Babacar Ndiaye
En mars 2016, le président Macky Sall a convié les Sénégalais à un référendum autour de 15 points. L’idée de cette consultation fut de soumettre au peuple un « package » de réformes tendant à moderniser les institutions et à consolider la démocratie sénégalaise. Il faut reconnaître que certaines propositions allaient dans le sens de ce renforcement. C’est sans doute ce qui a conduit bon nombre de citoyens à voter en faveur du « oui », malgré la polémique sur la durée du mandat présidentiel qui connaîtra finalement son terme en 2019. Le président avait en effet renoncé à son engagement à réduire son propre mandat à cinq ans, ce qui aurait conduit à une élection présidentielle dès 2017.
L’élargissement des pouvoirs de l’Assemblée nationale en matière de contrôle de l’action gouvernementale et d’évaluation des politiques publiques est de nature à fortifier la démocratie. L’adoption d’une telle prérogative pour les députés permet d’œuvrer à la mise en place de politiques publiques plus efficaces et en cela le regard du législateur est une excellente chose. Seulement, est ce que les priorités n’étaient pas ailleurs ? N’y avait-il pas des priorités en matière de révision de la Constitution qui nécessitaient un rééquilibrage des pouvoirs des acteurs de la vie institutionnelle de notre pays ?
Un président de la République aux pouvoirs trop larges
La constitution par essence définit le mode d’organisation de l’Etat et de la nation. A l’image des pays africains, le Sénégal n’échappe pas à la figure « tutélaire » du président de la République qui constitue l’alpha et l’oméga de la vie politique. Il est considéré comme la clé de voûte des institutions. Sa prééminence sur les autres entités de la République ne souffre d’aucune contestation au Sénégal. Cette réalité est tellement ancrée dans les mentalités qu’il est usuel d’entendre que le président de la République a envoyé un tel en prison. Le locataire du palais présidentiel concentre tous les pouvoirs et se présente comme un « monarque républicain ».
La séparation des pouvoirs ne semble exister que dans la Constitution. Le président de la République est une sorte de « Léviathan » car il exerce un pouvoir hégémonique sur notre vie institutionnelle. Les hommes politiques aiment rappeler que le président de République nomme aux emplois civils et militaires. Cela traduit la capacité d’un seul homme à placer des hommes à des postes stratégiques du fait de sa seule décision.
A l’image des pays africains, le Sénégal n’échappe pas à la figure « tutélaire » du président de la République qui constitue l’alpha et l’oméga de la vie politique.
L’heure est venue d’encadrer le pouvoir de nomination du chef de l’Etat dans notre pays. L’Assemblée nationale devrait avoir un rôle crucial à jouer dans le contrôle des nominations. Un dispositif de contrôle parlementaire sur les nominations à certains emplois ou certaines fonctions relevant du président de la République est une « évidence démocratique ». La politisation habituelle de l’administration et les nominations surprenantes pour assurer une réélection entravent le bon fonctionnement des institutions. Une nomination doit être légitimée par la compétence, la probité et le sens du devoir républicain.
Les logiques électoralistes et les calculs politiques ont souvent pris le pas sur l’intérêt général. Cette pratique a encore la dent dure dans nos pays. Il est urgent de constitutionnaliser l’interdiction de mener une activité politique et concomitamment de diriger un service public. Il est également indispensable de constitutionnaliser l’interdiction pour un membre de la famille présidentielle de faire l’objet d’une nomination ou de se présenter à une élection durant tout le mandat. L’immixtion de la famille présidentielle dans la sphère publique ne crée que de la polémique depuis des années et empêche tout débat de fond dans notre pays.
Une Assemblée nationale plus en phase avec la réalité des Sénégalais
Le sens de l’intérêt collectif se pose également dans le cadre du fonctionnement de nos assemblées. L’Assemblée nationale, haut lieu de la représentation populaire est le réceptacle des projets de lois initiés par l’exécutif. Faut-il croire que nos députés ne sont pas suffisamment outillés pour traduire en proposition de lois les aspirations du peuple ? Et s’ils se décident à déposer une proposition de loi, il s’agit de régler des questions exclusivement « politiciennes ».
Les plus célèbres propositions de lois au Sénégal ont été initiées pour neutraliser des adversaires politiques. La dernière en date est la « loi Sada Ndiaye ». Elle avait été adoptée en septembre 2008 pour écourter le mandat de Macky Sall alors président de l’Assemblée nationale, et en rupture politique avec le président Abdoulaye Wade. Cette loi faisait passer de 5 ans à un an renouvelable le mandat du président de l’institution parlementaire.
