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Wilhelm Hofmeister est un conseiller politique dans le domaine de la coopération internationale pour la Fondation Konrad Adenauer de l’Allemagne. Il a vécu plusieurs années en Asie et en Amérique latine et a servi comme directeur de conseil aux partis politiques et projets d’éducation politique.
La fondation Konrad-Adenauer Stiftung (KAS) est une fondation politique indépendante d’origine Allemande à but non lucratif, et vise le soutien des forces démocratiques à travers le monde.
Le Programme Régional du dialogue politique en Afrique subsaharienne a été créé dans le but de renforcer le dialogue politique avec et en Afrique. A travers nos objectifs et nos valeurs, nous voulons continuer à approfondir la coopération politique régionale et mondiale, notamment en matière de politique de développement. Avec nos partenaires, nous contribuons à un ordre international qui permet à chaque pays de se développer librement et indépendamment.
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« L’élection du gouvernement par les citoyens lors d’élections libres et équitables et la responsabilité du gouvernement envers les citoyens constituent le fondement de toute démocratie ». Parmi les éléments essentiels à la réalisation de ce pilier, il y a l’existence d’un (véritable) parti d’opposition. Donc, on ne peut pas de soucier de la démocratie sans s’intéresser aux partis politiques, à leurs fonctions et à leurs contributions. Les partis politiques jouent un rôle déterminant dans cette forme de gouvernement où la compétition politique et la participation politique sont des pierres angulaires. Il est admis alors que les partis politiques contribuent au renforcement des piliers de la démocratie car « ils incarnent et façonnent la compétition politique et sont les plus importants, et souvent les seuls acteurs des élections » ; « informent, socialisent et mobilisent les citoyens pour qu’ils participent à la vie politique, et nomment des citoyens comme candidats aux élections », et par leur travail au gouvernement ou au Parlement, « ils garantissent le respect de la loi et l’indépendance de la justice. »
L’érosion de la démocratie est une problématique identifiée un peu partout dans le monde, mais elle est particulièrement menacée en Afrique de l’Ouest en raison de l’amenuisement de l’espace civique à travers la restriction des libertés civiles telles que la liberté d’expression, de réunion et d’association, le verrouillage des élections de moins en moins libres et transparentes et les interventions militaires. Les partis politiques peuvent jouer un rôle important pour restaurer la démocratie car il regroupent et articulent les intérêts sociaux en formulant les attentes et les demandes des groupes sociaux concernant la politique. Le dialogue demeure un outil important dans ces situation de crise, si on permet aux partis d’exister et de s’exprimer car ils offrent des alternatives à la discussion politique. En allant vers de nouvelles élections législatives et présidentielles, les pays de la région ont intérêt à retenir que les partis politiques incarnent et façonnent la compétition politique et sont les plus importants, et souvent les seuls acteurs des élections. Donc, il n’y a pas de démocratie sans pluralisme.
Les extraits proviennent des pages : 1-7, 9- 12, 13-17, 163-166, 181-182, 223-224, 293-295
La démocratie et les partis au XXIe siècle
Aujourd’hui, à l’aube de la troisième décennie du XXIe siècle, la démocratie est la forme la plus courante d’ordre politique. Cette forme de gouvernement s’est imposée presque partout sur la planète. Toutefois, beaucoup de démocraties dans le monde sont confrontées à de nouveaux défis. Depuis quelques années, de nombreux analystes déplorent que la « troisième vague de démocratie », qui a débuté au milieu des années 1970 et a conduit à de nombreux changements de régime dans toutes les parties du monde, soit désormais rompue. Selon eux, nous vivons actuellement, dans de nombreux pays, l’érosion et le déclin de la démocratie à la suite d’une « récession démocratique ». Ce phénomène apparaît de manière évidente dans un certain nombre de jeunes démocraties à travers les restrictions sur la séparation des pouvoirs et le contrôle des gouvernements, la restriction des libertés civiles telles que la liberté d’expression, de réunion et d’association, les empiètements sur le pouvoir judiciaire et, dernier élément mais non des moindres, la falsification des médias indépendants et des organisations de la société civile. Des enquêtes récentes confirment ces tendances et soulignent les difficultés à développer et à consolider la démocratie dans le monde. Selon les critères d’évaluation, un peu moins de la moitié et jusqu’à trois cinquièmes des pays du monde sont encore considérés comme des démocraties. Ainsi, même les démocraties prétendument avancées en Afrique et en Amérique latine ont connu ces dernières années des revers qui menacent ou remettent en cause le caractère démocratique des systèmes de gouvernement. Cependant, il convient de se féliciter de certains mouvements pro-démocratiques forts de la société civile dans de nombreux pays, ainsi que des progrès réalisés en matière de démocratisation dans des pays comme l’Arménie, la Gambie, le Sri Lanka, la Tunisie et le Soudan.
Quelques événements importants permettent de justifier une vision prudemment optimiste : en Biélorussie, au cours d’une période de plusieurs semaines en 2020, des milliers de personnes, menées par des femmes courageuses, ont protesté contre les fraudes électorales lors des présidentielles et contre le maintien du gouvernement autoritaire à la tête du pays. Des écoliers et des étudiants en Thaïlande ont manifesté tout aussi courageusement pour plus de transparence et le retour à un ordre démocratique. Un an plus tôt, les élections locales à Hong Kong avaient représenté un signal fort du maintien du caractère attractif de la démocratie, même si ce territoire a aujourd’hui largement perdu de son autodétermination.
En Russie, avant les élections locales de 2019, les citoyens avaient prôné des élections plus ouvertes et transparentes, pour ne pas dire « plus démocratiques ». Malgré l’arrestation et l’intimidation de candidats de l’opposition, de nombreux candidats pro-Kremlin ont subi des pertes. Certains développements récents dans plusieurs pays du Moyen-Orient et au sud de la Méditerranée suggèrent également que les effets à moyen et long terme du « printemps arabe » en 2011 ne doivent pas être sous-estimés.
Que signifie la démocratie ?
