, précisent que les marchés des établissements publics et des agences et certains autres organismes sont approuvés par le Président du conseil d’administration ou de l’organe délibérant, lorsque le montant du marché est égal ou supérieur à cinquante millions (50 000 000) de francs CFA mais n’atteint pas cent cinquante millions (150 000 000) de francs CFA.
Cependant, il a été constaté que le marché de l’aménagement du Village de la Francophonie, pour un montant de cent cinquante et un millions six cent vingt-cinq mille deux cent un (151 625 201) francs CFA a été approuvé par le ministre de la Culture, Président du conseil d’orientation.
Ce dernier s’est prévalu, ce faisant, des dispositions de l’article 29 du décret n° 2014-1212 du 22 septembre 2014 portant CMP, en faisant observer que le décret n° 2011-1048 du 27 juillet 2011 portant Code des marchés publics n’était plus en vigueur au moment de l’approbation du marché. Or, les dispositions transitoires du décret de 2014 précisent que « Les marchés publics pour lesquels une consultation a été engagée ou un avis d’appelpublic à la concurrence publié antérieurement à la date d’entrée en vigueur du présent décret demeurent régis, pour leurpassation, par les dispositions du décret n° 2011-1048 du 27juillet 2011 ».
En conséquence, il a outrepassé ses attributions et a enfreint la réglementation en vigueur concernant les marchés publics. Ce fait est retenu comme punissable par la loi organique n° 2012-23 du 27 décembre 2012 sur la Cour des comptes, notamment en son article 57-7.
Toutefois, l’analyse des dispositions de l’article 56 de la même loi organique laisse apparaître que les ministres ne sont pas justiciables devant la Chambre de Discipline financière. Il est à préciser, par ailleurs, que selon l’article 101, alinéa 2 de la Constitution, ces derniers sont jugés par la Haute Cour de Justice pour les « …actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés de crimes ou délits au moment où ils ont été commis … ».
Cette situation rend, dès lors, impossible de mettre la faute sur le compte de celui qui l’a commise, entraînant ainsi sa non-imputabilité. Cette irresponsabilité est d’ailleurs étendue par les dispositions de l’article 58 de la même loi organique, qui soustraient des sanctions susceptibles d’être prononcées par la Chambre de discipline financière, sans aucune suite, les personnes qui excipent un ordre écrit, préalablement donné par un ministre.
L’IGE préconise qu’à l’avenir les présidents de l’organe délibérant d’entités publiques ne soient pas sous le poids de responsabilités qui les empêchent d’assumer pleinement leurs attributions ou qui, par leur statut, ne répondent pas des fautes commises dans l’exercice de la fonction. S’agissant en particulier des ministres, il conviendrait d’initier une réflexion sur les modalités de mise en jeu de leur responsabilité pour des fautes qui leur sont imputables.
Rémunérations versées sans base réglementaire
Nonobstant les dispositions précitées, il a été relevé aux MSAD que les émoluments de l’adjoint du directeur général et du vice-président du conseil d’administration ne sont fixés par aucun texte. A la DGF, il a été observé que la rémunération du délégué général adjoint n’est basée sur aucun acte réglementaire. Elle aurait été fixée sur la base d’un accord verbal, qui n’a pas été suivi d’une matérialisation officielle.
De surcroît, les rémunérations des personnels de la DGF ont été fixées par le délégué général, en l’absence de délibération du conseil d’orientation, en violation des dispositions de l’article 18 du décret n° 2009-522 du 4 juin 2009 qui définissent les modalités de fixation de la rémunération des personnels des entités considérées et des autres structures similaires. Elles indiquent, à cet effet, que « la grille des rémunérations des personnels ainsi que les attributions de primes ou de gratification sont approuvées par le conseil de Surveillance ».
Il a été noté, dans les éléments constitutifs des traitements alloués au personnel, des montants particulièrement élevés dans les rubriques « sursalaires » et « indemnités de responsabilité ». A titre illustratif, après avoir bénéficié d’un sursalaire et d’une indemnité de responsabilité, certains agents ont vu leur salaire de base multiplié par dix (10) et, pour d’autres, par vingt (20).
