Fary Ndao
Les variations du climat sont un phénomène naturel dans l’histoire de notre planète. L’histoire géologique récente (moins 500 000 ans), a été jalonnée de plusieurs phases de refroidissement intense appelées glaciations qui ont été suivies des périodes de réchauffement rapide. Ces phases de réchauffement sont dues à plusieurs paramètres dont les plus importants sont la présence de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, l’intensité du rayonnement solaire et des paramètres liés à la trajectoire de la Terre autour du soleil.
L’un de ces paramètres, à savoir la présence de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, est un moteur, sinon le principal moteur, du réchauffement climatique. Ces gaz à effet de serre sont principalement le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4) et le protoxyde d’azote (N2O). Il convient néanmoins de préciser que la présence de gaz à effet de serre dans l’atmosphère est nécessaire à la vie sur Terre.
Sans eux, la température moyenne sur Terre serait d’environ -15 degrés Celsius (°C) alors qu’elle est actuellement égale à +15°C. Cela signifie qu’une bonne partie de la Terre afficherait en permanence des températures qui oscilleraient entre 0°C et -30°C, avec des températures encore plus extrêmes sur les continents. Les gaz à effet de serre ne constituent donc pas une « pollution » en soi, ils sont même nécessaires à nos équilibres de vie actuels.
Ces équilibres sont cependant fragiles et toute notre organisation économique et sociale est calibrée sur eux. Une baisse rapide ou une hausse rapide de quelques degrés de la température moyenne terrestre pourrait ne pas être vue comme dramatique, mais elle le sera véritablement pour tous.
Les gaz à effet de serre ne constituent donc pas une « pollution » en soi, ils sont même nécessaires à nos équilibres de vie actuels. Ces équilibres sont cependant fragiles et toute notre organisation économique et sociale est calibrée sur eux
Faisons une analogie avec le corps humain, dont la température moyenne est autorégulée à 37°C. Tous nos organes et nos fonctions vitales sont calibrés autour de cette température. Un humain dont la température corporelle descendrait brusquement en quelques heures à 32°C ou monterait rapidement à 42 °C, soit un différentiel positif ou négatif de « seulement » 5°C, n’aurait pas froid ou chaud : il serait tout simplement mort.
Ainsi, si l’on prend comme référence la moyenne de la température au début de l’ère thermo-industrielle au XIXe siècle et qu’on lui rajoute « seulement » 5°C, la civilisation humaine ne serait pas seulement témoin d’un réchauffement climatique d’envergure, elle risquerait l’effondrement pur et simple en raison des multiples rétroactions et probables emballements qu’entrainerait un tel réchauffement. Comment en sommes-nous arrivés là et que risquons-nous collectivement en tant qu’espèce si un tel scénario se réalisait ?
Depuis la révolution thermo-industrielle du XIXe siècle, avec l’avènement des chemins de fer fonctionnant au charbon puis le boom du pétrole, des transports et de l’électricité au XXe siècle, la civilisation humaine a envoyé dans l’atmosphère des centaines de milliards de tonnes de CO2. Celui-ci, qui était emprisonné dans les hydrocarbures solides (charbon) et liquides (pétrole), se rajoute donc aux gaz à effet de serre produits par la nature (volcanisme etc.). Homo sapiens, c’est-à-dire nous, a également transformé son habitat en produisant des quantités immenses de ciment, matériau universel de construction dont la fabrication à base de calcaire (CaCO3) et à très haute température rejette également du CO2.
Le CO2 en particulier, gaz responsable des deux tiers de rejets de gaz à effet de serre d’origine anthropique, n’a jamais affiché une telle concentration dans l’atmosphère depuis… 800 000 ans. En 2012 par exemple, l’humanité a envoyé 33 milliards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère. En 2021, ces émissions atteignaient 36 millards de tonnes de CO2. Un record
Enfin l’humanité, grâce à l’augmentation des rendements agricoles mais aussi grâce aux progrès de la médecine et plus largement de la technique, a multiplié sa population par 6 en moins de 200 ans. Cette hausse inédite de la population mondiale s’est traduite par une hausse des besoins industriels, de la production agricole et de l’élevage, tous émetteurs de gaz à effet de serre.
Les sources agricoles les plus significatives de gaz à effet de serre, souvent méconnues du grand public, sont les rejets de méthane (CH4) dus aux flatulences des vaches et ceux issus des rejets des rizières, le riz étant l’une des céréales les plus consommées sur Terre. Le protoxyde d’azote (N2O) est quant à lui produit par une réaction des sols qui sont recouverts d’engrais azotés.
En résumé, jamais dans l’Histoire de l’espèce humaine nous n’avons rejeté autant de gaz à effet de serre dans l’atmosphère en une si courte période (environ 200 ans). Répétons le mot : jamais. Le CO2 en particulier, gaz responsable des deux tiers de rejets de gaz à effet de serre d’origine anthropique, n’a jamais affiché une telle concentration dans l’atmosphère depuis… 800 000 ans. En 2012 par exemple, l’humanité a envoyé 33 milliards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère (voir figure 1 ci-dessous). En 2021, ces émissions atteignaient 36 millards de tonnes de CO2. Un record.
