Aunel Loumba et Yoan Moussavou
La chute brutale des cours du brut plonge les économies africaines dépendantes de l’or noir dans l‘incertitude la plus profonde, craignant une considérable dégradation de leurs recettes. Cette conjoncture peut-elle être un déclic pour amorcer une véritable stratégie profitable et résiliente aux chocs extérieurs?
Depuis le dernier pic atteint en début janvier 2020, consécutif à l’escalade de tension entre les USA et l’Iran, les cours du pétrole ont perdu 60% de leur valeur ramenant à la mi-mars à son plus bas niveau depuis 18 ans; le Brent s’échange à 25 dollars sur les marchés. Les pays africains producteurs de pétrole ayant à leur tête le Nigeria vont devoir affronter une crise de liquidité qui risque fort d’être plus grave qu’en 2014.
L’effet «coronavirus» sur le marché pétrolier mondial est réel. Mais la véritable raison de cette chute vertigineuse du cours de l’or noir se trouve ailleurs : au niveau de l’échec des négociations entre l’Arabie saoudite, chef de file de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et la Russie, le 6 mars à Vienne. Une rencontre censée répondre à la crise sanitaire, qui au final a vu s’ouvrir un bras de fer entre les deuxième et troisième producteurs du pétrole au monde entraînant une augmentation de l’offre.
Les pays africains producteurs de pétrole ayant à leur tête le Nigeria vont devoir affronter une crise de liquidité qui risque fort d’être plus grave qu’en 2014
Un début d’année sous haute tension
Au premier trimestre 2020, tous les indicateurs sont au rouge. Les pertes de revenus liées au coronavirus pourraient atteindre 65 milliards de dollars pour les pays africains exportateurs de pétrole, selon la Commission économique pour l’Afrique (CEA). Le PIB moyen du continent pourrait subir une perte de 50%. Le Nigeria, premier exportateur du continent, verrait une baisse de 5 milliards de dollars au niveau de sa balance des paiements, faisant passer ses exportations totales de pétrole de brut de 19 à 14 milliards de dollars.
Six années après le passage à vide, entre une demande fortement pénalisée par une pandémie mondiale et une guerre des prix, les pays africains producteurs de pétrole se trouvent désarmés pour tenir une longue période à ce niveau de prix. En effet, les réserves de change de la plupart de ces pays sont maigres et les ressources de ces États dépendent essentiellement des ventes d’hydrocarbures.
Le Nigeria qui figure en tête des producteurs d’hydrocarbures du continent a annoncé le 16 mars 2020 qu’une loi de finances rectificative interviendrait dans les prochaines semaines sur la base d’un baril à 30 dollars.
En dehors du pétrole, toutes les matières premières dont la Chine est le premier importateur mondial, ont vu leurs prix baisser: le cuivre, le fer, l’huile de palme, le caoutchouc, etc. Le Nigeria qui figure en tête des producteurs d’hydrocarbures du continent a annoncé le 16 mars 2020 qu’une loi de finances rectificative interviendrait dans les prochaines semaines sur la base d’un baril à 30 dollars.
L’Algérie quant à elle, qui avait projeté son budget initial sur la base d’un baril à 50 dollars, se trouve dans l’obligation de revoir ses prévisions. Le reste du peloton (Angola, Égypte, Congo, Guinée Équatoriale, Gabon, Tchad, etc.) n’aura d’autres choix que de suivre cette voie, imposant de faire des arbitrages et des coupes drastiques dans leurs dépenses publiques.
Les experts de Goldman Sachs tablent sur un baril à 20 dollars en 2020, ceteris paribus (“toutes choses étant égales par ailleurs)”. Ces pays qui, pour certains, bénéficient encore de l’appui budgétaire du FMI, via le mécanisme de crédit élargi découlant de l’accompagnement post-crise 2014, risquent de mettre à nouveau leur stabilité intérieure en péril.