Malgré toutes les inquiétudes suscitées par les développements récents, il y a une chose que nous devons garder à l’esprit : la démocratie est une forme de gouvernement encore relativement nouvelle. Elle trouve son origine dans la Grèce antique avec l’élection des gouvernements de certaines cités-États par leurs citoyens, lesquels participaient également aux délibérations et aux décisions sur les affaires publiques et contrôlaient ainsi leurs gouvernements. Cependant, à la suite de ces premières expériences démocratiques, d’autres formes de gouvernement ont existé dans le monde pendant des siècles. Notre compréhension actuelle de la démocratie est toujours basée sur les procédures introduites dans la Grèce antique, mais elle en diffère de manière importante. Certes, la démocratie, c’est d’abord le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple », pour reprendre la définition bien connue de l’ancien président américain Abraham Lincoln (1809-1865), qui soulignait deux aspects : l’élection du gouvernement par le peuple, mais aussi l’obligation d’un gouvernement élu envers ses citoyens. À l’époque d’Abraham Lincoln, cependant, tout comme dans la Grèce antique, l’électorat était réduit et ne comprenait qu’un groupe d’hommes blancs et riches. Les anciens esclaves, officiellement « libérés » en 1865, n’ont pas été les seules personnes privées des droits et libertés politiques et sociaux. Les femmes n’ont obtenu le droit de vote aux États-Unis qu’en 1920, et les Afro-Américains n’ont remporté la bataille pour leur droit de vote qu’après le tristement célèbre dimanche sanglant à Selma, en Alabama, en 1965 – il y a à peine plus de 50 ans. Dans d’autres démocraties (occidentales) également, les femmes n’ont obtenu le droit de vote qu’à la fin du XXe siècle. En Suisse, un pays parfois cité comme un modèle en matière de procédures démocratiques en raison de sa démocratie directe qui comprend de nombreux référendums, les femmes n’ont obtenu le droit de vote qu’en 1971.
L’élection du gouvernement par les citoyens lors d’élections libres et équitables et la responsabilité du gouvernement envers les citoyens constituent le fondement de toute démocratie
Bien que la démocratie existait déjà depuis un certain temps dans l’Antiquité, ce n’est que dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, à partir de 1945, qu’on a constaté l’émergence de systèmes politiques se rapprochant de notre compréhension actuelle de la démocratie. Jusque-là, des démocraties stables avaient émergé principalement aux États-Unis, en Grande-Bretagne et dans les pays scandinaves, tandis que dans d’autres pays d’Europe et du continent américain, l’introduction de systèmes démocratiques stables avait échoué à plusieurs reprises. En Allemagne, par exemple, la démocratie de la République de Weimar (1919-1933) a pris fin avec l’arrivée au pouvoir du parti national-socialiste. Dans de nombreux pays, la façon de concevoir les nouvelles démocraties à partir de 1945 se basait sur les expériences de la démocratie parlementaire en Grande Bretagne et de la démocratie présidentielle aux États-Unis.
Dans de nombreuses régions du monde, la démocratie ne s’est imposée comme forme de gouvernement qu’au milieu des années 1970, d’abord dans le sud de l’Europe, puis dans les années 1980 en Amérique latine avec la fin du gouvernement militaire dans cette région, mais aussi dans certains pays asiatiques, avec la démission des gouvernements autoritaires des Philippines et de l’Indonésie, de la Corée du Sud et de Taïwan. L’Afrique subsaharienne a connu la « troisième vague de démocratisation », surtout à partir des années 1990. À la même époque, les anciens États communistes d’Europe de l’Est, du Centre et du Sud-Est, après la fin du conflit Est-Ouest, opéraient un changement de régime pour se rapprocher des démocraties libérales et représentatives. En Afrique du Nord et au Moyen Orient, malgré la frustration du « Printemps arabe », beaucoup espèrent, au moins chez les jeunes, que leurs pays respectifs se transformeront un jour eux aussi en démocraties. D’un point de vue mondial, la démocratie reste un concept de gouvernement relativement nouveau.
Aussi différente que soit l’organisation de la structure étatique des différents pays, ces derniers doivent respecter certains principes pour être considérés comme des démocraties. L’élection du gouvernement par les citoyens lors d’élections libres et équitables et la responsabilité du gouvernement envers les citoyens constituent le fondement de toute démocratie. En résumé : il s’agit du contrôle du pouvoir politique par les citoyens. Pour réaliser cette notion, d’autres éléments sont essentiels : « Une concurrence réelle et forte à intervalles réguliers et sans recours à la force entre les individus et les groupes (en particulier les partis politiques) pour tous les postes gouvernementaux importants ; un niveau élevé de participation politique dans la sélection des dirigeants et des hommes et femmes politiques, notamment par le biais d’élections régulières et équitables, de sorte qu’aucun groupe social d’adultes plus important ne soit exclu ; et un niveau de libertés civiles et politiques (liberté d’expression, liberté de la presse, liberté d’association) qui doit être suffisamment élevé pour assurer la continuité de la compétition politique et de la participation politique ». Il est également essentiel de disposer d’une opposition politique et d’un pouvoir judiciaire indépendant, car seule la coexistence de ces deux éléments peut garantir le respect des règles du jeu démocratiques comme les principes d’État de droit et du changement de gouvernement. En particulier, l’existence d’un (véritable) parti d’opposition constitue une caractéristique déterminante de la démocratie. En effet, son absence est « la preuve, sinon la confirmation, de l’inexistence de la démocratie ».
Puisque la compétition politique et la participation politique, c’est-à-dire le droit de tout citoyen de prendre part à la compétition politique, sont les pierres angulaires d’une démocratie, les partis politiques jouent un rôle déterminant dans cette forme de gouvernement. Ce sont eux qui représentent la compétition et qui permettent sa mise en œuvre. La possibilité pour les citoyens de faire face seuls à la concurrence politique est limitée à de rares cas, et principalement au niveau local. En règle générale, cependant, ils s’associent avec d’autres personnes qui partagent les mêmes idées pour prendre part au débat politique. C’est de ces associations que naissent les partis.
