Auteur (s): Abdoul Karim Saidou
Organisation affiliée: Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP)
Type de publication: Note d’analyse
Date de publication: 12 janvier 2017
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En raison des vicissitudes de l’histoire politique du Burkina, l’armée burkinabè est devenue une armée politique, c’est-à-dire qu’elle considère sa participation dans la gestion du pouvoir politique comme une de ses missions légitimes. Le retour à la vie constitutionnelle en 1991 n’a pas mis un terme à l’intrusion de l’armée dans le jeu politique.
C’est pourquoi, sa dépolitisation apparait comme un enjeu fondamental dans le processus de changement lancé avec l’insurrection. À cet effet, depuis le départ de Blaise Compaoré, plusieurs mesures ont été prises dans le sens d’une réforme globale de l’armée, dont la dissolution en 2015 du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), garde prétorienne de l’ancien président.
Mais comme le montre le rapport d’International Crisis Group (ICG), la dissolution du RSP n’épuise pas la réforme de l’armée. Plusieurs autres défis restent à traiter. C’est au président Roch Marc Christian Kaboré, élu le 29 novembre 2015, qu’il revient de s’attaquer à ces défis. Deux ans après le départ de Blaise Compaoré, où en est-on avec la réforme de l’armée ?
Une transition sous haute surveillance militaire
Les acteurs de l’insurrection populaire de 2014 prônaient la rupture avec les pratiques de l’ancien régime. Dans ce processus, le RSP, qui était l’épine dorsale de l’armée, mais agissant comme une « police politique », devait disparaitre ou être réformé. Mais le RSP a survécu à l’insurrection populaire. Mieux, il a infiltré les institutions de la transition en imposant le lieutenant-colonel Zida d’abord comme président intérimaire avant l’adoption de la charte de la transition, puis comme Premier ministre. En plus, l’armée a siégé au sein du Conseil national de la transition (CNT), l’organe législatif de la transition. Dans le premier gouvernement de la transition, le Premier ministre Zida s’est attribué le portefeuille de la défense nationale et la sécurité intérieure a été confiée au colonel Auguste Barry.
L’intrusion de l’armée dans la transition était inévitable. Ainsi que le soulignait Samuel Finer il y a trois décennies, lorsqu’une crise politique aboutit à un vide institutionnel, l’armée apparait objectivement comme la seule alternative pour gérer l’État. C’est ce qui s’est produit à la suite de la démission de Blaise Compaoré le 31 octobre 2014. En dehors de l’armée, aucune force politique n’était en mesure de prendre le pouvoir. L’armée étant au cœur de la transition, elle en a influencé l’agenda. Le RSP a mis son veto à toutes les propositions visant à le réformer. Dès le départ, les tentatives pour inscrire la réforme du secteur de la sécurité dans l’agenda de la transition se sont heurtées à la résistance de l’armée.
La fenêtre d’opportunité ouverte par le putsch manqué de septembre 2015
Le rythme des réformes s’est accéléré après l’échec du putsch conduit par le RSP en septembre 2015. En effet, après la prise du camp Naaba Koom II, où étaient retranchés les putschistes, le Conseil des ministres annonça la dissolution du RSP le 25 septembre 2015. Dans la foulée, et pour combler le vide ainsi créé, le gouvernement de transition mit en place au début de décembre 2015 le Groupement de sécurité et protection républicain (GSPR) pour assurer la sécurité du président du Faso.
Cette mesure fut précédée par la réforme du secteur des renseignements. Le gouvernement créa le 16 octobre 2015 l’Agence nationale de renseignements (ANR). Placée sous l’autorité du président du Faso, elle « a pour principales missions de recueillir et d’exploiter, au profit du président du Faso, ainsi que du gouvernement, les renseignements reconnus d’intérêt vital pour la sécurité du Burkina Faso ». Elle est aussi chargée de coordonner « les activités des structures chargées du renseignement intérieur/extérieur et de la lutte contre le terrorisme ». La création de l’ANR comblait un autre vide créé par la dissolution du RSP dont le chef, le général Diendéré, jouait un rôle prépondérant dans le système de renseignements.
