Le leadership et l’informatisation au service de la lutte contre la corruption
Achille Zrobla
La multiplicité des formes que revêt le phénomène de la corruption rend son éradication de plus en plus difficile. La corruption ne se limite pas aux cas importants de détournements au sommet des États et aux pots-de-vin pour l’accaparement de marchés et/ou de ressources publics. Il est nécessaire de se pencher également sur les cas de corruption les plus négligés, et pourtant les plus préjudiciables aux populations africaines. Ce que l’on appelle la « corruption discrète ».
Cette forme de corruption est un ensemble d’actes anti-citoyens qui affecte bon nombre de secteurs, en particulier celui de l’administration publique. Notre administration se trouve minée par l’existence d’un système avilissant en déphasage avec les valeurs citoyennes. Il est clair que certains hommes et femmes qui favorisent ce système se sont laissés entraîner dans un processus de perte des valeurs civiques et morales qui devraient être défendues par la société. Il sera difficile voire impossible de freiner la course de la corruption en Afrique si l’on ne « réoriente » pas le fonctionnaire en le mettant à l’école de la citoyenneté.
Quel type de solutions devrons-nous mettre en œuvre pour inculquer ces valeurs aux fonctionnaires? Quelle approche adopter sur le plan opérationnel pour éradiquer la corruption discrète ? Quelles solutions appliquer à tous les cas de corruption en général ?
Selon la Banque mondiale, « la corruption discrète est profonde et très répandue en Afrique et elle a des effets disproportionnés sur les pauvres. Elle induit des conséquences à long terme sur le développement. Elle est caractérisée par le manquement des fonctionnaires au devoir de fournir les biens ou services financés par les administrations publiques. »
D’après cette définition, le décor de l’irresponsabilité qui caractérise certains cadres de nos administrations est planté. En plus des manquements des incriminés à leur devoir, s’ajoute le vice qui consiste à se faire payer pour des services normalement gratuits. Cette pratique est devenue malheureusement monnaie courante dans nos administrations publiques.
Selon que l’acte se produise à l’initiative même du demandeur ou de l’agent de mauvaise foi, la corruption discrète frappe de plein fouet les populations les plus vulnérables. Ce système pernicieux freine davantage notre élan vers un développement durable.
Le leadership comme solution appropriée au phénomène de la corruption
Le diagnostic indique d’emblée un manque de valeurs de ces criminels discrets. Le sens du patriotisme et du civisme a cessé d’animer l’action de certains agents de l’administration. Dans nos systèmes éducatifs, nous devrons inculquer des valeurs de patriotisme et de leadership afin de développer chez les futurs cadres le sens du « service public ».
Dans les valeurs défendues par le concept du leadership, nous pouvons retrouver entre autres : l’ouverture d’esprit, l’honnêteté, l’intégrité, la passion et l’enthousiasme, l’innovation et la créativité, le courage et l’humilité mais aussi et surtout la confiance.
Dans son rapport sur la modernisation de l’État, l’Organisation de Coopération et de développement économiques (OCDE) déclare: « Le leadership c’est notamment s’attacher à obtenir des résultats, mettre en question les postulats, s’ouvrir à l’apprentissage provenant de l’extérieur, comprendre l’environnement et son influence, penser et agir de façon stratégique, mettre au point de nouvelles structures et modalités de travail et élaborer et communiquer une vision personnelle du changement ».
Ces aspects reconnus dans le leadership montrent que former des cadres moulés dans ces valeurs et armés d’un sentiment patriotique absorberait et résoudrait le problème de la corruption en Afrique. Le leader ne saurait tolérer la tricherie.
La question de la vulnérabilité de l’esprit corrompu soulève aussi le problème de l’environnement. Le discours citoyen et civique peut-il prospérer dans un contexte où certaines fonctionnaires s’adonnent à ces pratiques pour régler des problèmes financiers ponctuels ?
Il va falloir encadrer les agents de l’administration (actuels comme futurs) à l’école du leadership et de ses valeurs. A travers un travail d’alerte et de conscientisation, la jeunesse et les générations futures peuvent permettre à l’Afrique de remporter nombre de combats dans la lutte contre la corruption. Cependant, le mal de la corruption étant déjà très présent, il est urgent de rechercher des solutions concrètes dans l’immédiat afin de réduire son impact.
L’automatisation des processus de paiement, un remède applicable à la corruption dans l’administration
Pour lutter contre le fléau de la corruption, des structures étatiques de contrôle ont été mises en place. Ce sont des initiatives louables qui malheureusement semblent ne pas porter de fruits. Le caractère coercitif doit être davantage renforcé pour obtenir des résultats plus probants. A ces institutions s’ajoutent les organisations de la société civile qui œuvrent au quotidien pour un éveil des consciences sur cette épineuse question. Ces acteurs de la sensibilisation et de la dénonciation ont apporté leur concours et gagneraient à collaborer davantage avec les services de l’administration.
La corruption requiert des solutions opérationnelles qui viseront à réduire son champ d’activité. Elle doit être jugulée en mettant en place des procédures nouvelles capables de résister aux agents les plus déterminés à perpétuer ce système. A l’ère du numérique, une solution adéquate pour freiner la corruption discrète est l’automatisation des moyens de paiement des services.
Nos États doivent mettre en place des moyens de paiement électronique ou des moyens de paiement à des tiers, comme les banques. Ce système permet d’éviter la perception de l’argent par les exécutants. Ainsi, les services pourront être délivrés dans les administrations sur présentation d’un récépissé, d’un bordereau ou d’un code détenu par le demandeur.