La démocratie ne se résume pas à la tenue d’élections ou à une responsabilité « verticale » ou unidimensionnelle des gouvernants envers les gouvernés. Le terme « vertical » ou unidimensionnel signifie que les dirigeants informent le public, mais décident eux-mêmes de l’objet et de la qualité des informations qu’ils communiquent, sans que cela puisse être mis en cause ni examiné de manière critique. Notre compréhension actuelle va au-delà d’une telle communication unilatérale. Par exemple, nous attendons des représentants politiques qu’ils exercent également une responsabilité « horizontale ». Cette notion implique qu’il existe des réglementations au niveau de l’État qui déterminent dans quelle mesure et de quelle manière une instance étatique dispose du pouvoir formel de prendre et de mettre en œuvre certaines décisions, de demander des comptes ou encore, de punir. Avant tout, nous attendons des dirigeants à la tête du gouvernement qu’ils justifient leurs décisions. D’une part, cela porte sur les contrôles internes et les processus de surveillance, et c’est pourquoi les décisions doivent suivre des règles et sont soumises à un système de contrôle mutuel, connu sous le nom d’« équilibre des pouvoirs ». D’autre part, cela implique une obligation d’informer les médias et les citoyens, lesquels exigent aujourd’hui la transparence par le biais d’informations complètes et de justifications de la part du gouvernement sur les décisions qu’il a prises. Dans un certain nombre de pays, cette obligation d’informer a été élargie au cours des dernières décennies, de sorte que les médias peuvent désormais exiger et publier de nombreux documents gouvernementaux auparavant considérés comme des « affaires d’État confidentielles ».
La démocratie est un ordre politique, mais pas un ordre économique ou social. En principe, chaque citoyen jouit des mêmes droits, mais ni la démocratie, ni les autres formes de gouvernement, ne peuvent garantir « l’égalité » pour tous les citoyens. En effet, les partis politiques n’ont de cesse de réclamer davantage d’« égalité », car un niveau élevé d’inégalités en matière de revenus, d’éducation et de santé compromet la capacité de participation significative des groupes de population pauvres et défavorisés (Dahl 1989 : 12). Certes, des citoyens informés et plus ou moins au même niveau économiquement peuvent participer au processus politique sur un pied d’égalité. En réalité, certains sondages (tels que le Latinobárometro en Amérique latine) montrent que si la pauvreté et les inégalités persistent, le soutien à la démocratie diminue chez nombreuses personnes parce que ces dernières sont déçues des performances insatisfaisantes de l’État et des partis politiques qu’il soutient. Pourtant, de nombreuses démocraties fonctionnent conformément à leurs principes de base, même dans les pays où les inégalités persistent. Cela est manifeste non seulement dans des pays comme l’Inde ou le Brésil, mais aussi dans certaines démocraties européennes, où l’on observe parfois, comme aux États-Unis, de fortes disparités au sein de la société, qui ne remettent cependant pas fondamentalement en cause le processus démocratique.
Sur la base de ces quelques explications, l’on peut déjà constater que le concept de démocratie est plus complexe et englobe beaucoup plus d’aspects que ne peut en contenir une brève définition.
Les partis politiques contribuent de manière déterminante au renforcement de ces piliers de la démocratie :
- Ils incarnent et façonnent la compétition politique et sont les plus importants, et souvent les seuls acteurs des élections.
- Ils constituent les gouvernements ou y jouent un rôle clé.
- Au sein des parlements, ils décident des lois et contrôlent les gouvernements.
- Ils informent, socialisent et mobilisent les citoyens pour qu’ils participent à la vie politique, et nomment des citoyens comme candidats aux élections.
- Au sein du gouvernement et du parlement, ils promeuvent la préservation, et peut-être aussi l’extension, des libertés politiques fondamentales, dont dépend le respect de leur propre existence.
- Par leur travail au gouvernement et au parlement et dans le cadre de leurs autres activités politiques, ils garantissent le respect de la loi et l’indépendance de la justice.
- Lorsque des partis influents contribuent à affaiblir un ou plusieurs de ces piliers de la démocratie, l’ordre démocratique s’en trouve menacé.
Qu’est-ce qui nuit à la démocratie ?
Des sondages menés dans le monde entier montrent toujours qu’un grand nombre de personnes – probablement la grande majorité de la population mondiale – sont convaincues des avantages que représente la démocratie et sont fondamentalement en accord avec ce modèle de gouvernement. Pourtant, beaucoup d’individus dans différents pays sont déçus non seulement de leurs gouvernements démocratiquement élus, mais aussi de la façon dont fonctionnent leurs démocraties. Les raisons de cette déception sont l’incompétence de l’État à promouvoir l’économie, un taux de chômage élevé, des prestations sociales insuffisantes, la peur de l’avenir et, souvent, la mauvaise gestion et la corruption des gouvernements et des partis. Les gens voteront pour un parti et un gouvernement différents aux prochaines élections qui, ils l’espèrent, feront preuve de davantage de compétence. Mais parfois, ils votent aussi pour des hommes et femmes politiques et des partis qui promettent des améliorations mais ne respectent pas les principes d’un ordre démocratique. C’est alors que les populistes émergent. Aucun pays n’est à l’abri du populisme.
Le populisme est une méthode de conquête et de défense du pouvoir politique dans laquelle les principes fondamentaux d’un ordre démocratique sont lentement érodés et, en fin de course, totalement anéantis. Le populisme résulte également du manque de représentation des partis établis, mais si ces derniers ne réagissent pas à temps à la montée des partis ou des dirigeants populistes et ne sont pas capables de regagner la confiance d’une plus grande base d’électeurs, le populisme peut déployer ses effets destructeurs. Les populistes prétendent parler au nom du « vrai peuple » et élaborent l’image d’une élite corrompue et d’une prétendue « presse mensongère », qui trahirait les intérêts du « vrai peuple ». Ils réduisent des questions politiques complexes à une opposition entre « nous, ceux d’en bas » et « eux, ceux d’en haut ». Ils nient l’hétérogénéité et le pluralisme d’une société pour la remplacer par une prétendue homogénéité du peuple et de la volonté du peuple.