L’IGE recommande qu’il soit demandé aux dirigeants des agences et autres structures administratives similaires de se conformer à l’obligation de disposer d’une grille de rémunération approuvée par l’organe délibérant.
Défaut ou indisponibilité de pièces justificatives
A l’ONPN, ont été relevées des dépenses sans bon de commande, sans facture ou bordereau de livraison, pour un montant total de vingt millions cinq cent quatre-vingt-cinq mille huit cent soixante-quatorze (20 585 874) francs CFA.
En outre, sur les gestions 2010 et 2011, il a été noté l’absence de preuve de la remise, à leurs bénéficiaires potentiels, de foumitures déclarées avoir été distribuées à des pupilles de la Nation et le défaut de justification de dépenses d’un montant de huit millions quatre cent quatre-vingt-deux mille huit cent onze (8 482 811) francs CFA.
Par ailleurs, sur la destination des subventions, il a été constaté que :
- l’ONPN n’a aucune preuve de la légalité de la représentativité des personnes déclarées tutrices des pupilles ;
- les signataires des états de paiement des allocations aux pupilles sont quelquefois différents des personnes déclarées tutrices.
S’agissant de la DGF, dissoute par décret n° 2015-1868 du 10 décembre 2015, il a noté qu’à défaut de nomination d’un liquidateur, tous les documents administratifs, techniques et financiers, à l’exception des documents et pièces comptables, ont été répertoriés et stockés dans divers sites.
Quant aux pièces comptables, elles ont été déposées à la Cour des Comptes, en même temps que le compte de gestion. C’est ainsi que l’agent comptable a expliqué l’impossibilité dans laquelle il se trouvait de mettre, à la disposition de la mission de l’IGE, les pièces justificatives des dépenses.
Sous-évaluation de l’actif
Le bilan de la DGF, arrêté au 06 août 2015, affiche un total d’actifs immobilisés de vingt-huit milliards deux cent soixante-quatorze millions six cent quatre mille quatre cent quatre-vingt-six (28 274 604 486) francs CFA, dont vingt et un milliards six cent cinquante-deux millions huit cent quarante et un mille quatre cent soixante-sept (21 652 841 467) francs CFA se rapportent aux bâtiments.
Or, le montant du marché de conception et de construction du CICAD qui lie la DGF et l’entreprise attributaire porte, à lui seul, la valeur des immobilisations corporelles à plus de cinquante et un milliards (51 000 000 000) de francs CFA. L’écart ainsi constaté, entre la valeur réelle des immeubles et la valeur comptabilisée, montre que les états financiers ne donnent pas une image fidèle du patrimoine.
Assiette foncière non valorisée
L’assiette foncière du CICAD, d’une superficie de cinquante-huit (58) hectares, n’a pas été valorisée et inscrite à l’actif du bilan de la DGF comme élément de patrimoine. Or, en vertu des dispositions du chapitre 2 des annexes de l’AUCE, le compte « 22 » du classement et de la codification des comptes de l’OHADA « enregistre la valeur des terrains dont l’entreprise est propriétaire et de ceux qui sont mis à sa disposition par des tiers ».
Par ailleurs, pour faire suite à l’identification de besoins complémentaires de salles de travail, de salles d’attente et autres commodités, la DGF a acquis, par le biais de l’entreprise R.A, un chapiteau de 2 400 m2, d’un montant, hors taxes hors douanes, de quatre cent six millions sept cent vingt mille francs (406 720 000) francs CFA. Ce matériel ne figure pas à l’actif du bilan de la DGF, en violation des principes et normes comptables.
La non-comptabilisation de ce matériel vient, aussi, en atteinte aux conditions qui ont présidé à son admission en franchise de droits et taxes d’entrée. En effet, le ministre de l’Economie, des Finances et du Plan, en accordant cette franchise, faisait savoir, par lettre du 16 octobre 2014, que le matériel considéré devait « figurer dans la comptabilité matières de la Délégation générale de la Francophonie ». Cette condition posait, explicitement, le principe de l’enregistrement du chapiteau dans l’actif de la DGF.