Mais ce système peut renforcer la corruption si, en aval, il n’existe pas de structures pour contrôler l’exécution effective des tâches au niveau des administrations. Les récépissés délivrés aux demandeurs devront être enregistrés par « scan » ou tout au moins inclure des numéros identifiables par un outil électronique accessible à tous et qui renseignerait sur le statut et l’évolution du dossier à traiter.
Il est nécessaire également de préparer et d’adapter les systèmes d’information des administrations à un programme automatisé de suivi absolu. Ce qui permettrait de relier les données d’un service administratif précis à une structure de contrôle donnée (en interne ou non). C’est ainsi que tout dossier non traité pendant un certain temps sera indiqué par le système.
L’agent en charge de ce service pourrait alors se voir adresser une demande d’explication par la structure de contrôle. Les structures de contrôle devront détenir des prérogatives de sanctions directes ou alors rédiger des rapports à l’ordre des autorités habilitées à prendre des décisions coercitives à l’encontre des agents indélicats.
Rompre le contact financier entre le demandeur et l’agent de service administratif reste une solution adaptée pour réduire la corruption discrète. Dans son élan de conquête de nos administrations, le phénomène de la corruption se doit d’être freiné par des solutions innovantes et adaptées à notre époque.
L’usage des technologies nouvelles est fortement préconisé pour enrayer la dynamique du fléau. Ces technologies permettront de réduire significativement le problème de la corruption mais aussi d’améliorer la qualité du travail dans l’administration en Afrique. L’usager du service public doit connaître ses droits et ses devoirs et les faire valoir car il faut rappeler que le mal qui tue l’Afrique réside dans le manque d’exigence des peuples.
De nationalité ivoirienne, Achille Zrobla Kayodé Koffi est gestionnaire de formation. Il est diplômé du Sam’s College of Business (Takoradi Polytechnic Institute, Ghana) et de l’Institut international de Management à Cotonou au Bénin. Il poursuit un Master en Gestion et Développement des systèmes d’informations tout en travaillent comme web développeur et responsable marketing à Cotonou au Bénin.
3 Commentaires. En écrire un nouveau
Achille,
Je voudrai vous dire merci pour la réflexion, qui donne une lueur d’espoir en la jeunesse africaine. Il est temps que les sociétés africaines essayent d’endiguer ce fléau, qui du reste est tolérée et acceptée par la société. En effet, les corrompus et corrupteurs sont dans la société et aujourd’hui, ils ont franchi le cap de se cacher et poussent la vulgarité jusqu’à s’exhiber fièrement avec le fruit de leur forfaiture.
Par ailleurs, je ne crois pas que la rupture du contact financier soit efficace en lui seule, car dans mon pays par exemple, la douanier sont connus comme étant les plus riches et exposés à la corruption. Or, dans les faits, les douaniers ne sont que des liquidateurs de droits c’est-à-dire qui ne voient pas l’argent et procèdent uniquement à la détermination des droits à payer. Le paiement est effectué directement au niveau du trésor public. Il en découle, que les douaniers proposent aux usagers des réductions de droits de douanes contre espèces à leur profit.
Je crois sincèrement, que la lutte contre la corruption ne peut pas se faire sans un changement de mentalité de la société et une meilleure présence de l’État dans les domaines de la santé, agriculture, éducation, etc. En mon humble avis, la recrudescence de la corruption en Afrique coïncide à la période d’un désengagement des États dans les secteurs assurant le bien-être des citoyens.
L’augmentation des salaires ne peut résoudre le problème car les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets.
AMAG,
Je vous remercie pour vos remarques pertinentes.En effet, comme vous le dites, le combat contre la corruption ne peut se faire sans [au préalable] un changement de mentalité et une implication formelle de l’État . Il faut louer tout l’effort fournit par les uns et les autres jusqu’ici . Cependant, retenons que le changement de mentalité prends corps avec un système naissant. Car vous pourriez éveiller des consciences mais qu’importe si le système existant le corrompt aussi aisément? Comme le dit le texte, le changement de mentalité est pris en compte dans le reformatage des cadres a l’école des valeurs citoyennes. Pour accompagner ensuite ce reformatage, il faut mettre en place un système qui oblige les uns et les autres a assurer la plénitude de leur fonction dans l’administration , sans avoir a encaisser de faux frais . C’est ce qui nous amènent a proposer la mise en place de systèmes informatisés avec des organes de contrôles et de pression , en misant sur la rupture du contact financier entre demandeur et offreur. Dans notre cas d’espèce évoque, AMAG, il n’est peut être pas de solution miracle a appliquer au phénomène de la corruption au sein de la douane dans nos pays , mais nous revenons tout de même a notre proposition : l’existence d’un système technologique de contrôle ,d’enregistrement et de facturation des matières a dédouanement et l’exigence d’un récépissé final [contrôlable a tout moment] issue de ce système unique, endiguera un tant soit peu la crise. Les douaniers ne pourront constituer alors que des agents de facilitation et de contrôle physique. Cependant , les droits des administrés sur les services a cet effet, doivent être assez vulgarisés a leur niveau. Le problème, c’est que des reformes devront être établies , des politiques changées et des intérêts menacés de part et d’autres, ce qui rend davantage la lutte contre la corruption presqu’ impuissante dans nos pays.
Merci pour vos analyses très pertinentes. Comme le souligne Achille, des intérêts (le plus souvent personnel) sont menacés de part et d’autres. De plus, il faudra voir le coût que ces reformes nécessiteront (Mise en place et maintenance de l’infrastructure, interconnexion avec les différentes structures étatiques impliquées, formation du personnel administratif, sécurité du SI, etc.).
Il doit y avoir une forte volonté politique pour mettre en place ces réformes, ce qui n’est pas souvent le cas dans nos pays de la sous-région et c’est bien dommage.