Les technologies de l’information modernes, c’est-à-dire Internet et les médias sociaux, mais aussi de plus en plus les nouvelles formes de surveillance et d’intelligence artificielle, ne contribuent pas seulement à garantir, voire à accroître l’étendue de nos libertés individuelles et de nos possibilités de communication et de participation aux processus sociaux et politiques. Les technologies de l’information modernes peuvent aussi, au contraire, mener à des formes nouvelles et insidieuses de manipulation et, en fin de compte, à une restriction des libertés démocratiques. La numérisation change tous les aspects de la vie sociale. Par conséquent, il convient au minimum s’assurer une vigilance afin de préserver les libertés démocratiques, sinon par le contrôle des entreprises informatiques, du moins par une utilisation des technologies en connaissance de cause de la part des citoyens, à qui il est nécessaire de fournir une éducation et une formation appropriées en la matière.
Outre ces nouvelles formes subtiles d’atteinte à la démocratie, les anciennes méthodes, plus évidentes et brutales, n’ont en aucun cas disparu. Les interventions militaires n’ont pas seulement lieu dans les pays africains et dans les États arabes : au Myanmar, l’armée a repris le pouvoir par un coup d’État en janvier 2021, mettant fin au processus laborieux et lent de démocratisation qui avait commencé dans le pays dix ans plus tôt. Ce coup d’État a apparemment été déclenché par la déception pour les chefs militaires face au vote de la grande majorité de la population pour le parti de la lauréate du prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, bien que le gouvernement qu’ils soutenaient ait lentement progressé dans la résolution de nombreux problèmes que connaissait le pays depuis 2016. Malgré cela, les citoyens du pays n’ont pas voté pour le parti favorisé par les militaires. Quelques années plus tôt, en 2014, l’armée thaïlandaise avait repris le pouvoir par un coup d’État.
Les technologies de l’information modernes peuvent aussi, au contraire, mener à des formes nouvelles et insidieuses de manipulation et, en fin de compte, à une restriction des libertés démocratiques
En Amérique latine aussi, l’armée revient subitement sur la scène politique. Le régime autoritaire du Venezuela n’est pas le seul à être soutenu par les forces armées. En Bolivie, les généraux ont « recommandé » en 2019 au président Evo Morales de démissionner car des soupçons de falsification des résultats de l’élection présidentielle pesaient sur lui. Au Brésil, au Pérou, en Équateur et au Chili, les gouvernements démocratiques ont appelé l’armée à défendre l’ordre public contre les troubles résultant, notamment, de la frustration suscitée par l’incompétence et la corruption du gouvernement. Au Mali, l’armée a pris le pouvoir en août 2020 après des mois de protestations et d’appels à la démission à l’encontre du président civil en raison de violations de la loi et de la mauvaise gestion de son gouvernement, et il n’a pas été possible de résoudre cette crise par le biais de procédures démocratiques. Le nouveau dirigeant militaire, Assimi Goita, a promis d’organiser des élections démocratiques, mais s’était initialement préparé à demeurer au pouvoir plus longtemps avant d’être renversé. Au Soudan en revanche, l’armée avait renversé l’année précédente le dictateur Omar el-Béchir, en place depuis de longues années, et ainsi ouvert la voie à des élections libres et équitables.
Les partis et les systèmes de partis
Les partis sont des associations de personnes qui participent à la compétition politique, et aux élections en particulier, en vue d’occuper des fonctions politiques et d’exercer une influence sur les décisions politiques. Les membres d’un parti poursuivent des objectifs politiques communs, fondés sur un programme et des principes communs dans le but de mettre en place l’ordre social. Dans la plupart des pays aujourd’hui, en règle générale, seules les personnes physiques sont membres d’un parti. Jusqu’à il y a quelques décennies, des organisations sociales comme des syndicats étaient également membres d’un parti, notamment de partis ouvriers. Au Royaume-Uni, c’est toujours le cas pour le Parti travailliste.
Les partis existent à l’intérieur des frontières d’un État en tant que partis nationaux qui participent aux élections dans tout le pays, ou en tant que partis régionaux ou locaux qui ne participent à la compétition politique que dans la limite de régions ou de lieux spécifiques et avec leurs propres listes ou candidats. Les partis et groupes représentés au Parlement européen, comme le Parti populaire européen et l’Alliance progressiste des sociaux-démocrates sont des associations de partis nationaux sans adhésion individuelle de personnes physiques.
Les partis sont des associations de personnes qui participent à la compétition politique, et aux élections en particulier, en vue d’occuper des fonctions politiques et d’exercer une influence sur les décisions politiques. Les membres d’un parti poursuivent des objectifs politiques communs, fondés sur un programme et des principes communs dans le but de mettre en place l’ordre social
Les partis et la démocratie moderne sont liés de manière indissociable. À proprement parler, la fondation de partis a précédé la démocratie, car déjà au XVIIe siècle, le parlement britannique a vu des parlementaires poursuivant les mêmes intérêts fonder les premiers partis. Cependant, Le régime parlementaire de l’époque n’était pas une démocratie. Seuls les partis qui ont été fondés en dehors des parlements au cours du XIXe siècle et qui ont exigé la participation politique de couches élargies de la population défendent le lien étroit qui existe entre les partis et la démocratie.
Les partis sont connus pour leur « caractère combattif », c’est-à-dire leur volonté d’action et d’argumentation politiques, de prendre le pouvoir gouvernemental et de le conserver. Le but de la compétition politique est d’accéder au pouvoir politique. C’est la condition préalable à la mise en œuvre de ses propres idées et programmes dans l’action gouvernementale, que ce soit au sein d’une autorité locale ou d’un gouvernement national. C’est aussi essentiellement ce qui incite à collaborer au sein des partis, et c’est ce qui leur confère un attrait particulier quand ils font partie d’un gouvernement. La volonté d’accéder au pouvoir politique est une caractéristique fondamentale qui distingue les partis des organisations de la société civile.
