Dans le cadre du débat sur le changement climatique et les questions environnementales en Afrique de l’Ouest, WATHI a rencontré Pod Estelle Ndour de l’Unité de coordination de la gestion des déchets solides (UCG) au Sénégal. Dans cet entretien, elle parle de la situation de la gestion des déchets au Sénégal ainsi que des opportunités et défis présents dans ce secteur.
- Quels sont les déchets produits au Sénégal ?
L’UCG a fait une étude entre 2014 et 2015 pour pouvoir déterminer ce qu’on appelle la caractérisation des déchets. A l’époque, notre mission était de comprendre la composition des déchets au Sénégal et la quantité d’ordures ménagères produites dans le pays. L’objectif était aussi de voir comment cela peut servir pour la création d’infrastructures pour le traitement et la valorisation de ces déchets. Parmi les résultats de cette étude, nous avons appris qu’il y a 7000 tonnes de déchets qui sont produits par jour au Sénégal. La moitié de ces déchets sont produits à Dakar.
Nous nous sommes également rendu compte que, parmi les déchets collectés auprès des ménages sénégalais, il y a beaucoup de particules fines c’est à dire essentiellement du sable ou des matières organiques mélangées à du sable. Cela va jusqu’à 45%, 50% parfois 60% des déchets dans certaines communes. C’est la principale problématique que nous avons identifiée lors de cette caractérisation des déchets.
Il y a 7000 tonnes de déchets qui sont produits par jour au Sénégal. La moitié de ces déchets sont produits à Dakar.
Après cela, on retrouve d’autres compositions : 10% de plastique, 12% de matières organiques comme les restes alimentaires, environ 5% de papier carton, environ 2% de fer, ce qui n’est pas beaucoup parce que les sénégalais récupèrent beaucoup le fer pour pouvoir le revendre ensuite.
- Quelles sont les méthodes existantes pour traiter ces déchets ?
On ne peut pas traiter les particules fines. Il faut donc voir comment les séparer des autres déchets. C’est pour cela qu’on promeut le tri et le tamisage dans les ménages comme ce qui se faisait avant dans la société. Lorsqu’on finit de balayer, il faut tamiser, enlever les déchets fins avant de mettre dans la poubelle. Aujourd’hui, c’est cela qu’on essaie de faire revenir. Certes on va toujours en retrouver car même dans les caractérisations des autres pays, on voit la présence de ces particules fines mais il faut diminuer pour avoir 15 à 20% de matières fines.
Quand on aura fini de traiter cette matière là, on va s’attaquer aux déchets organiques et plastiques. L’UCG est en train de préparer une stratégie pour les matières organiques. Nous travaillons depuis février 2018 sur un projet qui va nous permettre d’organiser cette filière et d’apporter des solutions au traitement des ordures ménagères, des déchets d’abattoirs, des déchets d’élevage, des déchets d’agriculture, et même des déchets liquides produits par les stations d’épuration. Le Sénégal va avoir une stratégie globale sur les déchets organiques qui servira de base pour développer des infrastructures dans ce secteur.
Nous aimerions qu’il y ait beaucoup plus de plastique collecté car les capacités au Sénégal ne permettent de traiter que 10% du déchet plastique produit
Pour le plastique, l’idée du Gouvernement est de voir d’abord les meilleures façons pour diminuer la quantité de déchet plastique qui est produit et ensuite développer des infrastructures qui vont nous permettre de récupérer ce plastique.
L’État n’a pas vocation à faire directement de la valorisation mais il faut essayer de récupérer ce plastique au maximum et le rendre disponible pour les entreprises qui font de la valorisation. Il y en a qui sont là, mais nous aimerions qu’il y ait beaucoup plus de plastique collecté car les capacités au Sénégal ne permettent de traiter que 10% du déchet plastique produit.
- Comment améliorer la sensibilisation pour que les populations gèrent mieux les déchets à leur niveau et soient plus conscientes de l’impact des déchets sur l’environnement et le cadre de vie ?
