De quel type de démocratie l’Afrique a-t-elle besoin ?
Gilles Olakounlé Yabi, 2014.
OSIWA, Open Space, Afropolitanism
http://www.osiwa.org/wp-content/themes/osiwa- theme/pdf/afropolitanism-complete.pdf
Gilles Olakounlé Yabi, 2014.
OSIWA, Open Space, Afropolitanism
http://www.osiwa.org/wp-content/themes/osiwa- theme/pdf/afropolitanism-complete.pdf
Les conclusions de la dernière enquête de l’institut Afro baromètre publiée en avril 2014 et réalisée dans 34 pays africains sont claires: sept Africains sur dix (71 %) préfèrent la démocratie à tout autre régime politique.
Le sondage montre cependant qu’il existe un écart substantiel entre la demande populaire de démocratie et sa mise en œuvre effective qui relève des élites au pouvoir : moins de la moitié des citoyens (43 %) considèrent leur pays comme une démocratie et se disent en même temps satisfaits de la façon dont la démocratie y fonctionne…
L’Afrique a besoin de régimes démocratiques aspirant à l’être réellement. La première exigence pour une majorité de pays africains est de travailler à une réconciliation minimale entre les ambitions démocratiques et de respect de l’État de droit – proclamés dans leurs textes fondamentaux – et la réalité des pratiques politiques et institutionnelles imposées par les élites avec plus ou moins de délicatesse et de raffinement à la masse de leurs concitoyens…
Dans un trop grand nombre de pays africains formellement démocratiques, il n’y a pas de limites dans la falsification de la démocratie. C’est ce qui doit changer en premier lieu. Le problème fondamental des faux régimes démocratiques n’est pas le fait qu’ils ne soient pas des démocraties, mais le fait que ces régimes prétendent être des démocraties alors qu’ils ne le sont pas et n’aspirent pas à le devenir. Ce ne sont pas des démocraties en construction mais des régimes non démocratiques qui ne s’assument pas.
Les fausses démocraties véhiculent le message à tous, y compris aux jeunes générations, que la démocratie n’a nullement besoin d’éthique pour fonctionner, et que les modèles à suivre sont ceux d’entrepreneurs politiques qui ne reculent devant rien pour atteindre leurs objectifs de captation du pouvoir et des richesses. En affranchissant le jeu politique et donc la gestion de l’État au plus haut niveau de toute limite fixée par l’éthique, ces régimes ne peuvent qu’encourager toute la société à relativiser l’importance du respect des règles, et cela dans tous les domaines et à tous les niveaux de responsabilité.
Enfin, parce que les bienfaits attendus de la démocratie ne se concrétisent que lorsque celle-ci est réelle et substantielle -, alors que ses inconvénients et ses coûts se manifestent même lorsqu’elle n’est que factice et formelle -, l’enracinement des démocraties mensongères en Afrique est une menace pour la survie de l’idéal de la démocratie authentique et pour la pérennité des régimes démocratiques les plus crédibles du continent.
L’Afrique a besoin de régimes démocratiques capables de résoudre les problèmes cruciaux auxquels les pays sont confrontés. L’option démocratique, réduite à la réalité de l’exercice de la souveraineté du peuple, ne permettra pas aux pays africains de résoudre les graves problèmes immédiats auxquels sont confrontées leurs sociétés.
C’est lorsqu’elle est substantielle, donc solidement installée dans les esprits des élites et d’une masse critique de citoyens, que la démocratie peut donner la pleine mesure de ses bienfaits, de sa capacité à résoudre les conflits de manière pacifique et à imposer aux différents groupes aux intérêts contradictoires des règles qui permettent de sauvegarder l’essentiel et, une certaine idée de l’intérêt général…
Parce que beaucoup confondent processus de démocratisation et processus de consolidation des États, et les échecs du second sont souvent attribués au premier. Pour les pays africains qui n’ont actuellement que des États sans réelle capacité d’action sur le plan sécuritaire et économique sur leur propre territoire, l’organisation d’élections démocratiques se révèle moins prioritaire que la restauration d’un minimum d’autorité de l’État.
Dans tous les pays du continent, la consolidation des États dans leur capacité à agir reste un défi majeur à ne pas confondre avec l’ambition démocratique. L’Afrique a besoin de régimes démocratiques innovants, exigeants et pensés pour les futures générations.
La réalité qui doit être particulièrement prise en compte est celle de la grande diversité interne des pays, sociétés et populations africains : diversité ethnique, religieuse, socioéconomique, culturelle et éducative… Cette diversité, qui devrait être un atout et qui n’est certes pas une exclusivité africaine, prend, dans beaucoup de pays africains, la forme d’une polarisation de la société, qui ne tarde pas à aboutir à l’intolérance, l’exclusion et la violence. On ne compte plus les conflits violents qui sont dramatiquement aggravés par la mobilisation politique de l’appartenance ethnique ou de l’affiliation religieuse.