Pourquoi les partis existent-ils ?
Dans chaque société, les gens ont des opinions, des besoins, des attentes et des idées différents sur les éléments de la vie quotidienne ainsi que sur les « grandes » questions qui ont trait à la vie en communauté. Naturellement, ces divergences d’opinion s’étendent également à la politique ainsi qu’aux hommes et femmes politiques et aux représentants de l’État. Même là où la liberté d’expression est opprimée, il existe des points de vue et des opinions différents sur les questions politiques. Il n’existe pas de volonté populaire générale. Il n’y a pas non plus de bien commun prédéterminé.
Ce n’est que lorsqu’il existe une pluralité de partis que la plus grande diversité d’opinions possible au sein d’un pays sera représentée dans le débat politique public
Au contraire, il existe des intérêts concurrents dans chaque société, qui souvent s’affrontent durement. Dans les dictatures, les opinions dissidentes sont réprimées et les membres de l’opposition réduits au silence, emprisonnés ou chassés. Dans une démocratie en revanche, cela n’est ni constitutionnellement possible ni idéologiquement souhaitable. Au contraire, elle est caractérisée par le fait qu’elle permet, voire encourage, l’expression ouverte de l’opinion et que les décisions politiques sont prises dans le cadre d’un processus ouvert de discussion rhétorique et de fond. Pour ce faire, il faut un minimum de croyances communes. C’est le consensus général démocratique, selon lequel chaque citoyen a le droit de représenter son propre point de vue dans le cadre d’une compétition pacifique entre les représentants des différentes opinions. Dans la plupart des pays, ce consensus général est inscrit dans la constitution, laquelle définit les normes et principes fondamentaux de l’ordre démocratique.
La reconnaissance des différents intérêts dans une société et leur justification fondamentale s’appelle la « théorie de la concurrence » de la démocratie. Parce qu’il y a compétition entre les idées, la formation de la volonté politique dans une société pluraliste devrait se faire par le biais d’un processus de discussion ouvert entre des groupes individuels représentant des idées et des intérêts hétérogènes. En raison de cette diversité d’opinions et des conflits sociaux, il ne peut exister de vérité absolue. Par conséquent, les décisions sont généralement prises sur la base du principe de la majorité. Toutefois, il convient d’empêcher la « tyrannie de la majorité », qui empièterait sur les règles du jeu démocratiques et violerait les droits de l’Homme inaliénables. En effet, les décisions prises à la majorité peuvent aussi impliquer des manquements, voire des injustices. Une protection appuyée des minorités est donc une composante constitutive de cette conception de la démocratie.
Les partis sont les organisations qui représentent chacune une partie des différentes opinions dans le contexte du conflit d’intérêts démocratique. Aucun parti ne peut représenter la totalité des opinions et des intérêts d’une société. Ils n’en représentent toujours qu’une partie, c’est-à-dire des intérêts particuliers. C’est de là que vient le nom de « parti », qui tire ses racines du mot latin « pars », qui signifie « partie ». Ce n’est que lorsqu’il existe une pluralité de partis que la plus grande diversité d’opinions possible au sein d’un pays sera représentée dans le débat politique public. Par conséquent, les citoyens doivent avoir le droit de former un parti ou d’appartenir à un parti, et de prendre part librement à ses activités. De même, nul ne peut être contraint d’adhérer à un parti en particulier ou d’y rester contre son gré – comme c’était ou comme c’est encore le cas dans certains pays.
La compétition entre les partis apporte une richesse d’idées et d’alternatives à la discussion politique. D’une part, elle motive les citoyens à participer aux élections. D’autre part, elle motive les partis à proposer une offre programmatique et personnelle de qualité qui les distingue de leurs concurrents et donne aux électeurs la possibilité d’un choix réel entre plusieurs alternatives. Parce que les partis doivent prendre en compte les désirs et les intérêts des électeurs pour remporter les élections, ils sont contraints d’organiser un processus d’échange constant avec les électeurs afin de connaître leurs préférences. Dans une démocratie, les élections ne constituent pas seulement un rituel, mais offrent idéalement la possibilité aux électeurs de choisir entre les propositions qui expriment le plus authentiquement leurs propres intérêts.
Les fonctions des partis Les partis remplissent les fonctions suivantes, essentielles pour une démocratie :
- Les partis regroupent et articulent les intérêts sociaux en formulant les attentes et les demandes des groupes sociaux concernant la politique (fonction d’agrégation et de communication).
- Ils représentent des groupes sociaux et des intérêts ainsi que des positions d’idées ou d’idéologies dans la compétition politique (fonction de représentation).
- Ils favorisent la participation politique des citoyens et le lien entre les citoyens et l’État (fonction de mobilisation et de socialisation).
- Ils organisent la compétition politique, participent aux élections, présentent des programmes et des candidats à des fonctions politiques et sollicitent l’approbation de l’électorat ; ils recrutent du personnel politique et promeuvent les jeunes talents politiques (fonction compétitive).
- Ils forment et soutiennent le gouvernement, exercent des fonctions gouvernementales ou représentent l’opposition (fonction exécutive).
- En exerçant les fonctions mentionnées ci-dessus, ils contribuent de manière significative à la légitimité du système politique dans l’esprit des citoyens et des forces sociales (fonction de légitimation).
L’organisation locale des partis et l’importance de la politique locale pour les partis
Il est essentiel pour les partis d’être présents dans les villes et municipalités d’un pays sous la forme d’associations ou de groupes locaux et d’être représentés dans les parlements locaux. Ils doivent placer la politique locale au centre de leurs préoccupations politiques et lui accorder la plus haute importance. Lorsqu’un parti est fermement ancré dans la communauté locale et qu’il démontre sa capacité à gouverner dans les villes et les villages, il pourra alors jouer un rôle d’importance au niveau national également. L’efficacité au niveau local et la proximité avec cette population sont à la base de la confiance nécessaire à un parti pour être élu à des postes suprarégionaux.
