Dans le cadre du débat sur le changement climatique et les questions environnementales en Afrique de l’Ouest, WATHI a rencontré Mouhamadou Baldé, économiste de l’environnement et du développement durable et fondateur du média Vivafrik. Dans cet entretien, il parle des liens entre le changement climatique et les politiques économiques et sociales des pays d’Afrique de l’Ouest. Il explique également comment les États et les entreprises peuvent tirer profit du Mécanisme de développement propre (MDP).
- Pourquoi le changement climatique est une question importante pour les pays d’Afrique de l’Ouest?
En Afrique, et en Afrique l’Ouest en particulier, nous sommes et continuerons à être touchés par le changement climatique même si nous n’avons pas contribué massivement à l’émission des gaz à effet de serre. Nous le constatons de plusieurs façons : l’avancée du désert, la raréfaction des pluies qui nous parviennent de moins en moins année après année, ou qui arrivent en contre-saison détruisant ainsi les récoltes.
Le climat est un bien commun global. Que vous soyez en Amazonie – où il y a encore un certain équilibre en termes de biodiversité même si c’est très menacé -, que vous soyez au Groenland, en Afrique centrale ou en Afrique de l’Ouest, chacun doit participer à cet effort
La conséquence est que la productivité des agriculteurs est amoindrie, réduisant ainsi la sécurité alimentaire de la population. Lorsque la population ne mange pas très bien, les défenses immunitaires des personnes baissent et elles sont exposées à n’importe quel type de maladie. Ces personnes sont à leur tour moins productives et cela impacte l’économie des pays.
C’est un cercle vicieux qui va plus loin que le changement climatique en lui-même. D’où la nécessité d’engager les pays dans ce processus de réduction de l’émission des gaz à effet de serre. Non pas que nous soyons à la source du problème mais plutôt parce que le climat est un bien commun global. Que vous soyez en Amazonie – où il y a encore un certain équilibre en termes de biodiversité même si c’est très menacé -, que vous soyez au Groenland, en Afrique centrale ou en Afrique de l’Ouest, chacun doit participer à cet effort. Comme tous les autres pays, il nous faut contribuer à l’effort de guerre pour réduire l’émission des gaz à effet de serre.
- Pourquoi les questions environnementales ne sont-elles pas assez présentes dans le débat public ?
Les questions liées au changement climatiques ne sont pas assez présentes dans le débat public parce qu’elles sont encore cloisonnées dans les débats de très haut-niveau entre spécialistes. Au niveau de la population, le débat n’est pas assez engagé. Par exemple, les paysans ne comprennent pas forcément pourquoi les pluies n’arrivent pas en temps attendu. Les responsables politiques n’aident pas à vulgariser ces questions non plus. Lorsqu’ils vont chercher les suffrages des populations, ils ne leur parlent pas de l’impact du changement climatique et l’importance de changer les façons de faire. Il n’y a pas vraiment de dialogue entre les politiciens, les experts et la population malgré la multiplicité des canaux de médiatisation et de sensibilisation existants.
Sur ce plan, il y a encore beaucoup d’efforts à faire pour que les populations intègrent réellement le changement climatique parmi leurs préoccupations et apportent leur force à la riposte qui doit être formulée pour faire face à ce phénomène.
Les responsables politiques n’aident pas à vulgariser ces questions non plus. Lorsqu’ils vont chercher les suffrages des populations, ils ne leur parlent pas de l’impact du changement climatique et l’importance de changer les façons de faire
A mon avis, c’est par l’éducation qu’on arrivera à beaucoup de choses y compris dans les domaines de l’environnement, du changement climatique et du développement durable. Il faut envoyer à l’école toute la jeune pousse mais aussi revisiter les curricula c’est à dire les contenus des enseignements. Il ne faut pas minimiser le fait qu’un jeune, qui est à l’école primaire et qui a bien compris le phénomène, puisse influencer ses parents, ses voisins, etc., en expliquant par exemple à ses parents agriculteurs comment adapter leurs cultures en tenant compte des alertes précoces. A mon avis, c’est le principal canal pour changer les choses durablement. Mais quand on est pas éduqué sur ces choses-là, on aura beau faire des alertes ou partager une information stratégique, l’agriculteur peut ne pas en tenir compte parce qu’il ne sait pas de quoi il s’agit et ne voit pas pour quelles raisons il devrait prendre en considération les informations sur le changement climatique qui lui sont partagées.
