Auteurs : Dr. Coulibaly Doppon Ali
Organisation affiliée : European Scientific Journal (ESJ)
Type de publication : Article scientifique
Date de publication : Octobre 2018
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Le Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté élaboré en 2008 affirme que le nombre de pauvres en Côte d’Ivoire a quintuplé en passant de 10% en 1985 à 49% en 2008.
C’est ainsi qu’une économie rurale auparavant dynamique traverse un déclin profond qui s’accompagne de conséquences graves sur plusieurs aspects de l’existence du pays, comme l’exploitation du travail des enfants qui a atteint des proportions endémiques, comme l’affirme l’Enquête Nationale sur le Travail des Enfants qui en 2005 a estimé qu’en Côte d’Ivoire, un enfant sur quatre, âgé de 5 à 17ans travaillait.
La participation des enfants au travail des adultes est une pratique culturelle en racinée et valorisée
De façon de plus en plus générale, le travail des enfants a cessé d’être une transmission des connaissances et du savoir-faire d’un métier entre l’adulte et l’enfant, mais aussi des valeurs et d’éthique du comportement social. Au contraire, ce que les enfants subissent chaque jour c’est l’exploitation de leur travail et l’atteinte à leur dignité individuelle et sociale à travers la réalisation d’activités dommageables qui, au même temps, sont les causes et effets d’autres violations.
L’école est devenue moins accessible, plus chère et avec une rentabilité sur le long terme de plus en plus faible et aléatoire. Tous ces éléments amènent les membres des familles à des attitudes négatives concernant l’investissement scolaire en général.
Au cours des dernières décennies, la hausse de la pauvreté et de l’instabilité sociopolitique a engendré un affaiblissement généralisé des garanties de protection offertes par l’Etat et surtout par les familles elles-mêmes. De cette façon, le ”confiage” aujourd’hui finit souvent par favoriser la violation de plusieurs droits humains fondamentaux comme le droit de l’enfant à être protégé de toutes formes d’abus, négligence, violence et exploitation.
De façon de plus en plus générale, le travail des enfants a cessé d’être une transmission des connaissances et du savoir-faire d’un métier entre l’adulte et l’enfant, mais aussi des valeurs et d’éthique du comportement social. Au contraire, ce que les enfants subissent chaque jour c’est l’exploitation de leur travail et l’atteinte à leur dignité individuelle et sociale à travers la réalisation d’activités dommageables qui, au même temps, sont les causes et effets d’autres violations
Plus la famille est pauvre, plus les enfants sont susceptibles de travailler : les ménages dont les enfants travaillent gagnent en moyenne 328.000 FCFA par an, contre 465.000 FCFA pour les ménages dont les enfants ne travaillent pas. La première raison de la mise au travail des enfants est la contribution au revenu familial (60% des enfants travailleurs) ; la socialisation, c’est-à-dire la volonté de formation, vient loin derrière (26%). La presque totalité des enfants travailleurs contribuent au revenu du ménage (99%).
Nous avons enquêté sur la moitié de la ville, soit cinq communes (Abobo, Yopougon, Port-bouet, Adjamé, Treichville) choisies selon leur spécificité (populaire et populeux, résidentiel, administrative, etc.). Dans chacune de ces communes, nous identifions les endroits (rues, espaces) où il est susceptible de trouver des adolescentes qui exercent un commerce ambulants.
Conditions de travail
Les adolescentes commerçantes interrogées travaillent en moyenne six (6) jours par semaine et dix (10) heures par journée de travail. Le volume horaire moyen de travail par semaine et par fillette est de soixante (60) heures. La moyenne horaire de travail des adolescentes commerçantes reste élevée et supérieure à quarante huit (48) heures en moyenne par semaine quel que soit le statut au travail de ces adolescentes.
En effet, de manière générale le commerce auquel s’adonnent la majorité de ces adolescentes, dure toute la journée. Il commence autour de sept (07) heures, et prend fin vers dix-sept (17) heures voire dix-huit (18) heures. Aussi, la tâche de ces adolescentes, rappelons-le, ne se limite pas seulement au commerce exercé dans les rues. En effet, elles s’occupent aussi des travaux ménagers, de sorte que le travail commence à la maison, se poursuit dans la rue pour s’achever à la maison.
Les adolescentes commerçantes interrogées travaillent en moyenne six (6) jours par semaine et dix (10) heures par journée de travail
Certaines adolescentes au travail dans le secteur informel du petit commerce sont exposées à l’effet de produits dangereux par manipulation directe ou par exposition indirecte sur les lieux de travail. L’exposition directe ou indirecte à l’effet de produits dangereux concerne 27,3% des petites commerçantes interrogées.
