Tirer les leçons du scrutin législatif de 2017, identifier les réformes pour améliorer le processus électoral ainsi que les pistes pour améliorer le fonctionnement de l’Assemblée nationale, réfléchir sur la qualité de l’offre politique au Sénégal dans l’objectif d’une consolidation de la démocratie, tels étaient les objectifs d’une table ronde organisée conjointement le 17 août par la fondation Konrad Adenauer au Sénégal et le think tank citoyen WATHI.
Plutôt que de se focaliser sur les compétitions électorales dans leur dimension antagoniste et personnalisée, WATHI entend susciter un débat public sur les grands enjeux nationaux des pays d’Afrique de l’Ouest à l’occasion des campagnes électorales et contribuer à changer la perception, souvent négative, de la politique par un grand nombre de citoyens.
La table ronde intitulée «Les législatives du 30 juillet 2017 au Sénégal: et après?» fait écho au débat de WATHI sur les réformes constitutionnelles. Ce débat a couvert une palette de questions relatives aux institutions politiques, à l’articulation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire et à la substance à donner aux systèmes politiques démocratiques que les pays de la région essaient de construire.
Ce débat a couvert une palette de questions relatives aux institutions politiques, à l’articulation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire et à la substance à donner aux systèmes politiques démocratiques que les pays de la région essaient de construire
Les quatre panélistes qui ont partagé leurs analyses des élections législatives, de l’organisation à leur dénouement, étaient issus du sérail politique, du monde académique et de la société civile. Thierno Bocoum, parlementaire de la 12e législature sortante, Maurice Dione, enseignant chercheur à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, Pape Ibrahima Bèye, membre du Conseil national du patronat (CNP) et Borso Tall, présidente fondatrice du Réseau YAHR (Young Advocates for Human Rights, un réseau de promotion des droits humains), ont exprimé des faits et des positions généralement critiques sur l’ensemble du processus électoral.
Mais le format de la rencontre était destiné à ouvrir le débat à l’ensemble des participants qui au-delà de leurs affiliations professionnelles et politiques, sont des citoyens sénégalais concernés par l’état du système électoral, et des institutions politiques du pays.
De fortes critiques sur l’organisation des élections ouvrant sur des recommandations
Les panélistes et les participants ont relevé les conditions difficiles de la tenue des élections législatives avec le problème lié à la distribution des nouvelles cartes d’identité biométriques de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui, au Sénégal, font aussi office de cartes d’électeurs. Les lenteurs dans la production de nouvelles cartes biométriques ont été un sujet polémique, de même que la modification de l’article L78 du code électoral sénégalais qui permettait aux électeurs de prendre 5 bulletins sur les 47 en course pour les élections législatives. L’opposition a considéré cette modification du code électoral comme une violation du protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance. Ce protocole interdit toute réforme substantielle de la loi électorale dans les six (6) mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques.
Le scrutin législatif a été présenté comme «les élections les plus mal organisées de l’histoire du Sénégal». Plusieurs Sénégalais n’ont pas pu accomplir leur devoir de citoyen à cause de la confusion sur les centres de vote.
La refonte du système électoral a été faite de manière « peu démocratique ». La distribution des nouvelles cartes biométriques a été jugée chaotique. Cette situation a conduit à un arrêt contesté du Conseil constitutionnel favorable à l’utilisation d’autres moyens d’identification des votants, tels que le permis de conduire et le passeport. L’arrêt du Conseil constitutionnel a cependant permis à plusieurs Sénégalais qui n’auraient pas été en mesure de voter de participer au scrutin législatif. Le taux de participation est ressorti à 53, 66% lors de ces élections législatives.
Seules 14 des 47 listes électorales de coalitions et de partis en compétition seront représentées à l’Assemblée nationale
Le mode de scrutin des législatives a été jugé «brutal» et «inique» par un des panélistes, ce qui a conduit à une victoire écrasante de la coalition au pouvoir Benno Bokk Yakaar qui s’adjuge 125 sièges sur les 165 que compte l’Assemblée. La majorité présidentielle est victorieuse dans 42 des 45 départements du Sénégal. Elle n’a cependant pas remporté le scrutin dans les départements de Kédougou, Saraya et Mbacké. L’opposition dispose de 40 députés au sein de la nouvelle assemblée. La liste portée par l’ancien président sénégalais, Abdoulaye Wade, a obtenu 19 sièges. La coalition conduite par le maire de Dakar Khalifa Sall, en prison depuis plusieurs mois, est arrivée en troisième position avec 7 sièges. Le Parti de l’unité et du rassemblement (PUR) a obtenu 3 sièges. Seules 14 des 47 listes électorales de coalitions et de partis en compétition seront représentées à l’Assemblée nationale.
La perception de la jeunesse des élections législatives rejoint le sentiment général d’un rendez-vous démocratique mal négocié. Le mot « farce » a été utilisé pour qualifier l’organisation de ces élections. Les nombreuses critiques et moqueries sur les réseaux sociaux très populaires auprès des jeunes urbains ont exposé le niveau d’impréparation des élections. Le manque de représentation des jeunes dans les instances de décision reste une préoccupation majeure.
La perception de la jeunesse des élections législatives rejoint le sentiment général d’un rendez-vous démocratique mal négocié
La transhumance politique demeure un fléau qui accroit le manque de confiance des jeunes et de la population à l’égard de la classe politique.Toutes ces difficultés n’ont pas empêché la participation de la jeunesse qui est allée voter lors de ces législatives. L’incompréhension des jeunes réside également dans le mode de financement opaque des partis politiques. Les nombreux partis qui ont dû rassembler une caution de 15 millions de FCFA pour participer aux élections et une somme beaucoup plus importante pour battre campagne sans avoir pu remporter un seul siège constituent une énigme pour la jeunesse. Des jeunes sont outrés de voir que les partis politiques se glorifient d’avoir investi tout cet argent alors qu’il y a tellement de besoins sociaux à satisfaire dans leurs communautés.
