Auteur : Dr Sidy TOUNKARA
Site de publication : ipar.sn
Type de publication : Article
Date de publication : 9 mai 2020
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Entre le marteau du nouveau coronavirus et l’enclume de la récession économique ou de la pauvreté, qu’est-ce qu’il faut choisir? D’ailleurs, est-on obligé de choisir entre deux maux? N’y a-t-il pas une troisième voie?
Le confinement et ses limites dans la lutte contre le COVID-19
Dans la plupart des pays européens, le confinement général a été la solution adoptée. D’après une étude de l’Institut Pasteur de Paris, il a contribué à faire baisser le taux de transmission du virus à hauteur 84% et faire chuter le nombre de personnes contaminables par un malade du COVID-19 de 3,3 personnes à 0,5 personnes en France. Donc, les taux de contagion et de mortalité (éventuellement des pertes en vies humaines) auraient été maîtrisés grandement, en partie, par le confinement général. S’interrogeant sur l’efficacité des mesures de confinement telles que le télétravail et la fermeture des écoles en France, des chercheurs de l’Institut National de la Recherche et de la Santé Médicale (INSERM) ont montré que le pic épidémiologique pourrait être retardé de 2 mois et que le nombre de cas positifs pourrait être réduit de 40%.
Par conséquent, il devient indispensable de maintenir le confinement pour ne pas annihiler les résultats positifs déjà engrangés dans la limitation de la transmission du virus. La crainte d’une deuxième vague épidémiologique à cause d’une très faible immunité collective plaide en faveur du confinement. Donc, si le confinement semble montrer son efficacité sur le plan médical et sanitaire, il est de plus en plus critiqué pour plusieurs raisons, surtout économiques. Le revers de la médaille du confinement est la menace de la stabilité du tissu socio-économique des pays qui l’ont adopté.
Dès les premiers moments de la crise en Afrique, des universitaires sénégalais (sociologues et/ou anthropologues de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal et des chercheurs de plusieurs disciplines de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar) et burkinabés ont interrogé la pertinence médico-économique du confinement et montré la contribution indispensable des sciences sociales dans la lutte contre la pandémie du COVID-19. Pour ce faire, ces dernières peuvent aider à comprendre les représentations qui entourent le COVID-19 au sein de différents groupes sociaux qui n’ont pas forcément la même manière de lire, d’interpréter, de comprendre et de réagir face à la pandémie.
Cela explique le comportement réfractaire de certaines jeunes de Dakar (sans les excuser !) au respect du couvre-feu et la révolte de Thor face aux forces de l’ordre. Selon les groupes sociaux, les représentations sont de plusieurs ordres : religieuses, naturelles ou biomédicales, complotistes, etc. La prise en compte de ces considérations permet d’anticiper sur l’acceptabilité des mesures de prévention qui «heurtent la sociabilité quotidienne, les pratiques culturelles et religieuses» et instaurent la «rupture de la quotidienneté». Pour qu’elles soient efficaces, ces mesures doivent être «socialement, culturellement, religieusement acceptables et médicalement protectrices» pour les populations qui sont contraintes de les respecter car elles sont des «êtres configurés psychologiquement, socialement, culturellement, cultuellement, etc.»
Le déconfinement pour sauver l’économie
Au Sénégal, le taux de croissance prévu à 6,8% en 2020 est revu à la baisse à moins de 3%. Le GRI-COVID19-ARCES prévoit une récession économique de -9,9% par rapport au PIB de 2019, s’il y a lieu un confinement total pendant 1 mois, avec un taux d’activité de 33,64%. Cette récession économique équivaudrait à une baisse de 1 484 milliards de francs CFA du PIB. Globalement, le coût économique total d’un mois de confinement total est évalué à une perte supérieure à 2 485 milliards de francs CFA (16,56% du PIB). Compte tenu des mesures de lutte contre le COVID-19, on s’attend à ce que le tourisme, le transport aérien, l’hôtellerie, la restauration, la contribution financière de la diaspora, etc. soient les secteurs les plus durement touchés par la crise économique et financière qui résulte de la crise sanitaire liée au COVID-19. Cependant, en lieu et place du confinement total, le dépistage massif et le port du masque (produit localement pour la population de plus de 5 ans) rendu obligatoire permettraient de réduire le coût économique final à 275 460 000 000 de francs CFA.
Dans un pays où le secteur informel fournit 96,4% des emplois, il s’avère très difficile de confiner les populations dont la plupart vit au jour le jour. Au Sénégal, le taux de pauvreté monétaire a été estimée à 46,7% à l’échelle nationale et 26,1% à l’échelle de Dakar en 2011. A Dakar, les taux de pauvreté subjective et monétaire s’évaluaient respectivement à 35,4% et 26,2% où les ménages s’estiment pauvres quand ils ont des difficultés à nourrir leur famille (72,0%), quand ils n’ont pas de travail (12,2%). Avec ces éléments, la stratégie du non confinement total paraît compréhensible d’autant plus qu’il ne faudrait pas perdre de vue le risque d’une crise sociale et politique liée à une crise économique, elle-même sortie du flan de la crise sanitaire provoquée par le COVID-19
Pour le continent africain, la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique a estimé les pertes engendrées par un confinement d’une durée d’un mois à -2,5% du PIB annuel continental. Ce représente un manque à gagner de 65 milliards de dollars américains.
Dans ce contexte, on peut se demander pourquoi le Sénégal n’a pas opté pour le confinement total. Sans doute, grâce aux réflexions des universitaires et des spécialistes de la santé qui auraient influencé les choix des autorités. A cela, s’ajoute la situation socio-économique du pays dont la vie (ou la survie) de certains citoyens s’accommoderait très difficilement du confinement total. Dans un pays où le secteur informel fournit 96,4% des emplois, il s’avère très difficile de confiner les populations dont la plupart vit au jour le jour. Au Sénégal, le taux de pauvreté monétaire a été estimée à 46,7% à l’échelle nationale et 26,1% à l’échelle de Dakar en 2011. A Dakar, les taux de pauvreté subjective et monétaire s’évaluaient respectivement à 35,4% et 26,2% où les ménages s’estiment pauvres quand ils ont des difficultés à nourrir leur famille (72,0%), quand ils n’ont pas de travail (12,2%). Avec ces éléments, la stratégie du non confinement total paraît compréhensible d’autant plus qu’il ne faudrait pas perdre de vue le risque d’une crise sociale et politique liée à une crise économique, elle-même sortie du flan de la crise sanitaire provoquée par le COVID-19.
En conclusion, il existe bien une autre manière de procéder pour « Daan coronavirus », comme on le dit au Sénégal. Pour cela, il a fallu contextualiser la stratégie de lutte en l’adaptant à la situation socio-économique pour non seulement contrer la propagation du virus mais aussi pour maintenir l’activité économique dans la mesure du possible, étant entendu que les autres pays avec lesquels le Sénégal entretient des relations économiques, financières et commerciales très denses sont également touchés de plein fouet par la pandémie du COVID-19. Pour dire que la science reste la meilleure approche pour prendre des décisions efficaces dans des situations comme celle que nous vivons actuellement.
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