Mais plus encore, lorsque ces enfants deviendront des adolescents et des adultes, ils pourront apporter des solutions aux problèmes que le changement climatique pose dans leur localité que ce soit en milieu urbain ou en milieu rural.
- Comment amener les politiques économiques et sociales des pays ouest-africains à être davantage soucieuses des questions environnementales?
Les politiques économiques et sociales ne tiennent que si l’environnement est sain de manière durable. Impossible de parler d’économie dans un pays où l’environnement ne vous le permet pas. Si vous voulez développer un certain type de culture dans une certaine région, c’est parce que l’environnement vous le permet.
Pour être vraiment conciliantes avec les questions environnementales, il faudrait que les responsables des politiques, qu’ils soient politiciens ou technocrates, soient eux-mêmes imprégnés de ces questions et comprennent les enjeux qu’il y a derrière. Aujourd’hui, la contrainte environnementale doit être systématiquement prise en compte dans n’importe quelle politique sinon c’est une politique malpropre. S’il n’y a pas une prise en compte de l’environnement, cette politique ne devrait pas être appliquée.
- Quel est le bilan des politiques de développement durable depuis l’avènement de ce concept en Afrique?
Le bilan est mitigé parce qu’il y a une incompréhension des enjeux qu’il recouvre. Pour la plupart des pays de l’Afrique, notamment en Afrique subsaharienne, ce sont des pays pauvres. L’aspiration de tout pays sous-développé est de se développer un jour. Or le développement est spécialement énergivore. Malheureusement les énergies qui sont le plus utilisées aujourd’hui sont des énergies fossiles, lesquelles sont polluantes. La majorité des plans d’émergence se basent sur ces énergies fossiles pour accélérer le développement de nos pays.
Il y a une sorte de contradiction entre nos engagements pour tout ce qui est climat et environnement d’un côté, et de l’autre notre aspiration de sortir nos peuples de la pauvreté et garantir leur bien-être. Il y a ce paradoxe entre les politiques d’émergence et la prise en charge des questions climatiques en amoindrissant les émissions de CO2. Au Sénégal, on parle de créer une centrale à charbon au même moment où nous avons signé l’accord de Paris pour réduire l’émission des gaz à effet de serre.
- Est-il réaliste de penser que les pays africains peuvent se développer sans ces énergies fossiles en tenant compte de l’urgence d’assurer le bien-être de leurs populations ?
Oui et non. C’est possible si le dialogue entre les nations au niveau international est sincère. En 2009 à Copenhague, la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) a abouti à la création du Fonds vert pour le climat. Ce fonds devait capitaliser 100 milliards de dollars chaque année émanant des pays industriels. Cet argent devait en partie servir à financer des projets innovants en Afrique notamment pour prévenir les risques d’émission importante de CO2.
Le potentiel d’émission de CO2 existe en Afrique. Nous ne produisons pas énormément de CO2 mais si rien n’est fait et que l’on nous laisse à nous-mêmes, nous allons suivre les modèles de développement des pays industriels. Or la planète ne peut plus supporter ces modèles. L’idée du fonds vert était de financer le développement propre de l’Afrique. Mais jusqu’en 2016, le fonds vert était à peu près à 10 milliards de dollars. C’est peu pour financer des projets verts de grande envergure d’autant plus que ce financement ne va pas essentiellement à l’Afrique mais il est partagé entre tous les pays sous-développés y compris ceux de l’Asie du Sud-est, de l’Amérique du Sud etc. Le Sénégal et l’Afrique du Sud ont réussi à faire financer des projets par le fonds vert mais ce n’est pas le cas de beaucoup de pays africains.
Il faut donc que les pays respectent leurs engagements pour que l’on arrive à développer l’Afrique proprement. Si rien n’est fait, nous allons essayer de nous développer comme les pays industrialisés. Au Sénégal, on parle par exemple de l’exploitation du pétrole; ce qui est très légitime car c’est une ressource de notre pays. Mais ce pétrole exploité, qu’il soit consommé au Sénégal ou ailleurs, peu importe, il est dangereux puisqu’il s’agit du même bateau : le monde.
L’idée du fonds vert était de financer le développement propre de l’Afrique. Mais jusqu’en 2016, le fonds vert était à peu près à 10 milliards de dollars.
Qu’est-ce qu’il aurait fallu pour ne pas exploiter ce pétrole? Est-ce que les pays industrialisés sont prêts à donner l’équivalent monétaire des revenus d’exploitations de ce pétrole pour qu’il ne soit pas exploité? Est-ce qu’aujourd’hui les gens orientent le dialogue dans ce sens-là? Est-ce que le monde est prêt à faire face à la contrainte climatique? Je me demande si les pays du monde entier sont prêts à prendre ensemble les engagements nécessaires avant d’aller voir sur le plan individuel où on se situe, ce qu’on fait pour respecter ces engagements.
