Auteur(s) : Lansana Gberie dans « Afrique Renouveau »
Type de publication : article de presse
Date de publication : Décembre 2016 – Mars 2017
Lien vers le document original
Lorsque l’acteur américain Robin Williams, qui souffrait de dépression, s’est suicidé il y a deux ans, l’humoriste kényan Ted Malanda a signé dans son journal, The Standard, un article faussement incrédule. « Je n’arrive pas à concevoir la dépression comme une maladie… En fait, la question se pose si peu pour nous que les langues africaines n’ont jamais pris la peine d’inventer un mot pour décrire une telle maladie. » L’article s’intitulait : « Comment la dépression n’a jamais été une maladie africaine. »
La boutade méprisante de Ted Malanda est symptomatique de l’attitude des Africains, qu’ils soient responsables politiques ou citoyens ordinaires, envers l’épidémie de maladie mentale que connaît le continent.
Le pays de Ted Malanda, le Kenya, est l’un des plus stables d’Afrique. Or les experts en santé publique estiment qu’un quart des 44 millions d’habitants du Kenya souffre de maladies mentales comme la schizophrénie ou autres psychoses, la bipolarité, la dépression ou encore les troubles graves de l’anxiété. Le Kenya ne dispose que de 80 psychiatres et 30 psychologues cliniciens. Et parmi les 500 infirmières psychiatriques que compte le pays, seules 250 travaillent dans des services de santé mentale. Pourtant, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), le pays ne consacre que 0,05 % de son budget de santé aux maladies mentales. Environ 70 % des établissements de santé mentale du pays se concentrent dans la capitale, Nairobi.
L’OMS estime que moins de 10 % des Nigérians qui souffrent de maladie mentale ont accès à un psychiatre ou à du personnel de santé
Le secteur de la santé mentale est à peine mieux loti en Afrique du Sud, pourtant plus prospère : le pays compte 22 hôpitaux psychiatriques et 36 services psychiatriques au sein des hôpitaux généralistes. Mais les inégalités font que ces établissements ne profitent qu’à un très faible pourcentage (14 %) des 53 millions d’habitants ; selon ces experts, 75% des Sud-Africains atteints de maladie mentale n’ont pas accès à des soins psychiatriques ou thérapeutiques. Le programme national d’assurance maladie prévoit d’améliorer l’accès aux soins de santé mentale, mais cette mesure ne sera mise en œuvre qu’en 2025 au plus tôt.
Riche en pétrole, le Nigéria offre un tableau plus sombre encore. L’Afrique du Sud et le Kenya disposent d’un nombre plus important de psychiatres et de lits d’hôpitaux psychiatriques par habitant. L’OMS estime que moins de 10 % des Nigérians qui souffrent de maladie mentale ont accès à un psychiatre ou à du personnel de santé : le pays ne compte que 130 psychiatres pour 174 millions de personnes. Toujours selon l’OMS, le nombre de personnes souffrant de maladies mentales au Nigéria se situe entre 40 et 60 millions. Des troubles comme la dépression, l’anxiété et la schizophrénie sont fréquents au Nigéria, comme dans d’autres pays d’Afrique.
En 2012, le Ghana a franchi une étape importante dans la prise en charge des problèmes de santé mentale dans le pays, en adoptant la Loi 846, aussi connue sous le nom de Loi sur la santé mentale. Il est ainsi devenu l’un des rares pays d’Afrique à mettre en place une politique relative au traitement des maladies mentales.
Au Kenya, au Nigéria et en Afrique du Sud, les facteurs de déclenchement de maladies mentales comme le chômage ou les crimes violents atteignent des niveaux critiques
En début d’année, un rapport de l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch (HRW) estimait que 2,8 millions de Ghanéens (sur une population de 25,9 millions de personnes) souffraient de maladie mentale. Le Ghana compte actuellement trois hôpitaux psychiatriques et une vingtaine de psychiatres. Le rapport de HRW cite notamment le directeur de l’hôpital psychiatrique d’Accra, le Dr Akwasi Osei : selon lui, les psychoses liées aux drogues affectent 8 à 10 % des patients en psychiatrie ; 20 à 30 % des patients sont diagnostiqués schizophrènes, 20 % souffrent de troubles bipolaires et 15 à 20 % de dépression grave. Malheureusement, 97 % des patients qui auraient besoin de soins de santé mentale n’ont pas accès aux services psychiatriques.
Certains pays politiquement stables, qui ont bénéficié d’une croissance économique au cours des dix dernières années, font également état d’un nombre élevé de maladies mentales, souvent lié à l’usage des drogues. Au Kenya, au Nigéria et en Afrique du Sud, les facteurs de déclenchement de maladies mentales comme le chômage ou les crimes violents atteignent des niveaux critiques. Mais la situation en matière de santé mentale est bien pire dans les pays les plus pauvres, en particulier ceux qui ont encore récemment connu des guerres civiles ou des conflits, comme le Libéria ou la Sierra Leone.
La Sierra Leone était pourtant une pionnière dans le domaine de la santé mentale en Afrique. Il y a plus d’un siècle, les Britanniques y ont fondé l’établissement psychiatrique de Kissy. Lieu d’internement pour les esclaves libérés traumatisés rapatriés par les abolitionnistes britanniques, il fut le premier hôpital psychiatrique d’Afrique subsaharienne. Il resta pendant de nombreuses décennies le seul hôpital de santé mentale de style occidental de la région. Cet établissement est toujours le seul hôpital psychiatrique de Sierra Leone. En 2015, il accueillait 104 patients au total, dont 75 étaient des hommes de 40 ans ou moins. Les patients y vivent dans des conditions déplorables et plusieurs d’entre eux portent des chaînes.
Un rapport de 2016 du Contrôleur général de la Sierra Leone indique que le seul psychiatre formé de cet hôpital est le Dr Edward Nahim, sous contrat depuis sa retraite il y a plusieurs années, assisté de trois infirmières psychiatriques. Il n’y a ni psychologue clinicien, ni travailleur social, ni ergothérapeute, ni agent médical. L’hôpital est dans un état d’abandon presque total et certaines parties sont quasiment en ruines.
Les Wathinotes sont soit des résumés de publications sélectionnées par WATHI, conformes aux résumés originaux, soit des versions modifiées des résumés originaux, soit des extraits choisis par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au thème du Débat. Lorsque les publications et leurs résumés ne sont disponibles qu’en français ou en anglais, WATHI se charge de la traduction des extraits choisis dans l’autre langue. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.
The Wathinotes are either original abstracts of publications selected by WATHI, modified original summaries or publication quotes selected for their relevance for the theme of the Debate. When publications and abstracts are only available either in French or in English, the translation is done by WATHI. All the Wathinotes link to the original and integral publications that are not hosted on the WATHI website. WATHI participates to the promotion of these documents that have been written by university professors and experts.