Auteur: François Backman
Organisation affiliée: Fondation Jean Jaurès
Type de publication: Article
Date de publication: 16 avril 2020
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Quelles sont les réactions dans le discours et l’action de la part des différents chefs d’État africains face à l’épidémie et ses conséquences, véritables menaces sanitaires mais aussi alimentaires, économiques, sécuritaires et sociales pour nombre de pays du continent? Quelle est leur efficacité? S’appuyant sur une centaine de déclarations de dirigeants, François Backman pose la question de l’État et celle du leadership, mais également celle de la dévalorisation de la parole politique émanant d’acteurs institutionnels.
Avec l’expansion de l’épidémie de Covid-19, nombre d’observateurs annoncent le pire pour l’Afrique, à l’instar d’une récente note du Quai d’Orsay reprenant en grande partie ce que disent nombre de think tanks et d’observateurs africains. Comment les divers présidents africains ont-ils réagi face à la menace grandissante ? Comment l’ont-ils dit à leurs populations?
Covid-19 : quintuple peine pour l’Afrique
Face au Covid-19, le continent va devoir affronter cinq fléaux et il n’en avait vraiment pas besoin, les prévisions pour les années à venir n’étant déjà pas au beau fixe pour nombre de pays. En Afrique, pas de filet de sécurité, pas de chômage partiel, pas de système de santé adéquat, les crises se payent cash. Bien évidemment, tous les pays ne sont pas nécessairement égaux à l’encontre de cette menace multidimensionnelle.
Comme on s’en doute, le premier fléau est sanitaire. Le deuxième est alimentaire, on est ici au niveau micro-économique, c’est du prix du sac de riz ou de la boule d’attiéké dont il est question. En découlent deux autres : un qui sera social et un autre sécuritaire. Le cinquième est macro-économique et impactera le développement du continent si l’on se contente de demi-mesures et d’atermoiements. Quintuple peine donc sur fond de discrédit de la parole politique et du peu de confiance accordé aux leaders.
Face au Covid-19, le continent va devoir affronter cinq fléaux et il n’en avait vraiment pas besoin, les prévisions pour les années à venir n’étant déjà pas au beau fixe pour nombre de pays. En Afrique, pas de filet de sécurité, pas de chômage partiel, pas de système de santé adéquat, les crises se payent cash.
Deuxième fléau potentiel : une crise alimentaire. Les confinements ou les cordons sanitaires mis en place autour des grandes villes, les fermetures de marchés, les entraves à la liberté de circulation vont désorganiser les chaînes d’approvisionnement en produits de base. Il y aura donc moins de denrées, celles-ci seront plus rares et plus chères. Ce n’est pas un hasard si Félix Tshisekedi, en RDC, en appelle à «inonder le marché de Kinshasa de vivres». Au Tchad, Idriss Déby en pleine opération Colère de Bomo, destinée à venger la mort d’une centaine de soldats tchadiens massacrés par Boko Haram, s’en prend à juste titre aux « commerçants véreux » qui augmentent leur prix.
Ce n’est pas un hasard non plus si une fois les mesures de confinement partielles et de couvre-feux connues, nombre d’Africains ont fui les villes pour retourner «au village » où, là au moins, ils sont sûrs de pouvoir manger. On est bien loin du cadre français se calfeutrant dans sa résidence secondaire avec sa réserve de papier toilette et son abonnement Netflix…
Certains dirigeants ont bien pris conscience de l’ampleur du problème, à l’image d’Andry Rajoelina qui se démène à Madagascar pour atténuer les effets de la crise sur la vie quotidienne. En Côte d’Ivoire, au Sénégal ou au Togo, les présidents annoncent une batterie de mesures destinées à soutenir les populations les plus défavorisées
La crise sociale troisième fléau est inéluctable. Elle amènera une précarisation accrue de nombreuses couches de la population et impactera la «floating middle class». Dans des pays où plus de 80 % des emplois relèvent du secteur informel, où l’on vit au jour le jour, une baisse ou une interruption d’activités liées aux mesures de confinement et autres restrictions de circulation se répercutent immédiatement sur les finances. Si l’on ne gagne plus rien, nourrir les siens s’avère vite problématique.
Certains dirigeants ont bien pris conscience de l’ampleur du problème, à l’image d’Andry Rajoelina qui se démène à Madagascar pour atténuer les effets de la crise sur la vie quotidienne. En Côte d’Ivoire, au Sénégal ou au Togo, les présidents annoncent une batterie de mesures destinées à soutenir les populations les plus défavorisées : on reporte le paiement des factures d’électricité, on met en place des distributions de vivres, etc. D’autres leaders sont nettement plus lents à la détente, comme en République démocratique du Congo.
