Massar Sarr
Le XV siècle marque le début du contact entre l’Afrique de l’Ouest et le continent européen via l’océan Atlantique. Mais c’est au XVII siècle, avec la colonisation que les premières installations prirent forme sur l’île de Saint-Louis. Ainsi commence l’édification d’infrastructures de type européen sur le territoire de la colonie du Sénégal qui donna naissance à des villes comme Saint-Louis, Gorée, Rufisque et Dakar. Ces dernières seront plus tard pour des raisons administratives les quatre communes de plein exercice et leurs habitants obtinrent la citoyenneté française.
Cette installation a donné naissance à une culture issue du métissage entre les Européens en général et les populations locales. Dans certaines villes, les populations locales et les colons habitaient dans le même espace et il y eut de nombreux mariages. Alors que dans d’autres villes, les populations locales habitaient à proximité de « la ville européenne », mais cela ne gênait en rien le brassage culturel.
Les villes européennes (Dakar, Saint-Louis, Gorée et Rufisque) de la colonie du Sénégal eurent une architecture et une culture qui leur sont propres avec quelques différences selon le rôle qu’elles jouaient dans le dispositif colonial par rapport aux autres villes africaines.
Ces caractéristiques reflétant leurs identités ont été mis à l’épreuve à la suite du départ des colonisateurs. Dans les années 1960, après l’indépendance du Sénégal, la majorité des Français est appelée à quitter l’ancienne colonie. Ils laissent alors derrière eux un patrimoine à la fois matériel et immatériel.
Aujourd’hui, le patrimoine matériel, immatériel et naturel africain est de plus en plus menacé. Comme le montre le nombre de biens inscrits sur la liste en péril du patrimoine mondial. 17 sites africains sont sur cette liste et certains courent le risque d’être déclassés pour des problèmes liés à leur conservation. Alors que ces sites sont souvent millénaires ou centenaires, ils ont pendant longtemps échappé à la destruction causée par les facteurs naturels et anthropologiques.
Face à la modernité et à la montée du nationalisme, les villes ayant un passé colonial, jadis importantes et belles, sont de plus en plus considérées par certains Africains comme dépassées. D’autres les rejettent, pensant qu’elles symbolisent la domination européenne. Certes ces positions sont justifiées. Nous devons cependant d’une part assumer notre histoire, et d’autre part nous rendre compte que ces villes sont aujourd’hui sénégalaises et que la plupart des bâtiments anciens appartiennent soit à l’Etat du Sénégal, soit à des Sénégalais (descendants européens, métisses ou autochtones).
La valorisation des villes dites coloniales comme Gorée, Saint-Louis, Dakar et Rufisque peut être pour le Sénégal un moyen de diversifier son offre touristique.
En plus, l’inscription de l’île de Gorée et l’île de Saint-Louis sur la liste du patrimoine mondial leur confère une valeur universelle. Autrement dit, ces deux villes appartiennent à l’humanité. Avec leurs architectures européennes, elles sont aujourd’hui sénégalaises et nous devons nous efforcer de mieux les valoriser à l’instar de ce qui se fait dans d’autres pays.
La valorisation des villes dites coloniales comme Gorée, Saint-Louis, Dakar et Rufisque peut être pour le Sénégal un moyen de diversifier son offre touristique. Depuis quelques années, le tourisme connait une crise sans précédent selon les professionnels du secteur, alors qu’il représente le deuxième pourvoyeur de devises du pays, après la pêche. Le secteur touristique a contribué à hauteur de 300 milliards de francs CFA entre 2013 et 2014 à l’économie sénégalaise (Rapport de Jovago 2015, la plateforme de réservation d’hôtels en ligne).
Le tourisme balnéaire occupe la première position dans la stratégie marketing des autorités avec des sociétés étatiques comme la Société d’aménagement et de promotion des côtes et zones touristiques du Sénégal (SAPCO). Selon le chercheur Mamadou Diombéra, 80% des touristes qui ont visité le Sénégal en 2006 ont séjourné sur le littoral. Certes, Saint-Louis, Gorée, Rufisque, et Dakar sont côtières. Cependant, après Dakar avec un taux de 51%, c’est la petite côte qui attire le plus de touristes avec la station balnéaire et touristique de Saly qui enregistre 22% de l’ensemble des touristes en visite au Sénégal (Dehoorne, Diagne : 2008).
Il serait important de mettre en exergue les autres facettes de ce pays, avec le potentiel culturel que renferment ces sites coloniaux, comme une alternative au tourisme balnéaire qui est actuellement confronté à des difficultés.
