Dans le cadre du débat sur l’enseignement supérieur en Afrique de l’Ouest, l’équipe de WATHI s’est entretenue avec le Professeur Francis Akindes. Il évoque les nouveaux défis des universités des pays francophones dans la région.
Extraits de l’entretien
Regard général sur les systèmes universitaires en Afrique de l’Ouest
Mon analyse renvoie aux universités francophones en général, et ivoiriennes en particulier. J’aurais tendance à dire que ces universités ne se sont pas encore adaptées au monde d’aujourd’hui, qui est un monde qui change. L’offre de formation dont elles disposent ne leur permet pas de jouer le rôle qui doit être le leur dans les différents pays concernés.
La question de l’accès à l’enseignement supérieur
Dans tous les pays d’Afrique de l’Ouest francophone, on constate une demande croissante d’enseignement supérieur. Il y a de plus en plus de bacheliers et on note chaque année la difficulté à améliorer la qualité de leur orientation. On entend souvent parler de l’adéquation entre l’offre de formation et l’emploi, mais ce problème est le même depuis plus de 20 ans.
Nous ne sommes pas arrivés jusque-là à trouver une solution qui soit satisfaisante pour toutes les parties car, d’un côté, les entreprises se plaignent que les diplômés ne sont pas immédiatement opérationnels, et de l’autre, les diplômés se plaignent de ne pas trouver un emploi. Il y a donc un problème lié à l’emploi que l’on n’arrive pas à juguler et qui est particulièrement important dans les sociétés africaines où la démographie est galopante.
Les avantages d’une université plus sélective
Il faut développer un système qui n’exclut pas mais qui n’exclut pas non plus l’élitisme, tel est le dilemme. Pour rendre le système éducatif inclusif par le haut, il faut maintenir une part de ce système “élitiste”. Le monde d’aujourd’hui impose une grande compétition et d’importantes ressources dans le milieu universitaire, ce qui rend très difficile le maintien d’un système totalement égalitaire.
Le système doit permettre que l’on puisse offrir à chaque étudiant ce qui correspond à ses capacités réelles. Il faut que si un enfant n’arrive pas à franchir le cap du primaire ou du secondaire, qu’il puisse être orienté vers une formation alternative qui lui permette de s’épanouir. Il faut vraiment que ces jeunes puissent intégrer le marché de l’emploi ou développer leur propre activité.
Il y a un problème lié à l’emploi que l’on n’arrive pas à juguler et qui est particulièrement important dans les sociétés africaines où la démographie est galopante
En ce qui concerne la mise en place de mesures, les universités ne doivent pas faire ce travail car ce rôle est dévolu aux décideurs politiques. Cela doit faire partie de la politique d’éducation dans un pays. Il faut avoir une vision prospective et organiser le système en fonction de la vision que l’on en a et des besoins futurs. Il faut donc avoir un goût pour l’anticipation pour espérer organiser les choses, en donnant au système éducatif la place qui est le sien.
Le problème de l’adéquation entre le marché du travail et l’offre de formation
Ce qui caractérise la plupart de nos Etats, c’est la prise de décision dans l’urgence. On décide de tout dans l’urgence. Par exemple, on se comporte chaque année comme s’il n’y avait pas le baccalauréat et que les problèmes d’organisation de cet examen n’étaient pas les mêmes d’année en année. Le problème, c’est qu’on ne peut pas gérer un système éducatif dans l’improvisation ! Depuis qu’on est passé au système Licence-Master-Doctorat (LMD), on préconise de faire des offres de formations professionnalisantes. Les enseignants élaborent eux-mêmes des formations professionnalisantes, mais les professionnels ne sont pas forcément impliqués dans ces formations.
Le problème, c’est qu’on ne peut pas gérer un système éducatif dans l’improvisation !
Le deuxième problème, c’est que beaucoup d’enseignants créent leur propre Master dans des établissements privés. Cette situation permet surtout aux professeurs de faire du business, en demandant de grosses sommes d’argent aux étudiants. C’est particulièrement grave. Ces formations ne permettent pas forcément aux futurs diplômés d’intégrer le marché de l’emploi. Il y a une forme de tricherie dans tout cela. Les autorités doivent être plus vigilantes sur ces questions, parce qu’il est essentiel d’avoir un regard extérieur qui puisse aider à améliorer l’offre de formation des universités.
Les enseignements que l’école publique peut tirer de l’école privée
Aujourd’hui, l’école privée a tendance à mieux faire que l’école publique. Je ne parle ici que de certaines écoles privées. Dans certains pays, l’État ne peut plus financer le secteur universitaire et accueillir tous les étudiants. Il incite souvent les étudiants à se tourner vers des formations privées qui fonctionnent exclusivement selon une logique marchande et qui prêtent peu attention à la qualité de la formation. Or, ce n’est pas de cela dont nous avons besoin ! Il faut que l’État apprenne à bien évaluer ces offres de formation qui viennent du privé, si on veut avoir un jour un système éducatif permettant de répondre vraiment aux enjeux nationaux et aux aspirations des plus jeunes.