Peut alors survenir un problème sécuritaire à plusieurs niveaux. Ainsi, pour faire appliquer les diverses mesures de prévention (confinement, limitation des déplacements, etc.), les forces de l’ordre utilisent la manière forte via diverses exactions. Les populations fatiguées par de tels manquements risquent fort de passer en mode lynchage des occupants de « cargos » (c’est ainsi qu’on appelle les gros 4×4 des forces de police en Afrique de l’Ouest).
La crise économique que va entraîner le virus sur les économies africaines s’annonce impitoyable et brutale. Les pays exportateurs de matières premières au premier rang desquels on trouve les pétroliers (près de 90 % des exportations du Nigéria) ont tablé sur des budgets avec des cours à un certain niveau
Sauf erreur, seul le président ghanéen a mis l’accent sur cette question dans l’une de ses Address to the Nation. Au Nigéria, par exemple, les pouvoirs publics ont mis en place des dispositifs WhatsApp et des numéros verts pour signaler les «comportements non-professionnels» (unprofessional conduct) de l’Armée, signe que le problème est réel.
Dernier fléau : une crise macro-économique impactant durablement toutes les économies du continent. L’ONU, le FMI, la Banque mondiale ont tiré la sonnette d’alarme : la crise économique que va entraîner le virus sur les économies africaines s’annonce impitoyable et brutale. Les pays exportateurs de matières premières au premier rang desquels on trouve les pétroliers (près de 90 % des exportations du Nigéria) ont tablé sur des budgets avec des cours à un certain niveau.
Ceux-ci s’effondrent sous l’effet de la crise et tout est remis en question. Les investissements directs étrangers, les fameux IDE, vont se réduire. Sur un continent où près de 70 % des produits alimentaires de base sont importés, la désorganisation des circuits et l’augmentation des prix risquent fort d’ébranler des économies aux équilibres déjà précaires.
Outre ces cinq fléaux, potentiellement incomparables aux problèmes occidentaux, l’épidémie survient dans un contexte particulièrement épineux pour certains pays, notamment sahéliens. Ainsi, au Mali, où l’État est virtuel sur une partie du territoire et où les structures de santé sont particulièrement déficientes, le tout dans une situation sécuritaire de plus en plus aléatoire, le Covid-19 a devant lui «un terrain de chasse» rêvé.
Des paroles potentiellement décrédibilisées et concurrencées: le nécessaire recours aux acteurs non-étatiques
Par-delà ces quelques points, la tâche des pouvoirs publics est titanesque. Ils doivent informer au maximum pour éviter une crise multidimensionnelle rappelons que, fin mars 2020, plus de neuf Maliens sur dix n’avaient pas entendu parler du coronavirus et mobiliser a minima autour d’un projet destiné à préserver le plus possible les populations et à sauver les économies.
Au Nigéria, par exemple, les pouvoirs publics ont mis en place des dispositifs WhatsApp et des numéros verts pour signaler les «comportements non-professionnels» (unprofessional conduct) de l’Armée, signe que le problème est réel
Les présidents et les pouvoirs publics doivent faire face à deux écueils : le discrédit de la parole politique et la concurrence des réseaux sociaux, puissants vecteurs de fake news.
La parole politique, sauf exception, ne porte pas vraiment en Afrique : on n’écoute plus vraiment les leaders, au pouvoir ou dans l’opposition, éloignés des aspirations populaires. Leurs déclarations «hors-sol» se heurtent généralement à l’indifférence. Il n’y a qu’à voir les discours de vœux de Nouvel An de certains pour s’apercevoir de la déconnexion entre des tirades technocrates et autres satisfecit étonnants d’avec les aspirations des populations. Qu’on se souvienne également du peu de confiance que les populations ouest-africaines accordaient à leurs leaders lors de la dernière grande épidémie d’Ebola.
Rappelons qu’en moyenne, à peine un peu plus d’un quart des Africains ont un accès direct à l’eau dans leur parcelle. Et il en va de même pour les consignes de distanciation sociale, peu applicables, notamment dans les grandes agglomérations où, selon la Banque mondiale, plus de 60 % de la population urbaine vit dans des bidonvilles. Dès lors, les mesures-conseils de distanciation sociale dans des mégapoles comme Kinshasa ou Lagos, dans certains quartiers d’Abidjan, d’Accra ou de Dakar, ne peuvent véritablement s’appliquer.
