Le combat pour une égalité de genre au Sénégal « Dans le combat pour une égalité de genre au Sénégal, il y a un élément qui n’est pas suffisamment pris en compte, le fait que les femmes ne soient pas une « masse uniforme ». Il y a une énorme diversité de femmes. Quand on dit les femmes sénégalaises, il y a une énorme diversité, une diversité des besoins et une diversité des réalités. Il y a une différence entre les femmes rurales, les femmes urbaines et une différence entre les générations. On a énormément de femmes, de jeunes femmes adolescentes, qui constituent aujourd’hui la majorité et qui ne sont même pas dans les dynamiques de prise de décision. Notre premier défi est de pouvoir se poser les vraies questions et avoir un regard qui distingue au milieu de cet acronyme « femme » toute la diversité de femmes et toute la diversité au niveau des besoins . Il s’agit d’un premier challenge. Le deuxième élément est le fait que nous soyons restés sur des solutions assez superficielles et que nous n’ayons pas adressé les causes profondes de ce qu’on pourrait considérer comme étant les raisons des inégalités. Dans le combat pour une égalité de genre au Sénégal, il y a un élément qui n’est pas suffisamment pris en compte, le fait que les femmes ne soient pas une « masse uniforme ». Il y a une énorme diversité de femmes Quand on parle de l’accès à l’école, on est très fier au Sénégal de dire que pour le taux d’enrôlement, c’est à dire les enfants qui rentrent à l’école, il y a une parité, voire même une domination des filles. Mais, à partir de la sixième et entre la sixième et la troisième, beaucoup de jeunes filles sortent du système scolaire. Pourquoi ? Parce qu’il y a perception qu’on a des études, mais également, il faut le dire, le nombre de grossesses précoces et le nombre de mariages précoces. Le fait que les parents vont peut-être investir plus pour le garçon pour le pousser dans ses études que dans l’éducation de la fille. Il s’agit de réalités socioculturelles qu’il faut prendre en compte. Ensuite, on s’est rendu compte que pour la mortalité maternelle et infantile au Sénégal, peut-être que si on agrège les chiffres, on peut parler d’une baisse globale, mais autrement, on sait que, par exemple, dans les zones rurales, on est à 459 décès pour 1000 pour 100 000 naissances, alors qu’il y a quelques années, on était à 420. Donc, il y a quand même des choses concrètes sur lesquelles des décideurs politiques peuvent se pencher de façon systématique quand on a besoin d’une action politique forte et volontaire. En plus, le Sénégal a signé un certain nombre de conventions internationales et régionales qui nous engagent à avoir une approche différenciée, distinguée pour adresser les questions qui sont spécifiques aux femmes. Encore une fois, un sujet qui me tient à cœur, c’est par rapport aux filles, parce que c’est dans les filles qu’il faut investir. J’imagine une politique forte et volontaire en faveur des filles pour s’assurer qu’elles sont protégées des violences et des abus sexuels, que ce soit à la maison, sur le chemin de l’école, à l’école même. Qu’on les maintienne à l’école. Qu’on ne les sorte pas pour les raisons evoquées ; pauvreté, nécessité de les marier etc. Le fait aussi de ne pas avoir de débouchés réels dans les études parce que pour la plupart des filles, il n’y a pas forcément une offre adaptée aux réalités qu’elles vivent. Il faudrait une vraie volonté politique pour pouvoir changer les choses pour les filles et donc, en une génération, renverser la balance. » L’importance de protéger les filles et de veiller à leur épanouissement « S’il y a quelque chose qui est bien partagé, c’est tout ce qui tourne autour des violences basées sur le genre, en termes d’agression, en termes de non écoute de la volonté des filles. Elles doivent obéir, elles doivent suivre un schéma qui est tracé d’avance pour elles. Nous, on a fait quelques études qui montrent quand même qu’en milieu urbain, il y a une violence spécifique par rapport aux filles. Beaucoup de filles ne se sentent pas en sécurité dans nos villes. On a fait une étude récemment qui, malheureusement, ne couvrait pas le Sénégal, mais le Mali, par exemple, où les filles ne se sentent pas forcément en sécurité en milieu urbain. A