Oumy Sambou
Grande question et vaste programme. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), il y a plusieurs patrimoines culturels :
- les monuments : œuvres architecturales, de sculpture ou de peinture monumentales, éléments ou structures de caractère archéologique, inscriptions, grottes et groupes d’éléments, qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de l’histoire, de l’art ou de la science ;
- les ensembles : groupes de constructions isolés ou réunis qui, en raison de leur architecture, de leur unité, ou de leur intégration dans le paysage, ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de l’histoire, de l’art ou de la science ;
- les sites : œuvres de l’homme ou œuvres conjuguées de l’homme et de la nature, et zones incluant des sites archéologiques, qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue historique, esthétique, ethnologique ou anthropologique.
Chaque État dispose de patrimoines culturels classés comme c’est le cas pour le Sénégal. Notre pays a sept sites classés dans le patrimoine mondial de l’Unesco. Les cercles mégalithiques qu’il partage avec la Gambie, les îles de Saint-Louis et de Gorée, le delta du Saloum, le pays Bassari, le parc national des oiseaux du Djoudj et le parc national du Niokolo-Koba. Le Burkina Faso a comme patrimoine mondial dans le classement de l’Unesco, les ruines de Loropeni. Au Bénin, on trouve les palais royaux d’Abomey. On ne pourra pas les citer tous. Ce qui demeure constant, c’est que la plupart de nos patrimoines culturels, qu’ils soient classés ou non, ne sont pas connus des populations. C’est une totale aberration.
Pour mieux valoriser les patrimoines culturels des pays africains, il faudrait commencer par œuvrer à ce que les populations aient conscience de leur existence. Un patrimoine qui leur est propre, qui raconte leur histoire. C’est vrai, parfois, l’impression est là, forte, très présente. Un élément classé dans le patrimoine peut nous révulser, nous rebuter à tel point qu’on ne pense qu’à l’anéantir. Alors qu’en l’anéantissant, on détruit ce qui a fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui.
Prenons l’exemple d’une ville comme Saint-Louis au Sénégal. De jeunes activistes demandent la destruction de la statue de Faidherbe qui trône fièrement sur la place du même nom. Faidherbe ! Un colon sanguinaire, ancien gouverneur du Sénégal, qui a fait beaucoup de mal aux populations locales. Lui rendre hommage, c’est trop ! Oui, leurs arguments tiennent la route. Mais effacer Faidherbe, c’est occulter tout un pan de l’histoire de l’île de Saint-Louis dont on se vante aujourd’hui. Son architecture coloniale qualifiée de métisse, nous vaut un classement sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.
Pour mieux valoriser les patrimoines culturels des pays africains, il faudrait commencer par œuvrer à ce que les populations aient conscience de leur existence.
Cette reconnaissance n’intéresse apparemment que très peu de monde. Beaucoup pensent à détruire ces maisons qui ne correspondent plus à la représentation de nos familles africaines. Quelques expatriés tentent de sauver ce patrimoine menacé de toute part par les hommes, par le fleuve et par la mer. On aurait pu étendre la liste en ajoutant le parc naturel Niokolo Koba, patrimoine en péril aujourd’hui. Une autre preuve que sans une sensibilisation de masse, parler de valorisation serait illusoire.
Attardons-nous sur l’adjectif culturel, accolé à patrimoine et production. Quelle est sa signification au fond ? Concerne-t-elle seulement tout ce qui est relatif aux expressions artistiques ? Nous avons été surpris par les résultats d’un célèbre moteur de recherche quant à la définition de « production culturelle ». Le concept d’« industries culturelles » est sorti parmi les premiers résultats avec des références à l’École de Francfort du philosophe allemand Theodore Adorno et du philosophe et sociologue Max Horkheimer. Ensuite apparaissaient les traditionnels débats entre les théoriciens de l’art pour l’art et l’art comme producteur, vecteur de richesses (vaste programme disions-nous !).
Si la culture est ce qui nous distingue de l’animal, lorsqu’on parle de valorisation de la production culturelle, il y a une référence à tout ce qui est lié aux expressions artistiques. La culture n’est pas seulement expressions artistiques ou plutôt si : arts de vivre, arts culinaires, arts décoratifs, arts vestimentaires et on se rend compte que finalement, il est très difficile de délimiter son champ. Il va de la production musicale, audiovisuelle, en passant par le textile avec les tissus « Gagny Lah », « Woodin » et consorts, jusqu’aux calebasses, à l’attiéké de Côte d’Ivoire, au gari du Bénin et du Togo, aux plats à base de mil dans plusieurs pays de la région… Tout cela fait partie de la production culturelle.
Ayons plus confiance en nous, consommons local et montrons au monde ce que nous avons de plus que les autres.
Aujourd’hui, la grande question que pose le think tank WATHI est celle de savoir comment l’Afrique de l’Ouest peut mieux valoriser son patrimoine et sa production culturels. Ce qui est rassurant dans la formulation de la question, ce sont les termes « mieux valoriser ». Cette formulation sous-entend que des actions sont déjà entreprises pour conscientiser les populations sur l’importance de la préservation et de la valorisation du patrimoine culturel. Des richesses incommensurables qu’on ne peut absolument pas voir parce qu’on nous a toujours fait croire que ce qui vient d’ailleurs est mieux que ce que nous avons chez nous.
Nous sommes dans une perpétuelle quête de l’eldorado alors que tout ce dont nous avons besoin est autour de nous. La preuve, beaucoup de matières premières de produits que l’on retrouve dans nos supermarchés viennent du continent africain. Cet ici que nous diabolisons par ignorance. Le savoir est la clé ! Il est impératif de réformer nos systèmes éducatifs, de nous sortir de ce cycle qui nous fait nous positionner comme des éternelles victimes.
L’Afrique, et particulièrement l’Afrique de l’ouest, a subi l’esclavage et la colonisation. Mais il est temps que nous prenions les choses en main. Ayons plus confiance en nous, consommons local et montrons au monde ce que nous avons de plus que les autres. Oui, nous avons quand même résisté. Nous avons survécu à tout. Il faut que nous nous reconnections à nous-mêmes. Cela ne veut nullement dire se couper du monde. Nous ne pouvons pas faire comme le Japon de l’ère Meiji qui était isolé du reste du monde. Mais nous pouvons faire plus et mieux en mettant l’accent sur nos savoirs et les savoirs qui nous viennent d’ailleurs pour valoriser nos patrimoines et productions culturels.
Photo : Guide Bénin (Musée d’Abomey)
Journaliste sénégalaise, Oumy Sambou travaille à la radio Sud FM (Dakar) où elle est la responsable du desk Culture. Elle est la présentatrice d’une émission culturelle hebdomadaire intitulée ”Culture en Fête” en français et souvent en wolof, la langue locale la plus parlée au Sénégal. Elle est également critique de cinéma à Africiné et présidente de l’Association de la presse culturelle du Sénégal (APCS).
2 Commentaires. En écrire un nouveau
Oui nous avons notre propre culture que nous devons voloriser.prenons l’exemple de beaucoup de nos textiles,et même la couture que bon nombres d’Européens apprécient et portent.tout tourne au tour du système éducatif et de l’éveil de nos consciences,pour
que nous puissions comprendre que c’est a nous de valoser notre belle culture.
Les Africains ne doivent pas valorisé la culture occidentale coloniale, mais leur propre culture !