Orphée Douacle Kette
Dans son approche habituelle de « state building », la communauté internationale n’y est pas allée de main morte pour reconstruire l’État failli de la République Centrafricaine (RCA) ; elle s’est employée vigoureusement pour la tenue et l’aboutissement de l’Accord de Khartoum. Paradoxalement, cette communauté internationale est emplie d’un optimisme malsain, qui est l’affirmation que dans et pour ce pays, il y a toujours quelque chose à faire.
Surtout en faisant ce que je qualifie “d’activisme méprisant”. “L’activisme méprisant” qualifie un accord ou un plan concocté par la communauté internationale mais qui n’en est pas un en réalité; c’est-à-dire, lorsque les objectifs sont inexistants ou visent prioritairement à flatter le narcissisme des acteurs – autorités et les seigneurs de guerre confondus.
Il y a, effectivement, toujours à faire, ne serait-ce que ne « rien faire », en avalisant la passivité et la moindre envergure des autorités de ce pays, et donc les outrepasser dans leurs prérogatives pour une tutelle sans dire le nom, en feignant de lutter contre l’abandon du peuple tout en assurant un maximum de confort aux tenants du pouvoir.
L’Accord de Khartoum a accentué cette part sombre de l’humanité en déniant aux victimes le droit à la justice, faisant d’elles de pauvres affligées qui ne méritent que des indemnisations sans connaître les auteurs ou coupables de leur malheur
Autisme ou cécité ? Cet accord est source de conflit et doit être reconsidéré de son qualificatif de panacée à la crise centrafricaine. Il n’est rien d’autre qu’une incurie supplémentaire que la communauté internationale s’inflige croyant régler cette crise interminable par un accord où la justice est exclue en validant un cosmopolitisme nouveau.
Un Accord de paix entre un pouvoir élu démocratiquement et quatorze groupes armés sans que ceux-ci ne soient tenus à rien, sauf à leur seule bonne foi. La cause est-elle si désespérée d’arriver à valider ce que bon nombre d’observateurs sérieux pourraient considérer comme imitation de paix ; pis, de forfaiture ?
Les conflits armés sont révélateurs de la part sombre de l’humanité. Donc, les plans de règlement devraient être l’antithèse des guerres, c’est-à-dire remettre de l’humanité dans le milieu où celle-ci est contestée. L’Accord de Khartoum a accentué cette part sombre de l’humanité en déniant aux victimes le droit à la justice, faisant d’elles de pauvres affligées qui ne méritent que des indemnisations sans connaître les auteurs ou coupables de leur malheur.
Ainsi, l’Accord de Khartoum fait partie de cet activisme méprisant. Pourtant, ce pays cherche désespérément un appareillage pour remonter la pente et participer à la mondialisation comme le reste des pays de la planète.
Des préalables oubliées
L’État centrafricain, à travers ses dirigeants, ne s’est pas donné les moyens pour un dialogue, véritable amorce d’un retour de la sécurité, première étape de la réconciliation. Deux préalables occultées qui valent très cher : à moins que le cynisme soit le programme politique retenu par le pouvoir de Bangui.
Le pouvoir centrafricain aurait dû conditionner sa participation à cette négociation par la levée ou l’assouplissement même partiel de l’embargo qui frappe son armée depuis 5 ans. Une offensive diplomatique ciblée plaidant cette offre avait des chances d’aboutir, l’immobilisme a primé.
Les autorités ont en face d’eux 14 groupes armés. Ceux-ci ne sont pourtant pas homogènes. Ils peuvent être classés en 3 catégories : des groupes rebelles nationaux avec des revendications locales; des groupes rebelles de mercenaires étrangers à revendication sécessionniste et des groupes rebelles transfrontaliers.
Catégoriser ces groupes armés, pouvait permettre d’identifier avec quel(s) groupe(s) négocier véritablement et avec qui ne pas négocier car n’ayant pas de raisons d’être en Centrafrique. Les groupes armés étant considérés abusivement comme une entité homogène ont pu imposer leurs revendications : entrée dans le gouvernement ; intégration dans les rangs de l’armée avec des grades d’officiers généraux et la gestion de régions non moindres du pays. Parmi eux, bon nombre d’étrangers en violation flagrante de la Constitution du pays.
