Auteur (s): Bruno Hellendorff
Organisation affiliée: Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP)
Type de publication: Article
Date de publication: 2 octobre 2012
Lien vers le document original
En 2007, dans un article publié par le Washington Post, Ban Ki-Moon identifiait le changement climatique comme une cause profonde au conflit dramatique du Darfour. Il y indiquait que les relations entre les éleveurs nomades et les fermiers sédentaires se sont dégradées à la suite de la baisse du niveau des précipitations pour conduire à des conflits qui ont dégénéré pour atteindre des proportions dantesques à partir de 2003. Selon Ban Ki-Moon, c’est un manque d’eau et de terres qui a engendré une des pires tragédies qu’ait traversées le continent africain ; cette vision est aujourd’hui la perspective centrale autour de laquelle est axé le débat sur les conséquences du changement climatique en matière de sécurité.
Mais cette corrélation établie entre la question environnementale et la sécurité ne va pas sans poser question. Si l’enjeu du changement climatique est mondial, ses répercussions au niveau local ne peuvent faire l’objet d’une analyse indifférenciée. L’appréhension de ces répercussions environnementales ne peut en outre pas faire l’économie d’une prise en compte des facteurs socio-politiques et économiques qui leur donnent sens.
Le Sahel : modes de production et changement climatique
Les populations sahéliennes ont développé des moyens de survie ajustés à leur environnement, en investissant notamment dans des systèmes de production mobiles (spécialisés comme l’élevage transhumant, ou mixtes comme l’agropastoralisme). Le pastoralisme est la principale activité économique qui mette en valeur la région : il représente 70 à 90% du bétail sahélien et 30 à 40% de ses brebis et chèvres.
Le Sahel est une région souvent considérée comme particulièrement vulnérable au changement climatique. Il est aujourd’hui établi que le climat de la planète est en train de changer : la température moyenne au niveau mondial a augmenté de 0,4 degré centigrade entre 1992 et 2010 et les dix années les plus chaudes enregistrées depuis 1880 ont eu lieu depuis 1998.
Au Sahel, de nombreux observateurs craignent que le changement climatique contribue à perturber le cycle des saisons et intensifie des phénomènes de sécheresses ou d’inondations, déjà importants dans la région
Le Sahel est de plus en plus chaud. Le Sahara occidental et le Sahel pourraient enregistrer une hausse allant de 3,5 à 4 degrés centigrade sur l’ensemble du 21e siècle et ainsi compter parmi les zones les plus touchées par le réchauffement climatique. Le changement climatique est donc bien une réalité, non seulement au niveau mondial, mais également – et tout particulièrement – au niveau sahélien. Ses effets, quels qu’ils soient, en termes de pluviométrie ou de température auront indiscutablement un impact sur les écosystèmes vulnérables du Sahel. Et ces changements environnementaux auront à leur tour des implications substantielles sur la vie des populations de la région.
La vulnérabilité des populations sahéliennes en question
Au Sahel, de nombreux observateurs craignent que le changement climatique contribue à perturber le cycle des saisons et intensifie des phénomènes de sécheresses ou d’inondations, déjà importants dans la région. Ces conséquences concrètes d’un changement climatique constituent donc un risque environnemental supplémentaire pour les populations locales. Jusqu’ici, leurs nombreux moyens et stratégies d’adaptation leur ont permis de composer avec les risques environnementaux. Les fermiers sahéliens ont développé plusieurs mécanismes « traditionnels » d’adaptation à un climat rigoureux.
Mais, en l’absence d’investissements additionnels ou de changements de politiques, si le risque augmente, la vulnérabilité des populations du Sahel fait de même. En d’autres mots, leur capacité d’adaptation, c’est-à-dire leur résilience aux chocs environnementaux futurs, risque de ne pas être suffisante à cause de plusieurs facteurs socio-économiques. Par exemple, au Sahel, bien qu’il représente 40% du PIB et emploie 60 % de la population active, le secteur primaire reste paradoxalement peu diversifié.
Plusieurs options s’offrent aux populations confrontées à une dégradation de leur environnement. La première consiste, on l’a vu, à s’adapter à la « nouvelle donne » au travers de différentes stratégies. Lorsque cette option n’est pas possible, ou insuffisante, les populations peuvent choisir soit de migrer, soit de s’affronter à propos des rares ressources restantes. Pour éviter le conflit ou des migrations déstabilisatrices, il convient donc de renforcer la résilience des communautés et institutions. C’est ce que prônent l’ONU et l’UE. Le conflit n’illustre ici qu’un dysfonctionnement ou un manque de capacités de ces institutions. La consolidation de ces dernières passe dès lors par des politiques qui s’intègrent bien aux stratégies déjà en place (renforcement de l’État de droit, soutien à la décentralisation, gestion villageoise des terroirs…).
Les conflits agro-pastoraux : des dynamiques complexes
Sans idéaliser un passé où conflits inter- et intra-communautés étaient bien présents, cette relation entre les groupes pouvait s’avérer symbiotique : dans la région du Kingui au Mali, Beeler explique qu’auparavant, « la venue des éleveurs en saison sèche était appréciée par les agriculteurs sédentaires, qui profitaient du fumier […] et des cadeaux en lait et bétail. Pour les accueillir, les sédentaires leur creusaient des puits et préparaient le matériel pour les cases sur les champs à fumer.
Souvent, les transhumants retournaient chaque année sur le champ du même agriculteur, de sorte qu’ils tissaient des relations étroites avec leurs logeurs ». Pourtant, dans la plupart des pays du Sahel, plusieurs facteurs ont concouru à une situation de compétition accrue autour des ressources disponibles et à une remise en cause du lien social unissant fermiers et éleveurs.
