Site de publication : lemonde.fr
Auteurs : Yassin Ciyow
Date de publication : 12/07/2021
Type de publication : Article
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Dans la capitale économique ivoirienne, les salles de quartier ont disparu. Comblant un vide, l’exploitant privé Majestic a ouvert quatre sites.
Tout semble figé comme une scène de crime. Au rez-de-chaussée du bâtiment, les rangées de sièges bleu métallique attaqués par la rouille sont tournées vers le mur blanc. Au premier étage, le sol est jonché d’affiches de films, de cassettes VHS de grosses productions hollywoodiennes de la fin du XXe siècle et de négatifs noircis par la poussière et le temps.
A l’extérieur, la façade du légendaire cinéma Le Dialogue est défigurée par les impacts de balles de gros calibre datant des derniers jours de la crise post-électorale qui a secoué la Côte d’Ivoire en 2010 et 2011. C’est d’ailleurs à cette époque qu’a été assassiné Sinaly Dansoko, le dernier gérant des lieux, situés à l’entrée de Yopougon, la plus grande commune d’Abidjan.
A Yopougon, les cinéphiles avaient le choix entre quatre salles obscures. Dans les années 1970 à 1990, Abidjan comptait une quarantaine de cinémas de quartier et le pays tout entier une centaine
Ces dernières années, celui qui fût son assistant et son ami, Moussa Diaby, a bien tenté de faire revivre le « dernier cinéma populaire de Côte d’Ivoire ». En vain. La dernière séance remonte au 16 décembre 2014.
Une simple visite guidée à travers l’histoire permet pourtant de saisir le mythe qui entoure cette institution de quartier, inaugurée en 1982 avec une capacité de mille places assises.
« A Yopougon, les cinéphiles avaient le choix entre quatre salles obscures. Dans les années 1970 à 1990, Abidjan comptait une quarantaine de cinémas de quartier et le pays tout entier une centaine. »
Le ticket d’entrée oscillait entre 100 et 250 francs CFA (de 0,15 à 0,40 euro) dans les quartiers populaires, et beaucoup plus au cinéma Le Paris dans le quartier du Plateau ou à L’Ivoire à Cocody. La bourgeoisie, sous Félix Houphouët-Boigny, aimait s’y retrouver, surtout le mercredi, jour de sortie des nouveautés, comme en France. Partout, les cinémas étaient bondés et rentables. Et certains passionnés n’hésitaient pas à projeter, à leur frais, des films aux quatre coins du pays.
Dans les communes populaires comme dans les quartiers chics, on regarde alors aussi les films de l’âge d’or du cinéma ivoirien.
A Abidjan, comme dans le reste du pays, tous les cinémas populaires de quartier ont été abandonnés, détruits ou transformés. Certains sont devenus des boutiques, des entrepôts ou des agences d’opérateurs télécoms
A la fin des années 1990, la fréquentation est en baisse dans les salles qui, pour générer des revenus complémentaires, accueillent de nouveaux publics. Meetings politiques – notamment ceux du Front populaire ivoirien à Yopougon –, messes géantes ou cérémonies de remise de prix s’intercalent entre les séances. L’époque sonne la fin des cinémas de proximité.
Vingt ans plus tard, le constat est sans appel. Le Dialogue, en friche, ne sert plus que d’abri à une famille de canards, et son voisin, le non moins mythique Kabadougou, est aujourd’hui un temple évangélique de l’Eglise universelle du royaume de Dieu.
« A Abidjan, comme dans le reste du pays, tous les cinémas populaires de quartier ont été abandonnés, détruits ou transformés. Certains sont devenus des boutiques, des entrepôts ou des agences d’opérateurs télécoms. »
La rencontre avec le septième art n’est guère évidente pour la génération née après l’an 2000. C’est en tout cas ce qu’affirme la majorité des étudiants de la première promotion de cinéma de l’Institut national supérieur des arts et de l’action culturelles (Insaac).
Comblant un vide, l’exploitant de cinéma Majestic a ouvert depuis 2015 six salles sur quatre sites à Abidjan, devenant le seul exploitant non institutionnel, en attendant l’arrivée, sans cesse reportée, de Pathé. Si les étudiants valident « la programmation et le confort » qu’offre le réseau de salles Majestic, tous déplorent ses « tarifs prohibitifs ». D’ailleurs, les meilleures sorties enregistrent en général quelques milliers d’entrées quand, trente ans plus tôt, elles comptabilisaient 40 000 ou 50 000 tickets vendus.
Certains cinéastes ivoiriens à l’instar d’Owell Brown, de Jacques Trabi ou, plus récemment, de Philipe Lacôte – dont le deuxième long-métrage, La Nuit des Rois, a été présélectionné aux Oscars – maintiennent en vie la flamme du cinéma ivoirien. Certains se disent que la renaissance passera aussi par les séries. Comme ailleurs, celles-ci ont envahi le petit écran et concentrent l’essentiel de la production audiovisuelle du pays.
Certains cinéphiles se réjouissent de ce développement qui permet à l’industrie audiovisuelle de s’enrichir et de se professionnaliser. Mais les puristes n’ont pas fini de se languir des grandes heures passées du septième art, qui ne devrait alors rien au succès du petit écran.
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