Des réformes nécessaires de l’architecture et du processus décisionnel
Auteur (s): Observatoire du monde arabo-musulman et du Sahel
Organisation affiliée: Fondation pour la recherche stratégique
Type de publication: Etude
Date de publication: Mars 2019
Lien vers le document original
Le G5 Sahel est, aujourd’hui, à la croisée des chemins. Créé en février 2014, il fêtera ses cinq ans d’existence en février 2019 à l’occasion du Sommet de Ouagadougou qui verra la présidence tournante de l’organisation échoir au Burkina Faso, dernier des cinq pays membres à ne pas avoir encore assumé cette responsabilité. S’ouvrira alors une année charnière pour la jeune organisation régionale, une année de réformes profondes déterminante pour son avenir.
Dans un contexte stratégique alors en pleine mutation avec l’intervention militaire française au Mali et le lancement de plusieurs Stratégies Sahel des principaux bailleurs de fonds des pays du Sahel, les chefs d’État sahéliens décidèrent de fonder le G5 Sahel sur deux piliers principaux, la sécurité et le développement. Contrairement à une idée répandue depuis le lancement médiatique de la Force Conjointe du G5 Sahel, la priorité était mise sur le développement et s’inscrit dans la continuité de la visite conjointe au Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad), en novembre 2013, du Secrétaire général des Nations unies avec les représentants de la Banque Mondiale (BM), Banque Africaine de développement (BAD), de la Commission de l’Union Africaine (UA) et de l’Union Européenne (UE), au cours de laquelle de nombreuses annonces de contributions financières à destination de la région furent prononcées.
Le G5 Sahel a réussi à s’imposer progressivement dans un environnement institutionnel dense, grâce à un Secrétariat permanent léger, à un processus décisionnel raccourci et à une forte implication personnelle des chefs d’État. Néanmoins, l’approche originelle a montré à plusieurs reprises ses limites.
L’architecture du G5 Sahel, un édifice inabouti à renforcer
Les organes du G5 Sahel, des textes à la pratique
La « Convention portant création du G5 Sahel » définit l’architecture et le fonctionnement de ce nouveau « cadre institutionnel de coordination et de suivi de coopération régionale » mais, au cours des années, l’exercice des responsabilités confiées aux différents organes du G5 Sahel a consacré de nouvelles pratiques de fonctionnement qui s’éloignent des textes originaux.
L’établissement de nouvelles pratiques de fonctionnement répond à la nécessité intrinsèque à toute jeune organisation intergouvernementale de s’adapter au réel. De plus, le dynamisme propre au G5 Sahel a entrainé un besoin important de flexibilité dans la mobilisation de ses différents organes. Néanmoins, ce phénomène n’a pas été sans causer quelques tensions entre les différents organes et à contribuer à fragiliser la répartition des tâches au sein de l’organisation.
La Conférence de novembre 2015 semble avoir poussé l’approche « top down » à son paroxysme avec une prise de décision des chefs d’État faisant fi de tous les travaux préparatoires de leurs ministres et experts
Parmi les pratiques les plus « innovantes » figurent notamment le rôle, non initialement défini mais prépondérant, joué par la présidence de la Conférence des chefs d’État et, au Mali, le transfert de la tutelle du G5 Sahel du ministère du Plan à celui des Affaires étrangères, ce qui a également impacté la présidence du CNC. La fin prématurée du mandat du premier Secrétaire permanent (SP), accordé au Niger, au bout de trois ans au lieu des quatre ans prévus par les textes, a ouvert un débat interne sur le fait de savoir si le nouveau SP, également nigérien, reprenait la fin du mandat de son prédécesseur pour un an ou s’il avait commencé un nouveau mandat de quatre ans. Nous verrons les implications que les différentes interprétations pourraient avoir sur la répartition des postes au sein du SP-G5S.