La question de la crédibilité et de l’impartialité de divers acteurs impliqués dans le processus électoral a été soulevée au cours des débats. Le rôle joué par la CENA (Commission électorale nationale autonome) et le CNRA (Conseil national de régulation de l’audiovisuel) censés veiller à l’équité de la compétition électorale a été critiqué. La CENA, dont les attributions ont été renforcées, n’a pas été à la hauteur de l’événement de l’avis des intervenants.
Les nombreux partis qui ont dû rassembler une caution de 15 millions de FCFA pour participer aux élections et une somme beaucoup plus importante pour battre campagne sans avoir pu remporter un seul siège constituent une énigme pour la jeunesse
Le CNRA pour sa part n’a rien fait face à la «présidentialisation» à outrance des médias publics et de certains médias privés, y compris sur internet, faisant abstraction de l’article L61 du code électoral qui interdit toute propagande déguisée ayant pour support les médias nationaux publics et privés durant les trente jours précédant les élections.
Au-delà des élections, construire des institutions politiques plus représentatives et plus efficaces
La deuxième partie de la table ronde a porté sur les réformes à envisager pour renforcer l’Assemblée nationale dans son rôle de représentation nationale et de contrôle du pouvoir exécutif, et de manière générale sur les chantiers essentiels pour une consolidation de la démocratie sénégalaise.
L’administration électorale doit faire une auto-évaluation de l’organisation des élections. Cela permettrait de tirer les leçons de chaque étape du processus afin d’éviter un nouveau scrutin controversé. Des questions ont été soulevées notamment sur l’autorité qui doit se charger de l’organisation des élections au Sénégal. Le ministère de l’Intérieur devrait-il continuer à jouer un rôle aussi important? Quelles devraient être les relations du pouvoir politique avec les organes qui interviennent dans le déroulement des élections (CENA et CNRA notamment?
L’administration électorale doit faire une auto-évaluation de l’organisation des élections. Cela permettrait de tirer les leçons de chaque étape du processus afin d’éviter un nouveau scrutin controversé
Le mode de scrutin des élections législatives est de plus en plus décrié car il reste très favorable aux grandes forces politiques. Sur 165 sièges de l’Assemblée, 105, dont les 15 nouveaux sièges représentant la diaspora, sont élus au scrutin majoritaire. Dans ce système, c’est la coalition qui arrive en tête dans chaque département qui rafle tous les sièges. Les 60 autres sièges sont répartis à la proportionnelle. La piste d’action préconisée est d’aller vers un équilibre entre la liste majoritaire et la liste proportionnelle. Cela permettrait une plus grande représentativité de la diversité et de la réalité politique au niveau de l’Assemblée nationale.
De l’avis des participants, il faudrait mieux outiller les députés dans le cadre de leur travail en mettant à leur disposition des assistants parlementaires. Il est également nécessaire de former les députés à l’analyse et à l’évaluation des politiques publiques. Ces deux propositions visent à renforcer les capacités de l’Assemblée Nationale à jouer ses rôles de contrôle de l’action gouvernementale avec une meilleure compréhension des textes et à accroître sa capacité à proposer des lois au bénéfice des populations.
La création de passerelles entre l’Assemblée nationale et les différents segments du pays tels que le secteur privé est une initiative qui renforcerait la crédibilité des députés dans leur mission
La mise en place d’un financement public des partis politiques dans le cadre d’un mécanisme d’encadrement du financement des activités politiques figure sur la liste des pistes d’actions évoquées pour renforcer la démocratie. Elle pourrait être un moyen pour rationaliser le champ politique et réduire le nombre de partis. La prolifération des listes électorales lors des législatives a été interprétée comme reflétant une crise de leadership au Sénégal. Il convient également de créer les conditions d’un dialogue entre les acteurs politiques pour aboutir à des consensus sur les grandes questions. Il faudrait de l’avis de beaucoup renouer avec le «consensualisme» pour une culture de la paix sociale au Sénégal. Sur la question liée au fichier électoral, seul un dialogue constructif entre les acteurs politiques permettrait de dépasser ce sujet épineux.
La création de passerelles entre l’Assemblée nationale et les différents segments du pays tels que le secteur privé est une initiative qui renforcerait la crédibilité des députés dans leur mission. Ces rencontres permettront à l’Assemblée d’avoir des échanges avec des acteurs de l’économie sénégalaise et de mieux comprendre les enjeux. Ces échanges peuvent se traduire par des propositions de lois dans les domaines de l’économie.
L’implication des jeunes dans la vie politique et leur présence à l’Assemblée nationale et dans les institutions étatiques sont nécessaires en terme de représentativité. Les jeunes manifestent plus souvent leur engagement politique dans des épisodes de violence. Cette image négative doit être changée en plaçant les jeunes à des postes de responsabilité. Cela nécessite pour les partis de donner la priorité à la formation de leurs jeunes militants et de les préparer à l’exercice de responsabilités de plus en plus élevées.
Photos : WATHI
Cet article a été rédigé par Mohamadou Fadel Diop et Babacar Ndiaye de l’équipe permanente de WATHI. Il s’inscrit dans le cadre de la table ronde organisée conjointement par la fondation Konrad Adenauer au Sénégal et le think tank citoyen WATHI à l’issue des élections législatives du 30 juillet 2017.