En plus de la pénibilité des tâches, les adolescentes s’exposent aux divers dangers spécifiques de la rue. En effet, certaines petites commerçantes affirment avoir été victimes d’agressions physiques.
Adja raconte ainsi sa mésaventure : « un jour, il y a deux (2) jeunes (voyous) qui m’ont agressée (physiquement) au marché. Ils m’ont frappé et voler mon argent ». Compte tenu de leur âge, grand nombre de ces adolescentes est la cible privilégiée des bandes de jeunes (voyous) : « souvent, ils boivent nos sachets d’eau, sans payer. Et quand tu parles, ils te frappent », ajoute D. K. (12 ans), vendeuse d’eau glacée.
Une autre nuisance pour les adolescentes au travail dans le secteur informel du petit commerce, provient de la pollution atmosphérique causée par le vieillissement du parc automobile et de la congestion des voies de circulation.
Pour elles, les conditions de vie et de travail, aussi pénibles que dangereuses soient-elles, ne paraissent pas constituer une préoccupation. Certes, certaines d’entre elles racontent leurs mésaventures, mais la plupart les minimisent au point de ne même pas mentionner les mauvais traitements qu’elles subissent parfois dans le cadre de leur activité. Et pourtant, il suffit d’observer attentivement les conditions dans lesquelles ces adolescentes travaillent pour s’en rendre compte. Seule l’innocence propre à leur âge, amène ces fillettes à accepter ces travaux contraignants et harassants.
L’observation des revenus mensuels des adolescentes commerçantes donne lieu à plusieurs commentaires. D’abord, le revenu des fillettes est inferieur au SMIG en Côte d’Ivoire qui est de 36 607 F CFA34 environ par mois. Pire, ces adolescentes perçoivent des rémunérations faibles, alors qu’elles ont des charges horaires très élevées. Enfin, celles qui vivent chez leurs employeurs, perçoivent une rémunération moyenne plus faible que celles qui vivent chez leurs parents où avec un tuteur non employeur.
En plus de la pénibilité des tâches, les adolescentes s’exposent aux divers dangers spécifiques de la rue. En effet, certaines petites commerçantes affirment avoir été victimes d’agressions physiques
Le petit commerce exercé par les adolescentes dans les rues de la ville d’Abidjan fait gagner de l’argent tous les jours. La recette varie en général entre mille cinq cents (1 500) et deux mille cinq cents (2 500) voire trois mille (3 000) francs CFA. Cette recette journalière, à première vue, semble importante si l’on tient compte de l’âge de ces filles et de la quantité de marchandises qu’elles vendent au cours de la journée.
En cas de manquant ou de mauvaise recette, les adolescentes se le voient reprocher, le plus souvent de manière violente. C’est ce que révèle Korotoum en ces termes : « le jour où çà ne marche pas bien ou bien le jour où le nombre de sachets d’eau ne correspond pas à l’argent que je lui envoie, ma tante me frappe ».
En effet, le salaire de ces adolescentes se paye autrement qu’en numéraires (caractéristique des rapports contractuels liant un employé à son employeur). Dans la situation d’espèce, il se paye en nature, sous forme de cadeaux, notamment des vêtements.
Ceci montre bien qu’il s’agit d’une situation inscrite dans une stratégie familiale dans laquelle chacun joue sa partition. Car , accueillir à Abidjan la fille d’un parent, fut-il proche ou éloigné, pour lui ouvrir des opportunités de se faire de l’argent, est conçu et perçu comme une des formes d’expression de la solidarité qui caractérise les familles nombreuses aux prises avec les difficultés économiques.
Conditions de vie
Moins de la moitié des adolescentes commerçantes interrogées (30%) ne vivent avec aucun de leurs parents biologiques. La majorité d’entre elles vit avec leur employeur (40%) ou leur tuteur non employeur (24%). La situation des fillettes hébergées par leur employeur est particulièrement préoccupante. En effet, parce qu’elles sont particulièrement prises en charge, les adolescentes de 10-14 ans, plus enclins à migrer à la recherche d’un emploi rémunéré, sont plus nombreuses à vivre chez leurs employeurs et à être ainsi exposées au risque d’une exploitation exagérée et abusive de leur force de travail.
En général, ces filles habitent dans des logements exigus, ne dépassant guère en moyenne deux (2) pièces c’est-à dire un séjour et une chambre. Dans la quasi-totalité des cas, les adolescentes rencontrées dorment au salon35 . « On est beaucoup à la maison alors que c’est petit. Nous, les enfants, on dort au salon » dit Karidja.
Des faibles taux de raccordement au réseau d’eau potable, d’assainissement liquide, d’électricité, etc. sont enregistrés parmi les ménages où il existe des adolescentes au travail. Il en résulte que les adolescentes au travail dans le secteur informel du petit commerce issues en majorité de ces quartiers précaires, vivent à n’en point douter, dans des conditions de précarité, de promiscuité, d’insalubrité, et de pauvreté économique.
