Auteur (s): François Vandendriessche
Organisation affiliée: Institut de recherche et d’enseignement sur la paix
Type de publication: Note de recherche
Date de publication: 24 janvier 2016
Lien vers le document original
Comprendre l’approvisionnement et le financement des groupes armés
La chute du colonel Kadhafi et la porosité des frontières facilitent le trafic d’armes en tout genre
La chute du colonel Kadhafi et la porosité des frontières facilitent le trafic d’armes en tout genre. La chute de Mouammar Kadhafi eut un effet incontestable sur l’accélération et l’accroissement de la circulation des armes au Sahel. Les Touaregs qui avaient quitté le Mali dans les années 1990 pour fuir les persécutions revinrent au pays, nombreux et armés et alimentèrent, pour certains, les rangs des combattants du MNLA, et pour d’autres le stock d’armes disponibles au Sahel. La faiblesse du contrôle des frontières libyennes combinée à la porosité des frontières algériennes facilita le mouvement des armes de la Libye vers le Mali, via l’Algérie, le Niger et le Tchad.
Toutefois, la chute du régime de Kadhafi n’explique pas entièrement le fort approvisionnement en armes des combattants dans la région. Les nombreux conflits qui ont émaillé l’Afrique pendant les années 1990 eurent des conséquences sur les stocks d’armes du continent. Ces armes venaient jusqu’à présent du Tchad, du Libéria et de la Sierra Leone. La Somalie et son gouvernement impuissant face à l’organisation Al-Shabbaab alimentent également ces réserves en quantité impressionnante, les experts estimant que près de 20 millions de fusils se trouveraient en Somalie à l’heure actuelle.
Si, avec l’appui de certains commerçants et officiels corrompus, la Mauritanie contribue également à l’apport en armes au Sahel (le stock d’armes qui se trouverait actuellement au Sahel est estimé à 80 000), la désorganisation et la faiblesse de l’armée malienne permirent aux membres des organisations de s’armer directement dans les réserves militaires et ce depuis bien des années.
Ces organisations se financent également via l’apport en fonds de certaines ONG créées de toute pièce ou via la générosité des populations locales imposée par la zakat
Ventre mou de trafics en tout genre, le Mali permit à de nombreux groupes de prospérer sur son territoire. L’approvisionnement en armes de Boko Haram commence en revanche à se tarir. Avec la complaisance de certains officiels camerounais, nigérians, nigériens et tchadiens, Boko Haram stocka pendant longtemps des armes autour des fleuves Logone et Chari. Lorsque la communauté africaine, via l’Union Africaine (UA), prit la pleine conscience du niveau de dangerosité de Boko Haram et adopta les mesures en conséquence et depuis la défaite de Goodluck Jonathan aux élections présidentielles nigérianes accusé d’être resté jusqu’alors inactif, la secte islamiste accusa le coup.
Les différentes approches du financement des groupes armés au Sahel
A leur naissance, les besoins de financement des groupes armés qui sévissent dans le Sahel, étaient relativement faibles. Au fur et à mesure de leur croissance mais aussi à mesure que ces organisations se sont détournées d’un but idéologique pour une visée plus lucrative, ces moyens de financement sont devenus colossaux.
Aujourd’hui, malgré les difficultés à évaluer précisément tous les montants que ces organisations reçoivent, il semble clair que les rançons issues des prises d’otage sont la source de financement la plus solide. A ces premiers montants, viennent s’ajouter ceux de la contrebande. Dans ce domaine, il est également difficile de fournir un chiffre précis. Toutefois, les experts estiment que le commerce illégal de cigarettes en Afrique, dont Mokhtar Belmokhtar est l’un des principaux artisans, générèrent des revenus estimés à plus d’un milliard de dollars annuel.
Ces organisations se financent également via l’apport en fonds de certaines ONG créées de toute pièce ou via la générosité des populations locales imposée par la zakat. Enfin, se pose la question du soutien de l’Arabie Saoudite et du Qatar à ces différentes organisations armées. Ces deux pays pratiquent l’islam wahhabite considéré comme rigoriste. Ils sont fréquemment accusés de jouer un double jeu face aux enjeux du terrorisme.
Les sources de revenus des autres mouvements islamistes et du MNLA restent difficiles à identifier très clairement et les experts ignorent de quels fonds dispose précisément chacune de ces organisations. Si les coalitions armées et la communauté internationale cherchent à en savoir plus sur ces financements pour trouver un moyen de les couper, ce serait négliger le fait que l’argent n’est pas toujours le nerf de la guerre pour chacune des organisations citées.
Se donner les moyens de lutter contre les groupes armés
Comprendre les motivations et les dynamiques réelles de chaque organisation
En résumé, les motivations des organisations armées au Sahel sont extrêmement diversifiées et plus complexes qu’elles n’y paraissent. Si AQMI et Al-Mourabitoune prétendent vouloir imposer la charia à travers l’Afrique, se cache derrière cette idéologie bancale, des conflits internes et surtout un véritable business de la prise d’otages. AQMI réalise de nombreux kidnappings, non pas comme symboles forts d’une protestation violente, ni même pour financer d’autres actions symboliques mais, par opportunité, pour les profits que l’organisation peut en tirer.