Il serait important de mettre en exergue les autres facettes de ce pays, avec le potentiel culturel que renferment ces sites coloniaux, comme une alternative au tourisme balnéaire qui est actuellement confronté à des difficultés. En fait, le tourisme n’est plus uniquement une question de loisir avec le balnéaire, mais peut être aussi une question de découverte avec le tourisme culturel, auquel s’ajoute le tourisme d’affaires.
L’île de Gorée a compris cette tendance et reçoit des millions de visiteurs sénégalais et étrangers par an, grâce à la Maison des esclaves et à l’organisation d’un festival Gorée Cinéma. Saint-Louis fait de même avec le pont Faidherbe, le festival Saint-Louis Jazz ou le fanal tente de par des événements d’être plus attractif. Dakar mise sur sa biennale d’art contemporain Dak’art, le futur musée des civilisations noires et quelques structures coloniales comme le building administratif pour diversifier son offre. Quant à Rufisque, elle lutte pour avoir une place dans l’événementiel culturel au Sénégal et sur le plan international.
Pour attirer plus de touristes, il faudrait mettre l’accent sur l’architecture coloniale et les expressions culturelles. Pour ce faire, une formation adéquate des guides touristiques est à prévoir, ainsi qu’une organisation et une sensibilisation des populations locales sur l’importance de conserver leurs richesses culturelles. Les autorités locales doivent également travailler à restaurer certains bâtiments coloniaux en les revalorisant sous forme de musées, de bibliothèques, de salles de cinéma, de centres culturels, d’hôtels, bâtiments publics,… tout en développant l’artisanat et en facilitant l’organisation d’événements culturels. C’est en ce sens qu’on parle d’industrie culturelle créative qui renvoie à une dimension commerciale de la culture (Institut de Statistique de l’UNESCO, 2009).
Les autorités locales doivent également travailler à restaurer certains bâtiments coloniaux en les revalorisant sous forme de musées, de bibliothèques, de salles de cinéma, de centres culturels, d’hôtels, bâtiments publics
De ce fait, les populations locales peuvent trouver des emplois et capter les ressources financières issues du tourisme, car l’aspect culturel comprend la dimension patrimoniale avec les monuments, mais touche également l’artisanat, la restauration, les musées et les expressions culturelles (traditionnelles et modernes). Le tourisme balnéaire jusque-là dominant, profite surtout aux grandes chaines hôtelières qui proposent le format « tout inclus ».
L’industrie culturelle créative peut être un moyen de lutter contre la pauvreté dans des villes où le taux de chômage des jeunes est très élevé. Il est urgent pour redresser l’économie touristique de faire la promotion des villes en montrant leurs atouts basés sur l’architecture et les expressions culturelles à l’image de ce que fait Cuba avec La Havane, jadis coloniale. Les autorités cubaines ont réussi à tirer des profits économiques et sociaux de l’héritage colonial en mettant sur pied des politiques de conservation intégrées pour répondre à une demande sociale.
Photo: www.gigamegagic.org
Massar Sarr a obtenu une licence en Histoire et archéologie médiévale de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Il poursuit actuellement ses études en master à l’université Jean Monnet de Saint-Etienne (France), en gestion durable et équitable des paysages culturels et des patrimoines. Il est de nationalité sénégalaise.
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bonjour
je suis à la recherche d’informations sur l’architecte Henry ADENOT qui à construit dans les années 1920/1930 divers bâtiments à Dakar dont l’un dénommée : la maternité indigène ayant fait l’objet d’une émission de timbre au Soudan Francais en 1942
Merci d’avance pour votre collaboration
Gilles Bruel
Bonne analyse, ce texte décrit l’état actuel des édifices léguées par les colons. Ces dernières partent pour la plupart en ruines. Peut d’entre elles font l’objet d’entretiens et ce, grâce à l’aide des étrangers (Gorée, Saint Louis). Sur ce, nous sommes tentés de nous demander, sommes nous capables de tirer le maximum de profits de ces bâtisses, tant du point de vue scientifique que du point de vue économique? Ce présent papier semble montrer les enjeux d’une bonne politique de gestion du patrimoine Sénégalais. Et j’espère une analyse poussée dans ce domaine ouvrira d’autres perspectives qui répondront aux défis liés au chômage afin de créer de nouveaux emplois dans tous les secteurs d’activités (tourisme, hôtellerie, création de nouvelles infrastructure etc..)
Félicitations Masse. Très belle contribution.
Félicitations Masse. C’est une excellente contribution.