La colonisation a encouragé un mode de gestion des ressources de plus en plus pyramidal. L’hermétisation progressive des frontières, l’intégration à marche forcée aux marchés mondiaux, la privatisation des ressources partagées, la marginalisation des populations transhumantes des systèmes politico-administratifs ont également contribué à accentuer le fossé entre communautés sédentaires et transhumantes. Dès lors, des modes d’interactions entre communautés parfois vieux de plusieurs centaines d’années furent bouleversés, voire renversés. Il fallut attendre les années 1990 pour que la communauté internationale reconnaisse l’apport du pastoralisme à un « développement durable ».
Conjuguées à une explosion démographique, ces bouleversements ont favorisé l’extension des surfaces cultivées et une marginalisation, politique et socio-économique, des populations nomades et transhumantes (les Fulbe notamment). Dans le même temps, elles ont contribué à l’appauvrissement des sols : en imposant notamment, sur le conseil de partenaires internationaux, certains modes d’exploitation des sols (culture intensive, spécialisation…) au détriment de pratiques coutumières plus adaptées comme les systèmes de production mobiles, les États ont aggravé les phénomènes de dégradation d’écosystèmes déjà fragiles (désertification, érosion…).
Au Sahel, cette dynamique complexe a rapidement engendré une raréfaction des surfaces arables disponibles et, de là, un débordement croissant des cultures vers des terres jusque-là inexploitées ou, de manière plus problématique, dédiées aux activités pastorales.
De cette situation, partagée par la plupart des États sahéliens, ont émergé de nombreux conflits opposant les pasteurs aux agriculteurs. Ces conflits prennent donc le plus souvent la forme d’antagonismes découlant de dégâts portés aux cultures par le bétail, de mesures de rétorsion de la part des agriculteurs perçues comme injustes par les éleveurs ou de rivalités quant à l’accès aux sources d’eau, surtout en périodes de sécheresse.
Des conflits sociaux plutôt que des conflits environnementaux
Premièrement, il est difficile d’établir un lien direct entre le changement climatique en tant que vecteur d’appauvrissement en ressources, et les conflits agro-pastoraux. Le conflit ne nait pas là où les ressources sont les plus rares. C’est plutôt le contraire qui se produit : la violence éclate lors d’épisodes d’abondance relative, et a même tendance à se concentrer dans des régions comparativement plus riches. Dans le cas du Bénin, où l’OCDE indique que 90 personnes ont été tuées dans des conflits liés à la transhumance entre 1986 et 1994, 50 l’ont été dans la province du Zou, qui dispose pourtant de riches pâturages.
Les conflits entre éleveurs et agriculteurs ne sont pas tant causés par des facteurs démographiques et environnementaux faisant pression sur les ressources disponibles que par une brusque confrontation entre groupes sociaux qui ne se connaissent pas et par une mauvaise gestion de leurs antagonismes
Deuxièmement, les migrations ne sont pas forcément corrélées avec une l’apparition de violences, bien qu’elles représentent certainement des facteurs de déstabilisation. Au Sahel, la réduction des ressources pastorales conduit les éleveurs transhumants à se déplacer de plus en plus vers le sud, vers les zones cultivées, et leurs déplacements prennent un tour plus permanent qu’auparavant.
Comparant deux régions tchadiennes, Sougnabe démontre que les conflits entre éleveurs et agriculteurs ne sont pas tant causés par des facteurs démographiques et environnementaux faisant pression sur les ressources disponibles que par une brusque confrontation entre groupes sociaux qui ne se connaissent pas et par une mauvaise gestion de leurs antagonismes. Toute société est traversée par une multitude de conflits. Ceux-ci sont un élément de renouvellement des structures sociales et politiques et sont à ce titre positifs ; le problème se situe dans leur escalade, et dans le recours à la violence qui peut en découler.
Au Sahel, ces confits qui dégénèrent impliquent dans nombre de cas l’usage d’armes, le vol ou l’abattage de bétail, la destruction intentionnelle des propriétés des agriculteurs (plantations, greniers)… Dans des cas extrêmes, ils pourraient même connaître une escalade sanglante lorsqu’ils ne sont pas jugulés, comme l’argumentait Ban Ki-Moon en parlant du Darfour.
Les Wathinotes sont soit des résumés de publications sélectionnées par WATHI, conformes aux résumés originaux, soit des versions modifiées des résumés originaux, soit des extraits choisis par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au thème du Débat. Lorsque les publications et leurs résumés ne sont disponibles qu’en français ou en anglais, WATHI se charge de la traduction des extraits choisis dans l’autre langue. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.
The Wathinotes are either original abstracts of publications selected by WATHI, modified original summaries or publication quotes selected for their relevance for the theme of the Debate. When publications and abstracts are only available either in French or in English, the translation is done by WATHI. All the Wathinotes link to the original and integral publications that are not hosted on the WATHI website. WATHI participates to the promotion of these documents that have been written by university professors and experts.
1 Commentaire. En écrire un nouveau
Le sujet est très pertinent et les exemples donnés dans la lecture sont assez édifiants. Toutefois, les changements climatiques sont très complexes en raison de la nécessité de déterminer effectivement si ils sont à l’origine des conflits à travers des études de vulnérabilité. Cela pourrait passer par exemple par des analyses comparatives d’une situation à un temps donné et la situation actuelle où on a remarqué la recrudescence de conflits liés à la disponibilité ou non de ressources naturelles.