Djiby Ndiaye Gaynde
L’école de la République sénégalaise a-t-elle pour mission de former, de conformer ou de transformer la jeunesse ? Difficile de viser juste tant les enjeux sont complexes, tant le futur semble incertain. Les derniers résultats des épreuves du Bac 2016 traduisent on ne peut mieux les symptômes virulents et les sentiments d’inquiétude qui accablent les parents d’élèves, la société civile et les institutions de l’État.
Le paradigme change. Impétueux, l’imaginaire de la jeunesse sénégalaise baigne dans la « nouvelle culture », cette culture de l’innovation dominant l’espace des idées et des comportements virtuels comme réels. Alors que les temps changent à une vitesse accélérée, que la narration du monde court après le flux et reflux de mégabytes d’informations, que les réseaux accroissent leurs portées, que les champs lexicaux se démultiplient pour décrire les transitions systémiques du moment, les processus identitaires, économiques, politiques, technologiques, culturels, se conjuguent et se déchirent. L’élève de la République sénégalaise, devant ce champ quantique de probabilités sociétales, interroge son avenir.
A la lumière des dispositions générales énoncées d’entrée de jeu, les efforts orchestrés depuis la Loi d’orientation de l’éducation nationale de 1991 sont louables :
Art. 1 al. 1 : « L’ Éducation Nationale (…) a pour but de former des hommes et des femmes capables de travailler efficacement à la construction du pays (…). »
Introduction Art. 2: « L’Éducation Nationale contribue à faire acquérir les capacités de transformer le milieu et la société et aide chacun à épanouir ses potentialités (…). »
Pourtant en dépit des 40% du budget de fonctionnement de l’État, des statistiques favorables; les résultats des épreuves du Bac 2016, comme ceux des années précédentes, laissent les théoriciens, les praticiens et les citoyens perplexes.
Ces vingt-cinq dernières années auront montré une volonté soutenue de consolider l’éducation du pays. À plusieurs égards, la section du Programme d’amélioration de la qualité, de l’équité et de la transparence (PAQUET) dédiée à l’éducation, dénote une série de mesures qui auront permis de rehausser les paliers de l’architecture scolaire, plus particulièrement depuis 2001.
Pourtant en dépit des 40% du budget de fonctionnement de l’État, des statistiques favorables; les résultats des épreuves du Bac 2016, comme ceux des années précédentes, laissent les théoriciens, les praticiens et les citoyens perplexes. Le faible taux de réussite serait-il représentatif d’un malaise, ou signe avant-coureur d’un changement ?
Il est question d’élaborer une dimension prospective qui permettra d’ancrer l’école de la République sénégalaise dans une réalité nouvelle, et de propulser ses branches supérieures vers une véritable économie du savoir, fidèle aux exigences du début du XXIe siècle. À juger le tableau des scores à la porte de sortie, l’énigme d’une jeunesse diplômée, chômeuse, issue d’universités bondées, sous la perfusion des bourses et croulant sous les regrettables aléas de l’organisation académique sénégalaise, s’avère aussi complexe qu’urgent à élucider. Il y va de la paix sociale.
Avec plusieurs dizaines de syndicats de l’éducation dont les nerfs sont à fleur de peau, trois ministères jacobins en charge malgré les élans de déconcentration et de décentralisation, malgré les démarches intelligentes, la crise n’hésite pas à frapper le flanc nu à l’arme blanche. Il faudrait donc remonter l’échelle jusqu’au point de départ, partir de la petite enfance, pour examiner le projet de société animant la cité sénégalaise.
Le consensus stipule que le parcours préconisé par le Développement intégré de la petite enfance (DIPE), la structuration et le perfectionnement du Cycle fondamental (CF), à savoir les cours élémentaires et moyens, en plus de la révision de l’enseignement secondaire général et spécialisé, poursuit l’objectif d’instruire et de préparer une génération, la tranche des 7 à 16 ans plus précisément, afin qu’elle prenne en main la destinée du pays.
