Après des décennies sans grand changement, la musique camerounaise est de retour sur la scène internationale. Les « grands noms » ne sont plus les seuls connus. Le saxophoniste Manu Dibango, le chanteur et bassiste Richard Bona ou encore le bassiste Armand Sabal-Lecco, tous trois issus du Cameroun « francophone », ne sont plus les seules figures de proue de la musique et de la culture camerounaises à l’échelle internationale. Depuis le début des années 2010, la jeunesse prend la relève, une jeunesse « anglophone ». Les rappeurs Jovi et Stanley Enow, les chanteurs Magasco, Reniss, Olgha et bien d’autres encore sont les nouvelles étoiles de la musique camerounaise.
Pour comprendre la portée de cette réalité, il faut se plonger dans l’histoire du Cameroun. Depuis l’unification d’une partie du Cameroun britannique au Cameroun francophone le 20 mai 1972, le peuple anglophone vivant dans le Sud-Ouest et le Nord-Ouest du pays a été victime de marginalisation. La « question anglophone » revient très souvent dans les débats, et les velléités de sécession de cette communauté proche du Nigéria voisin n’ont cessé de se faire entendre.
Après les indépendances, les francophones luttent contre le néo-colonialisme et les anglophones luttent contre une nouvelle forme de colonialisme imposée par leurs propres frères.
L’étude de la littérature camerounaise d’expression française d’un côté et d’expression anglaise de l’autre m’a permis de comprendre ce qui est appelé le combat anglophone : alors qu’après les indépendances les francophones luttent contre le néo-colonialisme et la main mise de la France à tous les niveaux, les anglophones luttent, eux, contre une nouvelle forme de colonialisme, celle qui leur est imposée par leurs propres frères.
Je ne m’étendrai pas sur ce combat. Je me limiterai à la perception qu’ont (ou qu’avaient) les francophones de leurs compatriotes anglophones. Ces derniers ont longtemps été considérés comme des sous-hommes. La production littéraire d’écrivains camerounais d’expression anglaise tels que Bate Besong, l’auteur de « Disgrace: Autobiographical Narcissus and Emanya-nkpe Collected Poems » ou Victor Epie Ngome, auteur de «What God Has Put Asunder», décrit bien la situation d’une communauté dont le peuple utilisait il y a dix ans encore le mot Bamenda (une ville du nord-ouest du Cameroun, mais également le nom d’un des grands groupes anglophones) comme synonyme de l’adjectif bête.
Aujourd’hui, la jeunesse anglophone et la jeunesse francophone se rassemblent autour d’un amour commun, la musique.
Aujourd’hui, la jeunesse anglophone et la jeunesse francophone se rassemblent autour d’un amour commun, la musique. La majorité des jeunes Camerounais se reconnaissent dans les textes de Jovi qui n’hésitent pas à dénoncer les tares sociales et les abus dont le peuple entier est victime. Ils se reconnaissent également dans les sonorités nouvelles créées par ces « nouveaux » artistes : un savant mélange de hip hop venu d’ailleurs et de sonorités camerounaises. Leur talent est reconnu à l’échelle internationale. Il est couronné par de nombreuses nominations, prix et collaborations avec des chanteurs nigérians précédés par leur célébrité, et même des artistes américains. Les jeunes Camerounais, sans distinction, sont fiers de dire tout haut qu’ils sont du même pays.
Outre la réconciliation grâce à la musique, les artistes musiciens anglophones ont valorisé leur langue à travers le pays. Le « Pidgin English » (une langue créole à base anglaise) était symbole de délinquance et d’absence d’éducation dans la partie francophone du Cameroun. C’est cette langue que la musique urbaine utilise aujourd’hui. La communauté francophone est unie par le français, mais divisée à cause des nombreux dialectes. Le « Pidgin English » est une langue parlée par tous les anglophones, quelle que soit l’ethnie. Cette langue unificatrice est de plus en plus utilisée par les jeunes francophones qui copient leurs idoles et se mêlent à leur communauté.
Les artistes musiciens anglophones ont valorisé le « Pidgin English » qui était symbole de délinquance et d’absence d’éducation dans la partie francophone du pays.
Le succès de ces artistes a incité l’ensemble des Camerounais à s’intéresser à ce qui se passe de l’autre côté de la rivière Mungo, la frontière naturelle qu’il faut traverser pour se rendre dans ce qui a longtemps été le Cameroun anglophone. Ils y ont découvert une grande richesse en termes de culture : outre la musique, la littérature y occupe une place de choix, et des jeunes tels que Dzekashu MacViban s’attèlent à la mettre en valeur. Il est l’initiateur et le premier éditeur du magazine en ligne, Bakwa Magazine, spécialisé dans la critique culturelle, et l’auteur de Scions of the Malcontent.
Les grands évènements culturels n’étaient généralement accueillis que par les deux plus grandes villes du pays : Yaoundé, la capitale politique, et Douala, la capitale économique. L’année 2016 a assis la position du Cameroun anglophone dans la sphère événementielle. La région a accueilli en l’espace de deux mois trois nouveaux évènements culturels. Le 16 avril, la ville de Buea a été la scène des Urban Jamz Awards. Du 25 au 30 avril, la première édition de la cérémonie primant l’industrie du cinéma camerounais et d’ailleurs, le Cameroon International Film Festival (CAMIFF) s’y est déroulée. Du 12 au 14 mai, la Buea Fashion Week a vu défiler des mannequins parés de vêtements de designers anglophones, francophones et internationaux.
Le Cameroun reste un pays marqué par de nombreuses rivalités ethniques et tribales. Grâce à la culture, la jeunesse d’aujourd’hui, qui sera l’élite de demain, a su de la manière la plus pacifique qui soit, unir les deux parties d’un tout.
Camerounaise, Anne Marie Befoune est traductrice, diplômée de l’Advanced School of Translators and Interpreters de l’Université de Buea au Cameroun. Passionnée des questions de gouvernance et de participation citoyenne, elle est membre de l’équipe permanente de WATHI.