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L’Observatoire Citoyen pour la Gouvernance et la Sécurité entend contribuer à la promotion de la bonne gouvernance et au renforcement de la sécurité humaine au Sahel. Fonctionnant comme un dispositif régional de coordination des connaissances, de suivi et de plaidoyer en matière de gouvernance et de sécurité humaine, il fournirait aux acteurs locaux, nationaux et internationaux des recherches-actions approfondies, des analyses des changements dans les tendances et les dynamiques.
Il travaille en outre sur le renforcement des capacités à travers la formation et l’accompagnement, la facilitation du dialogue entre les parties prenantes concernées. L’Observatoire devrait également plaider dans les cadres de réforme du secteur de la sécurité (SSR). L’observatoire constitue une réponse adaptée aux besoins de connaissance, de compréhension, d’action et de transparence.
Site de l’organisation : https://observatoire-gouvernance.org/
Date de publication : décembre 2022
De 2012 à nos jours, de nombreux questionnements existent sur l’avenir du modèle de gouvernance au Mali et sur les compétitions politiques. Même si la transition a suscité un grand espoir au sein d’une frange importante de la population malienne, ce document d’analyse démontre l’urgence pour les autorités de la transition de donner un nouveau souffle à la gouvernance du pays et de créer les conditions d’un consensus national autour des grandes priorités et missions de la Transition. Il propose une réflexion sur les perceptions et les attentes des populations locales envers la transition et aborde les scénarios possibles pour le Mali. En prenant en compte la diversité des enjeux et des luttes, l’Observatoire y propose des recommandations particulièrement axées sur le dialogue pour évider l’escalade et engager une dynamique nationale autour de la mise en œuvre du chronogramme de la transition
« Dans un pays en crise, traversé par de multiples clivages, la faiblesse des garde- fous institutionnels représente un grave danger. » Malgré l’euphorie de la transition, la fourniture des services sociaux de base aux populations et le rétablissement de l’autorité de l’État se trouvent malmenés. Un manque d’anticipation de la demande sociale provoque la hausse des prix dans un contexte inflationniste mondial auquel il faut rajouter les effets de l’impact de six mois d’embargo de la Cedeao et de l’Uemoa. Dans ce climat de tension, une grande inquiétude est exprimée au sujet de la tenue des délais des élections et du chronogramme des réformes politiques et institutionnelles par certains. Cette méfiance met le Mali dans une situation où les acteurs risquent la confrontation. L’avant-projet de Constitution étant un marqueur de la polarisation du débat politique, il est important de préciser que la Constitution n’est pas simplement un compromis entre acteurs politiques, c’est aussi un contrat social et un pacte entre gouvernants et gouvernés. Il serait utile aussi de privilégier le dialogue pour trouver un consensus, apaiser le climat social et politique pour permettre une réelle compétition politique.
Ces extraits proviennent des pages : 5-6, 7-10, 11-12, 13-16, 17
Introduction
Le Mali est dirigé, depuis le renversement d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) en août 2020, par un attelage politico-militaire dans une atmosphère de suspicion et d’incertitude. Dans le sillage des tensions qui agitent la scène politique depuis le coup d’État militaire de 2012, les nouvelles lignes de fractures au sein de la classe politique et de la société civile s’épaississent au fil des mois.
La transition en cours depuis août 2020 a connu une première phase qui s’est caractérisée par la mise à l’écart du Mouvement du 5 juin – Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), qui a contesté pendant plusieurs mois le régime d’IBK jusqu’à sa chute. La seconde phase a vu le rapprochement entre le M5- RFP et les ex-membres du Comité national pour le salut du peuple (CNSP). A travers cette alliance, les auteurs du coup d’État se sont garantis une base politique sur laquelle prospérer tandis que la classe politique traditionnelle est considérablement affaiblie. Depuis, le climat sociopolitique s’est crispé et les tensions se sont accentuées. Cela au fil de l’activisme de groupuscules politiques et d’une place de plus en plus importante accordée à des mouvements de la société civile positionnés comme des soutiens de la transition, et dont certains revendiquent une proximité avec la Russie.