Une Conférence des chefs d’État omnipotente
La Conférence de novembre 2015 semble avoir poussé l’approche « top down » à son paroxysme avec une prise de décision des chefs d’État faisant fi de tous les travaux préparatoires de leurs ministres et experts. Moins les ministres, les experts sont associés au processus décisionnel, plus il leur sera difficile de mettre en œuvre la décision, d’autant plus si celle-ci reste évasive. Les réunions préparatoires visent justement à proposer aux chefs d’État des options réalistes pour la mise en œuvre d’un projet donné grâce à un partage d’analyses et à un travail commun entre les administrations des cinq pays membres.
La personnification du pilotage stratégique du G5 Sahel induit des risques importants pour la pérennité du dynamisme de ses activités à moyen et long termes. Quelles conséquences l’éclatement de tensions politiques importantes dans un des États membres ou un changement de pouvoir, par la voie démocratique ou la violence, à sa tête auraient-ils sur les activités du G5 Sahel ? En 2016, le contexte précaire que le Tchad a connu sur le plan sécuritaire, économique et politique, notamment avec les tensions provoquées lors des élections présidentielles, a entrainé une apathie quasi-totale du G5 Sahel, d’autant plus que le pays assurait la présidence tournante de l’institution.
Un SP-G5S en surchauffe qui peine à jouer son rôle dans l’architecture du G5 Sahel
Dans l’approche originelle du fonctionnement du G5 Sahel, l’articulation entre le SP-G5S et les Comités Nationaux de Coordination (CNC) des actions du G5 Sahel est déterminante, car ces derniers, « placés sous la tutelle des ministres en charge du Développement », sont imaginés comme les « répondants du SP-G5S » au sein des États membres. Ainsi, l’inactivité des CNC, depuis la création du G5 Sahel, a été un frein certain à un fonctionnement optimal de l’architecture institutionnelle de l’organisation. Plus que de simples répondants, les CNC devaient travailler étroitement avec le SP-G5S sur les axes stratégiques d’intervention définis par la Stratégie pour le Développement et la Sécurité (SDS).
Il faut donner les moyens au SP-G5S d’assurer pleinement son rôle de secrétariat technique de la présidence du Conseil des ministres
Dès lors, on comprend aisément que l’absence de structuration et d’institutionnalisation de ces relais nationaux a considérablement compliqué le travail des Experts du SP-G5S ; ceux-ci se sont retrouvés surchargés par le travail qui devait initialement échoir aux CNC.
Un SP-G5S marginalisé du processus décisionnel au profit du CM-G5S et du CDS
Si le G5 Sahel s’est concentré, dans un premier temps, sur la coordination des efforts nationaux, régionaux et internationaux en matière de développement à travers l’élaboration du PIP, le dynamisme de la coopération militaire transfrontalière dans un contexte de lutte contre le terrorisme a contribué à faire pencher l’équilibre de l’organisation vers les questions de Défense et de Sécurité.
Cette évolution est naturellement nourrie par l’appétence des partenaires internationaux à appuyer les efforts des pays du Sahel en la matière, mais il est important de noter qu’elle est également la conséquence de la méfiance et de la réticence des bailleurs de fonds à financer les projets de développement identifiés par le G5 Sahel dans le PIP, privilégiant toujours une approche bilatérale à laquelle ils sont habitués.
On observe, alors, au gré de la mise en œuvre de ces différentes initiatives, une marginalisation progressive du SP-G5S tant le Comité de Défense et de Sécurité (CDS) et le Conseil des ministres (CM-G5S) vont réussir à s’imposer comme les échelons décisionnels, de pilotage et de coordination idoines.
Des réformes nécessaires pour la survie et l’essor du G5 Sahel
Consolider et renforcer le rôle d’impulsion jouée par la présidence du G5 Sahel
Il n’est pas toujours aisé pour la présidence du Conseil des ministres de jouer le rôle d’impulsion défini dans la Feuille de route, notamment à cause de la charge de travail supplémentaire conséquente qui échoit au ministre de tutelle lorsqu’il devient PCM. Il faut donc que son ministère dispose d’une capacité de mobilisation de ses propres ressources pour y faire face. Le ministre de tutelle peut s’appuyer sur le Point Focal du G5 Sahel à la tête du Comité National de Coordination (CNC). Il s’agit d’un fonctionnaire issu de son administration qui, dans la majorité des cas, fait également partie de son cabinet. Dès lors, il va appuyer le ministre dans sa mission de président du Conseil des ministres.
