Site de publication : International Crisis Group (ICG)
Type de publication : Article
Date de publication : 23 avril 2020
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Au Niger, le gouvernement continue de lutter contre le virus Covid-19 mais certaines mesures prises pour contenir sa propagation suscitent le mécontentement voire le rejet d’une frange de la population. Alors que les Nigériens semblent s’accommoder de la plupart des restrictions, celles liées à la fermeture des mosquées et à la suspension des prières collectives, au nom des règles de distanciation sociale, alimentent une contestation de plus en plus importante. Dans ce pays où 98 pour cent de la population est de confession musulmane, de violentes manifestations ont eu lieu dans plusieurs localités pour dénoncer ces mesures que certains jugent contraires à la doctrine islamique.
Afin de réduire ces risques, le gouvernement devrait autoriser la réouverture des mosquées en la conditionnant au respect des règles sanitaires préconisées par l’Organisation mondiale de la santé dans le contexte du ramadan, notamment à l’intérieur des lieux de prières. Plus largement, le gouvernement devrait renforcer ses efforts de concertation pour associer les lieux de culte, mais aussi les principales organisations islamiques de la société civile à la lutte contre le Covid-19 plutôt que de risquer d’en faire des foyers de résistance.
Les mesures contre le virus
Près d’un mois après l’enregistrement de son premier cas de contamination, le Niger compte officiellement 662 personnes testées positives au 23 avril dont vingt-deux sont décédées, ce qui en fait le pays du Sahel le plus affecté par la pandémie et le huitième d’Afrique sub-saharienne. A l’instar d’autres pays du monde, le gouvernement a pris des mesures inédites afin de faire face à la pandémie. Dès le 17 mars, deux jours avant la confirmation du premier cas, le gouvernement a décrété une série de dix mesures visant à lutter contre le virus, dont notamment : fermeture des frontières, des écoles, des lieux de loisir ; interdiction des rassemblements ; et obligation de distanciation sociale. Deux jours plus tard, et à l’issue de longues discussions, le gouvernement a amené le Conseil islamique du Niger, élargi à d’autres associations islamiques, ainsi que les Eglises chrétiennes, à décider la suspension de la fréquentation des lieux du culte, invitant les fidèles à prier chez eux. Pour les musulmans, ces mesures impliquent l’interdiction des prières collectives dans les mosquées, y compris les cinq prières quotidiennes et la grande prière hebdomadaire du vendredi.
Cette mesure de restriction n’est pas l’apanage du Niger. A travers le monde musulman, les autorités de plusieurs pays ont conclu qu’il serait impossible de lutter efficacement contre la pandémie si des millions de croyants continuaient à fréquenter les mosquées selon les coutumes habituelles.
Prier à tout prix
Inédites dans l’histoire du Niger, les mesures de lutte contre le Covid-19 sont éprouvantes pour de nombreuses personnes, notamment parce qu’elles ralentissent les activités économiques, provoquent une hausse des prix, et obligent les populations à changer leurs habitudes sociales. Pourtant, alors que le pays est le plus pauvre au monde en termes d’indice de développement humain (IDH 2019), ce n’est ni la réduction des revenus ni l’inflation qui semble catalyser les mécontentements, mais plutôt l’interdiction des prières collectives. Les cinq prières quotidiennes et la prière hebdomadaire du vendredi sont perçues par nombre de musulmans comme un aspect fondamental de leur foi, et les effectuer dans une mosquée comme une obligation religieuse. Certains ont interprété la décision de suspendre les prières collectives comme une intrusion inacceptable des autorités dans la pratique de leur foi. Sur les réseaux sociaux, beaucoup de Nigériens doutent également de la sincérité des autorités dans cette lutte contre le Covid-19, y voyant soit un complot ourdi par l’Occident, soit un moyen pour l’État de soutirer des fonds auprès de la communauté internationale.
