Etude sur la protection sociale en Mauritanie
Auteur (s): Carol Watson et Ould Brahim Ould Jiddou FAH
Date de publication: Mars 2010
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Toute société humaine dispose de systèmes et de pratiques plus ou moins formels, qui protègent ses propres membres contre les risques, définissent et règlent des actions d‟entraide et d‟assistance,promeuvent la famille, et canalisent la redistribution des biens et/ou des bénéfices de la société et de son développement. Dans la plupart des pays africains, les systèmes formels de sécurité sociale, souvent érigés selon les modèles adoptés dans les pays industrialisés, assurent une protection certaine aux membres inscrits. Cependant, seul une minorité infime de la population Ŕ constituée normalement de fonctionnaires et salariés du secteur formel de l‟économie – peuvent en bénéficier, laissant de côté la grande majorité dela population œuvrant dans l‟agriculture/élevage et dans les secteurs informels en milieu urbain.
A coté de ces systèmes formels de sécurité sociale, il y a des systèmes qui, basés sur les valeurs coutumières des groupes et/ou sur les principes religieux, visent à assurer la solidarité dans le groupe et à protéger les membres les plus faibles. Cependant, face aux transformations sociales et économiques actuelles, y compris celles qui semblent être inexorablement liées à l‟urbanisation, beaucoup de ces systèmes et pratiques commencent à perdre leur force et/ou à s‟effriter en faveur des valeurs plusindividualistes.
Dès lors, pour un pays comme la Mauritanie, le défi consisterait à repérer les stratégies les plus appropriées permettant d‟étendre à toutes les couches de la population cette protection qui est actuellement offerte par les systèmes formels de sécurité sociale et de promouvoir des valeurs et de pratiques traditionnelles de solidarité collective, tout en les adaptant aux nouveaux besoins de la société.
Le système formel de sécurité sociale en Mauritanie
La Mauritanie est parmi les états qui on souscrit à la Convention de l‟OIT n°102 de 1952 relative à laSécurité Sociale. Le pays dispose de trois régimes de sécurité sociale : celui qui est géré par la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) en faveur des travailleurs salariés du Code du Travail et du Code de la Marine Marchande; (ii) celui qui géré par la Caisse des Retraites de l’Etat en faveur des fonctionnaires et, enfin, (iii) celui de l‟assurance maladie qui est géré par la Caisse Nationaled’Assurance Maladies (CNAM) et qui bénéficie les fonctionnaires, les militaires et les parlementaires.
Ce dernier a été créé par l‟ordonnance N° 2005-006 portant institution d‟un régime d‟assurance maladie eta été récemment étendu à tous les établissements publics.18 Il y a également l‟Office National de la Médicine du Travail (ONMT), régi par la loi 2004/017 du 6 juillet 2004 portant code du travail en son article 255, chargé de promouvoir et maintenir le bien-être physique, mental et social de tous les travailleurs.
Le régime des travailleurs salariés
Ce régime a été établi en Mauritanie par la loi 67-039 du 3 février 1967. Il est géré par la CNSS, établissement public à caractère industriel et commercial sous la tutelle technique du Ministère de la Fonction publique et du travail et la tutelle financière du Ministère de l‟Economie et des Finances. D‟aprèsles principes de la solidarité du groupe, le financement de ce régime est basé principalement sur les cotisations des employeurs et des travailleurs salariés (voir tableau 5).
Selon les données les plus récentes concernant le taux de cotisations, 13% des cotisations est à la chargede l‟employeur et 1% à la charge du travailleur. Le plafond actuel est de 70.000 UM et le plancher minimum des cotisations est, selon le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) en vigueur, de 21.000 UM. 20 L‟affiliation au régime de sécurité sociale est obligatoire pour les travailleurs régis par leCode du Travail et le Code de la Marine Marchande et les salariés de l‟Etat ne disposant pas d‟un régimeparticulier de sécurité sociale (auxiliaires).
