Auteurs : Eric Branckaert, Ollo Sib, Atsuvi Gamli, Souleika Abdillahi, Laure Boudinaud, Marie Ndiaye, Mariam Katile, Abdoulaye Ndiaye, Nanthilde Kamara, Federico Doehnert, Outman Badaoui, Salvador Somda
Organisations affiliées : Autorité de développement intégré des Etats du Liptako-Gourma (ALG), Programme Alimentaire Mondial des Nations Unies (PAM)
Type de publication : Rapport
Date de publication : juillet 2020
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Insécurité, exactions sur les civils et déplacement massif de population
Depuis 2014, des groupes armés non étatiques se sont implantés plus profondément dans cette zone ; la menace s’est étendue du nord du Mali vers le centre du pays jusqu’à l’ouest du Niger et au nord du Burkina Faso. Entre 2014 et 2020, environ 10 000 personnes ont perdu leur vie dont environ un tiers au cours des six derniers mois, indiquant une intensification des conflits. Les pays côtiers, notamment le Ghana, la Côte d’Ivoire et le Togo, jusqu’à présent plutôt épargnés par les violences, pourraient être exposés à des attaques de groupes armés non étatiques. Ces pays peuvent servir à la fois de zones de replis ou d’approvisionnement de groupes armés en raison des similitudes sociologiques entre les peuples installés le long des zones frontalières de ces pays.
Le rythme des déplacements a augmenté tout au long de l’année 2019 ; le nombre de personnes déplacées a été multiplié par 3 en neuf mois, passant de 300 000 à 864 550 entre mars et décembre 2019. Les pics d’insécurité et les déplacements massifs depuis 2019 ont fortement affecté les activités agricoles dans les régions agro-pastorales du Liptako-Gourma et limité l’accès aux marchés dans plusieurs localités. De nombreuses personnes déplacées ont abandonné les champs que leurs familles cultivaient depuis des générations, et sont ainsi dans l’incapacité à pratiquer l’agriculture dans une région où une majorité des personnes en dépendent. L’absence de documents d’enregistrement des biens immobiliers ne permet pas de savoir s’ils pourraient continuer d’exploiter ces mêmes terres agricoles s’ils revenaient sur leurs lieux d’habitation.
Difficultés croissantes d’accès aux terres agricoles
Estimation des populations en zones affectées par la perte de terres agricoles
Au Burkina Faso, 240 000 personnes sont estimées comme étant gravement touchées par la perte des terres agricoles, dont la moitié provient du Soum où l’analyse estime que 37 pour cent de sa population vit ou provient de localités ayant subi une diminution sévère des surfaces cultivées en 2019.
Le rythme des déplacements a augmenté tout au long de l’année 2019 ; le nombre de personnes déplacées a été multiplié par 3 en neuf mois, passant de 300 000 à 864 550 entre mars et décembre 2019
Au Mali, 115 000 personnes sont estimées être gravement touchées par la perte des terres agricoles. Les cercles de Bandiagara, Bankass et Koro au Mali ont respectivement 28, 22 et 19 pour cent de leur population estimée être touchée moyennement ou sévèrement par une diminution agricole en 2019.
Au Niger, une estimation de 9 000 personnes gravement touchées par une perte des terres agricoles se situent principalement dans les départements de Tahoua et Tillia.
Marchés des produits agricoles et alimentaires résilients
La crise sécuritaire affecte presque tous les services sociaux de base et les fondements même de l’économie des zones concernées. C’est le cas des marchés qui assurent aussi bien la commercialisation de la production agricole, d’élevage et halieutique de ces régions. Pour comprendre l’impact de la crise sécuritaire sur les marchés, une série d’analyses basées sur les données de différentes sources (localités, densités de population, réseau routier, réseau hydrographique, données d’occupation du sol, subdivisions administrative), complétée par un questionnaire rempli avec l’appui des systèmes d’information des marchés, permet d’identifier les zones les plus affectées par la crise. En outre, l’évolution des prix sur les principaux marchés de la zone permet de compléter cette analyse.
Évolution des prix des produits alimentaires de base
Les perturbations des marchés du Liptako-Gourma n’entrainent pas forcément dans tous les pays une hausse des prix des produits alimentaires de base. En comparaison avec la moyenne quinquennale, des hausses de prix relativement importantes sont enregistrées au mois d’avril 2020 sur les marchés de la région de Gao au Mali (33 pour cent à Ouattagouna, 35 pour cent à Anderamboukane et 43 pour cent à Ménaka) pour le mil et le sorgho. On retrouve une situation similaire de l’autre côté de la frontière du Niger dans la région de Tahoua. Dans la région de Tillabéri au Niger, des hausses de prix de plus de 30 pour cent sont enregistrées pour le mil et le sorgho sur le marché de Gotheye. Ces hausses de prix sont la combinaison de différents facteurs comme l’insécurité qui réduit l’offre dans les marchés, de la baisse de la production agricole par rapport aux années précédentes. Il convient de préciser que la pandémie de la COVID-19 et les mesures de ripostes que les gouvernements ont prises aux mois de mars et d’avril 2020 se sont traduits également par des hausses de prix des produits alimentaires de base.