L’exemple de la Finlande est intéressant. Les écoliers ont moins de devoirs, une pédagogie flexible, parfois deux à trois enseignants présents dans la salle de classe afin d’assurer une attention minutieuse, on encourage la coopération au lieu de la compétition, on privilégie la collaboration interpersonnelle au lieu de relations verticales, les évaluations indiquent les progrès et les recommandations au lieu d’un protocole de note sanctionnant succès ou échec selon une « moyenne ».
On cite parmi les outils à manœuvrer, le renforcement des capacités du personnel enseignant et administratif, la mise à jour des manuels, la mise sur pied d’un arsenal de contrôle de la qualité, l’interaction de l’apprenant avec son environnement psychosocial, en plus d’autres mesures d’inclusion, d’intervention et de réorientation stratégique. Pourtant le plafond de verre, si transparent, si prometteur, demeure fixé à de solides amarres. Pour trouver la pièce maitresse du puzzle il va donc falloir être original.
Un avenir sous de meilleurs augures serait-il envisageable si l’école de la République sénégalaise transgressait ses tabous et confiait le graal aux élèves ? Et si, au lieu de conformer tant bien que mal l’élève à une programmation scolaire péniblement suffocante, on le plaçait au centre du cercle, transformant de la sorte la programmation scolaire en fonction de ses besoins ? Et si, bien au-delà de la question de l’essor du secteur privé comme soin palliatif, ou encore de la question des langues nationales et des signifiants culturels, on repensait l’école depuis ses bases didactiques; au lieu de ressasser les mêmes comptines ?
L’exemple de la Finlande est intéressant. Les écoliers ont moins de devoirs, une pédagogie flexible, parfois deux à trois enseignants présents dans la salle de classe afin d’assurer une attention minutieuse, on encourage la coopération au lieu de la compétition, on privilégie la collaboration interpersonnelle au lieu de relations verticales, les évaluations indiquent les progrès et les recommandations au lieu d’un protocole de note sanctionnant succès ou échec selon une « moyenne ». D’ailleurs, comment évaluer une « moyenne » d’épanouissement ?
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la Finlande est l’un des systèmes scolaires publics les plus performants au monde. Sa politique d’éducation nationale la place en tête du classement PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) des pays les plus industrialisés. De toute évidence, lorsqu’on pose la question de la rigueur et la discipline de fer, le fer finit toujours par rouiller avec l’oxygénation des idées neuves.
La crise de l’école de la République sénégalaise met en exergue une crise des valeurs très profonde : la crise de l’autruche qui, la tête enfouie sous le sol, feint de ne pas saisir les enjeux sociétaux que sa cécité occasionne. À ce jour, la catéchèse de l’éducation nationale donne encore une place de choix aux sciences et techniques, héritage (ô combien discutable) de la théorie de la modernisation en vogue dans les années 50, qui faisait de l’industrialisation le fer de lance du développement d’un pays.
En accordant une place de choix à l’imaginaire et la créativité on affine chez l’élève les facultés cognitives, le sens de l’initiative, de la résolution de problèmes, aussi complexes soient-ils, parmi d’autres facultés si nécessaires à la vie en société et à plus grande échelle, au développement du tissu économique et social du pays.
Ceci étant, la perspective postmoderne nous montre autre chose. Sciences, oui, mais conscience aussi ! Que l’intellect soit fécondé dans un incubateur scolaire scientifique ou littéraire, la question principale est de savoir si un élève sera disposé à devenir demain un producteur de valeur ajoutée, capable de mouler son environnement de façon équilibrée, en fonction de ses aspirations les plus enthousiastes.
Depuis l’entrée dans le cursus scolaire, les aptitudes à la créativité, à l’imaginaire, à l’exploration psychomotrice, à l’expérimentation nouvelle, proposent un discours nouveau sur le plein épanouissement. Les avancées des neurosciences nous ont permis de comprendre que le cerveau humain s’adapte en augmentant ses connexions internes et en modifiant ses circuits neuro-synaptiques afin de « s’habituer » aux expériences nouvelles.