L’arrivée à la Primature du président du comité stratégique du M5–RFP, Choguel Maïga, a entraîné une reconfiguration de l’environnement politico-social, notamment à travers la marginalisation des acteurs appelant à un retour à l’ordre constitutionnel. Sur le plan politique, le dialogue avec les partis bat de l’aile. Le cadre de concertation (regroupant la classe politique et le gouvernement), sous la houlette du ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (MATD), ne se réunissait plus. Autre tendance inquiétante, les journalistes et leaders d’opinion font les frais du rétrécissement de l’espace civique. Des « dignitaires » du régime déchu, emprisonnés dans le cadre de la lutte contre la corruption, attendent toujours d’être jugés.
La transition en cours au Mali est-elle annonciatrice d’un nouveau tournant pour le pays à l’image de la « révolution » pour la démocratie en 1991 ? Depuis l’insurrection populaire qui a mis fin au régime du général Moussa Traoré, les revendications autour d’une amélioration de la sécurité, de la gouvernance, de la justice et des conditions de vie des Maliens sont au cœur des luttes sociales et des différents mouvements sociopolitiques qui ont ébranlé les pouvoirs successifs. À ce sujet, en 1991, la démocratie, traduite en bamanankan par bèè jè fanga (« le pouvoir [d’État] pour tous ») a été présentée comme un moyen pour l’amélioration de la justice sociale dans le pays. Après trois décennies de pratique démocratique avec des ruptures, en 2012 et en 2020, de nombreux questionnements existent sur l’avenir du modèle de gouvernance au Mali et sur les compétitions politiques. Enfin, des interrogations subsistent notamment sur les récentes montées de tensions politiques et sociales dans le pays.
Ralliements, polarisation et rétrécissement de l’espace civique
Davantage qu’en 2012, avec le putsch opéré par le capitaine Amadou Haya Sanogo qui avait donné lieu à une division entre « pro » et « anti » pouvoir de transition4, la société malienne est en proie à un fort clivage qui structure malgré lui le débat public. D’un côté, des associations et partis politiques5 qui se revendiquent comme des soutiens à la transition, acquis au leitmotiv de la « rectification de la trajectoire de la transition » utilisé notamment par le M5-RFP pour légitimer auprès de l’opinion publique le renversement de Bah N’Daw et Moctar Ouane en mai 2021. Ces acteurs ont recours aux mobilisations de rue et s’appuient sur des relais sur internet, principalement sur les réseaux sociaux. Ils articulent leur discours autour de la refondation de l’État et de l’émergence du Mali Kura, qui fait écho aux slogans lancés par les manifestants en 1991 contenant la revendication democratique comme an tè korolen fè fo kura (« Nous ne voulons plus du vieux, mais du nouveau »). De l’autre, des partis et regroupements politiques ainsi que des activistes qui militent pour un retour à l’ordre constitutionnel normal.
Le chef de l’État, le colonel Assimi Goïta, est le plus populaire des acteurs, comme l’ont révélé les résultats du sondage Mali-mètre en mai 2022 : 72% des Maliens lui font confiance
Si ces deux catégories d’acteurs ne sont pas dans la confrontation directe, du moins pour le moment, c’est que l’atmosphère de tension semble baisser de plus en plus au sein de l’enclave bamakoise, épicentre de la polarisation. Le passage, en septembre 2022, de l’ancien Premier ministre par intérim sur l’ORTM où il a déclaré qu’ « il n’y a pas d’ennemis de la transition mais juste des gens qui ont besoin d’être rassurés par des explications», à l’issue d’une rencontre avec le Cadre des partis et regroupements politiques pour le retour à l’ordre constitutionnel, illustre cette relative baisse des tensions. Cet extrait d’entretien téléphonique avec un enseignant officiant à Kayes est suffisamment éloquent quant à la façon dont le climat sociopolitique est contrasté au Mali :
« La transition est mal partie. Elle a divisé les Maliens entre bons et mauvais. Tous ceux qui osent critiquer les actions du pouvoir sont traités comme des apatrides. »
Les ex-membres du Conseil national pour le salut du peuple (CNSP) et leurs alliés du M5-RFP ont su jouer sur la forte popularité dont ils jouissent dans l’opinion publique pour s’attirer très vite des ralliements. Un récent sondage Afrobaromètre indique que, par exemple, 68% des Maliens « estiment que le pays avance dans la bonne direction », bien que 66% expriment des inquiétudes quant à la situation économique. Plus que tout, ces bons sondages sont assez illustratifs quant à la côte de confiance au plus haut niveau dont se prévaut le pouvoir de transition. Le chef de l’État, le colonel Assimi Goïta, est le plus populaire des acteurs, comme l’ont révélé les résultats du sondage Mali-mètre en mai 2022 : 72% des Maliens lui font confiance.
