Dans le cadre du débat sur la paix et la sécurité en Afrique de l’Ouest, WATHI a rencontré le professeur Seydou Khouma, spécialiste des questions sur l’islamisme et le radicalisme religieux au Sénégal. Dans cet entretien, il analyse la montée de l’extrémisme violent en Afrique de l’Ouest ainsi que les réponses qui sont apportées à ce phénomène.
- Pourquoi l’islamisme et l’extrémisme violent sont devenus des sujets de préoccupation majeure en Afrique de l’Ouest ces dernières années ?
Le contexte africain d’aujourd’hui favorise dans une large mesure les postures de revendication identitaire. L’Afrique se cherche toujours. Depuis la colonisation jusqu’aux indépendances, le continent est en proie à des convoitises qui le déstabilisent.
Au lendemain des indépendances, certains dirigeants avaient prévenu que l’Afrique devrait nécessairement maîtriser trois facteurs pour construire son avenir : l’ethnie, la religion et la question des territoires. Après six décennies d’indépendance, ces questions semblent s’inscrire au cœur des problématiques de paix, de sécurité et de développement. Il semble que pour revendiquer, il faut une justification qui renvoie soit à l’idéologie, à l’ethnique ou au géographique.
L’idéologie renvoie à une revendication légitimée par le contexte géopolitique international et la situation politique de beaucoup de pays mal gérés. L’idéologie est l’arme des faibles et des dominés, en ce sens qu’elle permet une thérapie psychologique pour les mœurs. L’échec des politiques économiques, sociales et culturelles exacerbe les contestations et focalise les postures de révolte contre les États de manière générale, la classe politique et les puissances étrangères.
Au lendemain des indépendances, certains dirigeants avaient prévenu que l’Afrique devrait nécessairement maîtriser trois facteurs pour construire son avenir : l’ethnie, la religion et la question des territoires.
C’est donc le retour des quêtes d’identité religieuse, ethnique, territoriale qui s’expriment à travers des formes d’extrémisme, y compris celles violentes. Les populations cherchent une alternative qu’elles pensent trouver dans la promesse d’un islam lointain qui est à la limite utopique. Cette situation, de mon point de vue, favorise le développement de l’islamisme et de l’extrémisme violent en Afrique de l’Ouest.
- Quels sont les liens entre l’ampleur actuelle de l’extrémisme violent dans la région et les dynamiques des relations internationales ?
L’influence des puissances occidentales et la géopolitique internationale renforcent les extrémistes de façon générale. Il semble que l’ordre ou le désordre établi par les grandes puissances en Afrique et dans le monde, favorise le déchirement des tissus sociaux et l’instabilité politique des pays africains. L’Afrique est devenue une terre d’enjeu économique surtout parce qu’elle regorge des ressources essentielles pour la survie de l’Occident comme de certains pays asiatiques.
Aujourd’hui, elle est convoitée et il est sûr qu’on ne la laissera pas envisager son avenir seule. C’est pour cela que certaines populations détestent les dirigeants africains et les politiques mises en œuvre dans leurs pays. Ils se révoltent même contre l’ordre établi par les puissances étrangères. C’est dire que les relations internationales n’offrent aucune perspective de stabilité en Afrique. Au contraire, elles contribueraient même à exacerber les extrémismes et les violences.
L’Afrique est devenue une terre d’enjeu économique surtout parce qu’elle regorge des ressources essentielles pour la survie de l’Occident comme de certains pays asiatiques.
- Est-ce que les citoyens des pays d’Afrique de l’Ouest ont conscience de cette menace ?
Les populations sont conscientes de la situation d’insécurité mais pas assez de la menace qu’elle représente. Elles n’évaluent pas correctement les perspectives qui sont liées à cette situation. Il y a un discours religieux qui défend la violence et l’extrémisme sans s’en rendre compte.
- Qu’est-ce que le leadership religieux dans des pays avec une communauté islamique riche, érudite et structurée comme le Mali, le Sénégal ou le Niger fait face au discours islamiste ?
Au Sénégal comme au Mali, il y a des leaders religieux qui soutiennent l’extrémisme. Ils pensent et ils déclarent que la meilleure réponse à nos problèmes c’est l’islam dans l’absolutisme. Sur les grandes questions sociales comme le code de la famille, ces leaders s’affichent contre les États et les déclarent, à la limite, pro-occidentaux. C’est ainsi qu’ils trouvent toujours l’occasion de remettre en cause la laïcité des États alors qu’au sein des populations, il y a cette laïcité. Ce qui ne manque pas de discréditer les autorités politiques et ouvre la voie aux contestations qui vont fragiliser les États.
Les fractures au sein des populations et la faiblesse des États créent des situations favorables à la déstabilisation. Ces leaders religieux, à partir d’un islamisme inconscient, remettent en cause les systèmes éducatifs mis en place et développent dans le même temps une éducation qui réduit les espaces de dialogue et les chances du vivre ensemble.
Ce qui différencie le Sénégal du Mali, c’est la forte présence et l’ampleur des confréries soufis. Cependant, ces confréries devraient développer des stratégies à même de contrecarrer l’offensive des courants extrémistes. Elles devraient également quitter la posture de déconstruction ou de défense pour être dans la construction ou l’offensive, afin de jouer le rôle d’avant-garde qu’on leur a connu.
