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Établissement public, à dimension interministérielle, placé sous la tutelle du Premier ministre, l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) a pour mission de promouvoir la culture de défense, de participer au renforcement de la cohésion nationale, et de contribuer au développement d’une réflexion stratégique portant sur les enjeux de défense et de sécurité.
Ce document est rédigé par Aurélie Vittot, docteure en science politique du Département des études et de la recherche.
Site de l’organisation : https://ihedn.fr/
Date de publication : novembre 2022
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En plus d’être perçue, dans la réalité comme dans les fantasmes, comme étant la terre de toutes les abondances, particulièrement en ressources naturelles, l’Afrique représente plus du quart de l’Assemblée générale des Nations-Unies. De bons arguments pour être la convoitise des grandes puissances. Par conséquent, dans un contexte de difficultés financières liées à la pandémie de Covid-19, d’isolement croissant et la crise ukrainienne, Moscou cherche à retrouver ses appuis sur le renouvellement des accords avec ses anciens alliés depuis la Guerre froide et à travers la signature de nouvelles alliances. Ce document revient sur la genèse de l’expansion russe en Afrique depuis son retour sur le continent vers les années 2000 en commençant par l’Afrique du Nord pour ensuite consolider la stratégie en Afrique centrale. Le schéma russe se dessine particulièrement à travers les accords militaires, la vente d’armes et plus récemment, la diversification de la structure des échanges a privilégié les secteurs de haute technologie. Ce rapport est très intéressant dans la mesure où il démontre comment la politique russe en Afrique s’érige comme instrument de compétition avec les États-Unis et l’Europe.
On parle le plus souvent de la politique russe en Afrique en termes de présence de sociétés militaires privées (ex. : Wagner) ou de signatures de partenariats stratégiques et d’accords de défense. Nos pays ne devraient pas perdre de vue que ces partenariats se nouent sur fond de compétitions stratégiques avec d’autres puissance notamment les Etats-Unis et la France. Cette idée se justifie par le fait que la nouvelle doctrine de politique étrangère, approuvée par Vladimir Poutine le 5 septembre 2022, est fondée sur le concept de « monde russe ». Dans ce paradigme, la Russie cherche à accroître sa coopération avec les pays slaves, la Chine et l’Inde, et doit renforcer ses liens avec le Moyen-Orient, l’Amérique latine et l’Afrique. Donc l’Afrique n’est pas la priorité. Comme il s’agit d’une rivalité et d’expansion des influences, ces pays usent de méthodes d’influence médiatique et des opérations de désinformation. Par conséquent, nos pays, juste pour des raisons de souveraineté devraient veiller à mieux contrôler les outils médiatiques. Enfin, quel que soit le partenaire et ce qu’il offre, il ne faudra pas qu’on ait la maladresse de négliger les principes de liberté et des droits humains pour les populations de la région.
Ces extraits proviennent des pages : 3-7, 8-9, 10-15
Déjà sanctionnée lors de l’annexion de la Crimée en 2014, la Russie de Vladimir Poutine est, depuis l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022, confrontée à un isolement croissant de la part des États
occidentaux, Europe et États-Unis en tête. Dans ce contexte, couplé aux difficultés financières liées à la pandémie de Covid-19, Moscou cherche à se repositionner sur le continent africain à travers le renouvellement de partenariats initialement établis lors de la Guerre froide et la signature de nouveaux accords. « Avec ses ressources naturelles abondantes et proches de l’Europe, ses 54 voix à l’Assemblée générale des Nations unies […], l’Afrique est une arène attractive pour la Russie au sein de laquelle elle peut poursuivre ses objectifs pour des coûts économiques et politiques limités », estimaient, en mars 2022, les auteurs d’un rapport du Tony Blair Institute for Global Change consacré aux sphères d’influence russes en Afrique. En témoigne l’abstention de 16 États africains lors du vote du 2 mars 2022 à l’Assemblée générale des Nations unies de la résolution exigeant le retrait des forces russes d’Ukraine. La résolution demande à Moscou de retirer « immédiatement, complètement et sans condition toutes ses forces militaires » d’Ukraine et « condamne la décision de la Russie d’accentuer la mise en alerte de ses forces nucléaires ».