La prise du pouvoir par le groupe de militaires est intervenue au Mali dans un contexte où les mobilisations citoyennes s’appuient davantage sur les réseaux sociaux et internet que sur les « médias traditionnels ». Malgré le faible taux de pénétration d’internet dans le pays, les médias sociaux, qui ont favorisé une « horizontalisation » de la parole, se sont manifestés des processus d’exercice de contrôle ou de construction de l’opinion qui empêchent le déploiement d’arguments sur fond d’« instrumentalisation et de propagation de fake news. Les multiples médias (web TV, chaines Facebook) non réglementés sont investis par des individus en quête d’audience et accusés d’exacerber le climat sociopolitique à travers des propos haineux et stigmatisants. Un acteur politique interrogé estime que ces acteurs influencent les décisions et en prédisent même certaines.
Le recours à des animateurs ou influenceurs reprenant les répertoires officiels, qui a bouleversé le paysage informationnel au Mali, est analysé sous l’angle d’une neutralisation des mobilisations citoyennes voire politiques contre les « structures de pouvoir établies ». Plus que tout, il s’accompagne d’une tendance au rétrécissement de l’espace civique que plusieurs organisations de défense des droits humains ont pointé : intimidations et harcèlement judiciaire, arrestations et tentatives d’arrestations visant les personnes ayant exprimé des opinions alternatives.
Vers un essoufflement des soutiens?
Depuis plusieurs mois, des voix dissonantes s’élèvent de plus en plus pour dénoncer certaines décisions, et les récentes sorties de Adama Diarra témoignent du fléchissement de la tendance et édifient sur la hausse du mécontentement. A titre d’exemple, le récent communiqué de Yerewolo dans lequel sont étalées des récriminations à l’égard du pouvoir de transition. Les griefs ont trait, entre autres, « à la prolongation de l’âge de la retraite des magistrats de la Cour suprême en fonction de leur mandat », « l’augmentation du budget de fonctionnement des institutions », « la corruption et le manque d’organisation du commerce et de projet de productivité [qui] sont les premiers facteurs de la cherté de la vie au Mali ».
Les difficultés économiques pourraient expliquer la perte de vitesse des soutiens les plus farouches. Ces derniers semblent moins audibles qu’avant, nourrissant le sentiment qu’ils sont « rattrapés par le principe de la réalité ». Un ancien ministre ayant milité dans l’une des plus grandes formations politiques du pays souligne :
« Les autorités ont dit qu’on allait refonder le Mali. Mais, c’est de la continuité dans le changement. Par exemple, l’avant-projet de Constitution qui a été présenté au Président de la Transition n’est qu’un recueil des anciennes propositions. S’agissant de la lutte contre la corruption, il n’y pas eu de véritables changements, les anciennes pratiques perdurent. Enfin, la rhétorique de « L’armée monte en puissance » est devenu un slogan creux pour les gens. Il y a des résistances qui se mettent en place. Les militaires ne comprennent pas la résistance et ils gèrent le pays comme un camp militaire. Le chef décide, les autres exécutent. C’est cela qui porte les germes de la confrontation. Les logiques qui sont là ne sont que des logiques de confrontation.»
Un contexte de fortes attentes
Le pouvoir de transition, dans la ferveur populaire qui a accompagné le coup de force militaire d’août 2020, a promis des changements en profondeur dans la gouvernance du pays. En 2020, le pouvoir du président IBK avait été fortement fragilisé par la dégradation du contexte sécuritaire ainsi que la litanie d’affaires de corruption de son entourage sur fond d’impunité. Ces deux questions, la sécurité et la justice, pour lesquelles le président était fortement attendu à son élection en 2013, ont fini par cristalliser les mécontentements et favorisé le soulèvement ayant conduit à sa chute quelques mois après sa réélection, en 2018. A la faveur de la transition, de nombreux maliens ont nourri l’espoir sur la fin de l’impunité, l’amélioration des conditions de vie et la sécurité sur l’ensemble du territoire.