L’ordre ou le désordre établi par les grandes puissances en Afrique et dans le monde, favorise le déchirement des tissus sociaux et l’instabilité politique des pays africains
Les médias, les organisations caritatives, les mosquées d’éducation, les groupements d’intérêt économique (GIE) peuvent apporter leur aide. Il faut donc que les confréries pensent leur action de façon renouvelée. Les vulnérabilités religieuses nourrissent les extrémismes et les radicalismes. Il ne faut pas oublier que l’islamisme n’est pas que politique, il se manifeste dans le malaise que les populations vivent à travers les mutations qu’elles ne comprennent pas et n’assument pas face à la modernité, et les questions que soulève cette modernité.
- Quelles sont les limites et les insuffisances des politiques étatiques pour prévenir la montée en puissance du phénomène islamiste ?
Les politiques étatiques ne sont pas souvent efficaces en matière de services sociaux de base, de préservation des espaces laïcs et de gestion de la question religieuse. Le fait que les États ne s’occupent pas des religions exacerbent la quête d’identité religieuse des populations.
L’État doit prendre en charge de façon idoine la demande en enseignement religieux des populations. Sinon, à sa place, ce sont des marchands de doctrine qui se présenteront pour transmettre toutes sortes de pensées aux jeunes générations.
Le 21ème siècle coïncide avec le retour de Dieu dans la cité comme on le dit souvent. Il y a un réveil islamique dont il faut être conscient et bienveillant. Si en Europe, il est question de prendre en charge la question religieuse à l’école publique, pourquoi pas en Afrique ? Pour cela, il sera nécessaire de faire dialoguer les valeurs religieuses car elles se valent et promeuvent toutes la paix.
Au Sénégal comme au Mali, il y a des leaders religieux qui soutiennent l’extrémisme. Ils pensent et ils déclarent que la meilleure réponse à nos problèmes c’est l’islam dans l’absolutisme.
Le but de l’éducation religieuse doit être pour l’État de donner un soubassement moral et religieux au vivre ensemble ; ce qui n’est pas la promotion d’une religion ou sa défense. Il faut accepter le paradigme selon lequel la citoyenneté dans une république laïque impose un certain accord et une reconnaissance des institutions politiques, mais ne néglige pas l’identitaire. Il peut même faire appel à l’identitaire tandis que celui-ci ne se pose pas comme une condition à la citoyenneté.
- Doit-on repenser l’enseignement arabo-islamique en Afrique de l’Ouest ?
Oui, mais il doit être dépouillé de toute tendance à une revendication identitaire repliée sur elle-même. L’enseignement religieux doit être pris en charge dans le cadre républicain afin qu’il soit inscrit dans son rôle de construction de la citoyenneté, soutenue par la religion et non exercée au nom de celle-ci. Aussi longtemps qu’il sera négligé par les États, il sera impossible de lutter contre les extrémismes. L’enseignement arabo-islamique doit être sorti du carcan de défense de la religion afin de s’occuper de l’homme et de son besoin de développement.
L’éducation est trop sérieuse pour être laissée entre les mains des extrémistes. Il y a des écoles religieuses qui sont ouvertes n’importe où et par n’importe qui sans le contrôle en amont ou en aval de l’État. Dans le contexte actuel, seule l’éducation peut créer une certaine conscience citoyenne et l’État devrait s’en porter garant.
- Quelles politiques de prévention envers les jeunes qui ne sont pas allés à l’école ou ont décroché ?
Il doit y avoir des formations alternatives à l’offre actuelle de l’école. La formation aux métiers demeure une voie efficace d’intégration des jeunes d’autant plus que l’enseignement général n’offre plus de grandes perspectives d’insertion professionnelle. Le mythe du cadre bien formé ou celui d’élite doit céder la place au réalisme éducatif, laquelle devra promouvoir une inclusion dans toutes les couches de la société.
Le but de l’éducation religieuse doit être pour l’État de donner un soubassement moral et religieux au vivre ensemble ; ce qui n’est pas la promotion d’une religion ou sa défense
- Les États ouest-africains doivent-ils revoir leurs relations avec les pays qui ont la réputation de financer les idéologies islamistes ou de former leurs prédicateurs ?
Les relations entre États sont souvent fondées sur des intérêts économiques, ce qui pose des problèmes en Afrique à cause de la pauvreté du continent. Certains pays musulmans développent un prosélytisme qui crée des fractures au sein de nos sociétés, et menacent de rompre les contrats sociaux qui ont longtemps préservé nos pays. Ces mêmes pays musulmans aident beaucoup les populations démunis en leur offrant des services de base en termes d’éducation, de santé…, qui devaient être fournis leurs propres États. Il va de soi que lorsque l’État se dérobe de ses missions, il balise le chemin à toutes sortes d’influences. C’est ainsi que nos pays sont vulnérables à des discours extrémistes qui peuvent provenir de l’étranger.
Crédit photo : aa.com
Dr Seydou Khouma est professeur d’université à la Faculté des sciences et technologies de l’éducation et de la formation (FASTEF). Il est l’auteur d’une série de recherches sur les mouvements islamistes au Sénégal.
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Merci professeur, je suis séduire par la qualité de l’interview et de vos réponses. Jeune Ivoirien de la Société civile