Réalités africaines et enjeux pour le droit du travail
Ousmane Oumarou Sidibé, 2000
Extraits tirés des pages : 1-6.
Ousmane Oumarou Sidibé, 2000
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Après les indépendances, chaque pays s’est doté d’un code national qui était presque une copie du texte colonial notamment en ce qui concerne la philosophie des relations de travail. Malgré des évolutions nationales souvent significatives, cette référence initiale a engendré des écarts entre droit et fait. En outre, le droit du travail dans les pays africains est aujourd’hui confronté à de véritables défis.
Concepts et application du droit du travail
Dans chacun de ces pays africains les relations de travail peuvent être analysées à un double niveau qui correspondent (sic) l’un à une conception traditionnelle, un peu décalée par rapport à la réalité et l’autre à une vision plus réaliste du monde du travail.
La première conception considère les relations de travail dans un cadre classique, formel, presque officiel, qui fait référence au secteur formel où agissent les partenaires sociaux à travers les négociations collectives, et l’action revendicative soutenue par une mobilisation des adhérents (protestations, grèves,…). En fait dans les pays africains, cette forme de relations de travail ne concerne qu’une minorité des travailleurs en l’occurrence les salariés des villes.
Le deuxième modèle des relations de travail correspond davantage aux réalités africaines dans la mesure où il déborde du cadre étroit des salariés du secteur moderne pour embrasser l’ensemble des travailleurs des secteurs formel et informel, des villes et des campagnes, qu’ils soient salariés ou indépendants (artisans, agriculteurs), permanents ou saisonniers.
Il est vrai que théoriquement les codes du travail s’appliquent à tout travail salarié indépendamment du secteur d’activité qu’il soit formel ou informel. Mais, le formalisme excessif imposé par des textes inadaptés au contexte africain, ajouté à l’insuffisance notoire des Administrations du travail sur le plan logistique et organisationnel, ont eu pour conséquence que l’essentiel du monde du travail échappe en pratique à la législation du travail. De fait, le secteur informel reste une zone dominée par ce que les sociologues du droit appellent l’infra-droit, c’est à dire un droit déprécié.
Codes du travail et évolutions socio-économiques
La libéralisation économique et la privatisation des entreprises publiques engagées dans le courant des années quatre-vingt se sont accélérées avec la conclusion de Programmes d’Ajustement Structurel par la quasi-totalité des pays (sic). C’est certainement le seul domaine où les législations ont évolué pour tenir compte du contexte nouveau, sous l’impulsion des institutions financières internationales dans le cadre des Programmes d’Ajustement Structurel.
Pendant ce temps, dans biens de domaines, les codes ne reflètent pas l’évolution de la situation économique et sociale. En matière de durée du travail et d’organisation des horaires de travail, par exemple, le monde du travail se caractérise par une prédominance des activités extra salariales (maraîchage, artisanat,etc.) en dehors des heures de travail pour procurer un complément de revenus aux travailleurs. En étudiant le cas des ouvriers natifs du monde rural qui travaillent dans les usines au Mali, Alain Maharaux a relevé que le travail à l’usine permet au salarié d’acquérir du matériel agricole. Il qualifie ces salariés d’ouvriers – paysans qui sont reconnaissables dans les champs à leur tenue bleue d’usine qui ne les quitte pas. Dans les entreprises qu’il a étudiées au Mali, il relève que « la vie professionnelle n’est pas liée uniquement à l’usine ; presque tous ont leur activité secondaire (culture, jardinage, petite confection, petit commerce, mécanique, réparation automobile). » Dans l’entreprise COMATEX de Ségou, Maharaux a relevé que l’importance de cette activité secondaire est telle qu’il est difficile de trouver du personnel pour les quarts de nuit, cela ne correspondant pas non plus au rythme de vie habituel.
Dans ces conditions, un aménagement conséquent des horaires de travail serait à cet égard fort appréciable pour les travailleurs. Ce serait d’ailleurs conforme au droit traditionnel africain dans lequel la durée du travail qui varie de 8 heures à 10 heures est peut être relativement longue mais souple. Parce que les relations de travail coutumières sont fondées sur la confiance réciproque, la solidarité et un certain code d’honneur, cette souplesse permettait au travailleur de pouvoir se soustraire aux obligations contractuelles pour des motifs sociaux sans subir une baisse de revenus.
Production du droit et réalités africaines
Le sociologue Philippe d’Iribarne a consacré de nombreuses recherches à l’étude des traditions nationales des relations professionnelles et des systèmes de relations de travail. Les concepts de contrat de travail et d’autorité du chef d’entreprise ne sont pas des notions géométriques rigoureusement identiques sous tous les cieux. Dans la culture africaine, le chef d’entreprise est assimilé à un chef tout court, c’est à dire à un bienfaiteur. C’est pourquoi, le travailleur n’hésitera pas à solliciter son assistance même pour des problèmes personnels. Si l’employeur s’en désintéressait, le travailleur pourrait considérer ce comportement comme une violation du contrat de travail. Dans le même ordre d’idées, le travailleur africain comprendrait très mal l’absence de l’employeur lors d’un décès, d’un baptême ou d’un autre événement social le concernant. De même, il considérerait comme totalement injustifiée une sanction pour un retard causé par la survenance d’un événement social majeur.
Comme l’a écrit Martin Kirsch, « Les États francophones d’Afrique disposent donc, chacun, d’un outil législatif moderne de très grande valeur en matière de droit du travail. Certes, il convient de faire pénétrer cet outil, car si le droit du travail est généralement bien appliqué par les entreprises d’une certaine importance et par celles situées dans les centres urbains, il n’en est pas toujours de même dès que l’on s’éloigne de ces centres ou lorsqu’il s’agit de petites entreprises, notamment celles à caractère familial ». En fait, s’agissant même des entreprises modernes, l’analyse de Monsieur Kirsch nous semble très optimiste tant est problématique l’application du droit du travail en Afrique.