Si l’analyse de l’environnement politique et social malien en cette période de transition fait ressortir des attentes et des défis multiformes, quelques éléments méritent une attention particulière. D’abord, les attentes au sujet d’une meilleure distribution de la justice et la lutte contre l’impunité était une demande forte des Maliens. A ce niveau, conscients qu’une bonne partie de leur légitimité repose sur la prise en charge de cette demande, dès les premiers mois de la transition les autorités ont affiché une volonté politique dans ce sens. Des arrestations ont visé des responsables du régime d’Ibrahim Boubacar Keïta en lien avec les affaires dites de l’acquisition du Boeing présidentiel et des contrats d’armements surfacturés.
Les militaires ne comprennent pas la résistance et ils gèrent le pays comme un camp militaire. Le chef décide, les autres exécutent. C’est cela qui porte les germes de la confrontation. Les logiques qui sont là ne sont que des logiques de confrontation
Sous IBK, le phénomène des détournements avait touché le financement des Forces armées maliennes (FAMa). En l’absence d’un audit de la loi d’orientation et de programmation militaire, certains interlocuteurs estiment qu’il est difficile de convaincre quant à la sincérité de la lutte contre la corruption. Pourtant, le narratif de l’audit de cette loi a été utilisé pour justifier le renversement de Bah N’Daw et de son premier ministre Moctar Ouane, en mai 2021. L’objectif opérationnel fixé à cette loi était de disposer, en 2019, d’une chaîne de commandement idoine, avec des FAMa en mesure de faire face à un conflit sur le territoire, et le pays devait être en mesure de déployer un bataillon formé aux OMP.
Malgré cette volonté affichée des autorités de la transition, à Bamako, les rumeurs de népotisme et de détournements continuent de jalonner la vie politique. En août 2022, la presse s’est fait l’écho de ce qu’elle qualifie de « détournement de procédure » dans l’attribution d’un marché de BTP de 24,2 milliards de francs CFA. Selon le rapport 2021 du Bureau du vérificateur général (BVG), 18 dossiers ont été transmis à la section des comptes de la Cour suprême et 22 autres dénoncés aux procureurs en charge des pôles économiques. Il n’en demeure pas moins que le système judiciaire malien est en proie à des dysfonctionnements et des insuffisances : problèmes d’engorgements, de corruption, de manque de confiance des justiciables et de sous-financement.
Les attentes au sujet d’une meilleure distribution de la justice et la lutte contre l’impunité était une demande forte des Maliens
L’un des scandales les plus emblématiques est celui des logements sociaux qui, en février 2022, a éclaboussé le ministre de l’Habitat, chargé du dossier, tout comme le Premier ministre. Alors qu’ils étaient destinés « aux populations à revenus faibles et intermédiaires », de noms d’individus proches de membres du gouvernement ont bénéficié de ces logements, ce qui a amené le président de la Transition à monter au créneau pour ordonner l’annulation de la liste des bénéficiaires. Un dirigeant politique, soutien de la politique du pouvoir de la transition à destination des partenaires du Mali, se montre critique :
« Les dispositions pouvaient être prises sur la question des détournements. Des ministres à remercier sur la question des logements, la gestion des engrais. Nous ne sommes pas arrivés à cette rupture que nous demandions. C’est du “IBK sans IBK”. L’État continue dans les mêmes pratiques mafieuses (corruption, népotisme, détournements). Et cela n’augure pas d’un avenir calme.»
Ensuite, sur le plan de la gouvernance politique et économique, la hausse des prix dans un contexte inflationniste mondial auquel il faut rajouter les effets de l’impact de six mois d’embargo de la Cedeao et de l’Uemoa demeure l’un des sujets les plus critiques. Le gouvernement a mis en place une commission interministérielle de lutte contre la hausse des prix et la facilitation de l’approvisionnement en intrants agricoles et produits de première nécessité. La mise en place d’une telle architecture, rattachée à la primature au lieu du ministère du Commerce, illustre que le pouvoir de transition a pris la mesure de l’ampleur de la situation.