Le régime mauritanien couvre contre les risques de la vieillesse, l‟invalidité, le décès (survivants), les accidents du travail, les maladies professionnelles et les prestations familiales. L’employeur est tenu, dans le cadre du droit du travail, d‟assurer le service des soins de santé à ses salariés et aux membres de leurs familles. L’employeur assume également le paiement des indemnités journalières en cas de maladie. Par contre, les indemnités journalières de maternité sont servies dans le cadre des prestations familiales. Enfin, ce régime ne couvre pas contre le risque de chômage.
Systèmes traditionnels, informels et islamiques
Comme dans la plupart des pays africains, il y a une multiplicité de formes de solidarité locales et traditionnelles en Mauritanie, basées soit sur les liens de parenté, soit sur les valeurs religieuses. Certainsde ces systèmes traditionnels d‟entraide et de solidarité communautaire tendent à s‟effriter sous la force des bouleversements sociaux provoqués par des crises environnementales et économiques récentes,conduisant à des formes de sédentarisation et d‟urbanisation favorisant l‟individualisme aux dépens de la solidarité de groupe.
Mais d’ autres formes de solidarité traditionnelle peuvent aussi permettre la construction de nouvelles formes de sécurité sociale Ŕ ce qui est d‟autant plus nécessaire dans un contexte qui voit la disparition des anciennes formes d‟interdépendances fondées sur les relations inégales de pouvoir entre groupes dominants et subalternes et l‟émergence d‟une société plus démocratique et de nouveaux liens entre individus et groupes.
Dans les deux cas, la famille, quelle que soit sa structure, reste l‟institution de protection sociale de base, responsable, en premier lieu, de sauvegarder et de promouvoir le bien-être de tous ses membres. Toute politique de protection sociale doit prendre en compte ses forces et ses faiblesses et prévoir des mesures appropriées pour renforcer la résilience des ménages ainsi que leurs capacités de faire face aux risques de toutes sortes.
Solidarités traditionnelles
Une étude sur la solidarité sociale et la lutte contre la pauvreté en Mauritanie a identifié plusieurs formes de solidarité traditionnelle à caractère altruiste au sein de différents groupes ethniques.Dans la société maure, il s‟agit des lawhas et la touiza. Les lawhas sont des sortes de cotisation monétaire à parts égales que font les membres d‟un groupe d’une tribu ou d‟un clan, traditionnellement à l’occasion de certaines circonstances catastrophiques comme les diyas (compensation monétaire déterminée en faveur du tuteur d‟une personne tuée), mais aussi, et de plus en plus, à l’occasion d‟autres événements sociaux, les mariages, par exemple. La touiza est uneforme de travail collectif qu‟effectuent les membres d‟un groupe, d‟une classe d‟âge ou d‟un clan pourrépondre à un impératif de production dont pourrait bénéficié un ou plusieurs individus.
Par exemple en période d‟hivernage ou en période des cultures, les membres d‟une classe d‟âge peuvent s‟adonner à un travail de défrichage collectif de tous les champs des membres du groupe et ceci à tour de rôle (le même mécanisme pourrait aussi s‟appliquer a la réparation des cases endommagées). La pratique de latouiza se fonde culturellement sur l‟esprit associatif et d‟entraide africaine. Dans ses formes modernes, la touiza se pratique sous forme de participation à la réalisation de petits projets collectifs (digues, barrages, écoles, etc.). Certaines ONG explorent les terrains de la touiza pour élaborer des petits programmes de développement en s’associant avec des groupes sociaux pour réaliser des dispensaires, des mosquées, des habitations.
Chez les Halpoulaar il s‟agit plutôt du système de tontines et du piyé. Les tontines constituent une forme de solidarité sociale entre les membres d‟un même groupe, d‟un clan, d‟une classe d‟âge, d‟une catégorie professionnelle ou même entre voisins qui jouissent d‟une confiance mutuelle. Le système de tontine consiste à ramasser la cotisation monétaire de chaque membre, pour une période donnée(une semaine, un mois et plus) et à remettre cette somme à l‟un des membres, à tour de rôle. Dans sa forme moderne, la tontine est plutôt un phénomène urbain occasionné par des besoins liés aux circonstances de la vie en ville. C’est pourquoi on assiste aujourd’hui à une modernisation des tontines qui impliquent de plus en plus d’hommes alors qu’elles étaient à leur début une forme d‟entraide exclusivement féminine.