Les limites de l’interministérialité au Sahel expliquent pour partie les difficultés rencontrées pour opérationnaliser le fameux nexus sécurité-développement
Pour consolider le rôle de la présidence du G5 Sahel, il faut commencer par l’alléger des charges qu’elle exerce aujourd’hui mais qui, pourtant, devraient relever des prérogatives du SP-G5S. Il faut donner les moyens au SP-G5S d’assurer pleinement son rôle de secrétariat technique de la présidence du Conseil des ministres. Nous avons pu observer un consensus autour de ce point chez les Experts et Points Focaux du G5 Sahel interrogés. Pourtant, l’absence de dispositions sur la relation entre le SP-G5S et la PCM constitue un premier obstacle difficile à franchir.
Le lead politique confié à l’État assumant la présidence du G5 Sahel doit se formaliser à travers la mise en place d’une structure permettant d’accompagner les ministères concernés dans leurs prises de décision, notamment le ministère de tutelle. S’il s’agit du CNC, il est sans doute opportun que le SP-G5S accorde une subvention supplémentaire afin de lui permettre de prendre en compte le surcroit d’activité engendré par l’exercice de la présidence.
Restructurer le SP-G5S pour l’ériger en véritable organe d’exécution
Des entretiens effectués dans plusieurs pays membres du G5 Sahel, il ressort la volonté de renforcer le SP-G5S en le dotant de nouveaux moyens humains et financiers, mais surtout de réorganiser sa structure considérée, par certains, comme inadaptée à la mise en œuvre des projets du G5 Sahel. Une des pistes avancées serait de transformer le Secrétariat permanent en Secrétariat exécutif. Quelle réalité se cacherait derrière ce changement ? Pour certains praticiens, ce ne serait qu’un changement cosmétique.
Le défi de l’interministériel
La tutelle sur les Affaires liées au G5 Sahel initialement exercée par les ministres du Plan est remise en question par des ministres qui s’estiment plus légitimes à l’assurer, notamment les ministres aux compétences plurisectorielles comme les ministres des Affaires étrangères.
L’activisme sans précédent dont a fait preuve la présidence malienne et les succès diplomatiques obtenus tendent à prouver la légitimité des ministres des Affaires étrangères à exercer la tutelle du G5 Sahel, mais cette légitimité n’est pas exclusive. En effet, la présidence nigérienne présente un bilan honorable. Dès lors, il nous semble intéressant d’envisager d’accorder aux États membres, à travers une modification des textes, une flexibilité dans leur choix du ministre de tutelle du G5 Sahel en fonction de leurs priorités, notamment dans le cadre de l’exercice de la présidence tournante du G5 Sahel.
Avec l’adoption, le 29 octobre 2018, de la décision fixant les missions des CNC et régissant leurs relations fonctionnelles avec le SP-G5S, les CNC devraient enfin connaitre leur lancement effectif. De par leur composition, ils apparaissent comme le cadre idéal de conduite du travail interministériel indispensable à la réussite des objectifs du G5 Sahel. Alors que leur composition n’était, jusque-là pas uniforme d’un pays à l’autre, les CNC sont désormais limités à 10 membres, chacun d’entre eux représentant un département ministériel au niveau technique. Le texte leur laisse, néanmoins, la liberté de « faire appel à toute personne dont ils jugeront la présence nécessaire ou utile ».
