Auteurs : Nicolas Bricas, Claude Tchamda, Marie-Cécile Thirion
Site de publication : ResearchGate
Type de publication : Rapport
Date de publication : 2014
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Introduction
La hausse des prix alimentaires sur les marchés internationaux depuis 2007 a provoqué une série d’émeutes urbaines, notamment en Afrique de l’Ouest. Celles-ci ont mis en évidence la dépendance des citadins vis-à-vis de ces marchés pour se nourrir. Pourtant, selon les statistiques nationales, la production alimentaire régionale a nettement augmenté depuis les années quatre-vingt et elle n’est plus réservée à l’alimentation des seuls ruraux : elle aurait trouvé un débouché commercial sur le marché.
En réalité, les informations sur la consommation et les marchés alimentaires de ces pays sont rares. La plupart des données disponibles sont celles de la production et des échanges. Le plus souvent, l’alimentation continue d’être estimée via les disponibilités alimentaires, c’est-à-dire grâce à des calculs réalisés à partir des chiffres d’offre et d’échanges (importations et exportations).
Tous les pays de la région réalisent pourtant des enquêtes auprès des ménages afin de calculer des indicateurs économiques : en particulier, les coefficients budgétaires leur permettant de déterminer les pondérations pour l’indice des prix à la consommation des ménages et l’inflation ou le seuil de pauvreté. De plus et malgré leur complexité, ces enquêtes sont désormais relativement régulières, très détaillées et bien maîtrisées par les instituts nationaux de statistique. Elles constituent donc une mine d’informations utiles pour tous ceux qui s’intéressent au secteur agricole et alimentaire.
La consommation et le marché alimentaire national
Les enquêtes nationales sur la consommation des ménages (ENCM) permettent de mesurer la valeur économique du marché alimentaire, c’est-à-dire la valeur des achats d’aliments et de services liés à l’alimentation (mouture à façon et restauration) par les ménages. Ces valeurs du marché alimentaire peuvent être mises en relation avec, d’une part, la valeur économique du marché total, alimentaire et non-alimentaire.
Le rapport entre les dépenses alimentaires et les dépenses totales, alimentaires et non-alimentaires, varie de 40 % à 60 % selon les pays. Il représente donc, en moyenne pour chaque pays, environ la moitié du marché total. Ce ratio est considéré comme un indicateur du niveau de richesse économique. Lorsque les ménages consacrent environ la moitié de leur budget économique à l’alimentation, celle-ci constitue un secteur particulièrement sensible car les variations de prix des aliments vont largement affecter leur pouvoir d’achat.
En convertissant les valeurs du marché alimentaire en dollars selon le taux de change moyen annuel de l’année de l’enquête, il est possible de calculer un ordre de grandeur de ce marché pour la région étudiée 4. Pour les pays pour lesquels nous disposons de données, il représente en moyenne 115 millions de dollars par million d’habitant : soit un marché annuel de plus de 35 milliards de dollars, lorsque nous multiplions ce montant par les 312 millions d’habitants vivant dans la région en 2010.
La part du marché dans la consommation est évidemment plus importante en ville qu’en milieu rural, où une partie de la production est autoconsommée
Selon les pays, la part du marché représente entre les deux tiers et plus de 90 % de la consommation alimentaire nationale. L’époque où l’alimentation était essentiellement assurée par l’autoconsommation est loin. Le système alimentaire est désormais largement monétarisé. Cela signifie que les ménages ne dépendent plus seulement des niveaux de production pour s’approvisionner : ils sont devenus très largement dépendants des prix.
La part du marché dans la consommation est évidemment plus importante en ville qu’en milieu rural, où une partie de la production est autoconsommée. Mais, même là, les achats représentent au moins la moitié de la valeur économique de la consommation.
Désormais, le marché rural est tout sauf négligeable puisqu’il représente près de la moitié du marché alimentaire national. Il faut donc s’affranchir d’une autre idée reçue : celle considérant que le marché alimentaire est essentiellement urbain. Le marché rural pèse lourd dans le marché national et les ruraux accèdent de plus en plus à l’alimentation par le biais du marché. Ce résultat surprenant s’explique en partie par la définition même du milieu rural.