Les nouveaux partis en particulier ont plus de chances de survie s’ils réussissent à être représentés dans les parlements locaux. Ce principe s’applique en particulier à la fondation de partis dans les « jeunes » démocraties. En s’appuyant sur une politique locale réussie, ces derniers peuvent progressivement rencontrer un succès au niveau national. Il est encore assez rare de remporter une victoire électorale immédiate au niveau national sans avoir au préalable prouvé sa capacité d’agir au niveau de la politique locale. Dans les systèmes présidentiels, les « entrants externes » peuvent réussir à être élus des postes au niveau national, comme le montre l’exemple de Volodymyr Zelensky, élu président de l’Ukraine en 2019. Il n’était connu que comme présentateur à la télévision quand, à la surprise du public, il a déclaré sa candidature. Mais quand des outsiders de ce type ne peuvent pas compter sur un parti disposant d’une large base politique locale, leur portée politique et leur succès resteront limités.
La politique locale est le « berceau de la démocratie » dans un double sens. D’une part, la démocratie commence dans la communauté locale, la ville. Depuis les premières formes d’établissement humain, les gens ont dû faire des choix sur la façon de coexister au sein de leurs communautés locales. Ces établissements étaient la forme originelle de l’État, et la réglementation des affaires de la ville, dans la polis grecque, est devenue la politique. Dans la politique locale de la Grèce antique, surtout à Athènes, des idées, des normes et des procédures ont émergé et elles sont, des siècles plus tard, toujours fondamentales pour l’ordre démocratique de l’ère moderne.
La politique locale est également le « berceau de la démocratie » dans le sens où beaucoup d’hommes et de femmes politiques y font leurs premiers pas. En effet, nombre des hommes et femmes politiques d’envergure nationale ont « appris à se présenter » politiquement au niveau local, d’abord en tant que membres de conseils locaux ou que maires avant de devenir gouverneurs d’États fédéraux, députés nationaux, premiers ministres ou chefs d’État. Konrad Adenauer, par exemple, a été maire de Cologne pendant de nombreuses années et Boris Johnson a été maire de Londres pendant deux mandats.
L’objet de la politique locale
En quoi consiste la politique locale ? Elle touche aux aspects les plus concrets de la vie des citoyens : vivre, manger et boire, faire les courses, le trajet jusqu’au travail, le lieu de travail, la sécurité, l’éducation des enfants, les loisirs, les soins de santé et aussi l’enterrement des morts. En termes politiques, cela signifie : la mise à disposition et l’accessibilité financière de l’espace de vie, l’implantation de commerces, d’entreprises et de services de toutes sortes, la planification et la construction d’infrastructures routières et de voierie, la sécurité locale, l’approvisionnement énergétique et l’élimination des déchets, la planification ainsi que la construction et l’entretien de jardins d’enfants, d’écoles, d’universités, d’hôpitaux, d’installations sportives, d’équipements culturels et de jeunesse, de cimetières, etc. Aucun domaine politique n’est aussi proche de la population que la politique locale.
La politique locale doit donc :
- Identifier et résoudre les problèmes au niveau local ;
- Préserver et protéger les ressources locales disponibles ;
- Promouvoir les processus de développement au niveau local grâce à une mobilisation efficace des ressources ;
- Mettre en œuvre toutes les mesures locales en étroite coordination et en retour avec les citoyens.
Le financement des partis
La démocratie a un prix. Cela signifie également que les partis politiques disposent d’un financement adéquat pour pouvoir exercer efficacement leurs fonctions, acquérir une expertise, élaborer et diffuser leurs programmes, maintenir une structure organisationnelle stable, maintenir la communication avec les membres et, enfin et surtout, mener des campagnes électorales dans le cadre d’une compétition politique sur un pied d’égalité. Idéalement, les partis sont financièrement indépendants et sont financés par les cotisations des membres sans dépendre en particulier d’une personne, d’une entreprise, d’un groupe d’intérêt ou de subventions gouvernementales. Cette situation idéale ne s’applique qu’aux petits partis ou aux entreprises susmentionnées qui dépendent de leur propriétaire. Même en Europe, où traditionnellement davantage de membres apportent à leur parti des contributions réelles, ces dernières ne sont généralement pas suffisantes pour financer adéquatement le travail du parti et de son appareil. Les grands partis politiquement importants qui comptent un grand nombre de membres ont besoin d’une forme de financement supplémentaire. Mais souvent, cela conduit à des problèmes considérables qui peuvent ébranler durablement non seulement la réputation des partis eux-mêmes, mais aussi celle de la démocratie. La mauvaise gestion et la corruption ont déjà été mentionnées comme sources de financement des campagnes électorales.
En outre, la mafia de la drogue exerce une influence néfaste sur les partis et les politiciens en Amérique latine. En Amérique du Nord et en Asie ce sont certaines grandes entreprises et certaines riches personnalités qui sont en cause, et en Afrique des réseaux clientélistes et dans certaines régions le trafic de drogue joue de plus en plus un rôle dans le financement des partis. Dans presque tous les pays d’Europe, l’État finance ou subventionne les partis sous diverses formes. Néanmoins, dans de nombreux pays, le clientélisme, la corruption et le crime organisé jouent un rôle dans le financement des partis et des campagnes électorales.
Le financement des partis, leur structure juridique et l’élimination ou au moins la limitation des sources de financement illégales représentent un défi dans tous les pays démocratiques – notamment pour les partis eux-mêmes, car ils ont leur mot à dire sur la loi et son application. Ils participent donc grandement à la mise en place des mécanismes de financement des partis, ainsi qu’à la régulation, la mise en œuvre et surtout le contrôlé de ces mécanismes dans leur pays.