La décision d’exclure les civils de la réflexion sur l’armée traduit la réticence des militaires à ouvrir le champ de la défense au contrôle civil
Le 17 octobre 2015, sous l’autorité du président du Faso, fut également créé le Conseil de défense et de sécurité, « chargé entre autres, de coordonner les questions relatives à la sécurité intérieure et extérieure, de coordonner la sécurité nationale du pays, de définir les orientations stratégiques et les priorités nationales en matière de défense et de sécurité et de prévenir et de gérer les crises ». Ce Conseil, qui devait être constitué de hauts responsables de la défense et de la sécurité, n’a pas été mis en place.
Enfin, sur proposition de l’armée, le président Kafando instaura le 8 décembre 2015 une nouvelle commission pour réfléchir à la réforme de l’armée. Composée exclusivement de haut-gradés de l’armée, cette commission devait proposer, dans un délai de six mois, le plan stratégique de l’armée pour la période 2017- 2021. La mise en place de cette nouvelle commission s’écarte de la proposition de la Commission de la réconciliation nationale et des réformes (CRNR) relative à « l’organisation des états généraux de la défense ». Or, selon Jean Pierre Bayala, magistrat-colonel à la retraite, seule l’option des « états généraux » peut permettre une réforme structurelle de l’armée.
La décision d’exclure les civils de la réflexion sur l’armée traduit la réticence des militaires à ouvrir le champ de la défense au contrôle civil. Comme le soulignent Augustin Loada et Mathieu Hilgers, au Burkina, « les questions militaires et de sécurité apparaissent comme des domaines tabous dans l’espace public ». Le caractère élitiste de ce processus pose également le problème de la représentativité des autres couches qui constituent l’armée, notamment les jeunes officiers. Il reste donc à savoir si les orientations stratégiques définies reflètent la diversité des courants qui traversent l’armée.
La stabilisation du pouvoir comme enjeu de la réforme
Avec une armée politisée, la question de la stabilité du nouveau pouvoir devient un enjeu important. L’insurrection populaire et la transition, qui se voulaient des processus de rupture avec le système Compaoré, ont paradoxalement renforcé la politisation de l’armée. En effet, sa participation dans les institutions de transition a battu en brèche son caractère apolitique. Le président de la transition Michel Kafando était son candidat, ce qui illustre la volonté hégémonique des militaires. L’armée s’est donc érigée en acteur politique. Le Premier ministre Zida était accusé, à tort ou à raison, de nourrir des ambitions autres que de diriger le gouvernement de transition.
La charte de la transition a permis aux militaires de violer leur statut, comme le souligne Léon Sampana : « le fait que ces militaires soient en activité et non en disponibilité dans ces institutions serait contraire aux prescriptions du statut des personnels des forces armées si la charte n’avait pas couvert l’illégalité ». La « sortie des autoritarismes » en Afrique a toujours posé ce dilemme aux nouveaux dirigeants : que faire des militaires qui ont « goûté » au pouvoir ? Au Burkina, si certains officiers semblent avoir réussi leur retour dans l’armée, il n’en est pas de même pour d’autres qui ont du mal à s’affranchir de leur « casquette » politique.
Pour le nouveau pouvoir burkinabè, la gestion de ces militaires politisés est donc un grand défi pour sa stabilité. Deux groupes de militaires sont concernés. Il s’agit d’abord des officiers restés fidèles à Blaise Compaoré jusqu’à sa chute, et suspectés d’être toujours d’intelligence avec lui.
La « sortie des autoritarismes » en Afrique a toujours posé ce dilemme aux nouveaux dirigeants : que faire des militaires qui ont « goûté » au pouvoir ?
Le déficit de cohésion au sein de l’armée ne peut être résorbé que dans le cadre d’un processus politique global incluant toutes les sensibilités. À défaut, il reste la mise à l’écart des militaires perçus comme des opposants politiques. Leur exclusion des postes stratégiques priverait l’armée de certaines compétences, et peut être aussi une menace pour le pouvoir en place. En clair, si ces militaires sont mis dos au mur, le risque est grand qu’ils s’organisent pour résister à leur marginalisation. Ceci n’est pas sans rappeler le cas des Bérets rouges, unité d’élite sous le président Amadou Toumani Touré au Mali, dont les éléments, mis à l’écart par la junte du capitaine Amadou Haya Sanogo, tentèrent un coup de force qui fut violemment réprimé.