Les différences de contenus dans la formation dans le public et dans le privé
On a longtemps dit qu’il fallait sortir de l’ancien système et basculer dans le système LMD dans les pays d’Afrique de l’Ouest. On a défini le cadre et les aspects techniques du système LMD, mais il semble que l’on en est resté dans la lettre pour le moment, et que l’esprit ne soit pas encore respecté. La conséquence de cela, c’est que beaucoup d’enseignants ont simplement intégré leurs anciens cours dans le nouveau système, parfois sans la moindre modification pédagogique. Il n’y a pas de cohérence et le système ne fonctionne pas par objectifs. Aujourd’hui, il y a en réalité un besoin de cohérence du haut vers le bas.
Etat des lieux des conditions de production scientifique en Afrique de l’Ouest
Ce qui frappe particulièrement dans les facultés de sciences des pays francophones, c’est la faiblesse d’équipement des laboratoires. L’autre problème, qui concerne également les facultés de lettres, c’est la disponibilité de l’information scientifique. Comment peut-on espérer produire une connaissance de pointe si on n’a pas accès aux informations les plus récentes ? On dit en Afrique que c’est au bout de l’ancienne corde qu’on attache une nouvelle. La logique de la recherche également est celle-là. Encore faut-il connaître là où s’arrête l’ancienne corde. Cette capacité à faire l’état des lieux des connaissances fait défaut en Afrique.
Un autre aspect important est l’aversion de nombreux professeurs pour la langue anglaise. Une bonne partie de la connaissance disponible étant en anglais, il est important que les collègues francophones se rendent compte du caractère incontournable de l’anglais. Beaucoup de chercheurs dans les universités francophones se plaignent du fait que l’État ne finance pas assez la recherche, mais il ne faut pas se contenter de ces moyens étatiques ! Il faut aller chercher des financements sur le marché international et oser travailler en réseaux sur des questions internationales avec des chercheurs d’universités du Nord, d’Amérique ou bien d’Asie.
Il n’y a pas de couleur à l’université, mais seulement des capacités qui s’expriment et qui sont mobiles et mobilisables d’une université à une autre
Les chercheurs francophones ne savent pas rédiger un programme de recherche et répondre aux appels d’offres des programmes internationaux. C’est cette logique qu’il faut promouvoir dans les universités pour que les chercheurs puissent financer leurs activités et ne pas se cantonner à faire de l’enseignement. Evidemment, c’est très concurrentiel, mais c’est la mondialisation ! Le monde change et il ne peut pas nous attendre ! Cela ne veut pas dire que je suis pour une approche libérale de la recherche, mais aujourd’hui vous ne trouverez de l’argent pour faire de la recherche que si vous entrez dans une logique compétitive.
L’ intérêt des partenariats avec le secteur privé pour financer la recherche
Les fondations financent beaucoup la recherche, mais sur des sujets qui les intéressent. Il y a toute une dimension éthique de la recherche lorsque vous êtes un chercheur financé par un Etat. C’est à vous de savoir trouver le compromis avec le privé, pour qu’une partie des résultats de cette recherche retombe dans le domaine public et serve à la population qui vous finance. C’est cette logique qu’il faut promouvoir dans les universités afin d’avoir des chercheurs qui répondent aux standards mondiaux.
Aujourd’hui, on ne saurait parler d’université africaine, asiatique ou américaine, parce que l’académie est mondialisée. On a des collègues qui quittent nos universités pour enseigner dans les universités européennes, américaines ou même asiatiques, et il y en a d’autres qui viennent d’Europe pour enseigner en Afrique.
Il n’y a pas de couleur à l’université, mais seulement des compétences qui s’expriment et qui sont mobiles et mobilisables d’une université à l’autre. Pour que nos chercheurs atteignent le niveau international, il faut forcément promouvoir cette culture universitaire qui permettra aux intellectuels africains d’être résilients face aux contraintes qui limitent leurs capacités.
Le droit de regard des bailleurs sur le contenu des formations
Il est évident que des acteurs du secteur privé pourront avoir un droit de regard sur les enseignements dispensés. En effet, si vous mobilisez des ressources auprès d’une institution, vous devez rendre compte à cette dernière de l’utilisation de ces financements. Elle aura donc un droit de regard et vous devrez justifier de la qualité de votre recherche par des résultats.
Cela a beaucoup d’avantages, mais il faut faire en sorte que ces résultats de recherche ne soient pas dédiés exclusivement au secteur privé. Cette recherche doit avoir une dimension publique qui permette de changer quelque chose qualitativement dans la société. Elle ne peut pas profiter qu’à ceux qui privatisent la connaissance pour en faire de l’argent.