Cependant, le financement des partis souffre non seulement d’une législation inadéquate et du manque de volonté des partis, mais aussi, en particulier, du manque de compréhension du grand public quant à la nécessité d’un financement adéquat des partis. Dans de nombreux pays, les médias ont tendance à être rapidement scandalisés quand les partis et les parlements débattent de leur propre financement. Ceci est encore renforcé aujourd’hui par l’expression d’opinion individuelles sur les réseaux sociaux. Certes, les hommes et femmes politiques en tant que ministres ou représentants nationaux bénéficient souvent d’un revenu supérieur au salaire moyen du pays. Cela est justifié compte tenu de leur niveau de responsabilité. Si, cependant, tout débat sur les ressources financières de la politique donne lieu à être scandalisé par la référence aux revenus élevés des hommes et femmes politiques, cela entrave la possibilité de tenir des débats ouverts sur le financement de la politique et des partis et encourage ces derniers à trouver des modes de financement alternatifs, qui s’avèrent souvent illégaux et, en fin de compte, leur vaut plus de problèmes que d’avantages. Le transfert des décisions concernant les ressources financières des partis et des hommes et femmes politiques à des organes ou commissions indépendants, qui garantissent une certaine distance par rapport aux partis, peut éviter l’expression de cette critique. Après tout, les décisions concernant « ses propres affaires » sont toujours problématiques et difficiles à légitimer.
Les partis et les élections
La démocratie commence par les élections. Les élections constituent le point de départ de la démocratie quand un gouvernement est élu pour la première fois, puis devient son point culminant de manière récurrente par la suite. À quelques exceptions près, presque tous les pays du monde tiennent des élections aujourd’hui. C’est la preuve de l’application à une échelle globale de l’idée selon laquelle les gouvernements doivent obtenir une légitimation auprès de leurs citoyens et leur rendre des comptes. Mais la démocratie n’existe pas partout où il y a des élections. Dans de nombreuses « démocraties électorales », il n’existe pas de compétition loyale entre les candidats ou les partis, les libertés politiques et civiles essentielles sont restreintes ou totalement supprimées, et dans certains pays, il existe d’autres obstacles qui empêchent les candidats ou les partis de se présenter, comme le dépôt d’une somme d’argent élevée ou la soumission nécessaire des signatures d’un grand nombre de partisans. Le fait qu’un pays organise des élections n’est donc pas une preuve de son caractère démocratique. Il est donc important de toujours examiner les circonstances d’une élection et de vérifier si elle s’est réellement déroulée librement et équitablement. Une concurrence ouverte et égale entre les candidats et les partis, des rapports sans restriction sur les personnes et les programmes accessibles à tous les citoyens, ainsi qu’un vote libre et secret pour chaque électeur sont des conditions préalables essentielles pour considérer qu’une élection est démocratique.
Pour les partis, les élections sont la clé du pouvoir. Leurs résultats déterminent le degré de leur capacité de gouvernance dans le cadre d’un nouveau mandat électoral. Ces résultats confirment le programme et le personnel d’un parti et légitiment sa direction – ou l’obligent à se retirer en cas de défaite. Cela s’applique à toutes les élections, de l’élection locale dans un petit village à l’élection du président des États-Unis. Étant donné que dans de nombreux pays, le financement des partis par l’État est lié aux résultats électoraux d’un parti et que les élections déterminent l’accès aux fonctions et aux bénéfices politiques, les élections sont importantes pour les partis non seulement politiquement, mais aussi concernant leurs finances et le fonctionnement de leurs systèmes de clientélisme et de mécénat. Ainsi, les élections et les campagnes électorales sont capitales pour les partis. Elles doivent être préparées avec soin et sur le long terme pour obtenir le meilleur résultat possible.
Dans la plupart des pays, le système électoral est le résultat de compromis entre les principaux groupes sociaux et politiques. C’est ce qui explique l’énorme diversité, qui ne se limite pas au contraste entre les deux types de systèmes électoraux de base que sont le vote majoritaire et la représentation proportionnelle. Il existe de nombreuses variantes entre ces deux types de base. Il existe également de nombreux systèmes électoraux mixtes qui combinent des éléments de représentation majoritaire et proportionnelle.
Les élections et les systèmes électoraux
Dans une démocratie, les élections remplissent différentes fonctions : la sélection des hommes et femmes politiques, la formation des gouvernements, la représentation des attitudes politiques des citoyens, la décision sur les principaux points centraux de la future politique gouvernementale et, enfin et surtout, la légitimation des dirigeants politiques et du système politique. Les élections ne sont pas seulement un événement inscrit dans le temps, elles sont décisives pour le développement d’une communauté et de ses partis sur une plus longue période.
Les systèmes électoraux sont des procédures qui transforment les votes des électeurs en mandats. Même si la distinction entre les systèmes électoraux en surface touche à des aspects techniques ou à des questions de procédure, les systèmes électoraux ont des répercussions politiques importantes, par exemple sur les perspectives pour les partis d’accéder au pouvoir (ou du moins de le partager) après l’élection, sur la manière de former un gouvernement, sur la représentation des différents groupes sociaux et sur la diversité des intérêts, des idéologies, des préoccupations et des partis au sein d’un parlement. C’est important parce que les législateurs forment l’institution nationale légitimée essentielle qui fournit une plate-forme globale pour la législation, la légitimité et la gestion des conflits par des moyens pacifiques. L’impact que peut avoir un système électoral est apparu très clairement lors des élections présidentielles aux États-Unis en 2016. À cette époque, Hillary Clinton, avec une part de 48,18 % des voix, avait rassemblé près de trois millions de voix de plus que Donald Trump (qui n’en avait reçu que 46,09 %). Cependant, Donald Trump est devenu président des États-Unis parce que le système électoral américain stipule que les élections présidentielles se déroulent indirectement par le biais d’un collège électoral déterminé par les États. Cela a eu pour conséquence qu’en 2016, pour la cinquième fois dans l’histoire du pays, un président a été élu par le collège électoral malgré une part minoritaire du total des voix car il a su fédérer la majorité des grands électeurs.