Marqueur du succès de la diplomatie russe en Afrique, le soutien de certains régimes africains à l’ONU illustre également la dépendance aux céréales russes de nombreux pays africains
Le 12 octobre 2022, l’Assemblée générale de l’ONU a condamné à une large majorité « la tentative d’annexion illégale des régions ukrainiennes de Louhansk, de Donetsk, de Kherson et de Zaporijjia » à la suite de « soi- disant référendums » jugés « illégaux ». Le texte appelle à ce qu’aucun État ne reconnaisse ces annexions et réclame le retrait immédiat des troupes russes entrées en Ukraine le 24 février. L’Assemblée générale des 193 États membres a adopté cette résolution avec 143 voix pour, face à cinq pays contre (Russie, Biélorussie, Syrie, Corée du Nord et Nicaragua) et 35 qui se sont abstenus. Le Nicaragua, qui subit des critiques toujours plus vives de la communauté internationale en matière de droits humains, s’était abstenu lors du précédent vote en mars et a, cette fois-ci, fait un pas vers Moscou. Le choix de l’abstention – la Chine, l’Inde, le Pakistan et l’Afrique du Sud figurent parmi les principaux pays qui ont refusé de prendre une position claire – apparaît comme une volonté de ne pas froisser Moscou. À l’inverse, il peut traduire une prise de distance vis-à-vis de la stratégie russe, comme pour l’Érythrée, qui avait soutenu la Russie en mars et s’est, cette fois-ci, abstenue. Par rapport au vote de mars condamnant l’invasion de l’Ukraine, l’opposition à la Russie s’est très légèrement renforcée, avec trois nouvelles voix contre Moscou. Le Bangladesh, l’Irak et le Sénégal, qui s’étaient abstenus en mars, ont condamné les actes russes. Le Brésil et le Gabon ont également soutenu cette résolution, après s’être abstenus sur ce même texte, fin septembre, lors d’un vote bloqué au Conseil de sécurité par un veto russe.
Marqueur du succès de la diplomatie russe en Afrique, le soutien de certains régimes africains à l’ONU illustre également la dépendance aux céréales russes de nombreux pays africains. La décision prise par la Russie le 10 mars 2022 de suspendre ses exportations agricoles – en réponse aux sanctions occidentales – ne sera en effet pas sans conséquences pour le continent africain, déjà durement affecté par les conséquences du changement climatique, les conflits et la Covid-19.
Le retour progressif de la Russie sur le continent africain, une nécessité face à la crise financière de 2008 et aux sanctions occidentales imposées depuis 2014
Dans les années 1970-1980, le continent africain devient un théâtre significatif, bien que périphérique, de l’affrontement est-ouest. Le Kremlin tente alors de promouvoir son influence en Somalie, puis en Éthiopie, avant de se tourner vers l’Afrique australe à la faveur du démantèlement de l’empire portugais et du déclenchement de la lutte antiapartheid. L’engagement soviétique est particulièrement fort en Angola, où plus de dix mille militaires sont envoyés en mission à partir de 1975. Confronté à une guerre civile dès le départ de la puissance coloniale portugaise, l’Angola devient un terrain de bataille à distance entre le bloc communiste – qui soutient le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA) – et celui des États-Unis et de leurs alliés – qui appuient l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita). Ce conflit durera 27 ans et fera près d’un million de morts et quatre millions de déplacés.
Vers la fin du mandat de Dmitri Medvedev (2008-2012), la politique africaine de la Russie commence à s’institutionnaliser. Ainsi, en mars 2011, le président russe nomme un représentant spécial pour la coopération avec l’Afrique
Toutefois, dans le cadre de la normalisation des rapports avec l’Occident initiée au milieu des années 1980, l’Afrique est la région du monde où le retrait décidé par Mikhaïl Gorbatchev est le plus rapide et le plus visible. Après l’effondrement de l’URSS, les dirigeants russes – à l’instar de Boris Eltsine – considèrent que le continent africain est source d’aventures géopolitiques coûteuses et préfèrent concentrer leurs efforts sur les transformations internes à la Russie. Ils décident en conséquence de la fermeture de neuf ambassades, de quatre consulats et de treize centres culturels dès 1992. En 1993, les échanges commerciaux avec l’Afrique représentent moins de 2 % du commerce extérieur du pays. Paradoxalement, le retrait soviétique survient alors que de nombreux acteurs internationaux, tant politiques qu’économiques, commencent à s’implanter sur le continent.