Un manque d’anticipation de la demande sociale comporte le risque d’un durcissement du régime. Les perspectives, d’un point de vue économique et social, n’inspirent pas la quiétude à certains économistes qui tablent même sur une résurgence des revendications si rien n’est fait dans six mois. En mai 2022, la Banque mondiale avait revu à la baisse les perspectives économiques à l’horizon 2022, « soumises à des risques baissiers importants » à cause des sanctions économiques et financières de la Cedeao et de l’Uemoa, sans écarter le risque d’une éventuelle récession.
Enfin, sur le plan sécuritaire, la situation évolue en dents de scie. Les multiples déclarations des autorités maliennes mettent en avant le récit d’une situation sécuritaire qui s’améliore grâce à ce qu’elles appellent la « montée en puissance » des Forces armées maliennes (FAMa). En entretien, un interlocuteur à Mopti affirme que l’armée a sécurisé une bonne partie de la zone exondée de Mopti, auparavant en proie à des attaques, facilitant la circulation des personnes et des biens. Les tueries liées au conflits locaux ont diminué. Mais l’insécurité continue de mettre à mal les écoles et les structures de santé en manque de personnel, de médicaments, d’infrastructures.
Les Perspectives
Après plus de deux ans de transition et à moins d’une année et demie de la présidentielle, le Mali est à nouveau à la croisée des chemins. Si les autorités de transition sont parvenues à susciter un véritable engouement populaire, elles devraient se garder de tout triomphalisme au risque de compromettre les fragiles acquis enregistrés. À titre d’exemple, la mise en place de l’Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE) est aujourd’hui contestée. En procédant par tirage au sort, à la désignation des représentants des partis politiques, ces derniers estiment que le gouvernement s’écarte de la loi électorale. Cette affaire a déjà suscité des plaintes devant la justice. Un enseignant, basé à Kayes et interrogé par téléphone par l’OCGS, insiste sur le fait que la composition de l’Aige pourrait constituer une source de crise et pointe le fait que sur 15 membres, 8 sont désignés par les pouvoirs publics, émettant ainsi des réserves quant à l’indépendance de la structure.
Cette omniprésence de l’exécutif dans le dispositif, en l’occurrence le chef de l’État, suscite des inquiétudes sur l’impartialité et l’indépendance du nouveau mécanisme de gestion des processus électoraux. Encore plus important, le sentiment de marginalisation éprouvé par certains acteurs politiques alimente des doutes au sujet de la volonté proclamée par les autorités de sortir le pays de la transition. L’intention est prêtée de plus en plus aux autorités actuelles de s’acheminer vers une confiscation du pouvoir, et les tenants de cette thèse en veulent pour preuve le déploiement de militaires dans tous les démembrements de l’État et la militarisation de la police. Les militaires qui ont pris le pouvoir auraient un désir de vengeances politique et sociale, « après avoir pris des coups sur le terrain et dans leur environnement ».
Autre motif d’inquiétude : l’élaboration d’une nouvelle Constitution dont l’avant- projet a provoqué l’ire de certains partis politiques. Alors que la Commission a assuré avoir tenu des échanges avec toute la classe politique, nombreux ont été ceux qui se sont sentis lésés par le processus. L’un d’entre eux évoque un « manque de respect et de consultation de la classe politique ». Pour une partie de ces acteurs, la Constitution doit traduire des visions politiques. De ce fait, ils estiment que le président de transition, le colonel Assimi Goïta, devait réunir la classe politique pour donner des orientations avant l’installation de la commission technique de rédaction. Cependant, il est important de préciser que la Constitution n’est pas simplement un compromis entre acteurs politiques, c’est aussi un contrat social et un pacte entre gouvernants et gouvernés. À ce titre, l’implication des forces politiques est importante, mais le processus doit impérativement tenir compte des autres segments de la société.
Plusieurs scénarios sont esquissés par des acteurs et observateurs politiques. La première possibilité qui s’offre au pouvoir de transition est de trouver un modus operandi autour de l’avant-projet de la nouvelle Constitution. La deuxième possibilité pourrait consister en un passage en force pour soumettre la Constitution au référendum et, en cas de victoire du oui, se débarrasser de la Constitution en vigueur : ce qui équivaudrait, selon un observateur de la vie politique malienne, à un « troisième coup d’État ». Enfin, une autre option serait de renoncer à la réforme constitutionnelle pour se limiter aux réformes électorales et aux élections.