Il ne faut plus seulement l’assimiler à de petits villages d’agriculteurs, mais considérer qu’il intègre nombre de petits bourgs qui abritent quelques milliers d’habitants, sans être pour autant systématiquement classés en « milieu urbain ». Les recherches démographiques récentes révèlent bien cette « urbanisation par le bas » de la région, c’est-à-dire la prolifération de nouvelles petites agglomérations qui franchissent chaque année le seuil de l’urbain.
En s’appuyant sur les résultats des enquêtes menées dans huit métropoles des pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), le blé et le riz importé ou local représentent 80 % des céréales consommées et le riz et le blé importés, plus des deux tiers (68,8 %). Seule Bamako, la capitale du Mali, fait exception à la règle car ses habitants consomment majoritairement des céréales locales (mil et surtout riz)
Les cultivateurs y produisent encore une partie importante de leurs aliments de base comme les céréales, les racines et les tubercules, mais ils en achètent aussi, notamment du riz dont la consommation progresse. Ils achètent aussi de la viande et du poisson sec, de l’huile, des oignons, des produits laitiers, des condiments et du sucre. Ce marché rural reste mal connu, mais il ne peut plus être négligé. Il constitue désormais un débouché tout à fait significatif pour la production agricole, voire même, dans certains pays, pour les importations alimentaires.
Selon les nations unies, la population urbaine de la région étudiée représenterait 47,1% de la population total en 2013 et la proportion devrait atteindre les deux tiers en 2045. La marchandisation de l’alimentation devrait donc se généraliser et renforcer le rôle du marché intérieur dans l’économie agricole des pays d’Afrique de l’Ouest, du Cameroun et du Tchad.
Caractérisation des consommations alimentaires urbaines
De nombreux observateurs de la situation alimentaire africaine insistent sur la forte dépendance du continent vis-à-vis des produits alimentaires importés, en particulier le riz et le blé. Selon certains, les villes africaines seraient même essentiellement nourries d’importations et ceci expliquerait les émeutes urbaines survenues dans de nombreux pays lors de l’envolée des prix sur les marchés internationaux en 2007 / 2008. Qu’en est-il exactement ?
En s’appuyant sur les résultats des enquêtes menées dans huit métropoles des pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), le blé et le riz importé ou local représentent 80 % des céréales consommées et le riz et le blé importés, plus des deux tiers (68,8 %). Seule Bamako, la capitale du Mali, fait exception à la règle car ses habitants consomment majoritairement des céréales locales (mil et surtout riz).
Les céréales sèches traditionnelles (mil et sorgho) sont désormais très peu consommées, sauf à Bamako et N’Djamena où elles représentent encore entre 15 et 20 % des dépenses en céréales. Le maïs tient une place plus importante dans certaines villes comme Cotonou, Lomé, Ouagadougou et Niamey.
Cette dépendance des villes vis-à-vis des céréales importées prouve leur vulnérabilité face aux risques de flambées des prix sur les marchés internationaux. Mais le constat doit être relativisé en examinant la place des céréales dans la consommation, tous produits confondus.
Le marché alimentaire des métropoles peut être réparti en trois grands groupes de produits :
◆ Les bases amylacées des plats : les céréales (mil, sorgho, fonio, maïs, riz, blé), les racines (manioc), les tubercules (igname, patate douce et pomme de terre, etc.) et les bananes plantain représentent un gros tiers des dépenses alimentaires des ménages pour leur consommation à domicile (37,5 % en moyenne pour les huit métropoles de l’UEMOA).
◆ Les produits animaux (viandes, poissons et produits aquatiques, produits laitiers et œufs) représentent un peu moins d’un tiers (29,7 %).
◆ Les autres produits condimentaires, les huiles, le sucre, les légumes et les légumineuses, les épices, les fruits et les boissons représentent également un tiers des dépenses (32,8 %).