Les premiers signes d’un regain d’intérêt pour l’Afrique remontent au début des années 2000 et coïncident avec l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine. Lors de sa visite officielle en Russie en 2001, le président algérien Bouteflika signe une déclaration de partenariat stratégique – le premier traité de ce type signé par la Russie avec un État africain. En 2006, après trente ans sans visite d’un dirigeant russe important en Algérie, Vladimir Poutine signe un accord avec ce pays et annule sa dette (estimée à 4,7 milliards de dollars) contre la signature d’un contrat d’armement d’un montant de 7,5 milliards de dollars. La même stratégie est adoptée vis-à-vis de la Libye en 2008 : la Russie annonce l’annulation d’une dette de plus de 4 milliards de dollars contre un contrat ferroviaire de grande ampleur et des facilités d’installation pour Gazprom. L’influence de Moscou en Libye restera constante, voire croissante, et explique l’implication de la Russie dans le conflit libyen actuel et la présence d’opérateurs de la société militaire privée Wagner, fondée par l’oligarque russe Evgueni Prigojine. Au plus fort de la bataille de Tripoli en 2019, le nombre de mercenaires russes aurait oscillé entre 1 000 et 2 000. En janvier 2020, Wagner aurait en sus envoyé entre 1 000 et 3 000 mercenaires syriens pro régime, recrutés, convoyés et rémunérés par ses soins. La Libye représente, aux yeux de Moscou, une porte d’entrée sur le continent africain, lui permettant de pérenniser sa présence au Soudan, au Mozambique, en Centrafrique ou à Madagascar.
Vers la fin du mandat de Dmitri Medvedev (2008-2012), la politique africaine de la Russie commence à s’institutionnaliser. Ainsi, en mars 2011, le président russe nomme un représentant spécial pour la coopération avec l’Afrique. Les liens commerciaux entre la Russie et l’Afrique se développent rapidement, le volume des échanges bilatéraux passant de 9,9 milliards de dollars en 2013 à près de 20 milliards en 2018 selon le service des douanes russes.
Pour pallier les effets des sanctions imposées suite à l’annexion de la Crimée en 2014, la Russie s’investit de plus en plus en Afrique. En Égypte par exemple, la Russie profite du désengagement américain consécutif aux printemps arabes pour se rapprocher du président Al-Sissi élu en 2014 et signer un contrat d’armement de 3,5 milliards de dollars. D’autres accords viennent ensuite lier les deux États : traités de coopération militaires (fourniture d’armement et formation), accord pour la construction de la première centrale nucléaire égyptienne, exportations de céréales, etc. En 2019, les deux pays signent un contrat, qui prévoit la livraison d’avions de combat russes Su-35 à l’Égypte. Les États-Unis mettent alors en garde leur partenaire égyptien et agitent la menace de sanctions, au titre de la loi Caatsa, qui permet de sanctionner toute entité faisant affaire avec l’industrie russe de l’armement.
Si l’Afrique du Nord (Algérie, Libye et Égypte notamment) constitue bien le point d’entrée de la Russie sur le continent, elle n’est plus aujourd’hui le seul point d’ancrage de Moscou en Afrique. L’étude de la présence russe en République centrafricaine, à Madagascar, en Angola et au Soudan témoigne de l’évolution de la stratégie de la Russie en Afrique. Depuis 2017, l’accent est mis sur l’approfondissement de la coopération sécuritaire d’une part, par la signature d’accords de défense et le déploiement de sociétés militaires privées, et sur l’influence médiatique d’autre part. Cette formule s’avère particulièrement attractive pour un certain nombre de régimes africains souhaitant se maintenir au pouvoir. Des accords conclus avec le Mozambique et le Soudan ont par exemple pour objet de faciliter l’entrée de navires militaires russes dans les ports des deux pays. Deux accords avec la République centrafricaine et le Soudan prévoient même une coopération renforcée allant jusqu’à la création d’une représentation du ministère russe de la Défense au sein des structures homologues du pays signataire. Au fil des années, la Russie a réussi à s’imposer comme un acteur central sur le continent, en offrant notamment une assistance en matière de sécurité moins exigeante que l’Occident (droits humains et gouvernance). Moscou a ainsi fourni 28 % des armes aux pays d’Afrique subsaharienne entre 2008 et 2017, devant la Chine (24 %), l’Ukraine (8,3 %) et les États-Unis (7,1 %). Il est intéressant de souligner que la Chine comme la Russie n’hésitent pas à vendre des armes à des pays sous embargo, comme le Soudan et le Sud-Soudan, contribuant ainsi à alimenter les conflits africains.