Exonération d’éléments d’actif non comptabilisés
L’entreprise S. a bénéficié de l’exonération de tous droits et taxes sur les fournitures et matériels utilisés pour la construction et l’équipement du CICAD. Cette exonération a été faite, suivant la procédure de régularisation, par chèque du Trésor. Ce qui signifie que c’est l’État du Sénégal qui, en dernière instance, a supporté les droits.
La valeur déclarée en douane par cette entreprise, au titre du projet, fait un total de trente milliards quatre cent quarante millions trois cent quatre mille quatre cent cinq (30 440 304 405) francs CFA. Les droits et taxes qui ont fait l’objet de régularisation par la Direction de l’investissement, par chèque du Trésor, ont été arrêtés à onze milliards sept cent soixante et un millions huit cent soixante-sept mille deux cent cinquante-cinq (11 761 867 255) francs CFA.
Ce montant n’a pas été pris en charge dans la comptabilité de la DGF, alors qu’il entre dans le coût de revient des immobilisations considérées, en application de l’article 37 de l’AUCE. L’IGE fait observer que la non-prise en compte dans les états financiers de certains éléments d’actifs ou leur sous-évaluation, notamment s’agissant du patrimoine foncier, peut induire une mauvaise appréciation de la valeur réelle d’une entité, en cas de cession.
EXÉCUTION BUDGÉTAIRE: Cas du Programme de Gestion des Déchets solides urbains de la région de Dakar (PGDSU)
Les manquements constatés concernent l’ouverture non autorisée d’un compte bancaire, la violation des règles en matière de paiement par billetage, le défaut de précompte ou de reversement de la TVA, ainsi que le besoin d’évaluation des coûts des activités et d’optimisation des ressources financières du programme. L’article 5 de l’arrêté de création de l’UCG prévoit l’ouverture d’un compte de dépôt au Trésor et d’un compte bancaire au nom de cette structure, pour recevoir ses ressources financières.
Toutefois, cet article ne spécifie pas les opérations devant être imputées sur chaque compte. En pratique, les ressources du compte de dépôt servent au paiement des entreprises chargées de la collecte des déchets, ainsi qu’au règlement des obligations fiscales et sociales de l’UCG, alors que le compte ouvert dans une banque commerciale de la place, crédité à partir du compte de dépôt, sert au règlement des salaires et des menues dépenses.
Il convient, cependant, de relever que ce compte bancaire a été ouvert sans l’autorisation préalable du ministre de l’Économie, des Finances et du Plan, en violation de l’article 126 du Règlement général sur la Comptabilité publique. Il a été constaté la violation récurrente des dispositions du Règlement général sur la Comptabilité publique et de l’instruction n° 030/MFAE/DGT/DCP du 04 février 1974 fixant les règles en matière de paiements collectifs par des billeteurs.
L’exploitation des relevés des comptes bancaires ouverts par l’UCG et l’Entente CADAK-CAR a permis de noter que plusieurs chèques ont été émis au nom d’agents de ces entités qui ont ainsi retiré d’importantes sommes d’argent. Au total, entre 2012 et 2015, huit (08) employés ont retiré un total de sept cent quatre-vingts millions huit cent quarante et un mille huit cent deux (780 841 802) francs CFA.
Saisis, pour se justifier, les concernés confirment avoir effectué ces opérations sur instructions du Directeur général de l’Entente ou du Coordonnateur de l’UCG. Ces sommes ont servi à payer essentiellement des journaliers, mais aussi à prendre en charge des dépenses de natures diverses : achat de fournitures et de carburant, remboursement de frais de transport, subvention à un syndicat de travailleurs du nettoiement, etc.
A ce titre, les intéressés se sont érigés en comptables de fait, au risque d’engager leur responsabilité devant la Cour des comptes. De surcroît, le paiement de ces journaliers ne pouvait être effectué que par un billeteur régulièrement nommé et sous la supervision d’une commission de paie, conformément aux dispositions de l’Instruction n° 030/MFAE/DGT/DCP du 04 février 1974.