L’UCG fait déjà beaucoup de sensibilisation en suivant plusieurs méthodologies allant de l’animation dans les marchés au porte-à-porte pour sensibiliser les gens par rapport aux bons comportements à avoir sur les déchets. Mais la sensibilisation ne suffit jamais car il y a toujours des personnes qui ne sont pas touchées.
Par exemple, les deux langues qu’on utilise le plus sont le français et le wolof, mais il y a une partie de la population qui ne comprend pas et à laquelle il faut s’adresser. Si on veut atteindre tout le monde, et on doit atteindre tout le monde, il nous faut utiliser d’autres langues. Après, il faut aussi qu’on ait des relais. L’UCG ne suffit pas, il faut travailler avec des ONG, des organes de presse, et des acteurs qui vont nous permettre de diffuser beaucoup plus cette information de sensibilisation auprès des populations.
- Quelles sont les initiatives que les populations peuvent porter pour améliorer la gestion des déchets au niveau national ?
Il y a d’abord la sensibilisation et la communication. Ce n’est pas une information difficile à comprendre et partager. Il faut faire savoir qu’il faut attendre que le camion de ramassage passe avant de sortir ses déchets. Il est important de ne pas mélanger tous les types déchets, par exemple il faut mettre tous les déchets organiques dans un sachet et laisser les déchets secs dans la poubelle. Il est important d’avoir un cadre de vie propre parce que c’est en lien avec la santé de la population.
La population peut véhiculer ces informations sans problème en organisant par exemple des ateliers, des séances de partage au niveau des quartiers pour expliquer aux gens les dangers liés à une mauvaise gestion des déchets, etc.
Le petit hic c’est qu’elles brûlent les déchets après les avoir mis en tas. Elles n’ont pas l’information que si elles mettent les déchets en tas, elles peuvent appeler la mairie ou l’UCG pour venir récupérer les déchets
Sur le plan de la valorisation, il faut expliquer aux Associations sportives et culturelles (ASC) et aux groupements d’intérêt économique (GIE) qu’il y a des emplois qu’on peut créer, un business qu’on peut créer avec les déchets etc. Ce partage d’informations peut être porté par des initiatives populaires. Ce qui est important dans ces cas c’est que ces personnes sont plus proches des habitants et elles sont plus écoutées que des gens qui vont venir de l’extérieur et expliquer des choses que les gens ne vont pas forcément comprendre.
Il y a aussi un investissement humain qu’on remarque chez certaines populations notamment à travers le clean-up. Dans certaines zones comme Sandiara où nous avons été récemment, ou à Touba, à Tivaouane, il y a des groupes de femmes qui font le balayage et elles font ça volontairement et gratuitement. Elles se forment en groupes et choisissent chaque semaine un jour pour balayer le quartier dans lequel elles sont. Elles cotisent une somme de 100 francs pour financer l’achat de balais, et elles s’organisent très bien.
Le petit hic c’est qu’elles brûlent les déchets après les avoir mis en tas. Elles n’ont pas l’information que si elles mettent les déchets en tas, elles peuvent appeler la mairie ou l’UCG pour venir récupérer les déchets. C’est juste cet élément qu’il faudra essayer de corriger. Donc cet aspect est porté par la population et ça marche bien.
- Est-ce qu’il y a un écosystème favorable pour les initiatives qui valorisent les déchets ?
Oui, bien sûr. L’écosystème de la valorisation du plastique se développe de plus en plus. C’est pour le métal et le verre qu’il n’existe pas d’entreprises de valorisation. Pour le papier carton, cela existe mais les gens ne connaissent pas très bien.
Toutefois, pour le moment, les gens restent à l’échelle de la maison en collectant le plastique qui est à la maison pour le donner à un éboueur ou à quelqu’un qui fait de la récupération itinérante. Mais les jeunes ne sont pas allés dans cette dynamique de se mettre ensemble pour organiser la collecte dans leur quartier par exemple, ensuite mettre en place une petite entreprise ou un GIE pour pouvoir en faire un business car c’est un business qui peut vraiment marcher.
