Bergedor HADJIHOU
La crise entre la Russie et l’Ukraine est au confluent de plusieurs enjeux géostratégiques qui n’épargnent pas l’Afrique. Et le conflit ne touchera pas uniquement le continent sur les plans alimentaires et commerciaux, comme c’est déjà le cas. Au-delà de l’impact sur les produits de subsistance ou des intrants utilisés dans la fabrication de certaines denrées, le secteur de la sécurité est pressenti pour ressentir gravement les conséquences de la guerre si celle-ci perdurait.
Ainsi, l’insécurité alimentaire annoncée par plusieurs organisations internationales du fait, entre autres, de la hausse soutenue des prix sur le marché, pourrait exacerber la colère des peuples et entrainer des mouvements d’humeur, voire des soulèvements dans les grandes villes. Cette situation risque d’envenimer les choses puisque plusieurs pays du continent sont déjà dans une condition démocratique précaire, au vu de l’avalanche des coups d’État auxquels nous avons assisté ces derniers mois.
En Guinée, le marché du travail n’a pas bien réagi à l’arrivée des militaires au pouvoir. 44 % des Guinéens vivent en dessous du seuil de pauvreté, soit avec 1 euro par jour, et le pays se retrouve au bas du classement IDH du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). Aujourd’hui en Guinée, dans des régions comme Boké et Kindina, à cause de la guerre en Ukraine, un chômage technique est redouté chez les travailleurs des entreprises étrangères russes de la bauxite, la Russie ayant comme principal produit d’importation les minerais, risquant de favoriser la déflagration.
Au Bénin par exemple, quelques semaines après l’ouverture des hostilités entre Russes et Ukrainiens, le transport des étudiants a été suspendu par la plus grande université du pays en raison de la pénurie observée dans le secteur des hydrocarbures. La communauté universitaire a perçu cette situation comme un manque d’anticipation de la part des autorités. Ajouté à la crise du logement sur le campus universitaire, un mouvement incontrôlable pourrait s’ensuivre si les conséquences économiques de la guerre persistaient.
L’économie africaine est frappée par un double handicap : les séquelles difficilement gérables du coronavirus et les conditions climatiques défavorables qui donnent le tournis aux agriculteurs. Cette troisième source de grandes inquiétudes qu’est la crise entre la Russie et l’Ukraine menace non seulement la sécurité mais également les opérations de paix en Afrique.
En Guinée, le marché du travail n’a pas bien réagi à l’arrivée des militaires au pouvoir. 44 % des Guinéens vivent en dessous du seuil de pauvreté, soit avec 1 euro par jour, et le pays se retrouve au bas du classement IDH du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD)
Du manque de pain à la menace de la paix
Le blé et l’armement sont en tête des exportations russes dans le monde. Si l’on n’y prend pas garde, il n’y a donc pas que le grenier africain qui prendra un coup. De grands bouleversements sont annoncés également pour les casernes. Certaines d’entre elles connaitront une baisse d’effectifs. Avec leurs avions et encadreurs, 300 Ukrainiens en service à la mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo (Monusco) vont devoir aller prêter main forte à leur pays, peut-on comprendre à l’occasion de la table ronde virtuelle organisée le jeudi 21 avril 2022 par le Think tank citoyen pour l’Afrique de l’Ouest WATHI et l’institut Jacques Delors sur le thème : Afrique-Europe : regards croisés sur la guerre en Ukraine. Car, comme l’affirme Napoléon Bonaparte, « l’armée, c’est la Nation ».
Même si elle peut paraître peu plausible, l’hypothèse que la Russie pourrait aussi avoir besoin de mobiliser les forces du groupe paramilitaire Wagner sollicité dans la guerre contre le terrorisme en Afrique et pour la stabilité de la Centrafrique pour contrer une riposte de l’armée ukrainienne de plus en plus consolidée par les aides internationales, n’est pas à négliger. En plus des armes lourdes dont les États-Unis et les occidentaux dotent l’Ukraine, le président du conseil européen Charles Michel a affirmé, dans un message, il y a quelques jours, que l’Europe voulait aider l’Ukraine à gagner la guerre, ce qui fait redouter le scénario d’un bras de fer très long.
L’Afrique, bénéficiaire de l’aide internationale, a plus que jamais besoin de cet appui en raison de la situation de paupérisation aggravée par la Covid-19 et le recul grave observé durant la pandémie dans la lutte contre certaines maladies. En Guinée Conakry, l’augmentation du nombre de districts endémiques aux maladies tropicales négligées et aux autres maladies a pour cause l’arrêt des activités de lutte au profit des actions contre la Covid-19.