Des économies sous perfusion
Avec 1 640 000 barils de brut produits par jour (2017), l’Algérie, troisième exportateur du continent, a l’avantage d’être faiblement endettée et surtout de disposer d’une confortable réserve de 62 milliards de dollars dans les coffres de sa banque centrale. Ce dernier point est essentiel, car cela permettra au pays d’injecter des liquidités et de contrer toute chute de sa monnaie.
Contrairement à Alger, les pays d’Afrique Centrale, parmi lesquels on trouve le Gabon, la Guinée Équatoriale, le Congo, le Tchad ou encore le Cameroun, n’ont pas cette marge de manœuvre, et leurs réserves au sein de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) sont tout juste en phase de reconstitution depuis la crise de 2014. Le contexte social et macroéconomique dégradé a poussé le FMI à intervenir à travers un appui budgétaire qui suit actuellement son cours.
Désormais, la crise du Covid-19 couplée au désaccord des grands producteurs mène ces pays endettés et déficitaires vers des risques majeurs, allant de l’instabilité sociale à la dévaluation de leur monnaie commune, le franc CFA. En résumé, l’Afrique centrale fera face à de plus grandes difficultés qu’en 2014, et si les bons choix conjoncturels et structurels ne sont pas mis en œuvre, ce sera certainement la plus grande épreuve post-indépendance de ces jeunes démocraties.
La crise du Covid-19 couplée au désaccord des grands producteurs mène ces pays endettés et déficitaires vers des risques majeurs, allant de l’instabilité sociale à la dévaluation de leur monnaie commune, le franc CFA
République du Congo: illustration de la crise
Le cas du Congo, premier producteur sous-régional, qui abritera très prochainement le siège de l’organisation africaine des pays producteurs de pétrole (APPO), mérite un détour. En effet, avec 350 000 baril/jour, le pays présente une dette publique de plus de 110% du PIB, une détérioration prononcée du climat des affaires et un déficit élevé. Le Congo, par manque de suivi des recommandations du Fonds monétaire international (FMI), s’est vu reporter la deuxième tranche de l’appui budgétaire de l‘institution en échange d’une application plus stricte des recommandations d’ajustements macroéconomiques.
Dans ces conditions, l’accès aux marchés obligataires et aux capitaux pour financer ses investissements publics se trouve extrêmement compliqué. Un groupement de banques africaines (BGFI Bank, UBA, Afreximbank) s’est engagé à racheter une partie de la dette, symptomatique d’un pays à qui les marchés financiers internationaux ont tourné le dos. Le Congo et ses voisins de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) doivent indubitablement appliquer les ajustements nécessaires pour surmonter l’énorme écueil de ce début d’année. En dépit de quoi, l’avenir est en péril pour la population de 54 millions d’habitants de cette région du Bassin du Congo, qui constitue le deuxième poumon de la planète.
Depuis le début de la crise du coronavirus, les marchés font preuve d’une extrême volatilité dans le monde entier et la situation économique des pays producteurs du pétrole se dégrade à mesure que la pandémie se développe et progresse à travers le globe. La crise s’est aggravée et les industries, tous secteurs confondus, commencent à subir de lourdes pertes de productivité. L’impact de la pandémie du coronavirus est très significatif sur la consommation, dans la mesure où la baisse de production de biens et services va engendrer des tendances inflationnistes au sein des pays qui ne disposent d’aucun levier pour réguler leur marché intérieur.
Il serait souhaitable de s’appuyer sur de nouveaux plans budgétaires dans chaque pays, pour répondre à la dégradation de la situation économique actuelle
À cet effet, il serait souhaitable de s’appuyer sur de nouveaux plans budgétaires dans chaque pays, pour répondre à la dégradation de la situation économique actuelle. Une fois la stabilité retrouvée, un processus de diversification des économies est primordial pour sortir l’Afrique du dernier wagon au sein d’une mondialisation toujours plus concurrentielle et affronter les défis technologiques et écologiques du 21e siècle.
Photo : lopinion.fr
Aunel Loumba est consultant spécialisé sur l’Afrique. Yoan Moussavou est contrôleur interne au ministère de l’Économie et des Finances de la France.