Dans notre démocratie, l’apport de l’Assemblée nationale semble insignifiant au regard de la mission qu’elle s’assigne en étant « l’obligée » du pouvoir exécutif.
Dans notre démocratie, l’apport de l’Assemblée nationale semble insignifiant au regard de la mission qu’elle s’assigne en étant « l’obligée » du pouvoir exécutif. Un certain nombre de facteurs explique cette posture de « chambre d’enregistrement » des moindres volontés du gouvernement. La cause principale est sans aucun doute le mode d’élection des députés. En effet, au moment du scrutin législatif, deux listes sont confectionnées : la liste nationale et la liste proportionnelle.
Cette première liste est une aberration pour un pays considéré comme le porte-étendard de la démocratie en Afrique de l’Ouest. Selon le bon vouloir des appareils politiques en charge d’établir cette liste, n’importe quel individu peut du jour au lendemain se retrouver dans l’hémicycle. Il est urgent de s’arrimer sur les standards internationaux avec une élection uninominale à deux tours basée sur le découpage du territoire. Ce système, plus en phase avec nos aspirations de démocratie moderne, permettra d’avoir une assemblée représentative.
Aussi les acteurs parlementaires doivent-ils disposer d’un minimum de formation. Ce prérequis est indispensable pour une bonne compréhension des lois et du vote des budgets. Une partie des salaires élevés des députés doit servir aux recrutements d’assistants parlementaires, afin de leur permettre de mieux répondre aux préoccupations du peuple grâce à une élaboration pertinente des propositions de lois.
Une Assemblée nationale où l’on retrouve plus de 120 députés pour le compte de la mouvance présidentielle sur les 150 que compte l’hémicycle, indique l’urgence de revoir le système et le mode d’élection.
L’idée d’une Assemblée monocolore ne fait pas avancer la démocratie et ne permet pas de réels débats. Une Assemblée nationale où l’on retrouve plus de 120 députés pour le compte de la mouvance présidentielle sur les 150 que compte l’hémicycle, indique l’urgence de revoir le système et le mode d’élection. Il est normal que le président nouvellement élu dispose d’une majorité confortable à l’Assemblée nationale pour dérouler son programme, mais disposer d’une majorité écrasante voire absolue n’est pas une bonne chose pour la démocratie.
Une opposition plus crédible et qui constitue une force de propositions doit inverser cette tendance bien « africaine » à vouloir disposer d’une Assemblée nationale totalement acquise aux désidératas du pouvoir. L’assemblée, lieu privilégié par essence du débat est « minimisée » par les leaders politiques d’envergure qui n’ont qu’une obsession : le fauteuil présidentiel.
Une démocratie qui marche, c’est également une Assemblée nationale forte dans le rôle qu’elle joue et plurielle dans les sensibilités politiques qui la composent. Le 30 juillet 2017, les Sénégalais seront appelés à renouveler leur parlement. La mouvance présidentielle et l’opposition devront faire de ce scrutin un moment utile de débats. L’enjeu doit être pour les citoyens la mise en place d’une Assemblée nationale de rupture avec les vieilles pratiques, et la composition d’un excellent casting de leurs futurs représentants au sein de l’hémicycle.
Le renforcement de l’indépendance de la justice
L’indépendance de la justice doit être une réalité au-delà des mots. Aujourd’hui, il existe une méfiance à l’égard de l’institution judiciaire au regard du traitement de certains dossiers ces dernières années. L’article 91 de la Constitution dispose que « le pouvoir judiciaire est gardien des droits et libertés définis par la Constitution et la loi ». Que faut-il penser de cet article lorsque la pratique nous prouve le contraire dans certains cas. Au Sénégal, il existe ce sentiment d’impunité pour les personnes qui pensent qu’il est plus facile d’échapper à la justice lorsque l’on dispose de moyens financiers ou de relais d’influence.
L’Union des magistrats sénégalais (UMS) appelle depuis des années à une réforme de la composition et du fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), pour davantage matérialiser cette indépendance. Il faut relever que cet organe est encore présidé par le chef de l’Etat et que le ministre de la Justice en est le vice-président. Il serait plus judicieux de laisser à la discrétion des magistrats le soin de désigner eux-mêmes les membres de cette structure.
Au Sénégal, il existe ce sentiment d’impunité pour les personnes qui pensent qu’il est plus facile d’échapper à la justice lorsque l’on dispose de moyens financiers ou de relais d’influence.