D‟autre part, le piyé est une forme de solidarité sociale qui fonctionne comme une source de financement collective, destinée à aider un ou plusieurs membres du clan ou de la classe d‟âge à l‟occasion des cérémonies de mariage ou de baptême. Le principe directeur du piyé, malgré ses multiples formes, reste cependant unifié : chaque membre du groupe cotise et l‟argent réuni est distribué de manière ostentatoire aux laudateurs-courtisans (griots, esclaves, forgerons), tandis que le reste est remis à l‟organisateur de la cérémonie. Le piye sert à maintenir et à renforcer les liens sociaux.
Mauritanie : selon un rapport de l’ONU, les trois quarts du pays vivent dans une extrême pauvreté
Auteur: Jeune Afrique
Date de publication : 23 juin 2017
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C’est un rapport sévère que présentera à la 35e session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU (6-23 juin) Philip Alston, rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté en Mauritanie, où il a effectué une mission du 2 au 11 mai 2016. Les conclusions qu’il en a tirées ne sont pas réjouissantes, constatant que « si la Mauritanie avait réalisé des progrès notables dans la lutte contre la pauvreté ces dernières années », les trois quarts de la population vivent « dans un état de pauvreté multidimensionnelle ou dans un état proche ». Outre l’insuffisance de leurs revenus, ils affrontent des difficultés multiples.
- Revenus
Selon une enquête gouvernementale de 2014, la pauvreté (revenu d’un ménage inférieur à 1,34 dollar par jour) a été ramenée de 42 % en 2008 à 31 % cette année-là ; 74 % des pauvres vivent dans les zones rurales. Le taux de pauvreté des ménages grimpe à 59,6 % quand le chef de famille est agriculteur.
- Accès à l’eau
« Dans les zones rurales où le rapporteur spécial s’est rendu, il constituait un problème majeur et persistant » : niveau des puits très bas contraignant les villageois à faire de longues queues, sources à des kilomètres du village, points d’eau partagés souvent à sec et hors de prix (504 dollars par an, soit plus que le seuil de pauvreté national, fixé à 474 dollars).
- Alimentation
« Selon le Programme alimentaire mondial, le pays serait en proie à une insécurité alimentaire chronique et à une forte prévalence de la malnutrition » : d’après l’enquête de suivi de la sécurité alimentaire réalisée en juillet 2015, 26,8 % des ménages étaient confrontés à une insécurité alimentaire durant la période de soudure.
En zone rurale, ce taux montait à 34,7 %. Les wilayas de Hodh el-Charghi, Assaba, Gorgol, Brakna, Tagant et Guidimagha affichent des taux de malnutrition aiguë supérieurs au seuil d’urgence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
- Éducation
« Sur le plan international, la Mauritanie se situe dans la moitié inférieure des pays en ce qui concerne les dépenses consacrées à l’éducation en pourcentage du PIB. » Le taux de scolarisation dans le primaire était de 81,1 % en 2014-2015 et de 26 % dans le secondaire. La même année, seulement 380 écoles primaires sur 4 430 disposaient de l’électricité.
- Santé
« Les difficultés pour accéder aux installations de santé ont été citées à maintes reprises parmi les préoccupations majeures », notamment en zone rurale : dispensaire très éloigné ou fermé et personnel de santé rare font que « le taux de mortalité maternelle est parmi les plus élevés du monde : d’après le recensement de 2013, il s’élève à 582 décès pour 100 000 naissances vivantes ». Le taux – « accablant » – de mortalité en 2015 chez les enfants de moins de 5 ans est de 84,7 décès pour 1 000 naissances, alors que le plan d’action 2010-2015 prévoyait 45 pour 1 000.