Certaines adolescentes au travail dans le secteur informel vivent dans une situation d’isolement vis-à vis de leurs familles d’origine. L’enquête a en effet révélé que 36% des fillettes n’ont plus le moindre contact (même par courrier ou échanges téléphoniques) avec leur famille.
Les problèmes des adolescentes commerçantes liés aux conflits récurrents entre leurs employeurs ou « parents » (cris, insultes, coups, etc.) et la subordination dont elles sont l’objet à cause du système dans lequel elles vivent et travaillent font que le foyer familial devient inévitablement pour elles un lieu de mal-être.
Bon nombre d’adolescentes fuient alors l’institution familiale de façon progressive ou brusque suite à cette violence intra-familiale et aux conditions de travail et de vie parfois extrêmes. Ces enfants et adolescentes vivent ensuite dans la rue, souvent en bandes, et trouvent rapidement, en plus de la délinquance et du trafic de drogues, l’exploitation et la violence sexuelle commise par des clients et/ou des proxénètes en quête de main d’œuvre mineure dans les maisons closes.
La plupart des petites commerçantes rencontrées vivent dans des familles recomposées, où le nouveau conjoint est parfois source de tension. Des fois, il arrive que ce dernier maltraite et rejette les enfants qui ne sont pas de lui. Lorsque c’est une belle-mère qui pose problème, une maltraitance psychologique s’ajoute fréquemment à la maltraitance physique, ou bien il peut y avoir une maltraitance uniquement psychologique, mais qui n’est pas moins douloureuse.
Face à de tels constat, l’on peut s’accorder à affirmer que la punition physique est un phénomène très largement répandu au niveau des adolescentes au travail dans le secteur informel du petit commerce lors de leur éducation autant à la ville qu’à la campagne
L’alcoolisme du père et les mauvais traitements qu’il inflige à toute la famille est un autre motif fréquent de la désorganisation de la cellule familiale dans laquelle vivent ces adolescentes. Mieux, il est à la base de l’éclatement de celle-ci, puis de la séparation des adultes. Dans une telle situation, les traitements à l’égard des enfants diffèrent : l’adolescente ne peut plus recevoir assez de nourriture, s’habiller décemment, avoir droit aux divertissements, etc. car « il faut faire un choix ».
Il faut souligner que durant le temps de travail consacré à la vente dans les rues et marchés, la partie des revenus réservée à la nourriture est infime. Dans la journée, les filles se contentent d’un plat d’attiéké ou de riz accompagné d’un morceau de poisson. A défaut, elles s’alimentent avec tout ce qui est à la portée de leur bourse.
Sur le plan sanitaire, plus de 60% des petites commerçantes n’a pas accès à un centre de santé. Leur situation sanitaire ne peut donc être reluisante.
Aussi, le travail dans le secteur informel du petit commerce a des conséquences négatives sur les petites commerçantes. En effet, l’ampleur des accidents et des maladies dont sont victimes les adolescentes qui travaillent est une source de profonde préoccupation. Les adolescentes n’ont pas la même résistance que les adultes, et leur constitution physiologique et psychologique les rend encore plus vulnérables que ceux-ci à certains risques professionnels, dont les effets négatifs sont plus accusés chez elles.
Il existe en général, au sein des familles, une violence des adultes sur les adolescentes au travail. Selon notre enquête, à la question « dans votre entourage (voisins, amis, famille), de quelle manière pensez-vous que les pères et mères de famille résolvent généralement leurs problèmes avec leurs enfants adolescents (11 à 18 ans) ? », près d’un tiers des employeurs interrogées réponde « par les coups » avec des différences une fois de plus notables selon le niveau de vie des couches sociales.
Face à de tels constat, l’on peut s’accorder à affirmer que la punition physique est un phénomène très largement répandu au niveau des adolescentes au travail dans le secteur informel du petit commerce lors de leur éducation autant à la ville qu’à la campagne. C’est ainsi que la plupart des petites commerçantes interrogées nous a révélée qu’elles-mêmes se perçoivent comme les membres de leur famille les plus punies.
Quoi qu’exposées à la « vie de la rue », sorte de sous-culture qui pourraient les amener à banaliser ou à s’accoutumer aux risques des fléaux modernes que nous avons énuméré, les adolescentes au travail dans le secteur informel du petit commerce, privées de qualification professionnelle, ont foi en l’avenir. Même si le tableau de leur devenir reste sombre, les aspirations de ces jeunes filles traduisent néanmoins leur ténacité et leur volonté de sortir de ce système.
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