Le juge Ibrahima Dème, démissionnaire du CSM a fustigé le manque de transparence dans le choix des magistrats dans une lettre adressée au président Macky Sall. Il a dénoncé « une magistrature sous influence » et rappelé la nécessité d’une « magistrature indépendante et impartiale, démontrant constamment dans ses décisions, que la justice est exclusivement au service de la vérité » (http://bit.ly/2nsv26O ). Un tel acte inédit posé par un juge, membre du CSM, interpelle les citoyens sur la nécessité de bâtir une justice indépendante et d’assurer un égal accès à la justice pour tous. Ces éléments sont des piliers de la vie démocratique.
Le candidat Macky Sall en 2012 dans son programme « Yonnu Yokuté » avait soulevé une idée intéressante pour redorer l’image du Conseil constitutionnel. Il proposa une réforme portant sur le nombre et le mode de désignation des membres de cette institution. Il suggéra le passage de cinq à sept membres dont trois seraient nommés par le président de la République parmi lesquels le président du Conseil, ensuite un par la majorité parlementaire, un par l’opposition parlementaire et deux par le Conseil supérieur de la magistrature. Lors du référendum du 20 mars 2016, cette réforme a été mise en placard au profit de la désignation par le président de l’Assemblée nationale de deux des sept membres du Conseil constitutionnel.
Il est difficile de voir l’avancée démocratique et l’intérêt de cette réforme dans le système politique actuel.
Le Sénégal a toujours connu un président de la République et un président de l’Assemblée nationale issus de la même mouvance présidentielle. Il est difficile de voir l’avancée démocratique et l’intérêt de cette réforme dans le système politique actuel. On ne peut imaginer un président de l’Assemblée nationale proposer des personnalités qui ne rencontreraient pas l’assentiment du président de la République. Le renforcement de la transparence du Conseil constitutionnel aurait également consisté à généraliser la publicité des débats et la publication d’éventuels avis contraires (opinion dissidente) de certains membres. Le Conseil constitutionnel joue un rôle important dans le système juridique de notre pays.
Les citoyens au cœur du jeu démocratique
Dans une situation ou l’équilibre des pouvoirs semble difficile à mettre en place, les organisations de la société civile doivent pleinement jouer leur rôle de sentinelle. Le citoyen, dans ses choix doit s’assurer que les meilleurs profils sont présents à tous les niveaux de l’Etat. Il doit mettre la même énergie dans le choix du président de la République que dans celui du député et du maire. On constate que les citoyens sont moins intéressés par les élections intermédiaires (élections législatives et communales) avec un niveau d’abstention qui ne cesse de progresser.
En réalité, le citoyen est le « maître du jeu » démocratique, cependant cette conviction n’est pas la chose la mieux partagée au Sénégal et sur le continent. Souvent, nous voyons des citoyens impuissants face aux agissements de la classe politique et l’impression que donne le personnel politique est celle de disposer d’un « blanc-seing ». Le moment le plus redouté par les politiciens est la période électorale où ils cherchent toujours à donner des gages aux citoyens.
Les citoyens doivent reprendre la main sur la gestion des affaires publiques avec un suivi permanent des politiques publiques dont ils sont les bénéficiaires. La société civile doit initier de meilleures stratégies de mobilisation des citoyens sur les questions essentielles. Elle doit encore et toujours expliquer la force que peut constituer la carte d’électeur.
La société civile doit initier de meilleures stratégies de mobilisation des citoyens sur les questions essentielles.
L’indignation et la mobilisation des citoyens sur les réseaux sociaux et dans les médias, à la suite de la panne de l’unique appareil de radiothérapie pour le traitement du cancer dans le plus grand hôpital universitaire de Dakar ont été une démonstration pertinente du pouvoir de ces derniers à provoquer un changement immédiat. Des Sénégalais se sont même mobilisés pour prendre en charge l’évacuation des malades à l’étranger avec une chaîne de solidarité qui s’est traduite par une campagne de financement participatif. Le gouvernement n’a eu d’autre choix que de se justifier et de procéder rapidement à l’achat de nouvelles machines.
Il faut que se reproduisent dans notre pays des « 23 juin citoyennes » à l’image de la mobilisation de 2011 contre le projet de réforme constitutionnelle du « ticket présidentiel » du président Wade. Les citoyens doivent constamment rappeler aux acteurs publics leur devoir de servir l’intérêt général. Thomas Jefferson disait que « le peuple est le seul censeur de ceux qui le gouvernent».
Photo : senego
Babacar Ndiaye est diplômé en sciences politiques et relations internationales de l’Université d’Auvergne Clermont 1 (France). Il est spécialiste des questions de sécurité et de gouvernance en Afrique de l’Ouest.