A contrario, Moscou a souhaité s’associer en 2008 à l’opération militaire de l’Union européenne au Tchad et en République centrafricaine (opération Eufor Tchad/RCA). Devant les violences constatées dans la région du Darfour, le Conseil de l’Union européenne a adopté le 15 octobre 2007 une action commune prévoyant une opération militaire de transition au Tchad et en République centrafricaine. Lancée le 28 janvier 2008, l’opération Eufor Tchad/RCA a pour objectifs d’améliorer la sécurité dans l’est du Tchad et dans le nord-est de la République centrafricaine, de contribuer à la protection des réfugiés et des personnes déplacées et de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire.
La Russie cherche néanmoins à diversifier la structure de ses échanges en privilégiant les secteurs de haute technologie. Elle se positionne par exemple sur le marché des lancements de satellites, pour le compte de l’Angola, en 2017, mais aussi de la Tunisie, à partir de 2020. Dans le domaine du nucléaire civil, Rosatom a multiplié les accords avec des pays primo-accédants sur la mise en place de filières, par exemple en Zambie, au Soudan ou au Rwanda. La Russie est également très active dans le domaine de la coopération sanitaire, en témoigne l’organisation de campagnes de vaccination contre le virus Ebola ou l’exportation de traitements contre la Covid-19.
Le sommet de Sotchi en 2019, la consécration du retour de la Russie en Afrique
Le premier sommet Russie-Afrique, qui a réuni à Sotchi en octobre 2019 une quarantaine de chefs d’État africains, a été perçu en Occident comme la consécration du retour de Moscou sur le continent africain. Ce sommet s’est conclu par la proclamation d’objectifs ambitieux (doublement des échanges commerciaux d’ici à 2024) et la signature de plusieurs traités bilatéraux. La déclaration finale fait état de « 92 accords, contrats et protocoles d’accord […] d’une valeur totale de 1 400 milliards de roubles ». Afin de se démarquer de la Chine, accusée d’entraîner l’Afrique dans le surendettement, Moscou met en avant sa politique d’effacement de la dette, héritée de l’époque soviétique, et sa volonté de fonder une coopération équilibrée, respectueuse de la souveraineté des États africains.
Au cours des cinq dernières années, la Russie a ainsi signé des accords avec une vingtaine de pays, les plus récents étant ceux avec le Mali (juin 2019), la République du Congo (mai 2019) et Madagascar (octobre 2018). Ces accords prévoient la formation d’officiers à Moscou – levier traditionnel d’influence russe en Afrique –, la livraison de matériels militaires ou la maintenance d’équipements déjà en dotation, des exercices communs, la lutte contre le terrorisme et la piraterie maritime – ces composantes variant en fonction de la situation des pays et de leurs préoccupations. Si l’ouverture de bases militaires permanentes en Afrique n’est pas à l’ordre du jour, la Russie relance en mars 2022 un projet de base navale au Soudan, qui lui offrirait un accès stratégique à la mer Rouge. Ce projet, qui devait permettre d’accueillir 300 hommes et jusqu’à quatre navires de guerre, remonte en réalité à 2017 mais il a été suspendu suite à la chute d’Omar El-Béchir en 2019. Le coup d’État du général Al-Burhane en octobre 2021 et le retour au pouvoir d’une junte militaire ont rebattu les cartes, recréant des conditions favorables à une coopération renforcée avec la Russie. Déjà opposés à l’implantation de la Russie à Djibouti, les États-Unis s’inquiètent de la perspective d’ouverture d’une base navale russe au Soudan. Les monarchies arabes du Golfe, également très actives dans la Corne de l’Afrique, jouent aussi de leur influence pour limiter l’implantation de la Russie dans la région.