- Exclusion sociale
Philip Alston analyse ensuite l’exclusion qui frappe les Haratines (Maures noirs descendants d’esclaves) et les Afro-Mauritaniens (Peuls, Soninkés, Wolofs). Alors qu’ils représentent plus des deux tiers de la population, ces deux groupes « sont systématiquement absents des postes de responsabilité et constamment exclus de nombreux aspects de la vie économique et sociale », écrit-il.
Il s’appuie sur un rapport de 2014 d’après lequel « seulement 5 des 95 sièges à l’Assemblée nationale étaient occupés par des Haratines et un seul sénateur sur 56 appartenait à ce groupe. De plus, seulement 2 des 13 gouverneurs régionaux et 3 des 53 préfets régionaux sont haratines ». Les proportions sont comparables chez les officiers de l’armée et les gradés de la police. La domination des Beydanes (Maures blancs) est écrasante.
Le rapporteur écrit que « les responsables gouvernementaux n’ont cessé [de lui] répéter qu’il n’existait pas de discrimination en Mauritanie » et de prétendre que « les statistiques citées plus haut n’avaient pas un caractère scientifique, mais sans en proposer d’autres ». Il en conclut que « le fait de nier l’importance que revêtent les origines ethniques et d’affirmer que tous les citoyens sont traités sur un pied d’égalité, en ne faisant aucun effort pour cibler spécifiquement les groupes désavantagés, permet de maintenir en place le système actuel ».
Trois facteurs perpétuent cette exclusion : la langue, le régime foncier et l’état civil. La langue officielle est l’arabe, que de nombreux Mauritaniens ne parlent pas. Ils ne comprennent donc aucune communication officielle et, souligne Philip Alston, « il n’est pas difficile de déterminer qui profite et qui pâtit d’une telle politique ».
Des situations inextricables
Ensuite, l’abolition du régime foncier traditionnel en 1983 associée à l’expulsion en 1990 vers le Sénégal de 50 000 Afro-Mauritaniens de la vallée du fleuve Sénégal puis à leur retour progressif ont créé des situations inextricables. Sans titre de propriété ni pièce d’identité, ils ne peuvent obtenir de prêts pour les semences et les engrais et sont souvent menacés d’éviction sans indemnisation par des propriétaires beydanes ou de grands groupes du Golfe.
Enfin, « les Haratines et les Afro-Mauritaniens constituent l’écrasante majorité de ceux qui n’ont pas pu obtenir une carte d’identité nationale, sans laquelle on ne peut pas faire grand-chose en Mauritanie », insiste le rapporteur. Sans carte d’identité, pas d’école après le primaire, pas de droit de vote, pas de droit de propriété, pas d’aides publiques. « De nombreuses démarches administratives ont été introduites en droit et dans la pratique, ce qui a pour effet de dissuader un grand nombre de demandeurs, essentiellement des Haratines et des Afro-Mauritaniens », ajoute-t‑il.
En conclusion, Philip Alston préconise que, préalablement à toute stratégie de lutte contre la pauvreté, le pays se dote d’une base de données de recensement « qui reconnaisse l’appartenance ethnique ». Cette stratégie suppose aussi des « consultations approfondies et authentiques avec un large éventail de la société civile », dont le pouvoir a trop tendance à se méfier.
Enfin, il propose d’organiser « un dialogue national sur les questions foncières » qui donnerait à toutes les personnes concernées la possibilité de dire leurs difficultés. Ce dialogue devrait déboucher sur « une importante révision du cadre juridique du régime de la propriété foncière ».
Ce rapport est-il antigouvernemental, comme l’ont affirmé des ONG proches des autorités ? Non, ce qu’il met en lumière, c’est le déni des cercles du pouvoir, qui ne veulent pas voir les vraies causes de la grave pauvreté qui persiste dans leur pays, parce qu’il leur faudrait reconnaître que leur jeune nation est multiethnique.