Il ressort de l’Instruction précitée qu’une commission de paie doit être créée, lorsque cette modalité de paiement est employée. Composée du chef de service ou de son représentant dûment habilité, du billeteur et d’un représentant lettré du personnel, désigné sur décision du chef de service, elle assiste obligatoirement aux séances de paiement avec les ayants droit, pour veiller à la régularité des opérations. Les membres de cette commission ont qualité de témoin, pour certifier les paiements effectués à des illettrés.
Aucune commission de paie n’a été mise en place à l’Entente CADAK-CAR. Pour l’UCG, la commission « billetage » qui en fait office, créée par Note de service du 03 août 2016, est irrégulière.
EXÉCUTION BUDGÉTAIRE: Cas du Programme de renforcement et de consolidation des acquis (PRCA)
Les aspects traités sont relatifs à des manquements dans la gestion des ressources financières et au financement d’activités non prévues dans la convention de financement. En application des clauses de la convention de financement, le partenaire technique et financier a transféré dans le compte principal du PRCA « PRCA Compte principal », ouvert dans une banque de la place et mouvementé par le Directeur de l’Investissement, un montant de six milliards huit cent quatre-vingt-sept millions cinq cent quarante-neuf mille deux cent trente-cinq (6 887 549 235) francs CFA.
Par ailleurs, le Directeur de l’Investissement, sur autorisation du ministre de l’Économie, des Finances et du Plan, a ouvert un deuxième compte principal dans une autre banque, dans lequel il a transféré, le 31 janvier 2014, le solde créditeur du compte « PRCA Compte principal » qui se chiffrait à deux milliards deux cent trente-deux millions trente-quatre mille trois cent trente-six (2 232 034 336) francs CFA.
Ce compte a également reçu, sur instruction du ministre précité, la dernière tranche du financement qui s’élevait à un milliard cinq cent quatre-vingt-six millions deux cent sept mille trois cent trente-cinq (1 586 207 335) francs CFA.
A ce propos, il est important de noter que le ministre de l’Économie, des Finances et du Plan avait adressé, le 24 novembre 2014, au partenaire technique et financier, une lettre par laquelle il lui demandait de faire virer la dernière tranche du financement sur un compte qui, après vérification par le bailleur, s’est révélé appartenir à un consortium privé.
Le partenaire n’a pas manqué de dénoncer la clôture du compte « PRCA Compte Principal » et l’ouverture d’un autre compte principal dans un autre établissement, sans concertation préalable. Ce dernier compte a ainsi reçu globalement un montant de trois milliards huit cent dix-huit millions deux cent quarante et un mille six cent soixante et onze (3 818 241 671) francs CFA.
Cette situation aurait dû être évitée, au regard de l’image du Sénégal auprès de ses partenaires techniques et financiers. La politique de gestion des fonds publics logés dans les banques, évoquée par le ministre chargé des Finances, ne peut justifier la clôture, à quelques mois de la fin du PRCA, du compte principal qui, jusqu’à cette période, avait normalement fonctionné.
Au demeurant, afin d’éviter de tels errements, le projet de convention de financement aurait pu prévoir l’ouverture du compte principal PRCA à la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), sous forme de compte spécial au nom du Trésorier général, Agent comptable central du Trésor, à charge pour ce dernier d’approvisionner, suivant des conditions bien précisées, le « sous compte ministère de l’Environnement et du Développement durable » ouvert dans une banque commerciale.
Ce schéma, généralement appliqué dans le cadre de l’appui budgétaire ciblé, a l’avantage de la non-fongibilité des fonds (ils n’abondent pas le compte ordinaire du Trésorier général) et de la traçabilité. Cette démarche a également l’avantage d’être conforme aux dispositions de l’article 125 du décret n° 2011- 1880 du 24 novembre 2011 portant Règlement général sur la Comptabilité publique relatives à la domiciliation bancaire des fonds publics et des ressources extérieures mobilisées au titre des projets.
Source photo : Sec.gov.sn