Mathias Hounkpè
Au 26e sommet de l’Organisation de l’unité africaine (OUA, devenue Union Africaine) en 1990, M. Salim Ahmed Salim, alors secrétaire générale de l’OUA affirmait que “l’Afrique ne pouvait pas ignorer le consensus Mondial sur l’importance de la démocratie, mais la démocratie doit être générée de manière endogène” (http://bit.ly/2cAJt3q). Ces propos tenus il y a 26 ans, au moment où la plupart des pays africains rejoignaient la troisième vague de démocratisation, trouvent toujours leur pertinence dans le contexte actuel dominé par le débat sur “l’endogénéisation” de la démocratie en Afrique.
Rares sont en effet les rencontres sur l’état et/ou les perspectives de la démocratie en Afrique qui se tiennent sans que des participants insistent sur la nécessité pour l’Afrique de “définir la démocratie par elle-même” (http://bit.ly/2cuNCF9). Les leaders africains eux-mêmes, la plupart du temps pour des raisons inavouables, interrogent “l’africanité” de la démocratie et sa compatibilité avec la “culture” africaine.
Rares sont en effet les rencontres sur l’état et/ou les perspectives de la démocratie en Afrique qui se tiennent sans que des participants insistent sur la nécessité pour l’Afrique de “définir la démocratie par elle-même“
Au-delà de la déclaration de M. Salim ci-dessus exprimant la nécessité de faire la différence entre d’un côté l’idéal démocratique qui demeure souhaitable et de l’autre les moyens pour l’atteindre qui devraient être adaptés au contexte, il est bien établi depuis plusieurs décennies (et même plusieurs siècles) maintenant, comme le dit si bien le directeur exécutif de l’Open Society Initiative for West Africa (OSIWA) Abdul Tejan-Cole (http://bit.ly/2a3kPHx) que “les facteurs tels que la culture, les valeurs, les croyances, etc. peuvent jouer un rôle important dans le fonctionnement des institutions démocratiques“.
Par conséquent, nous, Africains, avons l’obligation d’approfondir notre compréhension des spécificités majeures de notre environnement et de concevoir les institutions démocratiques en conséquence. Ceci est inévitable si notre souhait est d’ériger des démocraties qui contribuent au bonheur des populations du continent.
Cependant, nos obligations ne s’arrêtent pas là. En effet, à présent, il est également bien établi que la plupart des institutions démocratiques existantes dont nous nous inspirons pour la conception de nos institutions, ont atteint leurs limites. Même si dire que “tout politicien qui ne réalise pas que nous sommes dans l’ère post parti politique … ne durera plus longtemps dans les parages” est probablement une exagération, des universitaires, affirmaient déjà en 2001 que “les partis ont cessé de jouer les rôles qui leur sont attribués aussi bien par la théorie démocratique que dans la pratique démocratique traditionnelle“.
Par conséquent, nous, Africains, avons l’obligation d’approfondir notre compréhension des spécificités majeures de notre environnement et de concevoir les institutions démocratiques en conséquence.
Tony Blair, ancien Premier ministre britannique est, depuis longtemps, arrivé à la conclusion que “le système des partis, bien que nécessaire, était devenu à un certain niveau irrationnel et contreproductif” alors que le professeur Pierre Rosanvallon, observe “le déclin et la redéfinition des partis” dans les démocraties contemporaines. La perception générale en Afrique est que les partis politiques n’apportent pas “les types de contributions attendues ou espérées d’eux pour la consolidation de la démocratie“. Ceci, en général, parce qu’ils souffrent de “faiblesse organisationnelle, de déficit d’institutionnalisation et de liens faibles avec la société qu’ils sont supposés représenter“.
De plus, seulement quelques systèmes partisans en Afrique “semblent en train de se consolider” (http://bit.ly/2ccaG8V), la plus grande majorité d’entre eux demeurant très peu institutionnalisés et très peu performants. La question essentielle ici est moins l’incapacité des partis à satisfaire les attentes des nouvelles démocraties africaines que la nécessité, dans la recherche des solutions aux défis qu’ils posent, d’éviter de se fixer comme objectifs de récréer les partis politiques tels que nous les connaissions ou comme ils étaient dans les démocraties consolidées.