Les régimes démocratiques à construire par les Africains doivent permettre de décourager ces manières dangereuses de faire de la politique, en prévoyant explicitement dans les textes constitutionnels des institutions, des incitations et des sanctions visant à fixer des limites claires dans les moyens qui peuvent être mobilisés par les acteurs politiques dans l’entreprise de conquête ou de conservation du pouvoir.
On le voit, l’Afrique a besoin de régimes démocratiques très élaborés, conçus pour gérer la complexité des pays et des défis sécuritaires, économiques, sociaux et culturels qu’ils doivent relever… Les régimes démocratiques que les pays africains doivent construire doivent être pensés pour favoriser l’émergence du type de sociétés que l’on souhaite pour les futures générations.
L’exigence fondamentale des régimes politiques africains est celle de véhiculer des messages très clairs sur les valeurs auxquelles l’on voudrait que les sociétés africaines s’identifient dans le futur, même si on sait très bien que les pratiques réelles ne s’y conformeront jamais totalement.
Les pays africains dans leur diversité peuvent et doivent s’inspirer des modèles existants de démocratie dans leur grande variété pour concevoir, tester et faire vivre leurs propres modèles, résolument modernes, parce que tournés vers l’avenir et libérés de tous les complexes hérités de l’Histoire.
The findings of the latest survey conducted by Afrobarometer in 34 African countries, published in April 2014, are clear: seven out of ten Africans (71%) prefer democracy over any other form of political regime.
However, the survey also shows a considerable gap between the popular demand for democracy and its actual implementation, which depends on the elite in power: less than half of citizens (43%) consider their country to be a democracy and that they are happy with the way democracy works in their country.
Africa needs democratic regimes that aspire to true democracy. The top priority of the majority of African countries is to work towards a minimum of reconciliation between the democratic aspirations and respect for the rule of law proclaimed in their constitutions and the reality of political and institutional practices imposed – with a greater or lesser degree of sensitivity and refinement – by the elite on the bulk of the population…
In too many African countries that are officially democratic, there are no limits to the falsification of democracy. This is the first change that needs to be made. The fundamental problem of fake democratic regimes is not the fact that they are not democracies, but the fact that they claim to be democracies when they are not and do not even aspire to become democracies. They are not developing democracies but rather undemocratic regimes that dare not speak their name.
Fake democracies send everyone, including the younger generations, the message that a democracy can be run without ethics, and that the role models they should follow are those of political entrepreneurs who stop at nothing to achieve their goals of grabbing power and wealth. By liberating politics – and thereby the management of the State at the highest level – from the limits established by ethics, these regimes can only encourage the whole of society to minimise the importance of following rules, in every area and at every level of responsibility.
Finally, because the benefits expected from democracy are only materialised when democracy is real and sound, while its disadvantages and costs are apparent even when it is merely an artificial facade, the establishment of false democracies in Africa is a threat to the survival of the ideal of authentic democracy and to the continued existence of the most credible democratic regimes on the continent.
Africa needs democratic regimes that can solve the crucial issues countries face. If it is reduced to the reality of exercising the sovereignty of the people, the democratic option will not enable African countries to resolve the pressing major issues faced by their societies.
It is only when democracy is sound and solidly established in the minds of the elite and a critical mass of citizens that it can give the full measure of its benefits, its ability to resolve conflicts peacefully and to impose rules on the different groups with their contradictory interests which safeguard the essential: a certain idea of the public good.
Because many people confuse the democratisation process and the State consolidation process, and the failures of the latter are often ascribed to the former. For African countries that currently only have States with no real capacity for action on their own territory in terms of security and the economy, organising democratic elections is less of a priority than restoring a minimum of State authority.
In every country on the continent, the consolidation of States in their capacity to act continues to pose a major challenge that is not to be confused with democratic ambition. Africa needs democratic regimes that are innovative, demanding and designed with future generations in mind.
The reality that must be particularly taken into account is the great internal diversity of African countries, societies and populations, including ethnic, religious, socioeconomic, cultural and educational diversity. In many African countries, this diversity, which ought to be an asset and certainly is not unique to Africa, takes the form of a polarised society, which soon leads to intolerance, exclusion and violence. Countless violent conflicts have been tragically aggravated by political mobilisation of ethnicity or religion.
The democratic regimes that Africans need should enable them to discourage these dangerous approaches to politics, by explicitly including sanctions and incentives in their constitutions aimed at setting clear limits on the means that can be mobilised by political actors in the conquest or conservation of power.
As we can see, Africa needs very complex democratic regimes designed to handle the complexity of its countries and the security, economic, social and cultural challenges they must meet… The democratic regimes that African countries need must be designed to promote the emergence of a type of society that is what we want for future generations. The future is what counts.
The fundamental requirement for African political regimes is that they send very clear messages regarding the values we want African societies to be identified with in the future, even though we know very well that actual practice will never be in total conformity.
African countries in their diversity can and must draw inspiration from existing models of democracy in their great variety to design, test and implement their own models – ones which will be resolutely modern because they are turned towards the future and free from all complexes inherited from History.
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