De nombreuses réformes ambitieuses et techniquement bien préparées n’ont pu voir le jour, du moins dans leur ensemble, du fait d’un manque de consensus politique au moment de la prise de décision
Les limites de l’interministérialité au Sahel expliquent pour partie les difficultés rencontrées pour opérationnaliser le fameux nexus sécurité-développement, sur lequel nous reviendrons. La capacité des ministères nationaux à coordonner leurs actions et à établir une stratégie globale reste limitée. A cet égard, l’absence des Premiers ministres du dispositif G5 Sahel interpelle. Est-ce par volonté des chefs d’État de sanctuariser la gestion des Affaires liées au G5 Sahel du fait de leur importance stratégique ? Sans doute un peu. Pour autant, est ce qu’une implication plus importante des Premiers ministères pourrait renforcer l’inter-ministérialité au niveau du G5 Sahel ? Nous avons posé la question aux différents praticiens rencontrés.
Plusieurs m’ont expliqué que les pratiques interministérielles n’étaient pas très développées au niveau des Premiers ministres, mais qu’elles l’étaient davantage autour de ministres sectoriels qui prenaient le lead sur les dossiers concernant plusieurs ministres. Il leur revient, alors, la responsabilité d’initier et d’entretenir la relation avec les autres ministères.
De l’importance de la méthode
L’audit organisationnel demandé par les chefs d’État, lors de la Session ordinaire de la Conférence, réunie à Niamey, le 06 février 2018, a rendu ses conclusions fin 2018. Il constituera le document de référence des débats à venir sur les réformes du SP-G5S. Un praticien de la coopération régionale m’expliquait, en janvier 2019, que « les États membres ne regardent pas le G5 Sahel comme au début », « son développement a attisé les convoitises » et rend « difficile la recherche du consensus » 62. Le rapport de l’audit n’a pas encore pu être discuté formellement entre les ministres qui rendront les premiers arbitrages, mais il est peu probable qu’ils soient en mesure d’aboutir à un consensus. Il est fort à parier qu’ils attendront que les chefs d’État se positionnent sur le sujet à l’issue de la Conférence de Ouagadougou, qui s’est tenue le 05 février 2019.
De nombreuses réformes ambitieuses et techniquement bien préparées n’ont pu voir le jour, du moins dans leur ensemble, du fait d’un manque de consensus politique au moment de la prise de décision. Cette situation est bien souvent due à une méthodologie d’élaboration insuffisamment inclusive en amont. À titre d’exemple, la réforme de l’UA proposée par le président rwandais, Paul Kagamé, semblait répondre à de nombreux défis auxquels l’organisation continentale faisait face depuis plusieurs années. Cependant, lors du Sommet des chefs d’État, plusieurs d’entre eux s’y sont opposés, ce qui a entrainé une recherche de compromis dans l’urgence, une procédure jamais bénéfique pour la cohérence d’ensemble de la réforme.
Le G5 Sahel présente un avantage considérable pour envisager l’élaboration de réformes de son fonctionnement, à savoir le faible nombre d’États membres. Le processus décisionnel s’en retrouve, en théorie, facilité. Pour autant, le Burkina Faso, qui aura, du fait de la présidence qu’il assumera, le lead sur l’organisation des débats, ne pourra faire l’économie d’une méthodologie bien ciselée pour mettre en œuvre les instructions que les chefs d’États formuleront lors de la Conférence de Ouagadougou.
Les Wathinotes sont soit des résumés de publications sélectionnées par WATHI, conformes aux résumés originaux, soit des versions modifiées des résumés originaux, soit des extraits choisis par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au thème du Débat. Lorsque les publications et leurs résumés ne sont disponibles qu’en français ou en anglais, WATHI se charge de la traduction des extraits choisis dans l’autre langue. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.
The Wathinotes are either original abstracts of publications selected by WATHI, modified original summaries or publication quotes selected for their relevance for the theme of the Debate. When publications and abstracts are only available either in French or in English, the translation is done by WATHI. All the Wathinotes link to the original and integral publications that are not hosted on the WATHI website. WATHI participates to the promotion of these documents that have been written by university professors and experts.