Les limites à l’usage que l’on peut faire des outils/mécanismes démocratiques existants ne s’arrêtent pas aux partis politiques. En effet, selon le professeur Philippe Schmitter “il semble y avoir un consensus large entre les politiciens et les universitaires que la démocratie en tant que pratique est en déclin“. Par exemple, les développements précédents par rapport aux partis politiques peuvent également s’appliquer au pouvoir législatif (c’est-à-dire aux Parlements). Dans son rapport parlementaire mondial de 2012 (http://bit.ly/2cZF9gx), l’Union interparlementaire (l’organisation internationale des parlements créée en 1889) a clairement souligné comment, par exemple, les rôles que les parlements jouent d’habitude dans les démocraties sont en train d’évoluer et la nécessité de s’adapter.
A l’instar des partis politiques, les parlements en Afrique, que ce soit par conception ou par tradition historique, sont pour la plupart des institutions faibles et incapables de contribuer à la consolidation de la démocratie. Comme le dit si bien le professeur Gyimah Boadi “les parlements africains tendent à être des institutions faibles, des ‘coalitions négatives’ regroupées pour déloger – ou maintenir – ceux qui sont au pouvoir et conditionnés par une culture persistante d’autoritarisme“.
Ici également, à l’instar de ce qui a été dit tantôt au sujet des partis politiques, il est important, lorsqu’on réfléchit aux réformes en vue de l’amélioration de la contribution des parlements au fonctionnement de la démocratie, de garder présent à l’esprit que la nature et les fonctions de ces institutions de représentation ont beaucoup évolué et ont un urgent besoin d’être adaptées.
Des questions similaires peuvent être également posées par rapport à d’autres aspects de la démocratie. Par exemple, les citoyens sont-ils capables de jouer le rôle que la démocratie telle que nous la connaissons semble exiger d’eux ?
En dépit de la description qui précède, la situation n’est pas désespérée pour autant pour au moins deux raisons. Premièrement, l’idéal démocratique demeure attractif pour beaucoup de citoyens des nouvelles démocraties africaines. Pour prendre l’exemple de l’Afrique de l’Ouest, selon l’institut Afrobaromètre (http://bit.ly/2ceiqfD), au moins 70% des citoyens de pays de la région préfèrent la démocratie à toute autre forme de gouvernement.
Alors que l’idéal démocratique demeure attractif pour la plupart, beaucoup restent à faire pour la conception/l’adaptation des outils nécessaires pour son fonctionnement dans la pratique.
Deuxièmement, il est aisé d’observer que plusieurs innovations démocratiques sont en cours sur le continent. En effet, à travers l’Afrique, les citoyens ainsi que les organisations qui appuient les initiatives en faveur de la démocratie sont en train de concevoir des outils/mécanismes pour atténuer les défis de la démocratisation et accroître les chances que la démocratie fonctionne mieux et contribue à la satisfaction de leurs besoins. Il s’agit, entre autres, d’outils pour améliorer la participation, accroître la transparence et la reddition des comptes, etc.
Alors que l’idéal démocratique demeure attractif pour la plupart, beaucoup restent à faire pour la conception/l’adaptation des outils nécessaires pour son fonctionnement dans la pratique. Ceci exigera de nous, Africains, d’approfondir notre compréhension de nous-mêmes et des outils démocratiques existants afin de pouvoir les adapter ou d’en inventer de nouveaux pour que les démocraties fonctionnent effectivement pour le bien-être des populations africaines. La jeunesse des institutions démocratiques sur le continent constitue une opportunité pour adapter et/ou recréer la pratique démocratique. Cette opportunité est à notre portée et nous devons la saisir.
Photo: civot.net
Politologue béninois, Mathias Hounkpè est actuellement Administrateur du Programme de Gouvernance Politique à OSIWA (Open Society Initiative for West Africa).
Ouvrages cités :
– Comment utiliser les réseaux sociaux pour gagner les élections, 2011, C. Agranoff & H. Tabin
– Political Parties and Democracy, 2001, L. Diamond and R. Gunther, The Johns Hopkins University Press
– Le bon gouvernement, 2015, Pierre Rosanvallon, Editions du Seuil
– Political Parties and Democratic Consolidation in Africa, V. Randall & L. Svasand
– Political Parties and party systems in Africa’s illiberal democracies, 1999, N. Van de Walle è K. Butler
– Democracy in Decline?, 2015, L. Diamond & M. F. Plattner
– The rebirth of African liberalism, 1991, E. Gyimah-Boadi
– Democracy for Realists, 2016, C. H. Achen & L. M. Bartels