Ansar Dine réalise certes des actions plus localisées dans le nord du Mali, mais son mode opératoire et ses motivations réelles sont les mêmes. Les attentats-suicide de Boko Haram s’apparentent plus à des gestes fous de désespérés. L’action de l’UA porte lentement ses fruits et la multiplication des attentats récents traduit plutôt l’affaiblissement de l’organisation.
La branche libyenne du groupe EI continue son expansion et elle pourrait rapidement attirer de nombreux djihadistes africains et poursuivre leur endoctrinement
Les actions du MNLA ont, quant à elles, depuis bien longtemps dépassé le cadre d’une simple revendication d’autonomie et tendent à être violentes et en violation directe des droits de l’Homme. Il est donc nécessaire de dépasser la simple appellation terroriste pour mieux cerner ces organisations. L’utilisation de la terreur dont elles font preuve est indéniable, mais elle n’a de visée politique que partiellement.
Chez les islamistes (hormis chez les membres de Boko Haram), cette terreur est plutôt une conséquence d’une entreprise en croissance qu’un but en soi. Boko Haram n’a jamais utilisé la terreur comme un chantage. C’est le mode opératoire qu’elle a toujours pratiqué et elle ne cherche pas à obtenir quoi que ce soit de précis contre cette terreur. Le cas du MNLA est plus complexe. Si les revendications d’autonomie ont été décrédibilisées par les potentielles alliances douteuses du MNLA avec ses ennemis, le mouvement se veut plus politisé et plus structuré.
Ses exactions sur des femmes et des enfants imposent une terreur indéniable dans le nord du Mali mais cette terreur n’est pas tant un moyen d’action qu’une conséquence des choix du MNLA. La qualification du MNLA comme « terroriste » par le gouvernement malien est une manière de l’affaiblir et aussi de le ranger dans la même catégorie que les mouvements religieux armés de la région.
Mettre en œuvre des moyens précis de les combattre
L’un des premiers éléments qui permettrait d’améliorer la situation sécuritaire au Sahel, c’est une meilleure maîtrise des territoires occupés. Le Sahara représente près de 9 000 000 km² qui s’étend de la Mauritanie au Soudan et à la Somalie et de nombreux trafics, groupes armés et terroristes y prolifèrent dans une liberté de mouvement certaine. Il est primordial que les gouvernements africains concernés renforcent leur maîtrise militaire mais aussi socio-économique de ces territoires pour éviter qu’ils ne tombent aux mains des groupes armés.
Enfin, la communauté internationale doit très rapidement se pencher sur le chaos libyen. La Libye sert aujourd’hui de plaque tournante à de nombreux trafics incontrôlés. La branche libyenne du groupe EI continue son expansion et elle pourrait rapidement attirer de nombreux djihadistes africains et poursuivre leur endoctrinement.
les Européens et les Américains devraient également revoir leur relation avec leurs alliés saoudiens et qataris dont les motivations réelles face au terrorisme sont floues
Sur le plan financier, une plus grande vigilance doit être maintenue aux niveaux des transferts de fonds internationaux. Les banques internationales doivent renforcer le contrôle des différents flux financiers vers des pays considérés comme à risque. Les dons anonymes, très difficiles à tracer, doivent dès maintenant faire l’objet d’une identification plus claire des bénéficiaires concernés par l’opération pour limiter le risque de financement aussi direct d’activités terroristes.
A ce compte, les Européens et les Américains devraient également revoir leur relation avec leurs alliés saoudiens et qataris dont les motivations réelles face au terrorisme sont floues. Une plus grande indépendance américaine au pétrole saoudien devrait permettre aux États-Unis de prendre une position plus ferme vis-à-vis de leur allié.
Enfin, l’une des clefs pour réduire sensiblement l’influence des organisations armées au Sahel, c’est la réduction de la pauvreté et des inégalités. Si les têtes pensantes des organisations islamistes sont originaires de milieux sociaux variés, les membres qu’elles recrutent sont en revanche eux, souvent issus de milieux extrêmement défavorisés, voire exclus socialement.
Les Wathinotes sont soit des résumés de publications sélectionnées par WATHI, conformes aux résumés originaux, soit des versions modifiées des résumés originaux, soit des extraits choisis par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au thème du Débat. Lorsque les publications et leurs résumés ne sont disponibles qu’en français ou en anglais, WATHI se charge de la traduction des extraits choisis dans l’autre langue. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.
The Wathinotes are either original abstracts of publications selected by WATHI, modified original summaries or publication quotes selected for their relevance for the theme of the Debate. When publications and abstracts are only available either in French or in English, the translation is done by WATHI. All the Wathinotes link to the original and integral publications that are not hosted on the WATHI website. WATHI participates to the promotion of these documents that have been written by university professors and experts.