L’armée, un des chantiers brûlants de la réforme constitutionnelle
La réforme de l’armée est un des sites de la construction démocratique. Elle figure en bonne place dans l’agenda de la commission constitutionnelle installée le 29 septembre 2016 par le président Kaboré. Cette commission est chargée de produire le projet de Constitution de la 5e République. La réforme doit contribuer à instaurer un contrôle démocratique de l’armée. Plusieurs questions sont ainsi posées à la commission constitutionnelle. L’avant-projet de Constitution élaboré par la CRNR pendant la transition est l’une des bases de travail de la commission.
La question du droit des militaires à occuper des hautes fonctions civiles est également posée. Selon la loi 019-2015/CNT portant statut général des forces armées nationales adoptée sous la transition, les militaires de carrière désirant s’engager en politique doivent au préalable demander leur radiation de l’armée. Il leur est aussi interdit d’adhérer à des associations à caractère politique. Par contre, ils peuvent être appelés à occuper des hautes fonctions civiles.
Dans les régimes semi-autoritaires, l’appareil sécuritaire est mobilisé davantage pour la sécurité des autorités et de leur pouvoir que pour la sécurité des citoyens
En outre, la commission doit traiter de la question de savoir si le président du Faso peut cumuler sa fonction avec un poste nominatif, notamment celui de ministère de la Défense, comme c’est le cas avec le président Kaboré. Les acteurs s’interrogent également sur la pertinence d’une participation de l’armée à la sécurité intérieure.
Selon l’article 24 du décret portant organisation du maintien de l’ordre, l’armée est érigée en « force de troisième catégorie », intervenant sur réquisition, en appui à la police et à la gendarmerie et en cas de nécessité. La réforme constitutionnelle devra aborder aussi l’avenir de la justice militaire, considérée comme un des vestiges du régime défunt. Par ailleurs, selon certains acteurs, la réforme doit s’attaquer à la question de la gouvernance financière au sein de l’armée.
La réponse mitigée à la menace terroriste
Avec la menace terroriste, la réforme de l’armée s’oriente vers un nouvel enjeu. Dans les régimes semi-autoritaires, l’appareil sécuritaire est mobilisé davantage pour la sécurité des autorités et de leur pouvoir que pour la sécurité des citoyens. Ce fut le cas du régime Compaoré où, selon Lona Charles Ouattara, l’armée « apparaît plus que jamais comme une armée au service d’un régime et non de l’État impartial ». Le processus lancé depuis la transition entend rompre avec cette doctrine. Désormais, il s’agit moins de sécuriser le président du Faso que d’assurer la défense du territoire face au terrorisme auquel l’armée est peu préparée. Sous le régime défunt, le Burkina en était épargné, en raison de la politique pro-terroriste de Blaise Compaoré.
Aujourd’hui, le Burkina est entre deux feux, harcelé par des présumés terroristes, et en proie aux attaques d’ex-éléments du RSP. Ces derniers ont tenté à plusieurs reprises de déstabiliser le pays, dont en octobre 2016 lorsqu’une opération, qui aurait été fomentée par le sergent-chef Gaston Coulibaly, a été déjouée. Cela pose la problématique de la nature de la menace. La question qui se pose est de savoir si ce n’est pas la volonté présumée de l’ancienne élite dirigeante de reprendre le pouvoir qui alimente la menace terroriste. C’est là l’énigme à élucider pour construire la riposte.
Si la collusion entre l’ex-RSP et les terroristes reste à ce jour une hypothèse, il faut souligner que ce type d’alliance de circonstance est courant en Afrique. Quoi qu’il en soit, il est évident que les attaques terroristes récurrentes dont le Burkina est l’objet servent objectivement les intérêts de l’ancienne élite dirigeante
Conclusion
Pour le reste de son mandat, et au-delà du remaniement à la tête de l’armée, il reste à savoir si le président Kaboré tiendra sa promesse électorale de réviser la politique de défense, une politique désuète et inadaptée au nouveau contexte politico-sécuritaire. Jusqu’ici, la réforme s’est limitée aux aspects opérationnels, sans remettre en question la doctrine de défense. Or, la recherche d’une réponse structurelle à la crise de l’armée ne peut se faire sans une relecture critique des textes relatifs à l’organisation générale de la défense et à la politique de défense. La nécessité de ce changement de paradigme est d’autant plus urgente que sur le terrorisme, l’existence d’un dispositif opérationnel contraste paradoxalement avec l’absence d’un référentiel stratégique.
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