chaque fois, on le sait, quand il y a une crise, quand il y a une sorte de pression sociale, c’est sur les femmes et les filles qu’on se rabat en termes de violence. Ensuite, en termes d’opportunités, on se rend compte, évidemment que l’accès à l’école est facilité en milieu urbain de même que l’accès aux soins de santé. Sans doute que les opportunités économiques, les connexions avec d’autres dynamiques de jeunes sont peut-être plus facilitées, mais en réalité, le problème de fond reste la perception du rôle de la femme, de sa place, de la capacité à prendre des décisions, de la capacité à contribuer aux prises de décision, il faudrait que l’on puisse analyser cela. Et comme dans une perspective de qu’est-ce qu’un homme politique au Sénégal qui a une position de leadership devrait faire pour les filles : pour nous, ce serait d’avoir une politique nationale spécifique qui vise à libérer le potentiel des filles et à leur donner l’opportunité de pouvoir s’épanouir, de pouvoir être des filles leaders et de pouvoir contribuer au développement économique. S’il y a quelque chose qui est bien partagé, c’est tout ce qui tourne autour des violences basées sur le genre, en termes d’agression, en termes de non écoute de la volonté des filles. Elles doivent obéir, elles doivent suivre un schéma qui est tracé d’avance pour elles On parle souvent de cette question comme d’une question sociale, mais c’est aussi une question économique. C’est aussi une question financière, parce que si on n’a pas de filles formées, si elles ne peuvent pas être des entrepreneures, si elles ne peuvent pas être des citoyennes à part entière, c’est une illusion que de croire que ce pays peut atteindre le niveau de développement que nous souhaitons. » Les facteurs accentuant les inégalités de genre « C’est une combinaison de facteurs. Nous sommes dans des sociétés très dynamiques, avec énormément d’influence. Je ne suis pas de ceux qui disent que ce sont les traditions, parce que dans nos traditions, il y a également des valeurs qui sont absolument positives, donc il ne faut pas rejeter la faute sur nos traditions ni sur nos religions. Mais il y a, avec les dynamiques sociales, des interprétations, des attitudes, une manipulation qui se fait et qui fait que l’on accentue ce qui pourrait être par ailleurs des mécanismes de protection qui deviennent des mécanismes d’oppression. C’est le challenge, c’est cela qu’il faut qu’on puisse remettre en cause, avoir des références qui peuvent contrebalancer ces tendances que l’on peut voir. C’est absolument fondamental. Puis, c’est aussi lié à l’image qu’on donne de la femme, de la fille dans nos médias, dans nos écrits, dans notre vie au quotidien. Parce que ce n’est pas juste quelque chose qu’on fait le matin de 8 heures à 18 heures et ensuite, on retourne à notre propre façon d’appréhender la vie. S’il y a une question fondamentale autour d’elles, c’est : qu’est-ce qu’on considère comme étant le rôle et la place des femmes dans une société sénégalaise qui se veut moderne, qui se veut ouverte sur le monde, qui veut garder ses valeurs fondamentales positives ? Cela est un débat de fond. » L’équilibre entre la vie professionnelle et la vie familiale : un défi permanent pour les femmes « Je pense qu’on a un effort supplémentaire à faire de toute façon, parce que même dans notre propre définition de ce qui fait notre épanouissement, il y a toujours la nécessité de faire un équilibre entre la vie de famille, de mère, d’épouse et la vie professionnelle. Et cet équilibre, le maintenir nous demande de toute façon énormément d’énergie, de pouvoir être sur plusieurs fronts et de pouvoir apporter le meilleur de soi sur plusieurs fronts. Il y a ce tiraillement permanent entre la vie professionnelle et la vie de famille qu’il faut gérer parce que c’est les deux qui nous apportent de l’épanouissement. On ne peut pas dire que l’on va faire un choix sur l’un ou sur l’autre, mais il faut qu’on puisse trouver l’équilibre. De mon point de vue, peut être que c’est ce qui a été le défi permanent. Après, je pense que j’ai eu la chance de naître et d’évoluer dans un milieu complètement décomplexé. Ce qui fait que dans mon rapport professionnel que ce soit avec des hommes ou avec des femmes, il n’y a pas de