Outre le volet militaro-sécuritaire, le plus grand succès de la Russie en Afrique est d’avoir amélioré la perception de son rôle et de son influence médiatique et informationnelle par le biais d’opérations de désinformation. La BBC a par exemple enquêté sur des ingérences russes lors des élections malgaches et ainsi identifié des procédés similaires à ceux employés lors du Brexit ou des élections présidentielles américaines de 2016. Cette politique de désinformation s’appuie notamment sur certains médias d’État comme RT et Sputnik, qui sont parvenus à s’imposer comme des sources à l’audience significative dans de nombreux pays. Leur ligne éditoriale insiste sur l’absence de passé colonial russe en Afrique et sur une coopération pragmatique sans contreparties en termes de gouvernance interne et de démocratisation.
La Russie, qui mène en Afrique une « guerre hybride » alliant moyens conventionnels et non-conventionnels, est de nouveau considérée comme un acteur capable d’offrir à ses partenaires africains une coopération économique et sécuritaire. Moscou est aujourd’hui susceptible de représenter une « troisième voie » diplomatique entre les Occidentaux – généralement perçus comme intrusifs sur la question des droits humains – et les Chinois – dont beaucoup dans la région souhaiteraient desserrer l’étreinte. En novembre 2018, 37 des 55 pays de l’Union africaine avaient déjà signé un accord BRI (Belt and Road Initiative) avec la Chine.
L’Afrique, un nouvel espace majeur de compétition stratégique
De nouveau perçue comme un espace majeur de compétition, l’Afrique aiguise l’appétit des grandes puissances non européennes comme les États-Unis, la Chine et la Russie, qui cherchent à sécuriser l’accès aux ressources stratégiques nécessaires à leur croissance économique. Ces puissances investissent le continent africain par le biais de financements et d’accords diplomatiques, la construction de bases logistiques et l’exercice de leur soft power. Les trois États s’engagent activement sur la voie de la coopération militaire, par le biais de ventes d’armes, mais aussi de formations et d’exercices conjoints avec leurs partenaires africains. Ils y conduisent également des opérations militaires, significatives et coercitives pour ce qui est des États-Unis, avant tout engagés en Afrique au titre du contre-terrorisme. Dans la stratégie africaine de la Maison-Blanche, présentée en décembre 2018, deux objectifs sont clairement identifiés : « contrer la menace du terrorisme radical islamique et les conflits violents » et « contrôler ou contenir les présences chinoises et russes ». Washington est aujourd’hui engagé à l’échelle du continent dans trois conflits : en Somalie, au Sahel et en Libye. L’intervention militaire américaine, qualifiée de light footprint depuis l’ère Obama, repose essentiellement sur l’utilisation de drones et de forces spéciales. La Chine se concentre pour sa part sur les opérations de maintien de la paix, l’évacuation de ses ressortissants en cas de crise et les opérations maritimes. L’assistance militaire chinoise est essentiellement attribuée à des pays où la Chine dispose d’intérêts économiques, comme en Angola, en République démocratique du Congo ou au Zimbabwe. Les discours récents de Xi Jinping et l’organisation de sommets sino-africains illustrent bien l’évolution de la perception chinoise, qui associe désormais étroitement développement et sécurité. Si les États-Unis demeurent l’acteur dominant en matière de sécurité sur le continent, un phénomène de rattrapage est en cours en faveur d’une influence grandissante de la Chine et de la Russie même si Moscou dispose de toute évidence de moins de ressources à dédier à ses partenaires africains que Pékin ou Washington.
Face à la Chine et à la Russie, quelle place pour la France sur l’échiquier africain ?
Si initialement le retour de la présence russe – essentiellement dans les secteurs miniers et énergétiques –, n’avait pas suscité de préoccupation particulière en Occident, puisqu’elle s’inscrivait dans l’ouverture économique du continent sur le monde, le changement de paradigme stratégique et sécuritaire modifie ces perspectives.
L’effet de rattrapage consécutif à l’effacement de l’URSS dans les années 1990 tend à s’épuiser. L’empreinte stratégique de la Russie en Afrique ne devrait en conséquence plus augmenter de manière notable d’autant que le continent africain demeure, aux yeux de Moscou, un théâtre périphérique. L’Afrique figure en dernier dans l’ordre des priorités régionales défini par le Concept de politique étrangère entériné en novembre 2016 ce qui peut expliquer l’usage quasi exclusif de mercenaires sur le terrain. La nouvelle doctrine de politique étrangère, approuvée par Vladimir Poutine le 5 septembre 2022, est fondée sur le concept de « monde russe », notion utilisée par des idéologues conservateurs pour justifier d’interventions à l’étranger pour soutenir les populations russophones. Dans ce document, il est indiqué que la Russie doit accroître sa coopération avec les pays slaves, la Chine et l’Inde, et doit renforcer ses liens avec le Moyen-Orient, l’Amérique latine et l’Afrique. Le continent africain, bien que mentionné, n’est donc pas érigé en priorité pour Moscou, qui choisit de concentrer l’essentiel de ses moyens sur le « monde russe ».