Alors que les débats sur la sécurité alimentaire se focalisent généralement sur les céréales, ces chiffres tendent à relativiser leur importance dans la consommation des citadins. Certes, elles occupent une place importante en termes d’apport calorique. Mais, en valeur économique, elles représentent moins du tiers de la consommation alimentaire moyenne.
Cette structure du budget alimentaire urbain permet de comprendre la relativement faible élasticité – prix de la consommation des céréales. Lorsque leur prix augmente, les consommateurs ajustent d’abord la composition de la sauce en produits animaux, en légumes et en huiles avant de réduire leur consommation.
Dans les pays du golfe de Guinée, la consommation de produits de base amylacés dépend un peu moins des céréales que dans les pays sahéliens. Les racines (manioc), les tubercules (igname, taro et macabo, pomme de terre et patate douce) et les bananes plantain y occupent une place non négligeable puisque leur consommation représente entre 20 et 25 % de celle des produits de base amylacés.
Pour déterminer l’ampleur des importations en apports nutritionnels, il faut mesurer – par pays – leur importance dans les disponibilités alimentaires par grands groupes de produits, puis croiser les pourcentages obtenus avec le poids de chaque groupe dans les disponibilités caloriques totales moyennes.
Sur l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, l’évolution depuis près de cinquante ans est à l’augmentation de la dépendance alimentaire, avec des périodes contrastées. Après une forte hausse à la fin des années soixante-dix, le recours aux importations s’est réduit dans les années quatre-vingt pour augmenter à nouveau dans les années quatre-vingt-dix et retomber depuis 2008. Les importations de céréales ont représenté moins de 10 % de l’apport calorique total en moyenne 2008 – 2009, alors qu’elles avaient dépassé les 18 % en 2007.
Les situations sont cependant contrastées entre les pays fortement importateurs (environ 40 % en 2008 – 2009 au Sénégal, en Mauritanie et au Liberia) et ceux qui le sont moins (en dessous de 8 % au Nigeria, au Mali, au Burkina et au Niger). Globalement, la dépendance céréalière régionale apparaît donc relativement limitée, malgré le discours insistant sur son importance pour l’Afrique.
Mais d’autres groupes de produits méritent une attention particulière car leur apport nutritionnel est loin d’être négligeable, alors que les approvisionnements de certains pays dépendent significativement du marché international : il s’agit des huiles végétales, des produits laitiers et du sucre.
Conclusion
Il faut retenir que les villes sont très dépendantes des importations de riz et de blé pour assurer leur sécurité alimentaire en produits amylacés de base. Mais, en valeur économique, les citadins consomment majoritairement des produits d’origine nationale ou régionale. Les céréales représentent moins du tiers de leurs dépenses alimentaires. Et les marchés urbains constituent des débouchés nettement plus importants pour les producteurs agricoles locaux que pour les importateurs internationaux.
Les villes dépendent certes des importations pour les produits de base. Mais leur marché exerce aussi un effet d’entraînement sur la production agricole et la transformation agro-alimentaire locales. Mis à part le blé qu’il est impossible de produire à des prix compétitifs par rapport au blé importé, tous les aliments consommés en Afrique de l’Ouest peuvent être cultivés dans la région.
Tous les autres produits consommés en ville – maïs, mil et sorgho, bananes plantain, viandes et poissons, légumineuses, huiles de palme, fruits et légumes, condiments – sont, au moins en partie, des produits commerciaux. Les cultures autrefois considérées comme vivrières, c’est-à-dire destinées à l’autoconsommation des ruraux, par opposition aux cultures de rente destinées aux marchés métropolitains ou internationaux, sont devenues des cultures commerciales.
Elles font l’objet de plus en plus de transformations artisanales rurales et urbaines et surtout d’un intense commerce entre les campagnes et les villes. Ce secteur d’intermédiation constitue aujourd’hui le principal effet d’entraînement sur l’agriculture et permet d’expliquer en grande partie le fort accroissement de la production alimentaire par tête constaté en Afrique de l’Ouest depuis les années quatre-vingt.
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