complexes qui font que je me dis il faut que j’en fasse plus ou je ne suis pas du tout dans une attitude de compétition. Il y a ce tiraillement permanent entre la vie professionnelle et la vie de famille qu’il faut gérer parce que c’est les deux qui nous apportent de l’épanouissement. On ne peut pas dire que l’on va faire un choix sur l’un ou sur l’autre, mais il faut qu’on puisse trouver l’équilibre Il ne faut pas qu’on se trompe de combat. Le premier combat, c’est que les femmes soient épanouies. Ce n’est pas qu’on se mette en face de défis ou quoi que ce soit avec les hommes. Au contraire, on ne veut pas non plus d’une société sénégalaise qui soit à deux vitesses ou qui soit à couteaux tirés entre les deux sexes. C’est un faux combat. Le vrai combat, c’est qu’il faut que les femmes sénégalaises puissent avoir le droit de décider, puissent avoir le droit de s’épanouir, lorsqu’elles veulent devenir des femmes leaders sur le plan politique, qu’elles puissent avoir les conditions qui leur permettent de s’épanouir économiquement, qu’elles puissent faire des choix, etc. C’est cela les questions fondamentales. » La présence des femmes dans la vie politique « Il faut dire quand même au Sénégal, il y a énormément de femmes dans le milieu politique. Peut-être qu’elles ne sont pas aussi visibles et peut-être que ce qu’on attendrait, on ne le voit pas forcément. C’est-à-dire ; des candidatures crédibles, des gens qui ont un bagage, quelque chose de concret à mettre sur la table. Malheureusement, quand on a une femme candidate et c’est peut-être celle qui fait sourire un peu pendant la campagne présidentielle. C’est celle dont on va regarder le foulard plus qu’écouter son discours. C’est vraiment dommage, mais cela commence encore une fois à la base. Si on ne crée pas une vraie dynamique de citoyenneté chez la jeune fille et chez les femmes, comment est-ce que vous voulez qu’elle ait une représentation politique crédible ? Il y a aussi énormément de manipulation dans le monde politique pour avoir des visages féminins. Alors que le débat réel n’est pas posé. Il faudrait quand même dire qu’il y a eu aussi énormément d’initiatives. Il y a eu le caucus genre où toutes les femmes politiques, quelles que soient leurs appartenances en termes de parti, se retrouvaient pour essayer de poser des débats de fond. Et c’est ce caucus qui, au Sénégal, a été à l’origine de toutes l’initiative autour de la parité. Maintenant, cela ne résout pas tout. Ce n’est pas la panacée, mais c’est quand même déjà des avancées significatives. Il faudrait aussi qu’on puisse faire l’évaluation de cette avancée légale et que l’on voit où est ce qu’on en est et que maintenant, on puisse avoir une appréciation qualitative de ce que cela a apporté au Sénégal. Si on ne crée pas une vraie dynamique de citoyenneté chez la jeune fille et chez les femmes, comment est-ce que vous voulez qu’elle ait une représentation politique crédible ? Il y a aussi énormément de manipulation dans le monde politique pour avoir des visages féminins Peut-être aussi que les femmes qui auraient un bagage intellectuel un peu plus dense, qui seraient engagés différemment, redoutent le terrain politique, puisque c’est quand même un terrain glissant. C’est la renonciation à un certain nombre de choses. Et comme tout à l’heure, je vous disais rien que dans une vie professionnelle, on fait un certain nombre de renoncements pour maintenir un équilibre personnel et familial à minima, si en plus, vous y rajouter le débat politique, qui veut dire qu’après le travail, c’est encore des heures d’engagement, c’est beaucoup de déplacements sur le terrain, etc. Ce n’est quand même pas aisé de le faire. Ensuite, il faut avoir des moyens financiers, il faut créer un réseau, etc. Ce qui est absolument difficile à faire. Alors on a les grandes intellectuelles candidates, qui sont un peu déconnectés du terrain. Et puis, on a quelques-unes qui font « le buzz » de temps en temps, mais de façon concrète, n’ont pas cet engagement constant qui permet une accession à la présidence de la République parce que c’est un travail énorme. C’est un sacerdoce de toute une vie. C’est un renoncement et je ne sais pas si les femmes sénégalaises sont dans ces conditions. Après, est-ce que le Sénégal