Éviter l’escalade
De plus en plus, des acteurs au sein du personnel politique et même en dehors de ce champ n’hésitent plus à évoquer le risque d’une confrontation, entre le pouvoir de transition et les appareils politiques voire au-delà. Une grande inquiétude est exprimée au sujet de la tenue des délais des élections et du chronogramme des réformes politiques et institutionnelles par certains, qui proposent de revoir le périmètre de celles-ci : aller vers des réformes a minima.
Ainsi, les tensions pourraient se cristalliser autour du non-respect du chronogramme électoral par les autorités de transition. La prolongation de la transition avait déjà conduit à un report du scrutin présidentiel prévu initialement en février 2022. Certains acteurs politiques expriment, pour l’instant en privé, leur crainte de voir un nouveau glissement du calendrier en l’absence d’une amélioration significative de la situation sécuritaire et d’avancées concrètes dans les préparatifs des différents scrutins.
Dans un pays en crise, traversé par de multiples clivages, la faiblesse des garde- fous institutionnels représente un grave danger. Une éventuelle confrontation pourrait se révéler préjudiciable pour la cohésion sociale et l’unité nationale.
Renouer le dialogue politique
En décembre 2021, le discours officiel de légitimation des Assises nationales de la refondation en a fait une occasion de jeter les bases d’un nouvel État. Les résolutions qui en sont issues auraient pu être une base de refondation si les autorités maliennes avaient pu convaincre les deux coalitions signataires de l’APR ainsi que les partis politiques qui ont opté pour la politique de la chaise vide.
La recommandation qui a le plus retenu l’attention est la durée de la transition, renforçant la thèse que ces assises avaient été organisées juste pour proroger la transition, comme le craignaient les acteurs politiques qui avaient refusé de participer. Cette rencontre a recommandé, entre autres, l’élaboration d’une nouvelle Constitution. L’avant-projet de ce document, soumis aux autorités il y a quelques semaines, risque de polariser au cours des prochains jours le débat politique et constituer un autre sujet de tensions, après la composition de l’Aige attaquée par des organisations devant la justice. Or, faute de consensus, un référendum pourrait difficilement se tenir. Et l’un des enjeux reste l’organisation d’élections crédibles et transparentes pour permettre un retour à l’ordre constitutionnel.
Une crise post-électorale, dont la crainte est sans cesse exprimée, entacherait tous les efforts de la transition. Ainsi, l’urgence s’impose au Mali d’apaiser le climat social et politique pour permettre le dialogue et une réelle compétition politique.
Engager une dynamique nationale autour de la mise en œuvre du chronogramme de la transition
A moins de 4 mois du référendum et à plus d’une année de la présidentielle, l’insécurité peine à être circonscrite dans le pays. En plus du Nord et du Centre, ce sont d’autres localités au Sud et à l’Ouest du pays qui sont en proie à une confluence d’attaques qualifiées de « terroristes ». Pour rappel, en 2020, les élections législatives n’avaient pu être organisées dans de nombreuses localités du Centre et du Nord du Mali à cause de l’absence de l’administration ou des menaces des groupes armés.
En plus de l’insécurité, les défis opérationnels liés à l’organisation des élections à venir sont encore plus importants que ceux des années précédentes. Il s’agit de la question du fichier, qui a été toujours au cœur de la contestation par les acteurs politiques.
Ensuite, la présence de l’administration sur toute l’étendue du territoire : sur ce point, une nouvelle étape devra être franchie dans le cadre de l’opérationnalisation des nouvelles circonscriptions créées. Il convient d’avancer également sur les questions liées à la présence effective de l’armée malienne sur toute l’étendue du territoire, à la démobilisation, au désarmement et à la réinsertion des groupes armés. Aussi, s’agira-t-il pour les autorités de la transition de réussir à établir une relation constructive avec toutes les forces vives de la nation.
Enfin, le coût des élections, rarement prévu par le budget national et que le Mali seul pourrait difficilement prendre en charge. Il est à rappeler que celles de 2013 ont été organisées dans un contexte de conflit au Nord après la signature d’un accord préliminaire à Ouagadougou avec les groupes armés. Même si le processus électoral n’a pas été satisfaisant partout, tout le pays a pu participer aux élections.