Les solutions alternatives pour les jeunes à l’heure du numérique
Je pense que les nouvelles technologies sont une véritable chance pour nous, pays du Sud, qui n’avons plus les moyens de continuer à construire des amphithéâtres ou de nouvelles universités. Les nouvelles technologies permettent de répondre à cela, avec bien sûr des mesures d’accompagnement pour que cela soit possible. Certains pays font de vrais efforts, notamment le Sénégal. Les sociétés civiles devraient encourager les Etats dans cette voie.
Concernant l’information scientifique, il y a aujourd’hui une vraie alternative à la nécessité d’avoir une bibliothèque. Il y a ce que l’on appelle les bibliothèques numériques à travers lesquelles vous pouvez avoir accès à n’importe quel livre ou revue. Pourquoi nous priverions-nous de ce moyen ? J’ai parfois l’impression qu’on ne comprend pas encore l’importance centrale du capital humain et de l’éducation.
Je pense que les nouvelles technologies sont une véritable chance pour nous, pays du Sud, qui n’avons plus les moyens de continuer à construire des amphithéâtres ou de nouvelles universités
Il ne faut pas faire semblant d’éduquer les gens. Dans les universités francophones, aujourd’hui, l’essentiel se résume à éviter les grèves. On estime avoir réussi l’année quand il n’y a pas de grève et quand les examens ont eu lieu à la date prévue. Plus personne ne se préoccupe de la qualité de la formation. Cette situation est très dangereuse et engendre un retard de nos pays par rapport à ceux qui se sont concentrés sur le caractère qualitatif de l’éducation.
Les problèmes à résoudre pour espérer de meilleurs systèmes académiques à l’avenir
Pour commencer, il y a une jeunesse qui est en quête de savoirs et de meilleures conditions d’étude. Cela explique les grèves multiples et les nombreuses manifestations. Selon moi, cela doit être un des enjeux capitaux dans nos sociétés. Malheureusement, j’ai l’impression que l’éducation passe complètement au second plan. Les grèves d’étudiants sont devenues de plus en plus violentes et on ne questionne pas d’où provient cette violence.
Cette dévalorisation est très dangereuse parce que les professeurs sont un maillon très important de la reproduction de l’ordre social et de la connaissance dans la société
Selon moi, c’est un signe d’une rupture entre les aînés et les cadets. Ces jeunes ont comme seul moyen d’ascension l’acquisition de compétences dans la violence et la rhétorique politique. Au sein de ces universités, ils acquièrent un capital social en criant, en transformant des causes objectives en causes politiques, puis en faisant croire à leurs camarades qu’il faut passer par la violence pour défendre ces causes. Le fait que ce phénomène devienne un véritable modèle alternatif dans nos sociétés est un vrai problème.
L’autre phénomène que je constate à tous les niveaux du système éducatif, c’est que les professeurs désespèrent de plus en plus de leur profession. Par exemple, en Côte d’Ivoire, ils préfèrent souvent passer le concours de l’Ecole nationale de l’administration (ENA). Il est mieux vu d’être directeur dans l’administration que d’être enseignant. Cette dévalorisation est très dangereuse parce que les professeurs sont un maillon très important de la reproduction de l’ordre social et de la connaissance dans la société. Si on en est arrivé à ce niveau de perception, c’est qu’il faut interroger vraiment les soubassements de cette désaffection pour l’institution scolaire.
Source photo : lintelligentdabidjan.info
Francis Akindes est professeur de Sociologie politique et d’économie à l’université Alassane Ouatarra en Côte d’Ivoire. Il est également directeur de programme de la chaire UNESCO de bio-éthique au sein de cette même université.
3 Commentaires. En écrire un nouveau
Vraiment merci Professeur !
Votre analyse est d’un caractère général et absolu. Je pense avec insistance que la production scientifique est très faible en Afrique francophone. Certe nos intellectuels doivent s’orienter vers les financements privés pour combler le vide laissé par nos Etats, mais dans le cadre des politiques publiques, la production scientifique devrait être plus promue. Par ailleurs, le comportement de mes camarades étudiants est quelque peu déplorable, dans la mesure où leur seule voie de revendication se résume à la violence. Et il est à noter qu’il devient de plus en plus fréquent que les étudiants intègrent des mouvements politiques et se concentrent moins sur les études.
Pour ce qui a trait au numérique, les stratégies doivent êtres améliorées et adaptées aux contextes de chaque pays en termes d’éducation.
Sur ce, je vous remercie de cette profonde analyse.
Je trouve professeur votre analyse de la situation du système éducatif très pertinente. Nos universités ne se retrouvent toujours pas dans se passage de l ancien système à celui du système LMD, qui pour ma part devrait avec un minimum d’infrastructure permettant aux apprenants d’adéquation avec le monde professionnel. Le système LMD devrait pouvoir permettre à nos universités africaines de traités les problématiques de l employabilité de nos gouvernements. Autrement dit nos gouvernements doivent se référer à nos universités africaines pour résoudre des problèmes de gouvernance auxquels ils sont confrontés.
Cette analyse est pertinente,merci Mr le professeur