Ibrahima Amadou Niang, Mathias Hounkpè
La Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO, dans le communiqué final (http://bit.ly/2dGbQQz) de sa session extraordinaire du 12 septembre 2015 à Dakar, au Sénégal, après avoir “examiné le rôle et le fonctionnement des commissions électorales indépendantes dans l’organisation des élections dans la région”, a “… instruit la Commission [de la CEDEAO] de procéder à une évaluation critique de l’ensemble des organes chargés des processus électoraux et lui faire un rapport à une prochaine session.”
De ce qui précède, le moins que l’on puisse dire est que les chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO commencent à se poser des questions sur la contribution réelle des commissions électorales indépendantes à la gestion des processus électoraux dans la région. A notre humble avis, si l’on veut vraiment qu’elle contribue à l’enracinement de la démocratie en Afrique de l’Ouest, il est important que l’évaluation critique des organes en charge de la gestion des processus électoraux souhaitée par la Conférence de la CEDEAO prenne en compte tous les aspects de la question ou, à tout le moins, les aspects essentiels.
Même si les chefs d’Etat de la CEDEAO souhaitent l’évaluation de l’ensemble des organes chargés des processus électoraux, la présente réflexion porte uniquement sur les commissions électorales indépendantes. D’autres réflexions viendront par la suite sur les autres organes qui, selon les pays, sont également impliqués dans la gestion des élections en Afrique de l’Ouest.
La réflexion actuelle vise à partager certains éléments, fruits d’une observation attentive des processus électoraux dans la région au cours des vingt dernières années, dont on devrait tenir compte pour une évaluation pertinente telle que souhaitée par la conférence de la CEDEAO. Ces éléments portent sur trois aspects.
La raison d’être des commissions électorales
De notre point de vue, les raisons qui ont justifié l’adoption des commissions électorales indépendantes/autonomes demeurent dans quasiment tous les pays de la région. Avant les transitions démocratiques, les élections étaient, dans la plupart des pays de la région, entièrement organisées par l’administration publique, notamment par le biais des ministères de l’Intérieur et/ou de l’Administration territoriale.
Les limites de ce mode de gestion des élections sont devenues immédiatement évidentes dès le début des années 1990 avec l’ouverture démocratique. Dans quasiment tous les pays de l’Afrique de l’Ouest, l’administration publique était perçue comme incapable de s’autonomiser suffisamment du pouvoir en place pour satisfaire les exigences de neutralité et d’équité nécessaires à la gestion d’élections qui, désormais, devraient être pluralistes, ouvertes et compétitives.
Dans quasiment tous les pays de l’Afrique de l’Ouest, l’administration publique était perçue comme incapable de s’autonomiser suffisamment du pouvoir en place pour satisfaire les exigences de neutralité et d’équité nécessaires à la gestion d’élections
Ce fait est reconnu par tous, y compris par la CEDEAO elle-même. Comme le remarque si bien le professeur El Hadj Mbodj, “les commissions électorales procèdent … de la volonté de soustraire les résultats des compétitions à la suspicion d’illégitimité qui pesait sur les scrutins organisés par le seul appareil étatique” (http://bit.ly/2cZJwWq). Par exemple, les sages de la Cour Constitutionnelle du Bénin affirment également que la “création d’une commission électorale indépendante … permet … d’assurer la liberté et la transparence des élections … et de gagner la confiance des électeurs et des partis et mouvements politiques.”
Ceci est également une exigence du Protocole additionnel de la CEDEAO qui stipule que “les organes chargés des élections doivent être indépendants et/ou neutres et avoir la confiance des acteurs et protagonistes de la vie politique.”
A ce jour, rien dans l’évolution politique des pays de la région n’indique un changement majeur en ce qui concerne l’autonomisation de l’administration publique vis-à-vis du pouvoir exécutif au point de lui confier à nouveau, en toute confiance, la gestion du processus électoral. A l’exception du Cap-Vert, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions pertinentes des expériences en cours au Sénégal et au Mali où l’administration publique assure la gestion de tout ou partie du processus électoral.