Soumise à la concurrence de nouveaux partenaires comme la Chine, la Turquie ou l’Inde mais aussi des partenaires historiques – à l’instar de la France – la Russie semble aujourd’hui disposer de moyens limités. Ses capacités financières et son influence économique subissent en outre les effets des sanctions imposées depuis 2014. Son approche combinant coopération militaire et influence médiatique est cependant peu coûteuse et permet d’avoir un maximum d’impact en engageant un minimum de moyens. Depuis plusieurs années, la Russie apparaît sur de nouveaux terrains lorsque l’opportunité s’y présente, par exemple en s’engouffrant dans le vide laissé par la chute de Mouammar Kadhafi en Libye en 2011, le désengagement de l’armée française en République centrafricaine en 2016 puis au Mali en 2022. Afin de retrouver son rang international perdu avec la chute de l’URSS, Moscou exploite les failles susceptibles de déstabiliser ou d’affaiblir les alliances des pays occidentaux.
’influence française en Afrique est ainsi directement concurrencée par la montée en puissance de ces nouveaux acteurs. Après une décennie de présence militaire française au Mali, le pays est désormais perçu comme la plate-forme russe de déstabilisation régionale tandis que le Niger et la Côte d’Ivoire, deux États proches de la France, sont régulièrement la cible d’attaques par les réseaux d’influence prorusses. À travers ces réseaux, est relayé le discours selon lequel la France soutiendrait des régimes illégitimes et corrompus, tels que la famille Gnassingbé au pouvoir au Togo depuis 1967 ou la famille Déby au Tchad. Moscou alimente, via les réseaux sociaux notamment, les ressentiments anti-français qui couvent depuis les indépendances et s’expriment de plus en plus régulièrement en Afrique de l’Ouest, comme l’illustrent les récentes manifestations organisées à Dakar (mars 2021), Niamey et Ouagadougou (septembre 2022). Un convoi militaire de Barkhane avait également été bloqué et caillassé au Burkina Faso puis au Niger fin novembre 2021.
Depuis de nombreuses années, la France redéfinit ses liens avec ses partenaires africains, le renouveau de la compétition stratégique remet en question l’influence de Paris sur le continent. En visitant le Cameroun, le Bénin et la Guinée-Bissau en juillet 2022, Emmanuel Macron entend « adresser un signal de priorité politique accordée au continent africain », selon l’Élysée. Ce déplacement de quatre jours a permis au président français de réaffirmer son « engagement dans la démarche de renouvellement de la relation de la France avec le continent africain ». En plus des dossiers agroalimentaires aiguisés par la crise ukrainienne, l’enjeu pour le chef de l’État est de repenser la présence militaire française sur le continent après le départ du Mali.
La réflexion sur la réarticulation des bases militaires françaises s’intègre ainsi dans une plus ample révision de la diplomatie d’influence sur le continent, actuellement conduite par le Quai d’Orsay. Dans ce contexte, la France poursuit sa politique visant à élargir sa palette d’outils de gestion de crise en intégrant des mesures plus larges que le volet sécuritaire, visant essentiellement l’économie, l’éducation et la santé afin de tarir progressivement les sources de recrutement des groupes armés. Le terrorisme constitue aujourd’hui la principale menace pour les ressortissants français présents en Afrique et pour les intérêts économiques de l’hexagone sur le continent. Si le modèle des opérations extérieures a largement dominé les trois dernières décennies d’engagement militaire français en Afrique, la fin de l’opération Barkhane au Mali offre à la France l’opportunité de repenser l’architecture régionale de sécurité et de clarifier la finalité de son dispositif militaire sur le continent.
Source image : https://ihedn.fr/
1 Commentaire. En écrire un nouveau
Très pertinent je suis étudiant sénégalais je veux faire une thèse dans ce domaine