Figure 1 : Rejets mondiaux de CO2 d’origine anthropique en milliards de tonnes de CO2/an de 1750 à 2011. Source : Rapport du GIEC 2013.
Ces rejets d’origine anthropique, bien que représentant une infime partie des rejets naturels de CO2, ont grandement augmenté depuis la révolution thermo-industrielle. Ils connaissent d’ailleurs une accélération exponentielle depuis 1950 et la démocratisation de l’accès à l’électricité. Ils perturbent un système climatique mondial dont le calibrage atmosphérique est fin et les rétroactions très nombreuses.
Bien qu’ayant ses détracteurs dans la communauté scientifique et au sein de la classe politique internationale, regroupés sous le vocable de « climatosceptiques », l’origine humaine (ou « origine anthropique ») de l’essentiel du réchauffement climatique actuel est une hypothèse très solidement supportée par de nombreux faits, mesures et arguments scientifiques. Elle est régulièrement documentée par les travaux de milliers de scientifiques climatologues, océanographes, géologues, physiciens etc. regroupés dans le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dont les derniers rapports ont été publiés en 2021 et 2022.
Lorsque ces émissions de gaz à effet de serre sont évaluées par pays ou zones géographiques, on s’aperçoit que durant l’année 2012, l’Afrique était responsable d’à peine 4 % des rejets anthropiques de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale et que l’essentiel de ces rejets provenaient de la Chine (26 %), des USA (16 %), de l’Union européenne (13 %), de la Russie (6 %), de l’Inde (6 %) et du Japon (4 %). En considérant les rejets de CO2 depuis le début de la révolution thermo-industrielle illustré par la figure 2, le trio USA – UE et Chine revient également, confirmant la responsabilité historique des pays dits “développés” (USA, UE) et de ceux qui se sont lancés dans une pareille course (Chine, Russie, Inde).
Figure 2 : Rejets mondiaux cumulés de CO2 d’origine anthropique de 1750 à 2017.
Il est donc évident que si l’humanité veut éviter un emballement climatique, c’est-à-dire un réchauffement de +4 à +7°C à l’horizon 2100, elle devra convaincre les gouvernements chinois, américain, indien ou allemand de fermer leurs centrales à charbon, de diminuer leur production industrielle et de réduire leurs transports routiers. Etant donné que ces pays sont les plus puissants militairement, économiquement ou industriellement et que, de surcroît, ils sont engagés dans une course à la croissance économique, une telle hypothèse semble peu probable.
Des pays comme le mien – le Sénégal – , bien que ne représentant qu’une infime partie des émissions mondiales de gaz à effet de serre, devront tout de même participer à l’effort global de réduction de rejets de gaz à effet de serre.
Les projections de production électrique en Chine montrent que l’Empire du milieu pourrait utiliser autant de charbon en 2040 qu’il ne le fait en 2016 même si Xi JinPing, président de la République populaire de Chine a annoncé en avril 2021, la sortie de la Chine du charbon à l’horizon 2060. Au regard de tout ce qui précède, l’emballement climatique mondial pourra être difficilement évité, certains seuils ayant même été déjà franchis. Des pays comme le mien – le Sénégal – , bien que ne représentant qu’une infime partie des émissions mondiales de gaz à effet de serre, devront tout de même participer à l’effort global de réduction de rejets de gaz à effet de serre. Ils devront aussi s’organiser et orienter leurs investissements de manière judicieuse afin de rendre leurs sociétés résilientes aux chocs à venir.
Ces chocs que l’humanité pourrait affronter en raison des changements climatiques sont nombreux : précipitations accrues dans certaines régions, raréfaction des précipitations dans d’autres, fonte des glaces qui risque d’entraîner une hausse du niveau des océans, acidification des océans due à l’excès de CO2 qu’ils doivent absorber, augmentation de la fréquence des ouragans, réapparition inattendue de certaines maladies dans des zones qui deviendront climatiquement adaptées à certains insectes, microbes ou virus, vagues de froids extrêmes dues à l’arrêt de certains courants océaniques chauds qui adoucissaient localement le climat, baisse drastique des volumes de pêche dans la zone intertropicale etc.
Il nous faut agir !
Source photo : Futura Sciences
Fary Ndao est un ingénieur s’intéressant aux interactions entre énergie, écologie et économie. Diplômé de l’Institut des Sciences de la Terre (IST-UCAD) de Dakar et en spécialisation en économie de l’énergie à l’Institut Français du Pétrole (IFP-School). Il est l’un des co-auteurs de l’ouvrage collectif “Politisez-vous !” (United-Press, 2017). Il a publié en 2018 un essai didactique intitulé “L’or noir du Sénégal” qui permet d’initier le lecteur à l’industrie pétrolière et en expose les enjeux spécifiques au Sénégal.