En d’autres mots, notre cerveau ne connait que les limites qu’on lui impose. Cela veut dire qu’avec une série de méthodes appropriées on peut stimuler la tendance naturelle d’un élève à déployer ses talents potentiels, et ce, de façon continue depuis son plus jeune âge. En accordant une place de choix à l’imaginaire et la créativité on affine chez l’élève les facultés cognitives, le sens de l’initiative, de la résolution de problèmes, aussi complexes soient-ils, parmi d’autres facultés si nécessaires à la vie en société et à plus grande échelle, au développement du tissu économique et social du pays.
Si les bonnes vieilles méthodes remuent encore des souvenirs pour certains, aujourd’hui le besoin d’innover les contenus, la pédagogie, l’approche systémique, la vision de la société, est outrageusement criard. Du fait de la démocratisation des TIC, l’élève sénégalais est désormais capable de chercher par lui-même le savoir. Avec une connexion fiable, d’une salle de classe à Vélingara ou à Fatick, il peut même communiquer en temps réel avec un autre élève vivant à Kuala Lumpur ou encore à Buenos Aires.
Une pédagogie axée sur des projets transdisciplinaires permettrait aux élèves de signifier leurs centres d’intérêt et participer à la planification des contenus didactiques et conceptuels, d’approfondir leurs aptitudes à la recherche et au développement, voire de consolider leur autonomie intellectuelle tout en apprenant à poser un regard global sur leurs objets d’étude.
L’accès à l’information en un temps record a détrôné l’enseignant de son mythique piédestal pour le confiner à une fonction d’accompagnateur de recherches. Le modèle historique du tout-puissant instituteur, ou de la sévère institutrice, passant en revue les rangs des élèves qui attendent patiemment d’être soumis à des contrôles et des devoirs, semble avoir atteint ses limites.
En revanche, les pédagogies alternatives font des prouesses remarquables. Par exemple, une pédagogie axée sur des projets transdisciplinaires permettrait aux élèves de signifier leurs centres d’intérêt et participer à la planification des contenus didactiques et conceptuels, d’approfondir leurs aptitudes à la recherche et au développement, voire de consolider leur autonomie intellectuelle tout en apprenant à poser un regard global sur leurs objets d’étude.
Qu’en serait-il de l’initiative d’association, même symbolique, des élèves à la prise de décisions concernant l’établissement; non pas en tant que simples figurants assis « à la table des grands », mais comme collaborateurs à part entière de l’appareil académique, à la manière des lycées expérimentaux ? Je vous laisse imaginer quelles générations émergeraient de ce creuset dans lequel on cultiverait de véritables citoyens libres et audacieux, prêts à façonner leurs propres univers contemporains.
Les innovations sont aujourd’hui les véritables coefficients de transformation des structures socioéconomiques, culturelles et politiques africaines. Reste à traduire ce principe en termes institutionnels, et à mettre la créativité au cœur des politiques éducatives. Maintenant plus que jamais ledit principe d’innovation devrait guider les décisions de politique d’éducation.
Un examen judicieux devrait inclure une nouvelle cartographie panafricaine de ce début de siècle, afin de mettre à jour les débats et enjeux, en plus de renforcer les capacités des élèves; citoyens en devenir, producteurs de richesse et créateurs d’idées ambitieuses. À terme, idéalement, l’école de la République sénégalaise devrait pouvoir offrir les moyens aux écoliers de forger progressivement leur contribution à la société, à la mesure de leur développement personnel. Mais encore faudrait-il mettre à l’écart le conservatisme tacite des apparatchiks, et sentir l’air de nouveauté qui embrase l’esprit des élèves d’aujourd’hui…
Photo: Oeil d’Afrique
Djiby Ndiaye Gayndé est enseignant en sciences politiques au groupe ISM. Il est aussi activiste, panafricaniste et conférencier.