Maintenant, plus que jamais, l’Afrique a besoin d’attention. Or, les Nations Unies avec leurs partenaires humanitaires ont lancé le 1er mars des appels d’urgence coordonnés pour un montant total de 1,7 milliard de dollars afin d’apporter une aide humanitaire d’urgence aux populations en Ukraine et aux réfugiés dans les pays voisins. Au 11 avril, cet appel était financé à hauteur de 60 %. Les priorités de l’aide sont appelées ainsi à changer. Et si l’aide humanitaire ainsi que l’aide au développement n’augmentent pas en 2022 dans la région, de pires scénarios sont à craindre.
L’impasse pourrait venir également du conseil de sécurité de l’ONU où le déploiement d’une mission de paix est subordonné à un mandat adopté à l’unanimité des membres permanents dont la fédération de Russie. On ne peut occulter ce paramètre dans le déclenchement éventuel et la réussite d’une opération de maintien de la paix en Afrique.
Au Bénin par exemple, quelques semaines après l’ouverture des hostilités entre Russes et Ukrainiens, le transport des étudiants a été suspendu par la plus grande université du pays en raison de la pénurie observée dans le secteur des hydrocarbures. La communauté universitaire a perçu cette situation comme un manque d’anticipation de la part des autorités
Une situation à relativiser en parallèle des leçons à tirer
Si l’on s’en tient aux chiffres de l’agence ecofin, « en 2020, la Russie a exporté pour 12,4 milliards $ de biens vers l’Afrique. En contrepartie, les pays africains n’ont vendu que 1,6 milliard $ de marchandises à la Fédération de Russie. Ce qui entraîne un déficit commercial de 10,8 milliards $ pour le continent. Cependant, la Russie ne détient que 2,4 % de parts de marché en Afrique contre 19,6 % pour la Chine, de loin le premier fournisseur du continent, 5 % pour les États-Unis, la France ou l’Inde ».
Comparativement à d’autres puissances, la Russie n’est pas le premier partenaire de l’Afrique. Mieux, l’Afrique n’est pas qu’un acteur indigent dans les enjeux liés à la crise ukrainienne. Elle peut aussi en tirer profit. En témoigne la décision de l’Italie de se tourner désormais en lieu et place de la Russie, vers les pays africains pour s’approvisionner en gaz. Il n’en demeure pas moins que de grandes leçons sont à tirer de cette crise pour la souveraineté sécuritaire et alimentaire des pays africains qui, malgré le fait qu’ils disposeraient de 60 % des terres arables au monde, continuent de connaître des crises de famine.
D’une guerre qu’on estimait courte au regard de la faiblesse de l’armement ukrainien, nous passons à une guerre « d’usure ». Les vulnérabilités de l’Afrique sont légion et aggravées par la guerre en Ukraine. Pour ne pas vexer les camps en conflit, la plupart des pays africains jouent la carte de la prudence et appellent au dialogue. À moins d’œuvrer, en guise de réponse aux chocs exogènes, pour une sécurité collective dans les tous les domaines, le continent pourrait craindre une crise d’envergure.
Comme l’a dit le point focal pour les partenariats, mécanismes de sécurité régionale de l’Union africaine Fréderic Ngoga au cours de la conférence virtuelle organisée par WATHI et l’institut Jacques Delors, « 10 pays africains produisent du pétrole ». Dans un élan de collégialité et en aidant ces pays producteurs à accroitre l’offre, les autres pays pourraient ainsi espérer atténuer sur leur territoire les dysfonctionnements du marché suite à une baisse des exportations russes.
Crédit photo : Afrikmag
Bergedor Hadjihou est titulaire d’un Master 2 recherche, option sciences juridiques et d’une Licence en journalisme. Il a travaillé pendant 07 ans dans les médias au Bénin, notamment au quotidien Fraternité et à la télévision Canal3 Bénin. Il est consultant au sein du think tank WATHI.
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Analyse impeccable, ceci vient de m’inspirer à l’élaboration de mon mémoire de lice en relations internationales/RDC
Analyse intéressante! Elle m’inspire dans mon projet de rédaction sur un thème relatif à cette problématique !
Bonjour j’ai suivi avec un intérêt réel le débat très intéressant et instructif
l’Afrique est un continent dépendant c’est pourquoi ce conflit va être durement ressenti en Afrique