Les partis façonnent la démocratie
Les partis politiques vivent en permanence une sorte de schizophrénie : d’une part, ils sont le produit de la diversité des opinions et de la division de leur société en différents groupes d’intérêt. Ils représentent l’hétérogénéité sociale et luttent pour que leurs intérêts et ceux de leurs partisans et électeurs dominent ou, au moins, soient pris en compte dans les décisions politiques. D’autre part, ils jouent un rôle clé dans la formation du bien commun – l’intérêt général – pour tous les membres de la société à partir de la multitude d’intérêts collectifs et particuliers. Leurs partisans attendent d’eux le plus haut niveau d’engagement dans la lutte politique, parfois âpre, et en même temps ils doivent pouvoir faire des compromis, trouver des solutions consensuelles et former des coalitions. Précisément parce qu’ils répondent à ces attentes et remplissent ces tâches apparemment contradictoires, ils apportent une contribution déterminante à la démocratie. Ils sont nécessaires encore pour assurer le maintien des éléments fondamentaux d’un ordre démocratique : le choix du gouvernement et le contrôle du pouvoir politique.
Même si, dans la perspective actuelle, les partis ne peuvent être remplacés par d’autres institutions ou procédures, force est de constater que de nombreux partis ont des difficultés à remplir efficacement leurs fonctions envers la démocratie, c’est-à-dire regrouper la diversité nouvelle et toujours croissante des intérêts de l’époque actuelle et filtrer les propositions politiques qui représentent les préoccupations d’un grand nombre de citoyens. Il faut donc s’attendre à ce que le nombre de partis continue d’augmenter, chacun ne représentant qu’un éventail limité d’intérêts, mais remportant néanmoins des sièges parlementaires lors des élections. En soi, cela ne constitue pas une menace pour la démocratie, car cette dernière reconnaît fondamentalement le pluralisme des opinions et des intérêts comme l’un de ses éléments constitutifs. Cependant, cela crée des difficultés en ce qui concerne la formation de gouvernements stables, comme cela a été démontré dans de nombreuses démocraties depuis plusieurs années. Et cela s’applique non seulement aux systèmes de gouvernement parlementaires, mais aussi présidentiels, où le chef du gouvernement est élu au suffrage direct, mais a généralement aussi besoin du système parlementaire, c’est-à-dire de la majorité parlementaire, pour l’adoption des lois.
Les sociétés d’aujourd’hui se caractérisent par une pluralité et une hétérogénéité d’attitudes et de modes de vie, qui se reflètent également dans des attitudes et des attentes différentes vis-à-vis de la politique et des partis. Même les sociétés qui semblent encore aujourd’hui « homogènes » seront affectées par cette évolution. Cela est déjà évident dans les changements des modes de vie urbains qui ont lieu sur les cinq continents. À cela s’ajoute le repli de nombreuses personnes, notamment les plus jeunes, dans ce qu’on appelle des bulles d’opinion – favorisées par les réseaux sociaux – dans lesquelles des opinions uniformes sont reproduites et renforcées, ce qui va de pair avec une diminution de la capacité et de la volonté d’accepter les opinions divergentes ou au moins de les aborder dans le cadre d’un dialogue ouvert.
Pour les partis politiques de presque tous les pays du monde, cela se traduit par la tâche difficile de trouver des solutions aux problèmes politiques qui soient acceptées par le plus grand nombre possible de leurs citoyens. Les partis qui autorisent déjà une certaine pluralité d’opinions au sein de leur propre organisation (dans le cadre de leurs principes de base) et en tirent des propositions politiques communes, rempliront plus efficacement cette fonction de passerelle consistant à équilibrer les différentes opinions et attentes. Pour ce faire, ils doivent encourager le débat interne entre leurs membres, résister aux opinions controversées et en même temps maintenir des contacts étroits avec d’importantes associations de la société civile et avec les citoyens individuels.
Un parti a besoin d’un autre élément pour réussir politiquement : des dirigeants politiques qui peuvent mobiliser et inspirer les gens et qui, en plus de connaissances pratiques, possèdent également des caractéristiques personnelles et éthiques pour diriger avec succès un grand groupe de personnes. Nous avons évoqué à plusieurs reprises la tendance à la personnalisation de la politique.
En particulier lorsque les partis perdent leur soutien, la tendance à la personnalisation augmente et de nombreux exemples ont montré qu’un chef de parti convaincant peut empêcher le déclin d’un parti et lui apporter une nouvelle vigueur. Néanmoins, la personnalisation est une difficulté majeure pour les partis car au bout du compte, ce n’est pas une personne unique, mais un parti en tant que communauté de personnes ayant des objectifs communs qui peut représenter les intérêts d’une société et les traduire en décisions politiques pour le bien commun. C’est du moins vrai dans une démocratie libre.
Que peuvent faire les partis pour renforcer leur rôle dans la démocratie ? Ils doivent s’occuper d’eux-mêmes. Cela signifie renforcer leur organisation et essayer de s’améliorer dans tous les domaines abordés dans chaque chapitre de ce livre : la représentation, l’organisation, leur programme, l’adhésion et la
participation interne des membres, la communication, le contact avec la société civile. Ils ont à ce titre une bonne position de départ, car l’élection d’un parlement et d’un gouvernement restera un élément central de la démocratie, même si la forme de la procédure de vote peut changer. Dans un avenir prévisible, la majorité des candidats aux élections démocratiques seront nommés par les partis, et ils constitueront la majorité des députés dans les parlements et formeront également les gouvernements. En raison des élections législatives et libres, ils ont un avantage en termes de légitimité sur les autres acteurs politiques ou processus décisionnels. Sans parti, les démocraties représentatives n’existent pas.
Cependant, les partis ne seront pas en mesure de faire face seuls aux défis de l’avenir. En tant que représentants de la société, ils ont besoin des citoyens qui non seulement se plaignent de l’échec des partis et le critiquent, mais réalisent également que la démocratie a un prix qui consiste à payer des impôts et une contribution à l’État pour le financement des partis, et demande aussi un engagement personnel. Plus les citoyens sont disposés à prendre part au travail des partis et plus les partis sont disposés à permettre à leurs nouveaux membres de participer aux débats et aux décisions, mieux les partis rempliront leurs fonctions, et plus la démocratie sera vivante.
Source image : kas.de