Claire Hazoumé et Adéwolé Faladé
Tout a commencé par une discussion. Assises à un coin de table, nous partagions comme souvent, un repas. Nous – Claire, administratrice d’une école primaire privée et Adé, présidente de l’association MEWIHONTO qui sauvegarde et promeut le patrimoine culturel béninois – partagions également un constat. Le programme scolaire béninois enseigne les lieux/faits/personnages historiques marquants de l’histoire nationale, et finalement peu l’histoire intime de nos sociétés précoloniales. Que mangions-nous avant la colonisation ? Comment nous habillions-nous ? Quels rituels rythmaient (et rythment encore) nos sociétés ?
Alors, ensemble, nous avons imaginé les « Ateliers Patrimoine », pour explorer de manière ludique et créative des éléments de notre patrimoine culturel. 4 ateliers ont été ouverts aux enfants entre 8 et 12 ans, élèves ou non du Petit Poucet. Pour chaque atelier, nous avons eu environ 15 enfants inscrits. 3 de ces enfants rencontraient de grandes difficultés à écrire et lire, l’un d’eux ne parlait pas du tout français. Un mois durant, à raison d’un atelier de deux heures par semaine, nous avons abordé 4 thèmes:
- Culture, héritage, patrimoine. Que veulent dire ces mots ? Et comment mieux les comprendre à travers des questions personnelles. D’où viennent mes parents ? Quelle(s) langue(s) parlons-nous à la maison ? Qu’est-ce que cela veut dire d’être Béninois ?
- Le Guèlèdè. A quoi reconnait-on un masque Guèlèdè? Pourquoi et comment est-il utilisé ? Les enfants ont aussi découvert le processus de fabrication, du tronc au masque et ont confectionné le leurs.
- Le Kanvô.Quelles sont les origines et spécificités de ce tissu traditionnel ? En quoi diffère-t-il du Wax très présent dans nos vies ? Avec un morceau de carton, nous avons fabriqué un métier à tisser qui a permis aux enfants de comprendre comment confectionner le Kanvô.
- Le patrimoine culinaire. Grâce au jeu des 7 Familles que nous avons conçu, nous avons découvert et gouté des céréales (mil, sorgho, maïs, fonio)et tubercules (manioc, igname, souchet) locales ; appris comment et dans quelles régions du Bénin ils poussent ; et sous quelles formes nous les consommons.
Voilà ce que nous avons appris
Nous n’avons pas trouvé de supports permettant d’enseigner le patrimoine culturel béninois. Nù ti. Nous avons dû les créer avec des heures de recherche, une imprimante couleur, une plastifieuse et beaucoup d’imagination. Le recours à des supports principalement visuels (photos, illustrations, etc…) s’est imposé, en raison de nos enfants qui avaient du mal à comprendre, lire et/ou écrire en français.
L’atelier sur les concepts de culture/héritage/patrimoine a été le plus complexe à mener. Ces termes, abstraits pour la plupart des enfants, prennent sens s’ils sont reliés à des faits concrets de leur quotidien ou histoire personnelle. La compréhension était d’autant plus complexe pour ceux du groupe qui ne parlaient/ne comprenaient pas la langue française.
Les aprioris négatifs et/ou la méconnaissance de certains aspects de la culture endogène sont forts. Lors de l’atelier Guèlèdè, certains enfants ont lié Guèlèdè à vaudou, et vaudou à quelque chose qui faisait peur et/ou dont il ne fallait pas parler ; il est arrivé que des enfants se moquent d’autres parce qu’ils parlaient/comprenaient fon (sic).
Si l’école joue son rôle d’enseignement des lieux/faits/personnages historiques marquants, les familles ont également une fonction importante dans la transmission de notre identité. Notre patrimoine culturel, ce sont aussi des grands-parents que l’on va voir à Allada, c’est le plat « de chez nous » que nous cuisine une mère, la langue vernaculaire dans laquelle nous parle notre père.
Et nous pouvons aller plus loin
- Intégrer les éléments patrimoniaux dans les programmes d’enseignement. Faire travailler des équipes pluridisciplinaires (spécialistes de l’éducation, acteurs du patrimoine et de la culture, artisans locaux, etc.) à l’élaboration de supports pédagogiques (fiches et outils pédagogiques) sur des éléments patrimoniaux. Former les éducateurs à la création et à l’usage de ces supports.