Le pouvoir centrafricain aurait dû conditionner sa participation à cette négociation par la levée ou l’assouplissement même partiel de l’embargo qui frappe son armée depuis 5 ans
En plus de ces deux erreurs mises en évidence, les Accords de Khartoum portent d’autres insuffisances qui ne peuvent que complexifier les données présentes et futures de la RCA. Ces autres aspects laissent apercevoir la fragilité de cet accord qui sera le pivot de conflits futurs au lieu de consolider la paix.
Parmi eux, deux éléments majeurs portent les germes de l’enlisement de cette crise : les intérêts divergents de la Russie et de la France, deux puissances présentes en RCA. Il y a aussi la non neutralité des parrains de l’accord; L’Union africaine et l’Organisation des Nations Unis. S’y ajoutent les agissements du Soudan et du Tchad, deux pays frontaliers de la RCA qui n’ont aucun intérêt à recueillir leurs ressortissants impliqués en nombre dans le conflit et qui se sont depuis installés en Centrafrique.
L’accord semble également inadapté aux conflits. Il consacre la force militaire imposée par un groupe d’individus à tout un pays, des étrangers devenant de facto par la force des nationaux. Cette naturalisation par la force assimilée à une annexion larvée est en train d’être validée par la communauté internationale. Cela peut induire une envie de revanche dans le futur.
Catégoriser ces groupes armés, pouvait permettre d’identifier avec quel(s) groupe(s) négocier véritablement et avec qui ne pas négocier car n’ayant pas de raisons d’être en Centrafrique
Il y a également l’impossible introspection des groupes armés. En effet, les chefs des groupes armés croient que cet accord est la conséquence directe de leur puissance militaire et donc tout futur désaccord devra être résolu que par la force dont ils se croient les dépositaires dans le pays. Les massacre de Zangba et de Paoua intervenant après la signature de l’accord confortent aisément cette thèse.
Personne ne niera que la faiblesse économique du pays est un catalyseur du conflit. La réinsertion devrait permettre à ce pays de lancer un grand programme de formation dans l’artisanat en s’alignant sur les potentialités des différentes régions. La réforme du secteur de la sécurité et de la défense a manqué d’idéologie.
En définitive, la crise en Centrafrique et son traitement par les Nations-Unies révèlent trois pics lourds de conséquences. Le premier est l’abdication de la politique devant la force illégitime des armes. Cette abdication est un véritable appel à tous les groupes armés sur le continent. Ajoutons à cette réalité, la fragilité des États frontaliers et la présence saoudienne (wahhabisme) au Soudan qui constitue un cocktail explosif en préparation, mais, pour l’instant n’intéresse personne.
Le deuxième est le passif que ne cesse d’accumuler l’Union africaine. Cette institution a toujours été récessive en s’alliant avec d’autres institutions internationales concernant l’Afrique. Les cas ivoirien, libyen et aujourd’hui centrafricain démontrent cette récurrence.
Le troisième est la révélation que la présence des Nations-Unies dans les pays africains complexifient les données et n’empêche guère les crimes de masse. Depuis le Shoah, du Rwanda à la Côte d’Ivoire en passant par le Mali, la RDC et la RCA les massacres de masse se sont passés en Afrique en présence des Nations-Unies sans réaction majeure.
La quatrième, très essentielle est l’inexistence d’une ligne politique dense émanant de Bangui à la hauteur des enjeux que traversent le pays. Le politique a fait du pays un passager clandestin de la mondialisation. Le pays a tout intérêt à sortir des approches ethno centrafricaines pour embrasser le monde via sa sous-région mais en premier lieu penser le pays par l’intégration de sa population et de ses régions où un certain nombre n’a plus de lien concret avec le pays.
Ces réalités imposent une conceptualisation des paramètres réels ou sous-tendant les positionnements de l’ONU et de l’UA. Ce, par les Africains en incitant à repenser la perception de cette institution et penser à posteriori les règlements des conflits locaux.
Orphée Douacle Kette est un militant politique indépendant. Il est engagé dans des réflexions pour la paix ainsi que des actions humanitaires en Centrafrique et membre de l’association « Perles de Lumière d’Afrique ».