Vaincre la corruption par le renforcement du capital social
La nuisance de la corruption dans les conditions socio-économiques précaires des pays africains a été abondamment relayée par des canaux divers. Non seulement les universitaires ont produit un corpus scientifique de connaissances sur le sujet, mais les citoyens ordinaires aussi en font l’expérience au quotidien. Du candidat recalé arbitrairement à divers concours publics à l’opérateur économique victime d’un simulacre de passation de marchés, le citoyen ouest-africain, quel qu’il soit, côtoie le phénomène de la corruption. Il me semble que la seule voie pour limiter cette pratique est de combattre l’impunité. La bataille contre l’impunité a souvent été perçue sous le front du renforcement institutionnel et juridique. Cette bataille doit aussi intégrer le renforcement du capital social pour vaincre la tolérance de la corruption.
La tolérance de la corruption
Quand on observe la pratique du phénomène de la corruption dans certains de nos pays, on a l’impression qu’elle jouit d’une certaine tolérance. C’est ce que semblent révéler les réactions que suscitent certaines interpellations pour motif de corruption. Au Bénin par exemple, lorsqu’il s’est agi de traduire un ancien ministre devant la Haute Cour de Justice, beaucoup y ont vu un règlement de comptes, un acharnement politique, la jalousie…
Que cette opinion soit orchestrée ou influencée par une stratégie politique est une chose. Mais que le citoyen en vienne à totalement occulter le motif de l’interpellation dénote d’une forme de tolérance à l’égard de la corruption. Cette tolérance s’observe aussi par exemple dans l’émerveillement face aux « exploits » réalisés par le voisin qui aurait détourné de l’argent. Dans beaucoup de cas, la fascination s’associe à une sorte de résignation : « ils le font tous », « qu’aurais-tu fait à sa place ? », « au moins lui, il n’a pas envoyé l’argent dans les comptes à l’étranger ».
Dans le contexte socio-culturel du Bénin, ceux qui oseraient poser des questions sur l’origine des revenus d’un compatriote se verraient accusés de céder à la « béninoiserie », c’est-à-dire à cette tendance à l’aigreur et à la jalousie face aux progrès des autres. La notion de progrès s’affranchit ainsi du mérite et de la morale. Le résultat fascine, et l’émotion génère la conscience de la tolérance. Il est possible que des facteurs socio-culturels soient à l’origine de cette forme de tolérance de la corruption. Une meilleure compréhension de ces derniers devrait nous permettre de mieux concevoir la lutte contre la corruption. D’ores et déjà, il y a un front essentiel sur lequel l’accent doit être mis : le renforcement du capital social.
Le renforcement du capital social
Il y a eu beaucoup d’essais de définition du capital social. On peut le voir comme un moyen de susciter l’adhésion et la participation du citoyen au bien-être collectif. Il englobe les structures politiques et sociales qui facilitent la coopération, la confiance et la réciprocité. Le capital social peut englober la nature et les formes de relations de coopération entre les individus telles que l’appartenance à des réseaux ou des associations. Dans cette forme de capital social, les individus travaillent à mutualiser leur force pour atteindre des objectifs communs. Il peut aussi s’agir des mécanismes visant à susciter la coopération entre les individus.
Il est ressorti de certaines études que dans un contexte où le capital social est faible, les individus expriment le besoin d’un médiateur qui les rassure et assure la coordination de leurs actions. Ils ne se préoccupent pas de la qualité de ce médiateur. Cela signifie que les individus peuvent tolérer par exemple un gouvernement corrompu, pour peu qu’il exerce son rôle de sécurisation de la collaboration. En augmentant le capital social, les individus, de par une prise de conscience accrue de leur devoir citoyen, deviendraient plus exigeants par rapport à la qualité de la gouvernance.
La pression sociale qui découlerait de cet accroissement du capital social peut contribuer à limiter les égarements des gouvernants en matière de corruption. C’est bien cette corruption des gouvernants qui entretient la machine à fabriquer la précarité dans les pays ouest-africains. Pour ce faire, en plus de la société civile, les conseils économiques et sociaux de la plupart des pays devraient aussi apporter leur pierre à l’édifice.
Godfried Rodolphe Missinhoun est économiste, diplômé de Sciences-po, Paris. Il a une expérience dans la pratique du développement international. Il est actuellement l’économiste principal pour l’Afrique de l’Ouest à la Banque islamique de développement. Il a également servi à la Commission de l’Union africaine en Éthiopie et au Programme des Nations Unies pour le développement en Guinée Bissau.
1 Commentaire. En écrire un nouveau
Absolument d’accord avec votre analyse! Le renforcement du capital social peut réduire considérablement la corruption… D’ailleurs c’est dans cet état d’esprit que certains gouvernements de nos états sous régionaux, tel que le Mali, adoptent des politiques de décentralisation pour une meilleure gestion des ressources humaines, économiques et autres à travers l’implication directe des populations concernées. L’objectif de cette politique n’étant autre que le renforcement du Capital Social tel que évoqué dans ton commentaire.