A ce jour, rien dans l’évolution politique des pays de la région n’indique un changement majeur en ce qui concerne l’autonomisation de l’administration publique vis-à-vis du pouvoir exécutif
La composition des commissions électorales
La composition des commissions électorales est le deuxième aspect qui devrait retenir l’attention dans toute évaluation de leur contribution à la gestion des élections en Afrique de l’Ouest. Dans tous les pays de la région, les acteurs politiques interviennent d’une manière ou d’une autre dans le processus de sélection des membres des commissions électorales. Dans tous ces pays, l’une au moins des chambres du Parlement et/ou l’exécutif interviennent dans la sélection des membres de ces commissions. La situation des pays francophones d’Afrique de l’Ouest est cependant particulière.
Contrairement aux pays anglophones, les pays francophones de la CEDEAO ayant fait le choix des commissions indépendantes ont préféré, en général, que la plupart des membres de ces organes soient des représentants directs des forces politiques. Ce choix, qui peut se comprendre d’un certain point de vue, comporte des inconvénients majeurs sur le plan politique et technique. En effet, de telles commissions sont souvent le théâtre de comportements « stratégiques », c’est-à-dire calculés ou encore intéressés, sur fond de méfiance systématique de tous vis-à-vis de tous, surtout de la part des membres représentant les partis.
Contrairement aux pays anglophones, les pays francophones de la CEDEAO ayant fait le choix des commissions indépendantes ont préféré, en général, que la plupart des membres de ces organes soient des représentants directs des forces politiques
Pire, les désaccords au sein de la classe politique sur le processus électoral et sa gestion se transportent souvent au sein de la commission et, par conséquent, perturbent le processus électoral au risque de le bloquer. Les élections récentes dans les pays francophones fournissent une foison d’illustrations de ce phénomène.
Pire, les désaccords au sein de la classe politique sur le processus électoral et sa gestion se transportent souvent au sein de la commission et, par conséquent, perturbent le processus électoral au risque de le bloquer
Que ce soit en Côte d’Ivoire, au Niger, en Guinée, au Togo ou au Bénin, il est souvent observé qu’un camp politique exige la reconfiguration de la commission électorale, parfois à quelques jours seulement d’une élection. Parfois, cela va même jusqu’à l’annonce du retrait de ses membres ou la suspension de leur participation aux travaux de la Commission. Il arrive aussi que les désaccords entre les membres débouchent sur l’incapacité de l’institution à proclamer les résultats des élections, ou sur des « coups d’Etat » internes, se traduisant par la destitution de membres de la commission.
Il est important de mentionner que de pareils phénomènes ne sont pratiquement jamais observés dans les commissions électorales des pays anglophones de l’Afrique de l’Ouest.
Les conditions de travail des commissions électorales
Les conditions de travail des commissions électorales constituent le dernier paramètre dont nous pensons qu’il faut tenir compte dans toute analyse objective de leur contribution à la gestion des élections en Afrique de l’Ouest. L’on peut dire, sans grand risque de se tromper, que l’exécutif, assez souvent, et au-delà les institutions étatiques, en général, ne rendent pas la tâche facile aux institutions électorales.
L’on peut dire, sans grand risque de se tromper, que l’exécutif, assez souvent, et au-delà les institutions étatiques, en général, ne rendent pas la tâche facile aux institutions électorales
Le budget de la commission électorale, même lorsqu’il est adopté de commun accord avec l’exécutif, peut être unilatéralement amputé par ce dernier (parfois jusqu’au quart du montant prévu et initialement adopté). Ou encore le budget déjà revu à la baisse est mis à disposition par le gouvernement de manière si tardive que cela compromet la bonne conduite du processus électoral par la commission.
Au-delà des difficultés financières auxquelles les commissions électorales sont souvent confrontées, il arrive que des obstacles viennent aussi d’autres institutions. C’est ainsi, par exemple, que les parlementaires peuvent délibérément rester sourds aux propositions d’amendements du cadre légal des élections faites par les commissions. Ou alors, ils y répondent de manière si tardive (quelques semaines des élections) que la mise en œuvre des nouvelles dispositions légales en rajoute aux difficultés des commissions dans la gestion du processus.