- Privilégier une pédagogie active et participative. Explorer les lieux patrimoniaux. Intégrer la pratique artistique aux apprentissages sur le patrimoine. S’appuyer sur des expériences sensorielles : gouter et sentir les produits locaux, écouter chants et instruments traditionnels, toucher et observer la texture unique d’un kanvo. Découvrir le travail d’artisans travaillant sur des objets traditionnels, faire avec eux, et comprendre la transmission d’un savoir-faire de générations en générations.
- Développer l’offre de jeux/jouets et d’activités ludo-pédagogiques sur les thèmes du patrimoine. Jeux de société, de cartes, technologiques : autant de supports ludiques, permettant aux enfants de découvrir leur patrimoine, accompagnés ou en autonomie. Mais également ateliers péri/extrascolaires et évènements dédiés.
Source photo : Claire Hazoumé
Claire Hazoumé est géographe de formation. Son principal travail de recherche porte sur l’étude des migrations étudiantes (notamment africaines) vers l’Inde, et sur une géographie du savoir qu’elle voit se dessiner. Elle a travaillé en Inde, au Nigeria, en France (coopération universitaire) et au Ghana (formation continue) avant de rentrer au Bénin en 2016. Depuis Janvier 2017, elle est administratrice d’une école maternelle et primaire privée à Cotonou (Bénin). Elle y découvre les réalités du système éducatif béninois, et prend la mesure des défis locaux en matière d’éducation.
Adéwolé Faladé est la présidente de l’association MEWI-HONTO. Cette structure vise la mise en place d’une plateforme en ligne en vue de favoriser et d’encourager des rencontres d’échanges et de recherches d’information sur la civilisation originelle des peuples noirs et originaires d’Afrique (patrimoine oral matériel ou immatériel, entre autre musique, chant, danse, contes, langue, littérature orale).
7 Commentaires. En écrire un nouveau
BRAVO, en effet / merveilleuse initiative!!! Un bémol , pourtant: j’espère que vous n’avez quand même cherché à utiliser des mots tels que patrimoine, culture, heritage – pour communiquer avec ces enfants! Il faut plutôt leur présenter les RÉALITÉS PRATIQUES, TANGIBLES derrière tous ces concepts (abstraits et difficiles, incompréhensible pour des enfants si jeunes, francophones ou non!!), puis ensuite, si vous en voyez vraiment pas la nécessité, et tout à fait en fin de stage, vous expliquez que les différentes choses qu’ils ont appris ont un NOM, qu’elles s’inscrivent dans une catégorie qui s’appelle culture/héritage/patrimoine etc, SANS PLUS…
Merci pour ce point pédagogique.
Vous avez tout à fait raison! Ces notions sont parfois même complexes à définir pour les adultes francophones que nous sommes. Nous l’avons très vite compris et avons opté pour une approche très pragmatique qui partait du vécu des enfants, d’objets ou situations concrètes en lien avec la thématique.
Bravo pour tout ce travail j y ai trouvé une certaine foi
Ne vous arrêter pas en si bon chemin continuer continuer
Merci pour l’enthousiasme et le soutien!
Nous attelons à la tâche ;)!
Je trouve votre initiative tout simplement géniale! Elle vient à point nommé dans un environnement dans lequel notre patrimoine — élément vital de notre développement — est trop peu valorisé dans l’éducation formelle. A mon avis, c’est avec les enfants qu’il faut commencer enfin à nous reconstruire.
Merci infiniment à vous 2 et puisse votre action faire des petits!
Merci beaucoup pour le message!
“Vital” est bien le mot! Nous pensons qu’aucune spéculation constructive sur le(s) futur(s) de nos pays n’est possible si nous ne comprenons pas que nous sommes le produit d’une histoire riche et singulière.
Chose intéressante, l’éducation au patrimoine est prévue dans le programme scolaire (pour la partie que je maitrise, c’est à dire du CI au CM2). Les questions sont : est-elle réellement enseignée ? et si oui comment est-elle enseignée ? D’après mes observations, pas toujours selon une pédagogie active (où l’élève acteur/trice de ses apprentissages)…
Alors oui, nous travaillons à faire des petits… et même des grands ;)!