Les présidents et les pouvoirs publics doivent faire face à deux écueils : le discrédit de la parole politique et la concurrence des réseaux sociaux, puissants vecteurs de fake news
Autre point important : la concurrence des réseaux sociaux, variables selon les pays en fonction de l’accès à Internet, qui diffusent fake news et informations parfois délirantes. Fin mars 2020, une étude conduite auprès des Dakarois indiquait que plus de quatre interviewés sur dix avant entendu parler du Covid-19 pour la première fois via les réseaux sociaux… Outre les traditionnels «le virus, une maladie de blancs ne touchant pas les noirs», «un virus inventé pour casser l’Afrique», qui rappellent l’époque d’Ebola, pullulent tout un tas de «conseils» médicaux inopérants voire dangereux.
Face à cela, quasiment tous les présidents s’aperçoivent, une fois de plus, qu’il leur faudra compter sur la mobilisation des acteurs religieux, des organisations de la société civile, des artistes et des grandes entreprises pour aider les États à communiquer et sensibiliser sur la question de la prévention et les mesures à respecter, sans parler de la mobilisation de fonds. Beaucoup ont d’ailleurs appelé les autorités religieuses et coutumières à la rescousse (Côte d’Ivoire où la constitution de 2016 a créé une Chambre nationale des rois et chefs traditionnels, Tchad, etc.) pour répercuter leurs messages.
Les grandes entreprises africaines ont répondu présent, les stars populaires aussi, du milliardaire nigérian Aliko Dangoté au footballeur ivoirien Didier Drogba, en passant par les musiciens célèbres, tout le monde s’y met. Les filiales des entreprises étrangères apportent également leur pierre à l’édifice comme Orange en Afrique de l’Ouest. La Chine n’est pas en reste via les actions de Jack Ma, fondateur d’Alibaba, etc.
De quelques discours présidentiels (mars 2020)
À côté de dirigeants parlant tôt (Rwanda, Gabon, Madagascar), certains prennent vraiment la parole tardivement (Guinée, Nigeria, Bénin) au point que certains se sont demandé s’il y avait un capitaine à la barre. Ainsi le nigérian Muhammadu Buhari parle trente-cinq jours après le premier cas déclaré dans le pays. En Guinée, Alpha Condé, focalisé sur son référendum constitutionnel du 22 mars dernier, fait une courte allocution quatre jours après dans laquelle il se contente d’annoncer une suite de mesures. Quant au béninois Patrice Talon, il justifie son silence lors d’une interview télévisée le 29 mars 2020 parce qu’il est «à la tâche, jour et nuit, minute après minute.»
Aux discours, souvent longs et assez techniques (énumération de mesures) de nombreux leaders francophones, on trouve des présidents anglophones peut-être moins solennels mais qui essayent via une politique de rendez-vous réguliers (Ghana) d’informer et de sensibiliser. L’une des initiatives les plus intéressantes en la matière semble être celle du président du Libéria, l’un des pays les plus pauvres du continent.
En effet, à côté de discours classiques, George Weah enregistre une chanson Let stand together and fight Coronavirus qui passe sur les ondes. Certains pourraient trouver cela saugrenu, mais dans un pays où Internet est rare et cher, où les coupures d’électricité sont légion, la radio reste le moyen le plus simple pour toucher les populations.
Face à cela, quasiment tous les présidents s’aperçoivent, une fois de plus, qu’il leur faudra compter sur la mobilisation des acteurs religieux, des organisations de la société civile, des artistes et des grandes entreprises pour aider les États à communiquer et sensibiliser sur la question de la prévention et les mesures à respecter, sans parler de la mobilisation de fonds
Dans toutes ces interventions, on retrouve également la traditionnelle distinction entre des rulers, plus ou moins autocrates et des leaders, plus ou moins démocrates.
Dans la première catégorie, on retrouve, par exemple, Denis Sassou Nguesso qui manie la rhétorique guerrière en usant vingt-quatre fois du vocable «combat» et de ses dérivés dans sa longue allocution du 28 mars dernier, le tout à grands coups d’anaphores performatives («Nous allons tous combattre»). Signe d’impuissance face aux épreuves à venir?
D’autres, comme l’Équato-guinéen Teodoro Obiang, à la tête du pays depuis plus de quarante ans, se confinent dans leur palais pour «montrer l’exemple» ou restent muets. Ainsi au Cameroun, Paul Biya, au pouvoir depuis trente-sept ans comme président (après sept ans passés à la primature), n’a toujours pas parlé à son peuple début avril 2020, ce qui rassure… Il est vrai que l’occupant du palais d’Etoudi, Popaul comme on le surnomme au Cameroun, ne parle quasiment jamais… Demeures en marbre, mutisme et silence, n’arrêteront pas le virus ni ses conséquences socio-économiques.