Les difficultés évoquées ci-dessus se rencontrent dans quasiment tous les pays de la région, francophones et anglophones inclus. Que ce soit au Ghana – pourtant l’un des modèles en matière de gestion d’élections exemplaires dans la région – , au Bénin ou au Nigéria, ces difficultés ont failli coûter cher aux expériences de démocratisation en cours dans ces pays.
Les facteurs mis en exergue dans cet article ont jusque-là empêché les commissions électorales indépendantes ou autonomes d’accomplir convenablement leur mission, agissant un peu comme des boulets. Du coup, toute réflexion sur leurs performances visant à accroître les chances de contribuer à l’amélioration de la qualité des élections en Afrique de l’Ouest devrait tenir compte de ces paramètres. Autrement, elle pourrait déboucher sur des propositions de réformes qui n’apporteront pas de solutions aux problèmes les plus importants.
Au-delà de ce qui précède, les commissions électorales posent des problèmes spécifiques auxquels les améliorations envisagées doivent faire attention. Il s’agit, par exemple, du coût des élections et du rôle que les commissions peuvent jouer dans leur contrôle sans compromettre la qualité du processus électoral. Il s’agit également de la responsabilisation des commissions qui doivent être comptables de la qualité de la gestion du processus électoral. L’indépendance va nécessairement avec la responsabilité.
Photo: civot.net
Ibrahima Amadou Niang est le directeur du bureau de Open Society Initiative for West Africa (OSIWA) en Guinée. Mathias Hounkpe est l’administrateur du programme de Gouvernance politique à OSIWA.
2 Commentaires. En écrire un nouveau
belle analyse mais pour plus d efficacite et avec des budgets raisonnables il nous faut aller progressivement vers la gestion de l organisation des elections par l administration car les commissions ne sont qu une etape transitoire ;pour ce faire nous devons commencer par depolitiser l administration à travers l elaboration d un statut qui fixe les conditions de participation des membres de l administration dans la geston des elections .
Belle analyse chers amis Mathias et Ibou. Le constat est patent dans la plupart des pays cités, qu’il y a encore du chemin à faire pour ancrer dans les mentalités des acteurs intervenant dans le processus électoral, le respect des règles du jeu démocratiques notamment électoral. L’autonomie institutionnelle des structures impliquées dans la gestion des élections n’est pas gagnée à l’avance. L’exécutif est disséminé dans toutes structures et veut surtout être présent là où se décide le choix des gouvernants. Ce qui semble légitime. Il revient aux autres acteurs de faire en sorte que les règles électorales soient respectées. Pour ce faire, il est nécessaire que les couloirs politiques soient clairement dessinés. ( Gauche, droite, centre communiste etc…) Or dans ces pays visés, même pendant le scrutin, le mercato des ralliements contre nature est toujours ouvert. Il est difficile d’analyser politiquement, du moins sur le plan idéologique, les bases juridiques de ces accords de ralliement. L’autre problème est l’entente inconsciente des acteurs politiques de ne pas accepter la transparence qu’impose le processus électoral. Chaque écurie politique met en œuvre toutes les stratégies et stratagèmes ,autres que celles ou ceux propres au jeu électoral, pour s’adjuger la victoire. Tous les ingrédients qu’il faut sont réunis pour biaiser la finalité des élections malheureusement avec la faiblesse ou la complicité de certains acteurs gestionnaires des processus électoraux de sorte que la suspicion des vaincus devient légitime . CENA, CENI ou Ministère de l’intérieur ou pas tout dépend de la foi et de la confiance que les acteurs placent dans les mécanismes devant assurer la transparence des élections. ET cette foi démocratique devra être renforcée et consolidée par la capacité et l’ouverture de l’exécutif en place à montrer “pattes blanches” dans la mise en oeuvre du processus du début jusqu’à la fin( inscription sur les listes électorales, l’organisation du scrutin jusqu’à la proclamation des résultats.) A tous ces facteurs s’ajoutent le niveau de pauvreté et d’analphabétisme des électeurs qui sont et demeurent des proies électorales faciles des candidats véreux.