Cependant, sur les marchés de la région de Mopti (Mali) et du nord du Burkina Faso, les prix des produits alimentaires sont en baisse comparativement à la moyenne quinquennale. Les baisses de prix les plus importantes sont enregistrées dans les marchés du nord du Burkina Faso (-20 pour cent à Kaya et -15 pour cent à Kongoussi) pour le mil. Ces baisses se justifient essentiellement par le jeu de l’offre et de la demande. Dans plusieurs zones, l’offre de produits alimentaires est meilleure que celle de l’année dernière à cause de l’augmentation de la production agricole sur deux campagnes consécutives. Les difficultés de transferts des excédents vers les zones déficitaires concentrent l’offre et entraînent des baisses de prix. De plus, deux autres facteurs pourraient expliquer ces baisses de prix : (i) les achats institutionnels de céréales auraient baissé à cause de la réorientation des budgets des Etats vers le domaine de la sécurité ; (ii) la demande de la part des ménages a baissé du fait de leur déplacement vers les centres urbains à cause de l’insécurité et de la réception d’une assistance alimentaire.
Persistance et récurrence de l’insécurité alimentaire
Des ménages agro-pasteurs soumis à des chocs récurrents
Les résultats de l “’analyse des données d’enquête révèlent que la plupart des ménages du Liptako-Gourma sont dirigés par des hommes. Cependant, dans la région de Tahoua, plus du tiers des ménages sont dirigés par des femmes. Plus de la moitié de ces ménages déclarent avoir subi des chocs au cours des mois qui ont précédé l’enquête dans la zone du Liptako Gourma. Les régions de Tillabéri et Tahoua restent celles où la plupart des ménages (90 pour cent) ont subi des chocs durant les derniers mois. Ces chocs affectent fortement les principales sources de revenu des ménages. La vente des produits agricoles et d’élevage représente plus de la moitié (57%) des sources de revenus des ménages. En particulier dans les régions du Sahel et du Centre-Nord, au Burkina, dans la région de Tombouctou au Mali, et celle de Tillabéri au Niger, plus de deux tiers des ménages citent l’agriculture et l’élevage comme principales sources de revenus.
Stocks de nourriture
Le stock de produits alimentaires est un indicateur déterminant de la disponibilité alimentaire. Au moment des enquêtes, entre janvier et février 2020, les ménages disposaient d’environ quatre mois de stocks alimentaires en moyenne, composés principalement de céréales. Ces stocks ne couvrent pas la moitié de l’année, encore moins les besoins alimentaires des ménages jusqu’aux prochaines récoltes. L’analyse montre que les stocks céréaliers étaient un peu plus importants dans les regions de Mopti (Mali), Centre-Nord, Nord et Sahel (Burkina Faso).
Contribution de l’aide humanitaire aux moyens d’existence
Certains ménages du Liptako-Gourma, touchés par l’insécurité alimentaires dépendent encore de l’aide alimentaire. En moyenne 27 pour cent des ménages de la zone reçoivent une aide alimentaire. Cette dernière est plus importante dans les régions de Mopti (45 pour cent), de Tombouctou (31 pour cent) et du Sahel (30 pour cent).
Dans la région de Tahoua (Niger), l’assistance occupe une place importante dans le revenu des ménages (33%). On rappelle que dans cette zone, plus du tiers des ménages sont dirigés par des femmes, ce qui probablement les rend plus dépendantes des assistances.
Recommandations
La situation générale du Liptako-Gourma recommande des actions fortes de la part des gouvernements et de leurs partenaires :
- Assurer que toutes les parties garantissent l’accès humanitaire, respectent les principes humanitaires et les droits humains des populations. L’insécurité est le facteur déterminant de l’insécurité alimentaire dans la zone du Liptako-Gourma. Il faut nécessairement que les exactions contre les civiles s’arrêtent et que les communautés puissent retourner sur leurs terres et reprendre normalement leurs activités.
- Agir vite, agir maintenant pour sauver des vies. Apporter une assistance humanitaire immédiate pour environ 13 millions de personnes au moins affectées par les conflits et la crise du COVID-19 au Mali, au Niger et au Burkina Faso. Les modalités de transfert de cette assistance doivent s’adapter à la réalité des marchés de chaque zone de manière spécifique.
- Renforcer la résilience, protéger les moyens d’existence. Des programmes d’ajustement sont nécessaires dans de nombreuses zones pour renforcer de la résilience des populations vulnérables exposées aux conflits, à l’insécurité alimentaire et aux chocs naturels récurrents.
- Promouvoir des programmes structurants qui assurent le triple lien urgence, développement et sécurité. Ces programmes structurants permettent de répondre aux besoins essentiels des ménages en favorisant une approche multisectorielle.
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