Beaucoup restent toujours bloqués sur leur «je» omnipotent (Gabon, Togo, Tchad), histoire de faire entendre qu’ils sont à la manœuvre. Il est ainsi assez facile de distinguer Ali Bongo (Gabon) et son «je» qui pressent l’inquiétude et l’anxiété de ses compatriotes, du président malgache qui les «ressent et [les] comprend» («votre crainte est ma crainte»).
Les grands discours en «gros français», comme on dit en Afrique de l’Ouest, ou les déclarations managériales de certains leaders anglophones, doivent être traduits dans les langues réellement parlées dans les rues et les campagnes africaines. Ainsi, le discours de Macky Sall a été traduit en wolof, Andry Rajoelina s’adresse à ses concitoyens en malgache, le Bénin a lancé une série de spots radio dans une quinzaine de langues nationales, et le président tchadien «invite vivement à traduire les messages […] dans nos différentes langues nationales pour atteindre un large public»
En effet, du côté des leaders, on joue plus sur l’association de toutes les forces vives du pays en insistant sur la consultation des autorités religieuses et des instances étatiques (Madagascar, Côte d’Ivoire). On appelle à la responsabilité non pas sur un mode quasi-injonctif mais en utilisant le « nous » (avec le «our survival is in our own hands» du ghanéen Nana Akufo-Addo résonne le «c’est ensemble que nous stopperons la propagation du coronavirus» de son homologue ivoirien).
Quant au sud-africain Cyril Ramaphosa, président d’un pays quelque peu à part sur le continent car disposant de plus de ressources sanitaires et économiques, il développe un discours d’union, empathique et plutôt humble. Le «We» (nous) qui associe est omniprésent («We the government, We the Nation»).
Les mesures annoncées expriment une stratégie qui se veut claire (tests and tracing system), mais ce sont surtout les remerciements collectifs qui dominent, où le «I» (je) n’apparaît que comme une anaphore empathique («I speak of the farmworker. I speak of the technician, I speak of the caregiver»). Finalement, assez éloigné du leader omnipotent, il annonce les difficultés, problèmes et ratés, à venir («a number of mistakes will be made»).
Alors que le président béninois joue franc jeu en affirmant que son pays n’a pas les moyens de lutter efficacement contre une probable expansion du virus, d’autres montent au créneau en annonçant, assez courageusement, une batterie de mesures tant sur les plans sanitaires qu’économiques (Sénégal, Côte d’Ivoire, Ghana, Kenya), même si certaines s’avèrent difficilement applicables au vu des contextes africains comme on l’a rapidement vu.
Les grands discours en «gros français», comme on dit en Afrique de l’Ouest, ou les déclarations managériales de certains leaders anglophones, doivent être traduits dans les langues réellement parlées dans les rues et les campagnes africaines
Par-delà ces allocutions, c’est de la communication à destination du plus grand nombre dont il s’agit. S’il n’y a pas lieu ici d’évoquer les stratégies de communication des différents pays face au Covid-19, certains croyant encore qu’il suffit de parler pour être entendu et écouté, c’est cependant un point crucial. Les grands discours en «gros français», comme on dit en Afrique de l’Ouest, ou les déclarations managériales de certains leaders anglophones, doivent être traduits dans les langues réellement parlées dans les rues et les campagnes africaines.
Ainsi, le discours de Macky Sall a été traduit en wolof, Andry Rajoelina s’adresse à ses concitoyens en malgache, le Bénin a lancé une série de spots radio dans une quinzaine de langues nationales, et le président tchadien «invite vivement à traduire les messages […] dans nos différentes langues nationales pour atteindre un large public».
On se rend compte que ce virus met une fois de plus en lumière des styles et des modes de gouvernance variables. Entre présidents dinosaures (Cameroun, Guinée équatoriale), habitués des rodomontades (République du Congo), présidents plus ou moins managers (Nigeria, Kenya), leaders sur tous les fronts (Sénégal, Ghana, Madagascar) et d’autres avouant en creux leur impuissance (Mali, République démocratique du Congo, République centrafricaine), quasiment toute la gamme se retrouve.
On constate surtout la «fatigue» des mécanismes de fonctionnement de certains États et de certains potentats en bout de course mais également répétons-le la difficulté, voire l’incapacité, de beaucoup à vraiment toucher leurs populations. Une chose est quasi certaine, en cas d’aggravation malheureusement fort probable des conséquences de l’épidémie, les populations africaines seront peu enclines à pardonner les erreurs, inconséquences et légèretés de leurs dirigeants. Certains l’ont d’ailleurs bien compris.
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