- Comment les pays africains peuvent profiter des innovations comme le Mécanisme de développement propre (MDP) ?
Je prends l’exemple de la SOGAS (Société de Gestion des Abattoirs du Sénégal) qui déversait ses déchets dans la baie de Hann mais qui, aujourd’hui, est en train de recycler tout cela. Elle crée du biogaz avec ces déchets par le processus de méthanisation et ce biogaz est réinjecté comme énergie dans l’industrie pour chauffer de l’eau et nettoyer les carcasses des bêtes.
Auparavant cette eau était chauffée par l’énergie du secteur ou par les groupes électrogènes. Le biogaz amoindrit la facture d’électricité mais aussi l’émission de gaz à effet de serre due à l’abattoir. La quantité de CO2 non émise du fait de l’innovation que l’on a apporté peut être valorisé dans les marchés financiers sous forme de crédit carbone.
Est-ce que les pays industrialisés sont prêts à donner l’équivalent monétaire des revenus d’exploitations de ce pétrole pour qu’il ne soit pas exploité?
Une industrie qui dépasse son quota de pollution dans les pays du Nord pourrait acheter ces crédits carbone. Puisqu’on est sur la même planète, si vous avez évité d’émettre du CO2 et que moi j’ai dépassé mon quota, je vous paye parce que vous avez évité d’émettre du CO2. C’était votre potentiel, vous auriez pu le faire sans être pénalisé. Moi je le fais à votre place. Mais je contribue au financement de votre innovation.
- Les pays africains sont-ils dans les conditions pour tirer profit au mieux du mécanisme de développement propre ?
Avant de profiter des innovations, il faut d’abord les créer. Pour produire des innovations, il faut des laboratoires de recherche qui soient bien équipés, qui soient à la pointe de la technologie, qui soient au fait de ce qu’il faut faire et des besoins des populations en termes de nouvelles industries. Ensuite, il faut réfléchir pour que ces nouvelles industries ne soient pas polluantes ou polluent le moins possible. Le reste du potentiel peut alors être converti en crédits carbone.
Dans le marché financier où s’échange les crédits carbone, il faudrait aussi une intervention des nations pour valoriser les crédits carbone de tous les pays en développement. Ils ne devraient pas valoir un crédit carbone européen. S’ils valent un crédit carbone européen, cela veut dire qu’on laisse le marché faire. Il faudrait voir dans quelle mesure écouler rentablement ces crédits carbone pour que les industriels en Afrique se disent : tiens cette histoire de MDP m’intéresse. Maintenant je vais développer une équipe de recherche et de développement au sein de mon industrie pour qu’elle nous trouve des moyens de faire des économies de CO2. En même temps, nous allons valoriser des déchets qui nous encombraient pour qu’ils servent l’industrie d’un côté, et de l’autre côté ils nous rapporteront des fonds en plaçant les crédits carbone que l’on aura gagnés dans le marché financier.
Dans le marché financier où s’échange les crédits carbone, il faudrait aussi une intervention des nations pour valoriser les crédits carbone de tous les pays en développement. Ils ne devraient pas valoir un crédit carbone européen
Mais pour cela, il faut vraiment une intervention internationale pour créer cette incitation. Il ne faut pas aller vers des politiques de répression comme le principe du pollueur-payeur en Afrique. Les gens risqueraient de polluer en se disant qu’ils vont attendre la sanction alors que cette sanction ne viendra pas parce qu’on a pas les équipes capables de mesurer la pollution d’une industrie ne serait-ce que dans la baie de Hann par exemple. Et une fois qu’on aura mesuré la pollution, quel tarif va-t-on appliquer? Si deux industries déversent chaque jours de l’eau polluée dans la baie, si cette eau n’a pas la même teneur ni les mêmes polluants, comment va-t-on faire le calcul? Qui va payer combien? Il y a un certain nombre de questions qui seront difficiles à résoudre. Alors qu’en incitant les industriels à changer de paradigme, c’est plus bénéfique. Elles sauront tout de suite qu’il ne faut pas louper le coche.
Crédit photo : France TV info
Mouhamadou Baldé est économiste de l’environnement et du développement durable. Il est également directeur et fondateur de Vivafrik, un média et une entreprise de conseil spécialisé sur le développement durable et l’environnement en Afrique.