Si le Conseil islamique du Niger censé représenter les principales autorités musulmanes du pays soutient les décisions gouvernementales, de nombreux fidèles s’y opposent et tentent de défier les autorités en continuant d’organiser des prières collectives. Dans les zones rurales où l’État dispose d’une capacité moindre pour imposer ces mesures, de nombreuses mosquées sont restées ouvertes et les prières se poursuivent presque normalement. Dans les grandes villes, certains fidèles continuent de braver l’interdiction en tentant de rouvrir leur mosquée ou en se donnant rendez-vous dans des endroits de fortune, notamment dans les banlieues.
En réponse, le gouvernement a sévi contre les contrevenants, arrêtant les imams qui dirigent ces prières ou dispersant les fidèles qui y prennent part. Cette répression a provoqué des échauffourées entre fidèles et forces de l’ordre. Depuis la fin du mois de mars, des altercations se produisent régulièrement chaque vendredi dans des localités différentes à travers le pays, comme à Mirriah dans la région de Zinder, Tessaoua dans la région de Maradi et Illéla dans la région de Tahoua.
Pourtant, alors que le pays est le plus pauvre au monde en termes d’indice de développement humain (IDH 2019), ce n’est ni la réduction des revenus ni l’inflation qui semble catalyser les mécontentements, mais plutôt l’interdiction des prières collectives
Ces émeutes rappellent les grands épisodes de violences à dimension religieuse qui ont secoué le Niger ces dernières années. Elles témoignent du caractère éclaté de la société civile islamique du pays et de la difficulté des autorités politiques à la contrôler. En janvier 2015, à la suite des attentats qui ont ciblé le magazine Charlie Hebdo à Paris, et en réaction à une interview du président Mahamadou Issoufou dans laquelle il exprimait sa sympathie à l’égard des victimes de ces attaques, des manifestations meurtrières avaient éclaté, notamment à Zinder et Niamey, provoquant la mort d’au moins dix personnes et la destruction de plusieurs églises. Plus récemment, en juin 2019, l’adoption d’une loi destinée à réglementer le domaine du culte a généré de violentes émeutes dans la ville de Maradi (capitale économique du Niger, située à près de 600 km à l’est de Niamey). Ces épisodes témoignent d’une tendance chez les activistes à recourir aux manifestations souvent violentes pour exprimer leurs griefs vis-à-vis de l’État quand celui-ci empiète sur ce qui est considéré comme la sphère religieuse.
Argument pour les jihadistes
Au-delà de leur impopularité aux yeux d’une frange de la population, les mesures d’interdiction des prières pourraient servir la rhétorique des jihadistes contre l’État. La fermeture abrupte des mosquées et l’interdiction des prières collectives peuvent renforcer la perception d’un État sinon opposé à l’islam du moins peu soucieux de le respecter. A la frontière entre le Burkina Faso et le Niger, des jihadistes probablement affiliés à l’État islamique auraient interdit aux villageois de respecter les mesures de lutte contre le Covid-19, en particulier l’interdiction des prières collectives.
Par ailleurs, dans un enregistrement audio attribué au leader du mouvement Boko Haram au Nigéria, dont les ramifications s’étendent au sud-est du Niger, Aboubacar Shekau se démarque des dirigeants de la sous-région et critique les mesures prises contre le virus : «Nous sommes ici, nous continuons de prier ensemble les cinq prières quotidiennes et la prière de vendredi… Être en mesure de faire cela dans le contexte du monde actuel… [fait partie] des acquis pour lesquels nous remercions Dieu.»
Au-delà de leur impopularité aux yeux d’une frange de la population, les mesures d’interdiction des prières pourraient servir la rhétorique des jihadistes contre l’État
Rouvrir les mosquées
Non seulement les mesures des autorités nigériennes génèrent des protestations violentes, mais leur efficacité reste à prouver, tant de nombreux croyants les contournent pour prier collectivement, en ville comme dans les campagnes. Les autorités devraient prendre la mesure des dangers que pose la fermeture brutale des mosquées sur la stabilité du pays. Elles ne devraient pas pour autant céder sous la pression de la rue et rouvrir l’ensemble des lieux de culte en renonçant à y faire appliquer toute mesure de protection. En assumant leur responsabilité en matière de santé publique, elles devraient plutôt envisager d’assouplir leur politique concernant les lieux de culte.
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