Ainsi, la question d’une réforme profonde des législations du travail en Afrique se pose non seulement pour tenir compte des réalités culturelles mais également de l’évolution formidable du contexte économique et social. L’idée que les sociétés africaines se font de la place de l’homme (sic) dans l’organisation économique et sociale doit être le fil conducteur d’une telle réforme.
Contrairement à ce qui s’est passé souvent dans les pays africains où les réformes des codes ont été menées quasi exclusivement par des juristes qui ont privilégié les aspects purement techniques, le temps est venu de précéder de telles réformes par de grandes enquêtes socio-économiques conduites par des équipes pluridisciplinaires impliquant économistes, sociologues, anthropologues et juristes. Elles pourraient permettre d’aller en profondeur pour saisir les véritables problèmes d’applicabilité des codes du travail. De telles enquêtes pourraient notamment prendre en charge les questions suivantes :
Following the independences, every country adopted a law system which almost copied the colonial one, including with regards to the philosophy of labour relations. Despite some significant national evolutions, this initial reference has created a mismatch between right and practice. Moreover, labour legislation is today confronted to some important challenges.
Concepts and applications of labour legislation
In each of these African countries, labour legislations can be analysed through a double-standard with on one side a traditional conception quite detached from reality and on the other side, a much more realistic vision of the professional world.
The first conception considers labour relations in a classical, formal and almost official framework, which refers to the formal sector where social partners behave according to collective negotiations and where industrial action is supported by the mobilisation of adherents (protests, strikes, …) In fact, in African countries, this type of labour relations only concerns a minority of workers represented by urban salaried employees.
The second model of labour relations is more in line with african realities in the sense that it goes beyond the narrow framework of employees of the modern sectors to include all the workers from the formal and informal sectors, from the cities and the countryside, whether they are wage-earners or independent workers (craftsmen, farmers), permanent or seasonal.
It is true that in theory, labour legislation applies to all paid work, independently of the sector of activity, whether it is formal or informal. But the excessive formalism imposed by laws not suited to the African context, added to the severe lack of logistical and organisational capacities of the labour Administrations, have left most of the working population outside of labour legislations. As a result, the informal sector remains world dominated by what sociologists call the « below right », that is a neglected right.
Labour legislation and socio-economic evolutions
The wave of economic liberalisation and the privatisation of public firms that began during the 1980s has accelerated with the signature of Structural Adjustment Programs by almost all countries (sic). This is probably the only time where laws have been amended to adapt to the new context, under the push of international financial institutions towards Structural Adjustment Programs.
Meanwhile, in various domains, the legislation does not reflect the socio-economic evolutions. With regards to the duration of work and the organisation of working hours for example, the professional world is characterised by a predominance of extra-salarial activities (market gardening, craftsmanship, etc.) outside working hours that help to provide an extra income to workers. By studying the case of native factory workers in the rural areas of Mali, Alain Maharaux showed that factory jobs allow workers to acquire agricultural material. He calls these factory workers labourer-farmers because they can be recognised inside the fields by their blue factory uniform In the firms he studied in Mali, he notes that « professional life is not only linked to the factory ; almost all have a secondary activity (fruit-picking, gardening, tailoring, small-scale commerce, mechanics, car reparation). » In the COMATEX firm of Ségou, Maharaux highlighted that this secondary activity is so important that it is hard to find staff for night shifts, seeing as this does not fit the classic rhythm of life.
Under these conditions, significant changes to working hours would be greatly appreciated by workers. This would actually be conform to the traditional African law, in which the duration of work that varies between 8 and 10 hours can be relatively long but also flexible. Because customary working relations are based on reciprocal trust, solidarity and a certain code of honour, this flexibility allows workers to escape contractual obligations for social motives without having to see their salaries cut.
Production of law and african realities
The sociologist Philippe d’Iribarne has devoted many studies to the study of national traditions and systems of working relations. The concepts of a working contract and the authority of the manager are not universal norms applying everywhere in the world. In African culture, the manager is assimilated to a leader, that is a benefactor. This is why the worker will not hesitate to request his help, even for personal matters. If the employer ignored this problem, the worker could even consider this behaviour as a violation of the working contract. In the same vein, the African worker would not tolerate the absence of his employer at a funeral, a baptism or any other social event that concerns him. Similarly, he would consider a sanction for being late because of a major social event as completely unjustified.
As Martin Kirsch wrote, « Francophone African States have at their disposal a very modern legal tool that is highly valuable in terms of labour legislation. But even if it is worth making use of this tool, which is widely used ] in fairly large firms and firms located in urban centres, it is not the case when we go outside cities or when the firms are fairly small such as those managed within a single family. » In fact, when it comes to modern firms, the analysis of M. Kirsch seems very optimistic when you consider how problematic the application of labour legislation is in Africa.
Therefore, thinking about a profound reform of labour legislation in Africa is key in order to take into account cultural realities but also the fast evolution of the socio-economic context. The idea that African societies have of the place of men (sic) in the economic and social organisation should be the common thread of such reform.
Contrarily to what often happened in African countries where legal reforms have been initiated almost exclusively by lawyers and jurists who emphasised purely technical aspects, time has come to precede such reforms by large-scale socio-economic surveys conducted by multi-disciplinary teams of economists, sociologists, anthropologists and legal experts. They could allow to go deeper and to grasp the real issues of applicability of labour legislation. Such surveys could notably take into account the following questions:
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