aussi est prêt à avoir une présidente de la République ? C’est aussi un autre débat. » Message aux décideurs politiques « Selon moi, il y a la question de la santé, qui reste une question fondamentale. Il faudrait voir de façon désagrégée, les besoins spécifiques des femmes et les besoins spécifiques des hommes en termes de santé. On a aussi toutes ces campagnes dont on parle. On sort du mois d’octobre avec le cancer qui devient quasiment un problème de santé publique au Sénégal et qui touche particulièrement les femmes. Est-ce qu’il y a une politique volontaire, volontariste de notre État par rapport à cela ? Pour alléger les coûts des médicaments, aller au-delà du dépistage ? Parce que si vous dépistez quelqu’un qui n’a pas les moyens de se soigner, finalement, quel est l’intérêt ? Donc, on a besoin de politiques volontaristes qui ciblent les problèmes de santé des femmes. Y inclure la question de l’excision que l’on doit adresser. On a également, sur le plan de l’éducation, la protection des filles à l’école, par rapport à l’encadrement à l’école, par rapport à la sécurité. On parle énormément de violences basées sur le genre. Le taux de viol, les attouchements dans les maisons et à l’école. Il y a énormément de choses à faire, une politique culturelle qui nous montre qui on est, qui nous valorise. Il y a tellement de chantiers si on veut valoriser le potentiel qu’on a au Sénégal, au-delà de la problématique du genre, qui devrait pouvoir occuper tout un chacun Quand vous avez une fille au Sénégal, c’est une angoisse permanente, c’est des choses qu’il faut qu’on adresse et il ne faut pas de tolérance par rapport à ce genre de choses. Il ne faut pas que l’on demande aux victimes quelles étaient les conditions dans lesquelles les violences se sont faites, etc. Il faut sévir d’abord. Je pense qu’il faut une politique très volontariste par rapport à tout ce qui est violences basées sur le genre. C’est quelque chose qui ne devrait même pas être négociable. En ce qui concerne l’éducation, il ne s’agit pas seulement de bourrer le crâne des gens, mais il s’agit de leur donner des outils pour qu’ils puissent prendre des décisions pour leur propre vie et des décisions qui sont positives pour la société dans laquelle ils vivent. J’ai la chance de travailler avec des groupes de jeunes extraordinaires qui ont un talent extraordinaire. Mais en même temps, vous vous rendez compte qu’ils n’ont même pas de vision sur l’avenir, qu’ils ne savent pas ce qu’ils veulent, qu’ils ne savent pas où ils vont, qu’ils ne se rendent pas compte de leur place et de combien ils sont précieux pour la société sénégalaise. Il y a énormément de choses à faire, une politique culturelle qui nous montre qui on est, qui nous valorise. Il y a tellement de chantiers si on veut valoriser le potentiel qu’on a au Sénégal, au-delà de la problématique du genre, qui devrait pouvoir occuper tout un chacun. »
Titulaire d’un troisième cycle en Relations internationales, option coopération du développement et d’une Maitrise en Sociolinguistique, sciences du langage, Awa Faly Ba a travaillé dans la société civile, pour des organisations à la base.
Elle a commencé à travailler dans la gouvernance participative au niveau de communes telles que Ziguinchor et Thiès. Ensuite, au niveau sous régional avec des institutions de recherche et de développement pour la participation citoyenne dans la gestion des ressources naturelles pendant plus d’une dizaine d’années. Avant de s’engager plus fermement dans tout ce qui tourne autour du plaidoyer pour une meilleure intégration des différents groupes sociaux dans les dynamiques politiques et de développement.
Toute sa carrière professionnelle a tourné autour du renforcement de la citoyenneté des groupes vulnérables, de la prise en compte de la diversité des acteurs qui font le développement. Elle travaille pour Plan International, où elle était chargée de tout ce qui tourne autour du plaidoyer et du partenariat pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre avec un focus particulier sur les droits des enfants et l’égalité pour les filles. Actuellement, elle est directrice pays au Togo. Cet entretien avec Awa Faly Ba a été réalisé en 2018, elle était encore en poste au bureau régional à Dakar.