Ils ne vont pas eux-mêmes valoriser le plastique car, avec peu de moyens, il n’y a pas grand-chose à faire à part l’artisanat. Mais ils peuvent faire de la récupération, de la collecte sélective, puis vendre leurs produits à des entreprises de cette filière telles que Proplast, SIMPA ou d’autres.
Les jeunes ne sont pas allés dans cette dynamique de se mettre ensemble pour organiser la collecte dans leur quartier par exemple, ensuite mettre en place une petite entreprise ou un GIE pour pouvoir en faire un business
Il faut donc faire la promotion de la filière « valorisation des déchets » globalement et celle de la valorisation du plastique spécifiquement pour dire aux jeunes qu’il y a une opportunité dans cette matière et qu’ils peuvent se mettre là-dedans.
- Comment l’État et les industries peuvent collaborer pour réduire la production de déchets plastiques ?
L’usage du plastique est un défi mondial et local. Il faut un encadrement juridique et mettre en place les dispositifs pour les faire appliquer. Il y a une loi qui interdit les sachets plastique de faible micronnage avec bretelle. Mais le dispositif mis en place pour appliquer cette loi n’était pas efficace. Aujourd’hui, il y a un projet de loi qui est en train d’être préparé pour interdire les sachets plastiques. Donc oui, il est primordial d’avoir des dispositifs d’encadrement appropriés. Il faut que chacun sache ce qu’il doit faire, qu’il y ait un processus qui suive et des mécanismes de suivi. Il faut aussi qu’on ait des alternatives pour dire aux gens « on interdit le plastique à usage domestique, mais voilà d’autres choses que vous pouvez prendre » et qu’il y ait cette campagne de sensibilisation pour que les gens arrêtent d’utiliser ce genre de plastique là.
- Existe-t-il hors de la région des méthodes de traitement des déchets qui peuvent être copiées dans les pays d’Afrique de l’Ouest ?
Pour le traitement des déchets, il faut savoir qu’il n’y a pas mille méthodes. Il y a juste quelques innovations. Mais il y a une chose qui m’avait marquée en Corée du Sud, c’est sur le conditionnement des sachets plastiques. C’est là-bas qu’ils règlent le problème. C’est la mairie qui vend les sachets, et elle ne collecte pas les déchets de ceux qui n’achètent pas ses sachets afin de maitriser ce circuit. Elle encourage également les individus à acheter et se débrouiller avec les plus petits sachets par un système de tarification bien calculé afin de se retrouver avec moins de déchets plastiques à traiter. C’est une idée simple, mais qui marche.
La question était de savoir si la mairie ne se retrouvait pas avec des dépôts d’ordures incontrôlables sur son territoire. Mais ils parviennent à gérer cela car les gens sont bien éduqués et ne se permettent pas de déposer leurs déchets n’importe où.
On est à 40% de couverture du système de gestion des déchets. C’est-à-dire qu’il y a 60% de la population pour qui les déchets ne sont pas récupérés
Pour les technologies de traitement de déchets, le compostât et la méthanisation sont les deux grandes idées de valorisation des déchets organiques. Au Sénégal, il y a des bonnes pratiques et il faut juste les encourager. On réutilise beaucoup les bouteilles, les seaux, les textiles, et ce sont des pratiques qui nous aident beaucoup pour empêcher la production de quantité exponentielle de déchets. Mais la problématique qu’on a au Sénégal c’est plus au niveau de l’évacuation des déchets car les moyens ne sont pas là forcément.
Avec les efforts de l’Etat et des collectivités territoriales, on est à 40% de couverture du système de gestion des déchets. C’est-à-dire qu’il y a 60% de la population pour qui les déchets ne sont pas récupérés, ils sont obligés de créer des dépôts sauvages et ils n’ont pas d’autres solutions. Avec le rythme auquel les déchets sont produits, il faut travailler à augmenter la capacité de collecte, augmenter les camions, doter des poubelles aux populations. Ce sont des programmes de l’Etat qui sont là, on finance une partie chaque année, et on essaie d’avancer comme ça.
Crédit photo : Seneweb
Pod Estelle Ndour est responsable du service « Économie du déchet » à l’Unité de coordination de la gestion des déchets solides (UCG) du Sénégal.